Pour ceux qui veulent comprendre ce que veut l’opposition

Le Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition (environ une vingtaine de partis de l’opposition, dont l’UFDG, l’UFR, la NGR…) a posé certaines conditions pour sa participation à tout processus de concertation avec le pouvoir, voulant ainsi s’entourer de certaines garanties indispensables pour la tenue d’élections libres, crédibles et transparentes…

Les données du problème

Cette prise de position inflexible a été interprétée par le gouvernement comme un refus de la part de l’opposition « de la main tendue du chef de l’Etat, Pr Alpha Condé qui a instruit le ministre de l’administration du territoire, Alhassane Condé de se mettre en rapport avec les partis politiques pour un dialogue ouvert allant dans le sens de la décrispation de l’atmosphère politique nationale ». C’est oublier un peu vite, qu’Alpha Condé en se reniant, ne fait qu’appliquer les textes, puisque le recensement n’était pas possible.

C’est l’implication de certains dirigeants du Mouvement social qui, après avoir pris contact avec les différents acteurs politiques du pays, se sont engagés à regrouper tout le monde autour d’une table de concertation pour débattre de certains problèmes essentiels.

Ces journées de concertation se sont tenues du 10 au 12 Août, mais sans la participation du Collectif, qui souhaitait discuter directement et exclusivement avec le gouvernement, avant d’aller à un cadre inclusif (avec tous les partis), pour évoquer d’autres sujets, et notamment les élections proprement dites. Autrement dit, la divergence ne portait que sur la forme des négociations, car sur le fond, tout le monde est d’accord pour le principe du dialogue.

Les sujets sur lesquels devraient porter les débats entre l’opposition et le pouvoir, sont les suivants :

la restructuration et le renforcement de la CENI,
la révision telle que prévue par le code électoral,
l’audit et la cogestion du fichier électoral, c’est-à-dire la non implication de l’administration dans le processus électoral pour manque de neutralité,
la question des conseils communaux et des chefs de quartiers illégalement destitués,
l’ accès égal des partis politiques (et notamment du Collectif) aux médias publics,
l’amnistie des prisonniers « politiques » qui seraient illégalement inculpés,
l’élaboration et l’adoption d’un chronogramme.

Lors de ces journées, l’ancien Premier ministre de la Transition, Jean-Marie Doré, constatant effectivement l’absence des membres du Collectif de l’opposition, a estimé que la rencontre n’avait plus sa raison d’être, en rappelant que c’est ce groupe qui a été « l’initiateur de ces assises ». Il a ajouté que selon lui « on ne peut pas les ignorer ». Finalement, il a été décidé, que le Ministre de l’Administration (en charge des partis politiques), rencontrerait finalement ce Collectif, dont il convient maintenant d’essayer d’exposer les revendications de ce dernier, à travers ses différentes déclarations (je ne suis membre d’aucun parti), et notamment pour ce qui concerne les 7 points suivants.

Que veut réellement le Collectif ?

Au-delà des revendications sur lesquelles nous allons revenir synthétiquement, le problème de fond essentiel consiste en la mise en place d’une démocratie, pas forcément de type occidental, faite d’agressivité et d’affrontements, mais d’une démocratie à l’africaine, de type consensuel et qui met en avant les valeurs de rassemblement.

Cela n’empêche nullement le respect des règles acceptées par tous (la Constitution). Alpha Condé a été élu dans des conditions particulières, mais quoiqu’on en pense, sa victoire a été acceptée et reconnue. Son erreur cependant, depuis cette élection, est de croire que tout lui est permis, alors que s’il est légalement président, il n’est pas légitime. À l’inverse, d’autres pensent qu’il est tellement paranoïaque, qu’il souhaite discréditer son adversaire du deuxième tour, qui aurait du gagner les élections, pensant à tort, que cela le légitimerait mécaniquement.

Le fait de se rencontrer, et même d’accepter l’idée de le faire, est une bonne chose, à condition que cela débouche sur des actes responsables et concrets. Il vaut mieux une opposition qui accompagne, même si elle n’est pas d’accord sur tout (sinon il n’y aurait pas d’opposition), qu’une opposition radicale à tout changement, même si ce dernier nous conduit davantage à un retour en arrière, qu’une évolution positive pour tous.

Si ce sont les militaires qui posent problème, Alpha Condé a davantage intérêt à s’appuyer sur une opposition civile, ne serait-ce que pour avoir des soutiens à cet épineux problème, que d’ouvrir plusieurs fronts à la fois. Cela conduit à voir des « ennemis » partout, terme scandaleux, qu’il a pourtant employé, et qui nous ramène cinquante ans en arrière.

L’heure est grave : si les problèmes suivants sont résolus, nul doute que l’horizon va s’éclaircir, et que les difficultés seront assumées par tous, plus sereinement. A l’inverse, si l’intelligence fait défaut, et que certains n’ont pas la capacité de prendre en compte le fait que les temps ont changé, nous nous préparons à une nouvelle page sombre de notre histoire.

