Excellence Monsieur le Président de la République de Guinée,
Les fondateurs du parti le Bloc pour l’Alternance en Guinée (B.A.G) sont des jeunes des années 90 qui ont mobilisé les élèves et étudiants pour vous accueillir le 17 mai 1991 et pour votre meeting du stade de Coleah. Nous fûmes de ceux qui ont enduré des souffrances et qui ont pris des risques de perdre leur vie (nous avons enterré certains de nos amis) pour que votre parti à vous, le RPG, soit légalement reconnu par le régime militaire du général Lansana Conté. En acceptant le principe du multipartisme, le Président Lansana Conté a autorisé les partis de tous ses adversaires politiques, sans exception, sans chantage, sans marchandage. A l’époque, nous avions cru que vous, en tant que diplômé de la Sorbonne ayant passé toute sa vie active dans une démocratie occidentale, vous alliez incarner l’Etat de droit et la Démocratie en Guinée.
Lors de votre première tournée à l’extérieur après votre investiture à la Magistrature suprême de la Guinée, vous aviez clamé partout que vous avez hérité d’un Pays mais pas d’un État. Vous aviez alors fait de la construction de l’Etat votre priorité. Malgré le caractère excessif de votre déclaration, les Guinéens ont volontiers admis qu’après la période spéciale que l’on venait de connaître, le pays avait besoin de nouvelles institutions républicaines et d’une administration plus performante pour relever les multiples défis de ce siècle. Ils espéraient avoir un État à l’image de toutes les grandes démocraties où l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs seraient respectés. Sept ans après votre arrivée au pouvoir, il faut malheureusement reconnaître que la Guinée est loin de cet idéal. Même certaines institutions républicaines, telle que la Haute Cour de justice, dont la mise en place était prévue en 2011 dans les six mois après votre investiture, n’existe toujours pas.
Monsieur le Président, votre interventionnisme dans tous les domaines, ne laissant aucune initiative à vos Ministres a fini par rendre ces derniers oisifs, paralysant ainsi l’ensemble de l’administration guinéenne.
Le Ministère de l’Administration du Territoire et de la décentralisation (MATD) est l’exemple éloquent de cette paralysie et de la violation flagrante des principes élémentaires de l’état de droit que vous avez instituée en système de gouvernance. Votre puissance sur ce Ministère en charge de réguler et coordonner l’administration de nos collectivités décentralisées d’une part, et d’autre part de gérer l’agrémentation des partis politiques, n’a pour but que de contrôler la vie politique du pays, par abus de pouvoir. Vous avez limogé le Ministre Alassane Condé, qui a occupé les mêmes fonctions sous le régime du Général Lansana Conté, parce qu’il s’opposait à votre volonté de transformer le MATD en officine politique à votre dévotion.
En effet Monsieur le Président, depuis le 1er aout 2016, notre parti, le Bloc pour l’Alternance en Guinée (B.A.G), est officiellement enregistré au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD), sous le N°. 3010.
Le dépôt du dossier a été fait avec l’assistance d’un cabinet d’huissiers afin qu’on obtienne immédiatement le Récépissé ou la décharge du Ministère attestant l’enregistrement de notre parti auprès des autorités conformément à l’article 14 de la loi organique L/91/002/CTRN du 23 décembre 1991 portant charte des partis politiques.
Les articles 15, 16 et 18 de cette loi organique disposent :
Article 15 : « Dans les trois mois qui suivent la date du dépôt du dossier, le Ministre chargé de l’Intérieur fait procéder aux enquêtes, investigations et vérifications nécessaires afin de constater la conformité ou la non conformité du dossier à la Réglementation. »
Article 16 : « En cas de conformité, le Ministre chargé de l’Intérieur délivre et notifie au déclarant l’autorisation d’existence du parti. L’autorisation est immédiatement publiée au Journal Officiel ».
Article 18 : « Lorsque le dossier déposé pour l’obtention de l’autorisation est déclaré non conforme, le Ministre chargé de l’Intérieur prend un Arrêté de refus d’autorisation, dûment motivé et notifié immédiatement au déclarant. Dans ce cas, faute d’exister et en l’absence de la personnalité morale, le parti ne peut exercer aucune activité. En tout état de cause le Ministre chargé de l’Intérieur est tenu de réserver une suite à la requête dans le délai de trois mois prévu à l’article 15 ci-dessus ».
