Le dilemme guinéen

La Guinée est le pays où l’on pense communément que tout est permis. À condition de dire après la faute, pardon,pour que tout rentre dans l’ordre. L’impunité y est devenue une seconde nature…

En logique, disent les spécialistes, le dilemme est un raisonnement comprenant deux prémisses contradictoires mais menant à une même conclusion qui s’impose. D’autres ajoutent que c’est l’obligation de choisir entre deux partis, comportant tous deux des inconvénients.

Le dilemme guinéen dont je veux parler ici est celui de l’unité nationale. Son contexte doit être examiné avant d’en arriver à son analyse. D’où le cheminement suivant:

Contexte du dilemme.

Analyse du dilemme.

1) Le contexte du dilemme

Cette idée ne peut pas se comprendre dans le cadre d’un modèle de schéma préétabli. Il faut que s’y ajoute, un sentiment intérieur que seuls les acteurs physiques sont capables de saisir.

Les voyageurs de passage à Conakry, surtout ceux dont les contacts se limitent aux autorités en place ou à leurs émanations, ne peuvent pas saisir la profondeur de la division de la population guinéenne.

De façon sommaire, et même de la part de certains Guinéens, on a tendance à réduire cette division à ce qu’on désigne comme étant l’opposition Malinkés- Peuls. Un examen statistique des résultats de l’élection présidentielle du 7 novembre 2010, quels qu’ ‘en soient par ailleurs les zones d’ombres, réfute cette opposition à deux ethnies antagonistes.

Alpha Condé, Président du RPG, qui a emporté l’élection à 52,5% des voix en se réclamant de l’électorat de trois régions et de la zone spéciale de Conakry, dans le cadre d’une réunion de plus de 100 partis politiques au sein de l’Association Arc-en-ciel, n’a donc pas réalisé ce score qu’avec les seuls Malinkés.

Cellou Dalein Diallo, Président de l’UFDG et ses six ou sept compagnons de l’Association des Bâtisseurs ont réalisé 47,5% des voix qui ne sont pas constituées que par des Peuls.

Donc l’attaque de l’ethno-vote concentré sur lui ne tient pas debout car lorsque les candidats étaient au nombre de 24 au premier tour, chacun a fait le gros de ses voix dans région ethnique.

En me référant à ces chiffres du deuxième tour, il ne s’agit pas de ma part de dire qu’ils sont ou ne sont pas l’exact reflet de la réalité sortie des urnes. Si la Cour suprême avait examiné et donné une suite aux réclamations d’irrégularités constatées par les Bâtisseurs, comme la loi leur en donnait la possibilité, au lieu d’authentifier les résultats provisoires qui lui étaient soumis; l’affreux doute qui s’est installé dans des consciences, aurait, sans doute été amoindri.

La tension sociopolitique de la période de l’après-élection en aurait peut-être été également amoindrie et l’on pouvait, dès lors, espérer un consensus plus large sur l’essentiel à faire pour le redressement du pays.

Mais ce type de raisonnement ne plaît pas à aux partisans de la politique de l’autruche. Quoi qu’il en soi, la référence aux scores indiqués: 52,5% /47,5% à cette date, montre qu’il s’agit d’un pays coupé en deux parts à peu près égales.

Ce sont ces chiffres, qui demeureront dans les livres de l’histoire constitutionnelle de la Guinée avec des commentaires variés. Pour l’heure, ils constituent des éléments du dilemme guinéen et montrent que plus qu’une opinion prétendument répandue d’opposition Malinkés-Peuls, c’est l’absence d’homme d’Etat, rassembleur, au sommet de la Guinée qui risque de prolonger le malentendu. Car il ne s’agit pas de dire qu’on a une vision d’avenir pour le pays mais encore, faut- il pouvoir la transformer en réalité avec la participation de tous les Guinéens.

C’est, certes, plus facile à écrire qu’à faire, c’est vrai. Mais quand on a passé sa vie, jusqu’a un âge avancé à ne penser qu’à l’aménagement de son pays, les citoyens sont en droit d’attendre mieux que des promesses profusément dispensées de changements immédiats.

Personne de sérieux, d’ailleurs, ne pouvait imaginer que des miracles économiques et sociaux vont se produire dans l’immédiat après-élection. Or, encore récemment le locataire de Sékoutouréya, faisant le bilan de ses 6 mois d’exercice du pouvoir, égrenait des réalisations que personne de raisonnable ne peut espérer voir s’accomplir en si peu de temps.

