C’était la déclaration de Tibou le 28 Novembre 2013. Aujourd’hui, en Décembre 2017, pour lui, pour faire rester Alpha Conde, toutes les options sont ouvertes.
Tibou Kamara est aujourd’hui, malgré sa jeunesse relative, l’un des seuls acteurs de la scène politique nationale à avoir participé, au plus haut niveau, à tous les régimes et systèmes politiques depuis Lansana Conté. Il mérite probablement le trophée guinéen de la durabilité et de la longévité politique. Nous proposons de lui décerner, en plus, le trophée guinéen du meilleur illusionniste et contorsionniste politique.
Pour suivre le parcours atypique de ce monsieur, aujourd’hui encore dans les plus hautes sphères de la scène, transhumant, navigateur, joueur et dribleur émérite, nous vous proposons de relire les propos, particulièrement succulents, qu’il avait tenus en 2013 :
L’Observateur : Monsieur le ministre, nous commençons par vous présenter nos condoléances suite à la disparition de votre père. Comment avez-vous vécu cette épreuve loin de votre pays et de vos proches ?
Tibou Kamara : … Je l’ai déjà dit, je suis à la fois frustré et en colère de n’avoir pu être auprès de mon père au moment où il quittait ce monde, et davantage frustré et indigné de n’avoir pu l’accompagner à sa dernière demeure, comme c’est le devoir de tout fils s’il le veut et le peut d’enterrer ses parents. Je ne suis pas cependant défait. Au contraire, de cette épreuve et de cette injustice profonde, je tire la force et l’énergie de me battre avec d’autres patriotes et démocrates pour que d’autres Guinéens ne connaissent pas de telles frustrations et privations à l’avenir. (Ndlr : Aujourd’hui il est l’homme à tout faire et servile serviteur de ce même Alpha Condé qui lui a inflige ses pires épreuves, frustrations et colère, le comble !!)
Est-ce cet événement qui vous pousse à rompre le silence et à vous engager dans la lutte contre le pouvoir guinéen ?
En partie oui, dans la mesure où je ne souhaite pas que notre pays soit la chasse gardée de certains qui croient l’avoir reçu en héritage pour en disposer comme ils l’entendent, et décider de qui doit y être ou non, dans une visée tyrannique et ségrégationniste. Mais ce n’est évidemment pas l’unique raison. Car mon état d’âme à lui seul ne suffit pas à m’engager dans la lutte. Face à un régime qui repose sur « la loi du plus fort considérée comme une justice naturelle », la discrétion de la réserve et du silence est un acte de faiblesse. Il faut la violence de la résistance. Puis, il y a un temps pour tout : se taire, parler et agir. Dans notre pays, ce n’est pas toujours aisé de se prononcer et se déterminer dans le débat public, car toute opinion est jugée suspecte et quelle que soit la position exprimée, elle n’est pas comprise. Plus encore pour des personnes qui ont quitté les affaires. Si elles ne disent rien on croit que c’est parce qu’elles manquent de courage et de conviction, ou ont des choses à se reprocher. Quand elles décident de parler et d’agir, on croit que c’est parce qu’elles sont habitées par des rancœurs, l’amertume et la nostalgie d’avoir quitté le pouvoir. Ou alors l’on pense qu’elles font du chantage pour être rappelées aux affaires. Voilà pourquoi et comment des Guinéens qui doivent à la Guinée de s’engager davantage pour défendre des valeurs que nous avons en partage et l’intérêt général, s’emmurent souvent dans un silence ou une résignation irresponsable, ou entretiennent avec les différents régimes des relations coupables. Moi, je considère qu’il ne faut pas se taire quand on a quelque chose à dire, et il incombe à chacun de contribuer au progrès de la société et au rayonnement de son pays. Pendant de longues années, dans notre pays, une grande majorité de nos compatriotes ont gardé le silence devant l’injustice et l’oppression et ont plié devant la dictature. Avec les générations montantes qui ne connaissent pas la peur et au péril de leurs vies défendent le droit à une meilleure vie et à une citoyenneté pleine et entière, le temps de la résistance et de l’action est arrivé pour que, enfin, la Guinée soit prospère et les Guinéens se sentent plus libres. Je m’inscris résolument dans ce combat pour la dignité personnelle et l’honneur de mon pays et pour le triomphe d’une société de justice, de paix et de sécurité (Ndlr : Aujourd’hui il mène le combat exactement opposé, sans état d’âme, sans vergogne !).