Le 13.12.2016, c’est-à-dire deux semaines après l’échéance fixée par la loi, nous avons adressé une lettre de rappel au Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation qui est restée jusqu’à ce jour sans suite. De source non officielle (des cadres dudit Ministère), nous apprenons que l’interdiction de délivrer des agréments est venue de la Présidence. Nous connaissons également trois partis qui n’ont obtenu leurs agréments qu’en prenant l’engagement de vous soutenir. Certains de ces partis ont obtenu leurs agréments au début 2015 dans des conditions qui ne vous honorent pas, Monsieur le Président : en effet, alors que le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation leur avait déjà adressé une lettre de rejet de leur demande d’autorisation avec arguments justificatifs, ce dernier fut sommé par vous de leur délivrer immédiatement des agréments. Cela s’est passé suite à l’intervention d’un de vos Ministres qui vous dit que ces partis viennent soutenir votre candidature pour le second mandat à la présidentielle d’octobre 2015. Par ailleurs, c’est vous personnellement qui êtes allé remettre à un autre l’agrément de son parti à Dakar, en violation manifeste de la procédure administrative. Après deux ans d’attente, il a fallut qu’il s’engage à vous soutenir pour obtenir son agrément.
M. Alpha Condé, vous n’avez, en somme, apporté que malheurs et recul à la Guinée. Après sept (7) ans de votre règne, la Guinée a reculé sur tous les plans : économique, politique, juridique, social et même administratif. Vous avez érigé le népotisme, le clientélisme, la corruption, les manœuvres de division et l’impunité en mode de gouvernement en Guinée, faisant ainsi la promotion de la médiocrité, de l’ethnocentrisme et du crime organisé.
Monsieur le Président, j’ai fait l’école primaire et une partie du secondaire en Haute Guinée, le Lycée à Fria et l’université à Conakry. Pendant mon parcours scolaire, j’ai eu beaucoup de camarades et connu plusieurs jeunes malinkés très brillants et sérieux. Jamais aucun n’a été promu à un poste de responsabilité par votre régime après sept ans de règne. La compétence et la probité morale ne figurant pas dans vos critères de choix. Vous nommez sur la base de copinage, de récompense ou par achat de poste. Ce qui fait que certaines personnes que vous avez nommées à des hauts postes en Guinée, falsifient leurs CV pour être présentables. Mais les Guinéens se connaissent. M. Alpha Condé, on ne peut pas construire un Etat ou développer un pays avec de tels agissements, mais c’est trop tard pour vous de pouvoir corriger vos erreurs du départ, vous êtes désormais otage du réseau mafieux que vous avez créé en Guinée et qui est décidé à garder la main sur les ressources minières et immobilières du pays. Le seul salut pour le peuple de Guinée, c’est votre retrait de la politique et un nouveau départ pour la Guinée. En effet, camarade Alpha Condé, vous vous révélez être un dictateur qui ne passe pas à notre époque actuelle. Même aux petites revendications d’élèves, votre régime répond avec des armes à feu, faisant des morts et blessés par balles. Hier, nous avons été stupéfaits par le contenu de votre déclaration face au syndicat des enseignants en grève. Dans cette déclaration vous menacez de fermer tout média qui relayera les communiqués des syndicalistes.
M. le Président, votre déclaration est à l’encontre de la liberté d’information qui est un droit constitutionnel des Guinéens. Votre réelle intention, M. Alpha Condé, est de soumettre les médias à votre dévotion, privant ainsi les Guinéens de toute autre expression contraire à la votre. Je vous rappelle, M. le Président, que le droit de manifester et de grever pour exprimer son désaccord ou réclamer ses droits face au pouvoir est consacré par notre Constitution (articles 7 et 20).
M. Alpha Condé, votre volonté de museler les medias guinéens, est la preuve qu’il est difficile pour un trotskiste de porter le manteau d’un démocrate.