En effet, dans l’état de délabrement général du pays, un tel bilan ne peut que contribuer aux renforcements des ressentiments et des tensions sociales. Même s’il se produisait un taux de croissance économique de 5% à partir de 2012, il faudrait que ce rythme soit maintenu au moins 5 à 6 années consécutives pour avoir des chances d’impact positif sur le niveau de vie de la population.

Dans le même temps, pour des raisons de politique politicienne,(Législatives à venir), le bréviaire des promesses de changements, à brèves échéances comme l’ont compris la plupart des militants lambda, semble prendre le chemin d’un retour à l’ordre ancien par bien des aspects.

Ainsi, l’ancienne garde rapprochée de feu Lansana Conté, qui avait été traînée des années durant dans la boue, par l’opposant historique Alpha Condé, comme responsable de la catastrophe économique et sociale de la Guinée, constitue désormais, une très bonne part de son entourage .

Ne pouvait-il pas se passer de ce haut personnel politique, prédateur de l’économie nationale sans pour autant craindre d’être taxé de chasse aux sorcières?

Qu’on en juge.

Deux anciens Premiers Ministres, deux Ministres-Secrétaires généraux de la Présidence, trois Ministres des Mines, trois Ministres d’Etat, deux Ministres des Finances, trois Ministres d’Administration du Territoire, deux Gouverneurs de la Banque centrale etc. tous ayant fait partie du personnel de décisions gouvernementales à des dates différentes du temps de Conté et de Dadis Camara.

Certains d’entre eux doivent figurer sur la liste des audits de gestion brandis comme un secteur des réformes en cours. En ce qui les concerne, on ne peut pas invoquer une chasse aux sorcières car ce ne sont pas des fonctionnaires ordinaires.

Alors comment continuer à croire aux déclarations d’un Président qui donne l’impression qu’il est plus préoccupé de la sauvegarde de son fauteuil que d’éthique et de bonne gouvernance que tout le monde attend?

En vérité, un homme de l’âge et de l’expérience de vie d’Alpha Condé ne serait pas aussi facilement tombé dans une camarilla d’aigrefins comme certains de ceux cités s’il n’y trouvait pas son compte personnel: le pouvoir.

J’ai parlé de dilemme guinéen en le plaçant sur la thématique centrale de l’unité nationale car quelle que soit la profondeur réelle du malentendu qui sépare les Guinéens, personne ne le soulève sérieusement, en haut lieu, pour y trouver des solutions. Poser des interrogations à ce sujet, apparaît même à certains comme si l’on voulait souffler sur des braises.

S’il y a cependant un mot sempiternellement entendu en milieux guinéens, c’est celui d’unité. Mais quand il s’agit d’appartenance politique ou de ce qui en tient lieu, chaque camp a sa conception de l’unité nationale.

Quelle occasion pour un Président de la République de montrer sa hauteur d’homme d’Etat, en allant à la rencontre des citoyens pour s’expliquer, sans attendre que ce soit ceux-ci qui accourent se prosterner à ses pieds avec des yo-yo et des chants laudateurs comme cela se voyait dans les républiques africaines des années 1960! Aller aux Guinéens, tous les Guinéens, sans mépris ostentatoire aurait été signe d’un Président moderne, ouvert à tous et à toutes.

Un tel comportement peut aller de pair avec l’autorité nécessaire à l’exercice du pouvoir d’un Président. Ce n’est pas en ramassant des politiciens opportunistes au rancart que le changement se fera en Guinée. Cela n’a contribué qu’à alourdir le malaise général, à commencer par le camp présidentiel (RPG et ses associés de l’Arc-en-ciel).

Evidemment des griots et autres courtisans seront toujours à l’œuvre pour vouloir présenter une image d’ensemble contraire à la réalité du pays. L’ardent désir d’unité (même à base contradictoire), aurait dû être le moteur de l’action rénovatrice du Président Alpha Condé, en tentant avec objectivité, de se faire rapprocher les différentes positions des deux camps car ce qu’Alpha Condé présente comme accompli en six mois après son investiture de chef de l’Etat est loin d’être partagé par tous les Guinéens.

L’analyse du dilemme

a)- La thèse du camp présidentiel sur le partage du pouvoir est très simple, voire simpliste. