DAKAR-L’ancien ministre secrétaire général à la présidence continue de régler ses comptes, suite aux accusations du président Alpha Condé.Dans un entretien accordé à nos confrères sénégalais de L’observateur, Tibou Camara indexe le nouveau chef de l’Etat guinéen qu’il accuse de mener une politique basée sur « la haine et l’exclusion » en Guinée…
L’Observateur: Dans un entretien accordé à un journal de la place (L’Enquête du samedi 10 septembre dernier), Alpha Condé, le président de la Guinée, vous accuse d’avoir tenu des réunions secrètes à l’hôtel Méridien de Dakar pour attenter à sa vie. Que répondez-vous à de telles accusations?
Tibou Camara: Je pense que l’accusation d’être impliqué dans la tentative d’assassinat ou d’attentat (La résidence privée du Président Condé a été attaquée le 19 juillet par des militaires ; un membre de sa garde a été tué, deux ont été blessés, Ndlr) dont il nous accuse relève d’un manque de discernement. En plus, lorsqu’on reçoit des informations qui engagent la réputation d’un établissement comme le Méridien et la crédibilité, sinon la moralité d’honnêtes citoyens que nous sommes, l’on doit éviter de se fonder sur des rumeurs ou de nourrir une suspicion sur les citoyens de son pays. Je trouve qu’à ce niveau de responsabilité, c’est regrettable.
Avez-vous tenu des réunions secrètes au Méridien pour attenter à la vie d’Alpha Condé ?
Il n’y a jamais eu de réunions publiques, ni secrètes au Méridien. Je peux affirmer, avec une force conviction, qu’il n’y a pas eu de rendez-vous de Guinéens au Méridien. À plus forte raison pour une cause aussi douteuse que celle d’attenter à sa vie, comme il le prétend. Mais, il est évident que le Sénégal comme le Méridien ont leurs portes ouvertes et n’importe qui, s’il en a les moyens ou l’envie, peut y venir sans que cela ne nourrisse une quelconque suspicion ou ne ressemble à une menée subversive contre un régime. Donc toutes ces accusations relèvent du domaine du fantasme et du mensonge d’Etat, destinés à distraire les Guinéens des préoccupations essentielles qui sont les leurs et de trouver un bouc émissaire aux débuts difficiles d’un régime qui avait promis monts et merveilles.
Par-delà le Méridien, votre personne, c’est l’Etat du Sénégal qui a été accusé de complicité d’attentat dans cette affaire. Est-ce que cela vous paraît raisonnable ?
Je regrette l’accusation portée aussi bien contre le Sénégal que contre la Gambie. Dans la mesure où ces deux pays sont des pays d’accueil pour de nombreux Guinéens vis-à-vis desquels ils ont toujours observé la règle et la tradition d’hospitalité africaine. Il y a près de deux millions de Guinéens qui vivent au Sénégal, mais il y a aussi des milliers de Guinéens qui vivent en Gambie. Je regrette donc qu’on accuse ou incrimine un Etat sur la base de rumeurs ou même d’humeurs d’un chef d’Etat qui estime… (il ne termine pas sa phrase). Cela, je dois vous le dire, l’accusation contre le Sénégal part d’une suspicion qui remonte à avant même l’avènement d’Alpha Condé au pouvoir. Je vais vous raconter une anecdote. Lorsque le président Abdoulaye Wade, qui s’est énormément impliqué dans la recherche de solutions pour une transition apaisée dans notre pays, tout comme le président Yaya Jammeh, car une partie de la transition s’est discutée à Banjul (capitale de la Gambie), et je le dis aujourd’hui solennellement, donc, il s’agit de deux chefs d’Etat qui par rapport à leur vision d’intégration africaine, ont estimé à un moment donné que la Guinée qui était confrontée à une épreuve avait besoin d’être aidée pour retrouver la sérénité et la stabilité qui règnent dans ces deux pays. Donc, le président Abdoulaye Wade, qui est venu pour s’impliquer dans une solution de blocage que nous avions à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui à l’époque était l’enjeu des élections, le président Abdoulaye Wade, lorsqu’il est venu pour faire la médiation a eu une violente altercation avec le professeur candidat Alpha Condé, à l’époque, qui a estimé que le président Wade apportait un soutien à son concurrent Cellou Dallein Diallo (candidat malchanceux à l’élection présidentielle guinéenne, Ndlr). Le président Wade a estimé que c’était un acte d’ingratitude de la part du professeur Alpha Condé, parce que lorsque celui-ci était en prison, il était intervenu auprès du défunt président Lansana Conté pour obtenir sa libération. Le président Wade a rappelé cette fresque de l’histoire pour exprimer son étonnement face à l’accusation de parti pris qui avait été portée contre lui par le professeur Alpha Condé. C’est en ce moment que celui-ci s’est ravisé et qu’il y a eu un climat apaisé.
