Les verités de Cellou Dalein Diallo, Leader de l’Opposition Guinéenne

Dans une interview exclusive accordée à notre journal, l’ancien Premier ministre guinéen et candidat malheureux de la dernière présidentielle dit tout : les contours du verdict de la Cour suprême, l’alliance Sidya-Abbé, la neutralité du général Sékouba Konaté, l’affaire Dadis, Bolloré-Getma, les cent jours d’Alpha Condé, ses relations avec Wade, ses prix de la paix, son avenir politique…

Les Afriques: Après deux tours présidentiels bien disputés face à votre adversaire Alpha Condé, vous avez accepté d’être le grand perdant ?

Cellou Dalein Diallo: Je voudrais avant tout remercier Les Afriques pour m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur ce qui s’est passé et continue de se passer dans mon pays. Vous savez bien que j’étais arrivé en tête avec 44% des suffrages au premier tour, loin devant le candidat du RPG (parti de l’actuel président). Sans compter l’apport au second tour de mes alliés, dont entre autres l’ex-Premier ministre Sidya Touré (16%) et le candidat Abbé Sylla (5%). Mathématiquement, les dès étaient pipés. Avec la cascade d’éléments avérés de fraude de nos adversaires en notre possession, d’intimidation sur nos militants, de banditisme et de violences perpétrées contre mes partisans, j’ai accepté le verdict de la Cour suprême. Je suis un légaliste. J’ai sauvé la Guinée de la guerre civile. Les germes étaient là et j’étais conscient des conséquences humaines et matérielles incalculables. L’unité nationale et la paix civile étaient en danger.

« Je suis un légaliste. J’ai sauvé la Guinée de la guerre civile. Les germes étaient là et j’étais conscient des conséquences humaines et matérielles incalculables. »

Pourtant, la Cour suprême avait examiné vos recours avant la proclamation définitive du scrutin…

Justement non. C’est regrettable. J’étais fondé sur ma victoire. Malgré nos recours, motivés par des preuves irréfutables de fraudes à grande échelle, les scènes de déplacements au forceps des communautés acquises à notre cause, les scènes de violences et de menaces de mort, la Cour suprême n’a pas jugé utile d’examiner ces nombreux cas. A ce niveau-là, j’ai été choqué par l’attitude de cette haute juridiction dont je suis respectueux.

On soutient que votre alliance avec Sidya et Abbé Sylla vous a porté préjudice ?

Comment ça? Je crois que Sidya, Abbé et les autres m’ont beaucoup apporté. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les résultats pour s’en apercevoir.

Que voulez-vous ? Quand l’adversaire fait ce qu’il veut, sans la moindre inquiétude… Nos partisans, croyez-moi, ont vécu une situation douloureuse et complexe durant cette élection. Nos adversaires, qui ont entretenu artificiellement cette tension aux relents ethniques entre les deux tours, ont inventé cette histoire d’empoisonnement alimentaire pour dénigrer la communauté peulh, dont le seul tort était de voter Cellou. On nous a mis à dos toutes les autres communautés du pays pour voter contre notre camp. Ni le pouvoir de transition, encore moins les institutions gouvernementales et judiciaires de l’Etat n’ont réagi.

Vous doutez de la neutralité de l’ancien régime de transition, présidé par le général Sékouba Konaté ?

Les langues se sont déliées durant cette présidentielle sur fond de rumeurs et d’anecdotes. Sa position vis-à-vis du champ politique m’avait laissé dubitatif. Au regard des opérations de chasse à l’homme à Siguiri, des morts d’hommes et des destructions généralisées de biens appartenant aux communautés ethniques favorables à notre alliance, l’ex-président Sékouba et son ancien Premier ministre Jean Marie Doré n’ont ni condamné les actes, ni ouvert une enquête. C’était frustrant. Les fondements de l’unité nationale étaient en état de dégradation avancée, violant les principes de la république.

Vous voulez dire que vous étiez victime d’un complot politique et militaire ?

Absolument. Depuis la mort du général Lansana Conté, j’étais devenu la cible du régime du capitaine Moussa Dadis Camara. On a cherché à me disqualifier dans la course présidentielle. C’était, si vous voulez, la formule « Tout sauf un Peulh au pouvoir ». Les hommes de Dadis ont lancé des opérations de représailles et d’intimidation contre ma personne. Un jour, manu militari, des soldats ont débarqué dans ma maison pour la fouiller. Ils ont dit qu’ils étaient à la recherche d’armes cachées qui seraient destinées à renverser le pouvoir. Dadis Camara a voulu me coller des audits. Après arrivent les événements du 28 septembre 2009. Là, j’ai échappé à une tentative d’assassinat. J’ai frôlé la mort ; puisqu’on m’a tiré une balle. A la suite de ces tragiques événements, je me suis retrouvé avec quatre côtes cassées. C’est le président sénégalais Abdoulaye Wade qui m’avait affrété d’urgence un avion médicalisé pour quitter Conakry. Les autorités avaient refusé que je quitte le pays. Grâce à l’intervention de Wade auprès de Dadis Camara, j’ai été autorisé à quitter le pays.

