Pour masquer leurs incompétences les autorités guinéennes ont recours à la théorie du complot permanent où tour à tour les couches sociales ou les composantes de la Nation sont présentées comme des boucs émissaires…
Jamais elles ne se remettent en cause. Elles foncent tête baissée contre le mur quitte à complètement déstructurer le tissu social et à annihiler l’élan de développement. La théorie du complot revêt plusieurs visages. Une de ses représentations perverses est l’utilisation du fétichisme et du mysticisme pour endoctriner la masse. C’est ce qu’on observe ces derniers temps en Guinée, signe que la situation sociale est très précaire.
Du mysticisme aux oracles
Il souffle un vent malsain en Guinée. Il ne s’agit pas du vent que des responsables religieux convertis en oracles prédisent aux populations en leur demandant de faire des sacrifices de colas et d’argent. Ce qui est malsain dans cette République qui se dit laïque c’est d’utiliser la religion pour distiller un climat de peur au sein de la population en se fondant sur ses croyances. Non contentes de répandre ces mauvaises prédictions dans les lieux de culte en plus de les relayer sur les médias, elles entretiennent un climat de psychose en laissant des prétendus chasseurs en amulettes aux pouvoirs supposés mystiques parader avec des armes dans la capitale. Pendant ce temps, des « commissaires aux sacrifices » arrosent les carrefours de potions, Dieu seul sait si elles sont magiques, diaboliques ou maléfiques. Ces mixtures jetées aux intersections auraient pour objet de désenvoûter un individu irascible pour le sortir des ténèbres pour qu’il ait enfin un programme qu’il n’a jamais eu, celui du développement. Décidément on n’est plus simplement dans l’irraisonné mais carrément dans l’irrationnel.
Tout ceci traduit un régime aux abois. La multiplication des sacrifices en un laps de temps si court illustre un manque total de perspectives, aucune certitude du lendemain. Car après tout, qu’est ce qui amène des millions de personnes à consulter des voyants ? Le recours aux voyants vise surtout à susciter un espoir, de trouver une issue positive à sa situation d’angoisse. Lorsque des autorités politiques mobilisent la population pour se joindre à elles pour organiser des sacrifices rituels c’est un aveu d’échec.
Bons ou mauvais augures ?
L’intensification des sacrifices n’a jamais empêché la chute d’un régime ou d’un dirigeant. Dadis Camara en est l’illustration.
Souvenez-vous ? Que n’a-t-il pas fait pour honorer Dieu, les ancêtres et autres divinités pour
conserver le pouvoir ?
Il a reçu une balle tirée par son aide de camp Toumba Diakhité à peine une semaine après une visite que des membres du CNDD ont rendue au Roi Mossi le Mogho Naaba Baogo, le 26 novembre 2009. La délégation composée des ministres dont celui de l’agriculture le colonel Boureima Condé, le deuxième conseiller de Dadis aux affaires diplomatiques et politiques Niepou Traoré en présence du chef d’état major particulier du président du Faso Gilbert Diendéré s’y était rendue avec une enveloppe de trois cents mille francs CFA et avait reçu en retour un bélier pour la Tabaski et des bénédictions pour le chef de la junte.
Les prières du Mora Naba ont-elles été efficaces ? Ceux qui sont allés le consulter sont les mieux placés pour le dire. Quoi qu’il en soit, une semaine après, c’est le chef du Faso en personne qui viendra dans un avion qu’il a affrété alors que le Sénégal l’avait également proposé, pour évacuer le blessé au Maroc et c’est encore lui qui ira le chercher au Maroc pour le conduire à Ouagadougou où il tue le temps en attendant de savoir s’il va un jour rentrer chez lui.
Au cours de l’année 2009, les hommes de Dadis auront utilisé plusieurs rituels de sacrifices : immolation de taureaux noirs dans des concessions ou aux carrefours aux heures de pointe, casse du coffre fort de la Banque centrale pour s’accaparer de 3,5 kg d’or en l’absence de kalil Souaré détenteur de la clef de la réserve en raison d’un besoin urgent d’organiser des sacrifices, visite de la grande Prêtresse de Gbassikolo Protectrice de Kaloum, marabouts venus du Mali et de l’intérieur de la Guinée etc.
Après Dadis, pour choisir la date du second tour de l’élection présidentielle des militaires de la garde présidentielle de Sekouba Konaté ont immolé le 27 octobre 2010 trois taureaux dont deux rouges et un noir dans l’enceinte du palais présidentiel.
Sekouba Konaté a également reçu les « chasseurs adorateurs de Djinnah Mansa (maître des diables) avant que ceux-ci n’aillent à l’hôpital Ignace Deen où ils auraient « miraculeusement guéri » des militants du nouveau Gourou de la Guinée qui avaient élu domicile dans cet hôpital et s’étaient substitué aux médecins en se diagnostiquant empoisonnés ou intoxiqués et dont les maux de ventre ont comme par magie cessé à la vue, au toucher ou après les incantations des donzos.
Divinations et Boucs émissaires
Avant d’avoir le sens qu’on lui connaît aujourd’hui le bouc émissaire a une origine religieuse. Il fait référence à une cérémonie juive expliquée dans le Lévitique, chapitre 16 qui consiste à transférer les péchés du peuple hébreux sur un bouc. Le bouc symboliquement chargé de toutes les fautes et des malheurs du peuples sera chassé dans le désert vers le démon et ainsi détourner la malédiction de Dieu.
Aujourd’hui le mécanisme du bouc émissaire consiste à accuser un individu ou un groupe d’être le responsable des maux d’une société.