Outre ce triste fait, existent-ils d’autres exemples d’actes hostiles du régime à votre encontre ?
Je crois que vous êtes au courant de certains événements qui, par leur caractère de scandale public et de faits divers sordide, ont alimenté la chronique populaire. C’est par exemple lorsqu’Alpha Condé et son régime se sont opposés, sans raison aucune, à mon départ de la Guinée comme ils semblent aujourd’hui hostiles à mon éventuel retour au bercail. Il a fallu utiliser la force puisqu’il n’y avait aucune autre alternative pour partir. Depuis, Alpha Condé le vit comme une offense personnelle et un acte de défiance à l’encontre de son régime.
Ensuite, il y a eu cette affaire du renouvellement de mon passeport. Je crois qu’en tant que Guinéen qui, en tout cas à ma connaissance, n’a pas été banni de son pays ni déchu de sa nationalité, j’ai droit au passeport ordinaire que j’ai sollicité. Mais non, le Général Toto, sans doute sur instruction de Alpha Condé a mis son veto. Alors que des étrangers comme Alpha Barry, ancien correspondant de RFI à Ouaga, sans aucune fonction ni titre officiels ou lien avec notre pays, dispose d’un passeport diplomatique guinéen comme beaucoup d’autres, par le seul fait de sa proximité douteuse avec Alpha Condé. Où est aujourd’hui Toto qui, faut-il le rappeler au passage, n’a été maintenu à son poste et reconduit dans le gouvernement que grâce à ma bienveillance et protection personnelle, avec le soutien du général Sékouba Konaté et la bonne compréhension du Premier ministre Jean-Marie Doré qui, en homme avisé, avait émis des doutes sur les aptitudes morales et intellectuelles de cet officier roublard et instable ?
Une autre affaire avec quelqu’un d’autre qui m’a profondément déçu, le gouverneur de la Banque Centrale Lounsény Nabé. Celui-ci a été emprisonné par le CNDD pour des faits de gestion lorsqu’il était ministre des Mines et de la Géologie. Il m’a fallu user de ma complicité avec le général Konaté pour le faire libérer et le faire réhabiliter par la justice. Une longue histoire qu’il semble avoir oublié. Devenu gouverneur de la Banque Centrale, de connivence avec un autre acolyte, Yero Baldé son adjoint, ils prennent la responsabilité, rien que pour se faire plaire à Alpha Condé, de bloquer mon compte ouvert dans les livres de la Banque Centrale pendant que j’étais aux affaires. Ce duo-là, c’est le prototype même du cadre guinéen sans foi ni loi qui croit l’instant figé et le pouvoir éternel. J’aurais pu les attaquer en procès, mais je préfère les livrer au jugement de l’histoire et attendre ce jour fatidique où ils tomberont de leur piédestal.
Mais le plus ridicule, c’est la tentative d’atteindre la première dame de Gambie qui, par ailleurs, est guinéenne à part entière. Venue se recueillir sur la tombe de son père, il y a eu de nombreux actes d’hostilités qu’elle a subis alors que les autorités avaient marqué leur accord pour sa visite. Elle a été priée de se rendre de l’aéroport où elle n’a bénéficié d’aucun traitement conforme à son statut jusqu’au cimetière. Parce qu’elle est ma belle-sœur et que pour l’occasion elle était accompagnée de son frère aîné ainsi que de sa grande sœur, l’épouse de l’ennemi public que je suis devenu à leurs yeux, il a fallu qu’elle proteste pour être reçue aux Cases de Bellevue avant son départ pour le village pour quelques préparatifs. Son cortège a été stoppé en pleine circulation pour lui demander de l’argent afin de mettre de l’essence dans les différents véhicules. Mais c’est au départ de l’aéroport qu’un grave incident a failli se produire : les services de sécurité ont exigé la fouille de ses bagages au motif qu’elle transporterait des colis suspects. Naturellement, sa garde s’est opposée à une telle demande contraire à la règle d’hospitalité, mais surtout incongrue dans les relations internationales. Durant tout le séjour qui n’a duré que quelques heures elle a eu droit à une filature en règle dans un climat de suspicion et d’agressivité assumée pleinement.