1°) – la restructuration et le renforcement de la CENI

Il semble que le Collectif souhaite une modification de la CENI qui pourrait prendre plusieurs évolutions en compte, et qu’il n’est pas utile d’évoquer de manière exhaustive ici.

Une possibilité consiste en un maintien du statu quo sur la composition de la CENI (25 personnes) en l’adaptant néanmoins à la réalité politique actuelle (10 représentants de la mouvance présidentielle, 10 représentants de l’opposition, 3 de la société civile et 2 de l’administration). Mais, il faudrait néanmoins modifier plusieurs articles du Code électoral, dont l’article 162 alinéa 2, pour rendre les pouvoirs du président, non plus exclusifs mais collectifs.

Une autre possibilité consisterait en la suppression des deux représentants du MATD (la mouvance présidentielle étant déjà représentée). D’ailleurs si l’une des nominations récente était normale (cumul de fonctions non autorisées pour Cheick Fantamady Condé), il faudrait en revanche vérifier la raison du second changement (celle d’Abdoul Karim Bah), restrictivement limité.

Enfin, il s’agit de rappeler la prééminence de la CENI en matière d’organisation des élections, et la nullité du Protocole d’accord entre la CENI et le MATD, ce dernier n’étant que le maître d’oeuvre, à condition que le maître d’ouvrage, la CENI, le souhaite. Dans l’absolu, on pourrait imaginer que la CENI confie ces opérations à une société privée, et dans ce cas le MATD n’aurait aucun rôle à jouer.

2°) – la révision telle que prévue par le code électoral

Selon les articles 16 à 29 du Code électoral, « la période de révision des listes électorales est fixée du 1er Octobre au 31 Décembre de chaque année ».

On peut, à titre exceptionnel (article 18), réviser les listes électorales, mais dans cette hypothèse, les nombreuses procédures doivent être adaptées, pour permettre les nombreuses vérifications, car on ne peut inscrire ou radier sans le justifier. Il existe en outre des délais légaux à respecter pour pouvoir faire d’éventuels recours.

Enfin, il ne faut pas mélanger la distribution de cartes d’électeurs par la CENI exclusivement, et la distribution de cartes d’identité qui devrait être obligatoirement faite par les représentants du MATD, dont on a dit qu’ils ne sont parties prenantes, que pour autant qu’on les sollicite. En faisant d’une pierre deux coups (sans raison apparente), ils s’invitent obligatoirement dans la gestion des élections, or leur neutralité n’est pas acquise.

Par ailleurs selon l’article 18 du Code électoral, « L’établissement et la révision des listes électorales se font sur présentation de l’un des documents ci-après : carte d’identité, passeport, livret militaire, livret de pension civile ou militaire, carte d’étudiant ou d’élève de l’année scolaire en cours, carte consulaire, une attestation délivrée par le Chef de quartier ou le Chef de district et contre signée par deux notables, pour les districts ».

Cela signifie qu’il ne faut pas mélanger les choses, sans oublier la suspicion née des propos scandaleux du Ministre lui-même, Alhassane Condé, déclarant que les peuls étaient des étrangers. Cette mesure avait-elle pour but de ne pas leur donner de cartes d’identité, et donc de cartes d’électeurs, pour les empêcher de voter ?

D’ailleurs, il n’est pas urgent de supprimer du fichier électoral les personnes décédées, pour éviter les suspicions autour des doublons notamment, car par définition les morts ne voteront pas, et ne sont donc pas gênants.

3°) – l’audit et la cogestion du fichier électoral

L’audit consiste à vérifier que la liste électorale de départ (avant révision) soit la même que celle utilisée pour les présidentielles. Des rumeurs laissaient entendre qu’une entreprise sud africaine élaborerait un nouveau fichier, du fait de l’incompatibilité de ses applications (logiciels) avec ceux de l’entreprise française Sagem, responsable du fichier électoral des présidentielles. A l’inverse, si les applications sont compatibles, les tripatouillages sur la base de données sont aisés. Dans l’hypothèse, d’une CENI non indépendante, il faut donc que les partis de la mouvance présidentielle, comme ceux de l’opposition participent avec la CENI à tous les stades des opérations électorales, sans implication excessive de l’administration dans le processus électoral, pour manque de neutralité (voir ci-dessus).

4°) – la question des conseils communaux et des chefs de quartiers illégalement destitués

De nombreux conseils communaux et communautaires ont été destitués, notamment ceux de l’opposition, en violation des textes du Code des collectivités locales (articles 100 et 80), et ont été remplacés par des délégations spéciales, c’est-à-dire par des personnes choisies par l’Administration.

En l’absence d’une décision judiciaire, le Collectif exige le rétablissement des élus locaux dans leurs fonctions respectives dans le strict respect de l’Etat de droit.