Pour le philosophe René Girard qui a écrit Le bouc émissaire (1982) c’est la réponse inconsciente d’une société à la violence endémique que ses propres membres ont générée au travers des rivalités mimétiques dues au triangle mimétique. Ce triangle met en exergue trois pôles A, B et C, A et B étant des individus et C un bien. La relation entre A et B se présente comme suit dans laquelle B :
-dispose d’un bien,
-semble disposer d’un bien,
-ou pourrait disposer d’un bien,
dont A croit :
-qu’il en est lui-même dépourvu,
-que sa propre jouissance du même bien est menacée par le seul fait que B en dispose (ou puisse en disposer).
Il s’agit d’une violence légitimée par un racisme d’Etat. Le mécanisme du bouc émissaire est au cœur de la déshumanisation.
Les dirigeants guinéens désignent régulièrement des boucs émissaires pour éviter que la population ne leur demande des comptes sur leurs gestions des affaires. Ils jettent ainsi en pâture ou à la vindicte populaire des innocents qui paient leurs propres incompétentes ou inconséquences.
Sékou Touré le père du Bouc émissaire et de la chasse aux sorcières en Guinée
Sékou Touré dont Alpha Condé revendique aujourd’hui l’héritage en a usé et abusé et a fini par désosser les Guinéens à force de les rendre responsables de sa faillite économique. Sans parler des dizaines des « complots » qui lui ont permis de trouver des boucs émissaires nous allons en citer deux :
-celui de 1965 et
– celui de 1975.
Dans ces deux complots qui ne portent pas le même nom c’est l’échec de sa politique économique qu’il impute aux hommes d’affaires et aux commerçants.
Le 3 novembre 1965 il dénonce le troisième complot dit des commerçants (Petit Touré).
Certes ce complot prétextera la création d’un parti politique par celui que les historiens présentent comme le réel descendant de Samory Touré pour l’éliminer. Mais ce complot s’inscrit également dans un contexte, l’impasse des mesures économiques entreprises par Sékou Touré depuis le début des années 1960. En 1964 1965, devant l’absence de résultat il opte pour le durcissement en rendant les commerçants responsables du début de sa faillite économique. C’est ainsi qu’il adopte la loi cadre du 8 novembre 1964 où il déclare la guerre « aux ennemis de notre peuple que sont les commerçants ». Le tyran guinéen mettra à profit ce « complot » pour nationaliser tous les secteurs de l’économie. Une des conséquences de ce complot est la rupture des relations diplomatiques entre la France et la Guinée. Relations qui reprendront en 1975 année du complot Satan.
En 1975 l’économie étatisée en faillite ne voyant pas le bout du tunnel, dans un nouveau délire paranoïaque, Sékou Touré s’en prend aux contre révolutionnaires qu’il appelle cheytanes 75. Il demande à ses forces militaires et paramilitaires de tirer à vue sur tous les trafiquants pris aux frontières. Il menace les militaires qui ne respecteraient pas ses appels aux meurtres de rétrogradation automatique. Ces mesures prises à l’encontre des commerçants qualifiés de trafiquants et d’affameurs du peuple vont plus affecter les populations.
Le commerce sera au cœur du complot qui va ébranler son régime et le faire plier. En effet en 1977 les femmes plus qu’excédées des exactions de la police économique du régime le défient, le huent en lui assénant des vérités dont celle-ci : « dans nos marmites ne boue que de l’eau ». La répression brutale et l’imputation de cette situation de misère à la cinquième colonne n’opérèrent plus. La population avait commencé à s’affranchir des considérations mystiques et avait compris d’où venait le problème, de l’incompétence des dirigeants. Sekou Touré va ainsi revenir sur ses mesures économiques. En février 1979 il autorise le commerce privé sous certaines conditions et en février 1983 il annonce la privatisation totale du commerce.
En 2011, il est toujours question de complots et de boucs émissaires en Guinée. Ils portent le nom de cambistes, commerçants, médecins, forces occultes non identifiées mais attribuées à des couches et composantes de la population qui rendraient l’Auguste impuissant (on ne sait si c’est de ses mouvements, ses réflexions ou ses capacités cognitives et de réalisation de programme) ou l’entraverait dans ses actions.
Les grands hommes savent tirer les leçons de l’histoire pour ne pas répéter les erreurs du passé, mais les petits hommes resteront ce qu’ils sont, des êtres vaniteux, complexés, sans vision, incapables de se remettre en cause. Sinon quelle lisibilité donner à une politique qui se revendique marxisante au moment où cette idéologie politique est en voie d’extinction de la surface de la terre ?
Comment apprécier une politique qui se revendique marxiste consistant à exproprier les nationaux et donner leurs biens à des étrangers sans aucune garantie ni pour l’Etat, ni pour les citoyens ?
On n’insistera pas sur les incohérences d’un marxisme qui se veut athées mais qui utilise la foi des citoyens pour mieux les asservir, les exploiter ?
En guise de programme le nouveau Ubu propose les mesures qu’avait expérimentées le premier dictateur qui s’étaient avérées un désastre.
La Guinée est loin d’être une démocratie. Elle n’a pas encore des institutions fortes qui peuvent jouer le rôle de contre pouvoir. Chaque citoyen détenteur d’une parcelle de la souveraineté nationale est par conséquent gardien des acquis démocratiques obtenus jusque là. Nous ne devons en aucun cas nous laisser détourner de notre objectif d’avoir une Guinée prospère, dynamique, conviviale et démocratique par des tactiques éprouvées par les pires dictatures ou tyrannies depuis la nuit des temps comme celles de diviser pour régner ou l’utilisation de bouc émissaire.
Hassatou Baldé