Voilà le vrai visage du régime d’Alpha Condé : tout sacrifier à l’humeur et au ressentiment. La Guinée n’est plus qu’un pays, il n’y a pas d’Etat, qui serait à plus forte raison de droit, par la faute d’Alpha Condé qui considère que « et le pays et l’Etat, c’est lui ».
C’est quoi à présent vos objectifs ? Quel va être le sens de votre combat ?
Mais c’est simple : ni plus ni moins le départ du pouvoir d’Alpha Condé et le changement de régime.
Comment comptez-vous arriver à cela ?
Toutes les options sont ouvertes.
C’est-à-dire ?
Vous savez, dans notre pays on est habitué au verbiage creux et aux slogans stériles. De même, beaucoup ont du mal à comprendre que le monde n’est plus le même et que l’injustice et la violence que notre Etat fait subir aujourd’hui aux citoyens est une bombe à retardement. Ce n’est pas parce que la majorité silencieuse ne se fait pas assez entendre et n’a pas forcé la décision qu’elle est une victime consentante. Ce n’est pas non plus parce que rien n’a été encore entrepris, malgré les accusations portées par le régime à tort et à travers, conscient qu’il est de plus en plus exposé à un effet boomerang inévitable de ses turpitudes, qu’il faille conclure hâtivement que les forces vives du pays sont résignées et vaincues. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ailleurs comme en Guinée.
On a l’impression que vous êtes un homme frustré et en colère …
C’est de la Guinée que nous parlons qui est beaucoup plus importante que tout et tout le monde, car c’est notre bien commun.
Vous venez de rencontrer le général Sékouba Konaté qui vous a rendu récemment visite au Maroc et avec qui vous venez de séjourner en France. Avez-vous renoué le contact ?
Renouer le contact suppose qu’il y avait eu rupture ou un refroidissement des relations. Je sais que c’est le souhait de beaucoup de gens. Surtout pendant la transition, parce qu’on estimait que j’étais un obstacle pour celui qui voulait arriver autrement au pouvoir que par les urnes, c’est-à-dire en bernant des acteurs de la transition pour orienter le processus électoral et influencer les résultats des élections en sa faveur. Suivez mon regard. Sans doute a-t-il réussi et continue-t-il encore de réussir en imposant chaque fois des résultats bien différents de la volonté exprimée par les citoyens dans les urnes. Combien de temps va-t-on continuer à se moquer ainsi des Guinéens et à torpiller le rêve et l’aspiration légitime de notre pays à une démocratie vraie ?
Je sais aujourd’hui encore qu’ils sont nombreux au sein de l’exécutif actuel à s’attendre à une rupture entre le général Konaté et moi, tout comme ils voudraient le maintenir à l’union africaine où ils sont convaincus qu’il ne pourrait constituer une menace pour un régime en quête de repères et en mal de légitimité. Lui et moi on n’a aucun problème. Nous sommes en contact partout où nous nous trouvons dans le monde. Et comme tous les Guinéens, malgré la réserve de ses charges, il est préoccupé par le désastre que sont, depuis trois ans, les états de services médiocres de celui qui se fait appeler « professeur ». Il envisage, de plus en plus, de quitter l’Union africaine pour retrouver sa liberté de parole et d’action. C’est un patriote. Quand il le jugera nécessaire, sans doute bientôt, il s’exprimera et pourrait créer à cette occasion la surprise. Il voudrait être du bon côté de l’Histoire, du bon côté tout court, car il a, comme chacun de nous qui avons beaucoup reçu de notre pays, une dette à honorer en lui consacrant son énergie et ses talents. Il le fera par devoir envers la Patrie en péril. Et non par calcul ou ambition personnelle.
Voulez-vous dire que le général Sékouba Konaté est prêt à rendre le tablier et à se joindre au combat pour le changement ?
N’anticipons rien et ne préjugeons de rien. C’est un patriote, il n’est donc pas indifférent à la situation actuelle, mais c’est à lui de faire ses choix en âme et conscience et dans le sens de l’histoire et des espoirs que beaucoup placent encore en lui malgré tout.
Est-il personnellement fâché avec le régime ?