Justement, où en est-on avec le dossier Dadis Camara au niveau de la Cour pénale internationale ?

Les choses avancent. Plusieurs hauts responsables de la CPI ont séjourné en Guinée et ont réitéré leur volonté de faire toute la lumière sur ces douloureux événements. Une liste de personnes mises en accusation existe. Après deux ans d’observations, le constat est sans appel. Car la juridiction guinéenne s’est avérée incapable ou incompétente de juger jusque-là l’affaire. A mon avis, dans de pareilles situations, c’est la CPI qui devrait juger les dossiers. Les Guinéens veulent savoir ce qui s’était réellement passé ce jour-là et voir juger les tortionnaires.

Quel bilan tirez-vous des 100 jours du président Condé ?

J’avoue que je suis déçu. Le chef de l’Etat est à côté de la plaque. Les populations continuent de souffrir des maladresses qu’il pose depuis trois mois. Lui et son gouvernement ont sapé les libertés publiques, l’Etat de droit, la démocratie devant garantir la dignité des citoyens. J’attendais de ce régime des avancées démocratiques significatives, et non des actes qui menacent l’unité du pays. On n’a pas senti une politique de réconciliation nationale. Alpha Condé règne d’une main de fer. Les forces de police et militaires ont brutalisé et tiré des balles réelles sur mes militants qui étaient venus m’accueillir à l’aéroport après quatre mois d’absence. Des personnes innocentes, dont des enfants mineurs, sont en détention arbitrairement. Leur seul tort est d’avoir fait le déplacement pour accueillir leur leader. C’est absurde, indigne et triste pour notre démocratie.

N’avez-vous pas peur des audits ?

Pas du tout. Avant ce nouveau régime, les autres avaient essayé de m’intimider. On a cherché à nuire à ma réputation quand j’étais aux affaires. A tout prix on veut créer des ardoises artificielles par-ci par-là. Depuis qu’on parle des audits, je n’ai pas reçu le rapport. Je souhaite que ces audits sortent. Je sais que je me suis imposé une rigueur dans la gestion des deniers publics dans les ministères que j’ai dirigés.

Le président Wade est votre protecteur et parrain. Ce qui explique votre fréquent repli à Dakar ?

Le Sénégal est ma deuxième patrie. C’est ici que je me ressource. Mes liens avec ce pays sont forts et anciens. Ma famille est là. Je me sens à l’aise au Sénégal. J’ai des relations privilégiées avec le président Wade, qui est tout pour moi. Je viens souvent prendre ses conseils. Il est une fierté et une grande école pour le monde politique africain. C’est aussi lui qui m’a exfiltré de Conakry.

Et l’affaire du port de Conakry qui oppose Bolloré à Getma ?

Ce dossier m’a indigné. Je ne comprends toujours pas cette décision de l’Etat de résilier le contrat de concession attribué à Getma. Toutes les compagnies avaient soumissionné, et Getma avait l’offre la mieux-disante par rapport à Bolloré. On chasse quelqu’un pour le faire remplacer unilatéralement par un ami. La justice française se prononcera sur ce dossier.

Qu’est-ce que ça vous fait de recevoir les prix de l’OPAD à Lomé et le Cauri d’Or de la Paix à Dakar ?

Un sentiment de grande satisfaction. Ces distinctions qui viennent d’instances et d’organisations respectables me poussent à continuer d’œuvrer pour la paix en Afrique et dans le monde. A Lomé, j’ai reçu le Prix de l’Observatoire panafricain de la démocratie, et à Dakar j’ai reçu le Prix du Cauri d’Or de la Paix, décerné par le MEDS. Avant ces prix, je dois dire que j’ai reçu des lettres de félicitations de Ban-Ki-Moon, de Jean Ping de l’UA, et les hommages de Koffi Annan, qui souhaite me confier des missions internationales de médiation. Je compte ne pas prendre de poste fixe. Mais je reste disposé à faire des missions ponctuelles. Je reste au service de mon pays. Je lui dédie ces prix.

L’après Alpha Condé joue-t-il en votre faveur ?

On verra. Je me consacre pour l’instant à mon parti (UFDG), qui totalise 48% des suffrages du pays. Des échéances électorales importantes nous attendent. Il faut qu’on s’ouvre davantage, corriger nos failles et restructurer le parti si nécessaire. Nous avons combattu l’ethnocentrisme, le tribalisme. C’est un parti à grande diversité ethnique et présent dans 38 circonscriptions du pays.

Propos recueillis par Ismael Aïdara