Vous rappelez-vous camarade Alpha Condé, du jour où vous avez pris la fuite au stade de Coleah à la vue de la police anti-gangue au portail de la cour du stade, abandonnant vos militants que nous étions ? Vous rappelez-vous, comment vous êtes arrivé à l’ambassade du Sénégal où vous vous êtes refugié pour échapper à une arrestation ? Recroquevillé dans le Coffre fermé d’un taxi Renault 18. Vous n’aviez pas payé le chauffeur qui vous conduisit à votre lieu de refuge ce jour. Vous l’avez fait plus tard, devenu président de la République, mais en mal :
En représailles à la manifestation de l’opposition du jeudi 20 septembre 2012, vos forces dites de l’ordre partirent, le lendemain vendredi 21 septembre 2012, tirer à balles réelles sur des habitants de Koloma/Ratoma, fief de l’opposition. Alpha Amadou Barry, le fils du chauffeur du taxi Renault 18 qui vous conduisit à l’ambassade du Sénégal dans votre fuite, fut ainsi tué par vos hommes armés devant le domicile paternel où il était entrain d’aider sa maman à transporter des affaires dans la maison. La plainte de votre bienfaiteur du passé n’a pas été reçue par la justice sous vos ordres et l’Etat n’a pas diligenté une enquête pour cet assassinat jusqu’à nos jours.
Ainsi, M. le Président Alpha Condé, votre volonté de tout contrôler, de tout décider en ignorant la Constitution, torpillant le fonctionnement de l’administration au mépris des lois du pays, pour des raisons de politique partisane compromet dangereusement l’émergence d’une véritable démocratie en Guinée. De telles pratiques antidémocratiques sont injustes et dangereuses car elles sont toujours sources de conflits, comme nous l’avons vu dans d’autres pays en Afrique.
En conclusion, Monsieur le Président, vous avez prêté serment de respecter, faire respecter et appliquer la Loi. Nous ne vous demandons pas plus que cela. Nous espérons que notre droit politique sera respecté et que notre agrément nous soit remis dans les meilleurs délais afin que nous puissions activement et officiellement participer à la vie politique de notre pays. En effet, nous n’allons pas continuer à nous soumettre à des manœuvres arbitraires, déloyales, injustes et illégales visant à nous mettre en désavantage face à vos partis décriés en Guinée pour les prochaines élections. C’est pourquoi nous avons décidé, avec nos partenaires européens, d’engager sans plus attendre, les démarches de notre enregistrement dans l’International socialiste. Ainsi, M. le Président, si vous compreniez bien malinké, je vous aurais répété les propos suivants de Soundiata Keita à l’adresse de son frère Dankaran Touma qui décida, par abus de pouvoir, de le priver le droit de vivre dans leur patrie commune :
« A bafö Nissi gbènna ma, ko i ye dyuma ma nönö sadaka bö, dyuma ma nönö, i taaye woledi, könö dyuma ma nissi i taate wodi de »
C’est-à-dire : le fait d’avoir l’honneur de diriger la Guinée un moment donné, ne fait pas de notre pays une propriété privée à vous de sorte que vous vous donniez le droit d’y exclure ou brimer qui vous voulez.
Vous souhaitant bonne lecture, je vous présente, Excellence Monsieur le Président, nos salutations distinguées.
Allemagne, le 26 novembre 2017
Abdoulaye Sadio Barry,
Président du Bloc pour l’Alternance en Guinée (B.A.G)
Ampliations :
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- Ministère de l’Administration du Territoire et de la décentralisation
- Président de la Cour suprême de la République de Guinée
- Président de la Cour Constitutionnelle de la République de Guinée
- Ministères de la Justice et des droits de l’homme de la Guinée
- Commission du droit de l’Assemblée nationale de la Guinée
- Mamady Kaba – président de l’institution Nationale Indépendante des Droits de l’Homme de la Guinée
- Ambassades de la Guinée auprès des Nations Unies et des États-Unis
- Mme Fatou Bensouda, Procureur de la CPI
- Conseil de Sécurité et de paix de l’Union africaine
- La Cour de justice de la CEDEAO
- Représentant de l’Union européenne en Guinée, Ambassade de France, Ambassade des États-Unis, Ambassade d’Angleterre, Ambassade de Chine et de l’ambassade de Russie en Guinée
- FIDH
- OGDH
- HUMAN RIGHT WATCH
- INTERNATIONAL CRISIS GROUP
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