Je vous demande de vous mettre à sa place pour répondre à votre propre question. Il n’était même pas encore complètement parti qu’Alpha Condé l’a accusé de vouloir déstabiliser le nouveau pouvoir. Dans l’affaire du 19 juillet 2011, c’est-à-dire à propos de la présumée tentative de renverser le régime d’Alpha Condé ou d’attenter à sa vie, ce sont les proches du général Konaté qui ont été principalement visés et accusés. Certains croupissent encore en prison parmi lesquels malheureusement il y en a qui ont péri, d’autres vivent un exil difficile. Au domicile du général lui-même, il y a eu une perquisition au motif qu’il pourrait y avoir une cache d’armes. Sans compter les frustrations quotidiennes. N’importe qui face à ces agressions répétées et caractérisées, sans compter toute la campagne officielle menée jusqu’à aujourd’hui pour ternir son image, serait mal à l’aise et en droit légitime de se défendre pour rétablir la vérité.
Revenons à l’actualité, comment jugez-vous les législatives qui viennent de se dérouler ?
Un nouvel espoir déçu. Comme une malédiction, la Guinée, par la faute de certains, semble se plaire et se complaire dans la médiocrité et persiste à être la risée du monde. Alpha Condé qui a bousculé les autorités de la transition pour organiser les élections au plus vite, obsédé par le temps qui n’était pas en sa faveur, aura passé le plus clair de son mandat à organiser une élection. Pour lui, le fait que les Guinéens se soient fortement mobilisés, convaincus qu’ils ne seront pas floués à nouveau, pour voter dans le calme est une performance. Il pousse le ridicule jusqu’à demander la comparaison avec d’autres scrutins en Afrique où on aurait été moins « charitable » avec l’opposition, alors même que les élections ont été mieux organisées dans ces Etats, surtout à temps et avec des résultats qui ne sont pas le fait du prince mais le choix d’électeurs exerçant pleinement leurs droits. Tout le contraire de la Guinée où on a fait voter qui on a voulu dans les conditions qu’on a imposées et avec des résultats disproportionnés, voire surréalistes en certains endroits. Ce qui se reflète parfaitement dans le sentiment de toutes les parties : pouvoir, opposition et communauté internationale, tout le monde est unanime que l’élection a été émaillée de graves fraudes et irrégularités. Un constat suffisant pour disqualifier complètement le scrutin et entamer la légitimité des élus et du futur parlement. Et c’est là où il faut de la cohérence et de l’honnêteté, et même un peu de respect pour les Guinéens : on ne peut pas d’un côté reconnaître le mal et refuser de le soigner, c’est-à-dire que les élections ont été mauvaises mais les résultats sont bons et doivent être acceptés ! Ailleurs, la fraude, quelle qu’en soit l’ampleur surtout dans les pays qui nous conseillent autre chose, est cause d’annulation et ouvre la voie à des poursuites pénales. Pourquoi pas chez nous et pour une fois? Ou n’avons-nous pas droit à la vérité, à la justice, à de bonnes élections dont seraient issus des représentants légitimes fiers de leur mandat ? Sommes-nous moins que ceux qui font de bonnes élections ou ne méritons-nous pas de choisir nos dirigeants avec la garantie que notre choix soit respecté ?
Voulez-vous dire que l’opposition doit refuser de siéger et continuer à demander l’annulation du scrutin ?
Je n’ai pas la prétention de dicter à l’opposition sa décision et sa démarche. Elle est dirigée par des hommes intelligents et pétris d’expérience qui, je crois, feront les choix utiles. Je dis seulement que si l’on continue la mascarade électorale, et je ne vois pas comment le pouvoir y renoncera n’ayant aucun autre moyen d’obtenir la légitimité et de se maintenir, on court le risque d’interrompre le processus démocratique. Car lorsque les dirigeants souffrent d’illégitimité, qu’il n’y a pas de confiance dans les institutions soit parce qu’elles ont été installées dans des conditions douteuses ou ceux qui les dirigent manquent tout le temps à leurs devoirs et ne sont pas à la hauteur, il y a risque, comme on l’a vu ailleurs, que la rue prenne le relais et la violence et l’insurrection soient les seuls moyens d’expression et de recours.