Est-ce que le président Alpha Condé a causé un tort au Sénégal en l’accusant de complicité d’attentat ?
Je pense plutôt qu’il a fait tort à la Guinée. Car, quand on est chef d’un pays comme le nôtre qui a connu une forte immigration, surtout dans un contexte difficile pour la Guinée, ce sont des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Gambie et beaucoup d’autres pays qui ont servi de terre d’accueil à des millions et millions de Guinéens qui étaient à la recherche de terre d’accueil, donc, qu’un pays comme le Sénégal qui a une tradition d’hospitalité vis-à-vis de la Guinée soit accusé par le chef d’Etat guinéen d’abriter une base arrière de déstabilisation de la Guinée, c’est faire une insulte à l’histoire et c’est compromettre l’avenir d’une relation ouverte et mutuellement avantageuse pour les deux pays. Ensuite, quand un chef d’Etat accuse un autre chef d’Etat, je pense qu’on devrait le faire avec moins d’enthousiasme, moins de légèreté. Je crois qu’on doit le faire sur la base d’actes irréfutables. Alpha Condé a toujours pensé que le Sénégal lui était hostile et il n’a pas réussi à faire la mutation.
Il vous a personnellement accusé, disant que votre épouse est la sœur de l’épouse de Yaya Jammeh, et par conséquent vous avez joué un rôle dans cet attentat. Est-ce que cette accusation est fondée ?
Heureusement que je ne me suis pas marié à l’avènement d’Alpha Condé au pouvoir, je me suis marié longtemps avant et j’ai commencé à aller en Gambie avant son accession au pouvoir. Et puis, quel lien on peut faire entre ma vie de famille, ma relation amoureuse et un complot d’Etat ? Ce n’est pas sérieux. Je crois que c’est un faisceau de mensonges et un amalgame dangereux. Je pense que c’est un manque de sérénité, cela montre la panique et la peur qui règnent au sommet de l’Etat guinéen.
Cette peur est due à quoi, selon vous ?
Cette peur est due à l’échec prématuré d’une politique de promesses, d’illusions qui a été entretenue par un opposant transitionnel ou historique qui a pensé que son avènement au pouvoir allait transformer la Guinée. Il se prenait comme un messie pour le pays. Maintenant, il est confronté à la réalité de l’exercice du pouvoir, à la demande sociale, aux contradictions politiques, au défi d’un Etat. Lui, son premier travail, c’est d’être président de la République. Auparavant, il n’a exercé aucune fonction dans l’administration, dans l’Etat. Donc c’est un homme sans expérience de l’Etat, de l’administration, de la gestion des hommes qui se retrouve à la tête de l’Etat guinéen. Cela en soi-même constitue une menace et un risque majeurs pour la stabilité du pays. C’est comme si vous donnez un avion à quelqu’un qui n’a jamais piloté. Si l’avion arrive à bon port, ce serait un miracle, mais si l’avion fait un crash, ce serait simplement logique. L’autre chose, c’est que la politique menée par Alpha Condé, depuis qu’il s’est retrouvé à la tête de l’Etat guinéen, est une politique d’exclusion, de discrimination qui entretient les germes d’une confrontation intercommunautaire dans notre pays où le tissu social est durement éprouvé. Le commun vouloir de vivre ensemble n’est plus une réalité. Chacun pense que le bonheur, la sécurité, c’est le repli sur soi.
Y a-t-il risque de conflit ethnique en Guinée, si l’on n’y prend pas garde ?
Alpha Condé mène en Guinée une politique fondée sur la haine, sur le rejet des autres, l’exclusion. C’est la première fois, dans l’histoire de la Guinée, qu’un chef d’Etat, dans les actes de nomination à des postes de responsabilités, dit ouvertement ne pas avoir pour souci de tenir compte de l’équilibre ethnique. Vous pensez qu’il est normal de penser qu’une seule ethnie, Malinké en l’occurrence, est compétente pour diriger la Guinée ? Vous pensez qu’on ne peut pas retrouver des compétences dans les autres communautés ou au sein des autres ethnies ? Alpha Condé fait des pratiques d’un régime manifestement liberticide.
Et il est devenu un danger pour la Guinée et pour la région, à cause d’abord des accusations graves portées contre la Gambie et le Sénégal, ensuite des rapports difficiles avec la Côte d’Ivoire et le Mali. Aujourd’hui, c’est toute la région qui est menacée.
Source:L’Observateur