5°) – l’ accès égal des partis politiques (et notamment du Collectif) aux médias publics

Des instances existent dans certains pays européens pour garantir le libre accès aux médias des partis de l’opposition. En outre, en période électorale, leur temps de passage doit être le même que celui de la mouvance présidentielle. Le CNC a prouvé par ces décisions, qu’il était loin d’avoir l’indépendance et la neutralité qu’on attend de la future Haute Autorité de la Communication. Par conséquent, un contrôle de l’opposition ne sera pas superflu.

6°) – l’amnistie des prisonniers « politiques» qui seraient illégalement inculpés

On peut par exemple considérer que les militants et responsables de l’UFDG arrêtés le 3 Avril 2011, ainsi que les militaires affectés à la sécurité du leader de l’UFGD, les étudiants grévistes de l’Institut des arts de Dubréka, voire même ceux (au moins civils) enfermés à la suite des évènements du 19 Juillet, doivent être amnistiés. Si l’on considère que de vrais délinquants ont été amnistiés en Juin dernier, il n’y aurait aucun scandale à élargir des personnes à qui on ne reproche pas grand chose, si ce n’est de ne pas être en accord avec la politique officielle.

L’amnistie du 15 Août, dont les informations sont contradictoires, concernant l’identité et le nombre des personnes élargies, n’est pas, comme le signalent certains sites, un geste de réconciliation nationale. On arrête des innocents et lorqu’on les relâche, il faudrait en outre remercier ceux qui reconnaissent enfin leurs vilenies. On marche sur la tête.

Qu’en est-il des militaires qui saccagent les domiciles privés, qui volent des boutiques de commerçants, qui rackettent les automobilistes ? Sont-ils amnistiés a priori ?

La réconciliation ne concerne pas ces bassesses, mais les nombreux crimes qui ont illustré l’histoire de la Guinée depuis une cinquantaine d’années. Créer une Commission, non pas pour résoudre ces situations, mais pour réfléchir est une fumisterie. En outre, l’archevêque Vincent Coulibaly, n’est pas ce qu’on appelle une personne intègre et impartiale. Ceux qui l’ont oublié n’ont qu’à rechercher ses scandaleuses déclarations après les massacres du 28 Septembre 2009. L’avantage d’Internet, c’est que l’informatique est indélébile, et beaucoup devraient s’en souvenir.

7°) – l’élaboration et l’adoption d’un chronogramme

En admettant que le gouvernement et le Collectif s’entendent sur tous ces points, et compte-tenu de certains délais, la révision ne pourrait pas débuter avant le 3 Octobre 2011, puisqu’il faudra l’afficher 15 jours avant le début des opérations (soit le 19 Septembre) pour que les différentes personnes intéressées (les jeunes notamment) soient informées.

Des délais sont en effet nécessaires, pour que les nominations des responsables démembrés de la CENI réalisés par Louncény Camara, soient remises en cause. En outre l’audit de la liste et du système informatique peuvent prendre du temps.

En outre, il faut également procéder à un affichage 15 jours avant la fin des opérations de révision, donc si l’opération réelle dure 1 mois jusqu’au 30 Octobre, l’affichage aura lieu le 17 Octobre. On se rappelle que le recensement précédent a duré deux ans.

Il faut ensuite faire connaître à la population qu’elle dispose d’un délai de 15 jours après la publication du tableau récapitulatif des nouvelles inscriptions et radiations (supposons qu’il soit effectif au 6 Novembre), soit jusqu’au 20 Novembre. Le TPI dispose de 10 jours (jusqu’au 30 Novembre) pour rendre sa décision, qu’il doit faire connaître au justiciable dans les 3 jours (jusqu’au 3 Décembre). Il faudra ensuite un peu de temps (environ une dizaine de jours) pour que la CENI récupère les décisions définitives de tous les tribunaux et les publie, ce qui deviendra la liste électorale définitive de l’année en cours. Tout ceci pourrait permettre s’il n’y a pas de problème particulier, un début de campagne électorale à partir du 12 Décembre.

Lorsque la liste sera définitive – si tout se passe bien le 11 Décembre -, le PRG devra convoquer les électeurs dès le 12 Décembre pour une consultation électorale au 12 Février 2012 (70 jours pour les législatives), l’ouverture de la campagne électorale devant être effective et annoncée pendant cette période, au moins un mois avant la date du vote.

Pour les grincheux, il faut savoir que même si les problèmes précités, se résolvaient plus vite, de toutes façons, compte-tenu des délais légaux, les élections législatives ne peuvent en aucun cas se tenir avant 2012.

Conclusion

Comme je l’ai déjà dit, le gouvernement (et accessoirement le Collectif) doit pouvoir prendre ses responsabilités et retrouver le droit chemin, le seul qui permette à tous de se retrouver. C’est le souhait de tous, y compris des médiocres, qui ne peuvent espérer qu’une fuite en avant les exonérera de conséquences personnelles.

Si le gouvernement s’entête à vouloir passer en force, il va au devant de problèmes sérieux, car il ouvrira plusieurs fronts de contestation, et il n’y a rien de pire qu’une population unie contre un régime, même si les raisons de contestation des uns et des autres ne sont pas les mêmes. À méditer…

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).