Je crois qu’à partir du moment où l’opposition a décidé d’aller aux élections sous la pression de la communauté internationale, sans s’assurer que les conditions d’un scrutin transparent et équitable étaient réunies, elle a fait un pari risqué. Heureusement qu’elle n’a pas subi le revers que beaucoup ont prédit, même si on ne peut pas dire pour autant qu’elle a gagné. Car elle ne doit pas se contenter d’une défaite, même dite honorable et courte, là où il existe une possibilité réelle d’avoir une majorité nette si les règles du jeu avaient été respectées. C’est pourquoi, elle doit se mobiliser davantage pour que le pouvoir n’ait plus aucun moyen de contrôler et influencer le processus électoral, et donc de proclamer de fausses victoires et des résultats provocateurs pour les électeurs. C’est un défi qu’elle a les moyens politiques de relever car c’est une bataille politique qu’elle a perdue pour le moment. Car sur la CENI, le pouvoir a reculé pour mieux sauter. Il n’a rien cédé. Avec la nouvelle CENI, l’opposition est plus lésée encore parce qu’elle n’a pas obtenu la parité qu’elle a revendiquée, mais en plus Lounsény Camara considéré comme un allié du pouvoir, a été remplacé par Bakary Fofana porte-flingue d’Alpha Condé. Autant dire remplacer la peste par le choléra.
En dépit de la perte des cinq communes de Conakry à l’uninominal, le parti d’Alpha Condé a gagné pourtant par une petite marge. Certes courte, mais une victoire quand même …
Non, il a plutôt perdu. Car ce qu’il présente comme étant le signe du bon déroulement et de la transparence des élections, c’est la « performance historique » de l’opposition, malgré la grande échelle de fraude est un rejet de sa personne et de son régime et une adhésion plus grande à l’opposition. C’est humiliant pour un président à peine élu de perdre la capitale, le siège du pouvoir. C’est la première fois, depuis que des élections sont organisées en Guinée, qu’un pouvoir perde dans la capitale, qui plus est toute la capitale, c’est-à-dire dans les cinq circonscriptions qui la composent. Boké où Alpha Condé dit être né, a basculé aussi dans l’opposition. Il ne s’agit pas de défaites symboliques seulement, mais d’un véritable marqueur politique et électoral qui indique clairement le déclin et l’impopularité chronique du régime. Là où Alpha Condé a perdu encore, c’est la crise de confiante plus forte avec l’opinion nationale et internationale. Chacun sait maintenant qu’il ne faut pas s’attendre avec lui à des élections transparentes et que ce n’est sans doute pas avec lui que la Guinée aura son printemps démocratique. A tous les patriotes et démocrates d’en tirer les conséquences. En particulier l’opposition qui, certes mène un combat héroïque dans un contexte difficile face à un homme qui ne recule devant rien et est prêt à tout, mais elle manque souvent de vigilance et pêche par un excès de bonne foi ou de naïveté, en fondant des espoirs dans les faux gages donnés par Alpha Condé ou se fiant aux engagements d’une communauté internationale qui ne peut trop s’avancer de peur de porter atteinte à la souveraineté d’un pays rétif à toute intervention « étrangère » dans ses affaires intérieures depuis son fameux non au général De gaulle.
Et Cellou Dalein Diallo, avec 37 députés, en Guinée une première pour un parti d’opposition, peut-on conclure qu’il a perdu ?
Cela dépend de quel côté on se place. Si on regarde ses résultats, on ne peut que se réjouir pour lui et le féliciter d’avoir presque fait jeu égal avec Alpha Condé avec les résultats de son propre parti et ceux de son alliance avec Sidya Touré. Il confirme ainsi sa place de leader de l’opposition guinéenne. Pour quelqu’un qui est entré en politique il n’y a pas si longtemps, et dans un pays où l’opposition ne fait ni beaucoup d’émules ni ne mobilise des talents et des compétences, la plupart de nos compatriotes, surtout les cadres de l’administration publique, engagés dans la course aux postes et privilèges, donc plus attirés par les sirènes du pouvoir que par le chemin de croix d’une opposition qui n’a rien à offrir et donner, le parcours impose respect et admiration. D’ailleurs, je ne comprends que peu ceux qui lui reprochent de manquer de courage, car s’il n’en avait pas, il ne se serait pas engagé en politique tout simplement, et qui plus est alors que son mentor Lansana Conté, jaloux de son pouvoir et hostile à l’opposition en général, et intraitable devant la dissidence, était encore en vie. D’autres n’ont pas osé l’affronter dans leurs ambitions ou ont attendu qu’il ne soit plus là pour en avoir. Du courage, il en fallait aussi pour braver un homme déterminé et farouche comme Dadis Camara, comme l’ont révélé les tragiques événements du 28 septembre dont Cellou est une des victimes, parce qu’il s’y est rendu en tête de cortège pendant que d’autres étaient en villégiature ou se planquaient à Paris. Et malgré cette épreuve qui aurait pu briser n’importe quel homme et tempérer son ardeur au combat, il est aujourd’hui encore, au péril de sa vie, souvent menacée pendant les manifestations de l’opposition, devant ses militants pour justement leur montrer l’exemple du courage et la détermination. Alors que dans le même rôle de principal opposant, Alpha Condé et d’autres appelaient à manifester de loin, à des dizaines de kilomètres de là, et ne couraient jamais le risque de la répression. Il a fallu que l’opposant Alpha Condé candidat à une élection présidentielle pressente une menace ou qu’il soit prévenu d’un danger imminent, pour se retrouver aux frontières où il sera arrêté et transféré dans des circonstances que ses militants refusent encore d’admettre quitte à falsifier l’histoire pour sauver l’honneur de l’homme et garder eux-mêmes la dignité. Sans parler de cet inoubliable exercice d’alpinisme sur la clôture du stade de Coléah …
N’y a-t-il rien à reprocher à votre ami Cellou Dalein Diallo ni matière à donner du crédit aux critiques contre lui ?
Je n’avais pas fini. J’ai dit que cela dépend de comment on juge son action et apprécie son bilan. Je sais que ce n’est jamais facile de parler d’un ami, car il y a la tentation de ne dire que du bien de lui, il n’est pas non plus facile de parler d’un adversaire car on résiste difficilement à la critique et à l’accablement contre lui. Dans un cas comme dans l’autre, un témoignage de vérité, c’est-à-dire fidèle aux faits est possible. Pour moi, Cellou a fait mieux et beaucoup plus que d’autres avant lui. Il lui faut aller plus loin, se montrer plus déterminé et surtout trouver le génie politique et la stratégie qu’il faut pour imposer sa majorité établie dans le pays mais impossible pour le moment à obtenir dans les urnes. La victoire qu’on attend de lui et qu’on lui reproche d’ajourner à toutes les élections dont il est éternel favori est à ce prix. Et on en vient aux critiques à propos de son leadership et de ses stratégies, en réalité on lui reproche un peu de multiplier les concessions à la communauté internationale et de privilégier le consensus dans ses choix et décisions au détriment de son parti et de lui-même, et surtout le plus souvent en déphasage avec des soutiens déterminés et impatients d’arriver à la victoire par tous les moyens. Il appartient au leader qu’il est d’entendre tout le monde et de donner des gages à chacun.
Et Alpha Condé qui a été aussi votre ami dans le passé, que lui reprochez-vous ?
Je ne le reconnais pas du tout. Quand il était dans l’opposition, on a été nombreux à voir en lui un homme de vérité et de justice, et on pensait qu’il était incorruptible. C’est pour cela que nous lui avons fait confiance et que nous l’avons soutenu dans son combat. Devenu chef de l’Etat, on découvre, ahuris, un tout autre homme. Il gouverne le pays selon ses humeurs et ses caprices. Ses choix et ses décisions ne sont guidés ni par le bon sens, la lucidité, l’esprit de discernement ni par l’intérêt supérieur de la nation. Les scandales politiques et financiers se succèdent impliquant des proches comme son fils. Ce n’est pas la première fois qu’un chef d’Etat en fonction a un fils à ses côtés, mais c’est la première fois que le fils est au cœur de l’Etat et de la gestion administrative et financière. Il gère la Guinée comme sa propre famille et sa propre entreprise. Il fait pire que ce qu’il a reproché aux différents régimes guinéens. Les contrats et marchés dans le secteur minier qui pouvaient attendre que le parlement soit mis en place, pour plus de transparence et une plus large concertation avant les décisions et les choix, sont négociés et octroyés à la seule discrétion d’Alpha Condé et de son premier cercle d’amis et proches dans l’opacité totale. Les autres gouvernements critiqués pour leur prétendue légèreté avaient pris plus de précautions.
Par ailleurs, Alpha Condé a commencé, lui qui prônait le changement et la rupture, par s’entourer et nommer aux différents postes de responsabilité les personnalités que lui-même présente comme les responsables de la faillite du pays. Des personnes qui disputent l’engagement à le soutenir et la loyauté à sa personne aux militants et compagnons historiques et d’infortune du RPG aujourd’hui relégués au second plan. Ils sont envahis et bousculés sans cesse par la faune des nouveaux convertis et transhumants qui peuplent l’administration guinéenne, des opportunistes qui ont lancé une véritable OPA sur les instances dirigeantes du parti au pouvoir. Ils font comme s’ils avaient toujours été là, comme ils le feront demain avec celui qui dirigera le pays. Un manque de vergogne sidérant. Des reniements et retournements de veste qui causent la désaffection des Guinéens pour la politique et discréditent considérablement les élites de notre pays. Mais j’ai bon espoir que c’est la dernière fois qu’ils trompent les Guinéens et que le jeu de volte-face, d’aller et retour et d’imposture a été définitivement compris.
L’autre problème, Alpha Condé continue à se comporter en candidat plutôt qu’en chef d’Etat. Lui qui a vocation à rassembler les Guinéens et unir le pays, il catégorise et stigmatise ses compatriotes et consacre son temps et son énergie à critiquer, alors qu’on attend de lui qu’il agisse pour changer la situation. Malheureusement, le seul projet qu’il a c’est le bilan des autres. Au lieu de répéter bêtement que l’opposition est composée d’anciens Premiers ministres qui ont pillé le pays, encore qu’on attende les preuves de cette grave accusation au risque de tomber sous le coup de la dénonciation calomnieuse, il doit enfin proposer aux Guinéens une offre politique et sociale qui leur ouvre de grandes perspectives. Leur passé ne peut pas être leur avenir quand même.
Je constate aussi qu’il n’y a que lui et son entourage, habitué à bercer le chef d’illusions et à flatter son ego, à ne pas voir que la Guinée est bloquée et que les Guinéens n’en peuvent plus. Attend-t-on la révolution comme ailleurs pour sortir de la cécité politique et intellectuelle ? Rien que le départ massif des investisseurs du pays et des citoyens, quelle qu’en soit la raison, est un mauvais signal, ainsi d’ailleurs que la situation de crise permanente depuis l’arrivée au pouvoir de l’opposant historique, devenu de plus en plus hystérique, isolé et haï.
Avez-vous un message avant de clore cet entretien ?
Alpha Condé doit s’en aller. Il a montré ses limites et constitue un réel danger pour l’avenir de notre pays et notre commun vouloir de vivre ensemble, tant il a par ses propos et ses actes divisé profondément la société guinéenne et nous a braqués les uns contre les autres. Quelle que soit l’issue de son mandat actuel et ses projets personnels, il ne peut gouverner la Guinée au-delà de 2015. A cette date, même si la limitation d’âge à 70 ans a été supprimée dans l’actuelle constitution, justement pour lui permettre à lui de faire acte de candidature en 2010, il y a de sérieux doutes qu’il ait les ressources physiques et mentales pour diriger un pays. Sinon, les Guinéens qui ne voudront pas d’un président diminué, qui passe plus de temps dans les hôpitaux que dans son bureau présidentiel, risquent de mesurer, à leurs dépens, la pertinence de ces propos de De gaulle envers le maréchal Pétain : « la vieillesse est un naufrage ». C’est pourquoi le départ d’Alpha Condé doit être le combat de tous les patriotes et démocrates. Je lui conseille de ne pas s’accrocher au pouvoir au-delà du mandat actuel et de ne pas dépasser le seuil de ses limites naturelles. Il doit savoir et pouvoir partir. Et nous Guinéens avons à apprendre à dire non pour ne plus subir notre histoire et maîtriser notre avenir. Le reste, Dieu y pourvoira.
Interview réalisée par la rédaction de l’Obs de Guinée
Source: Nrgui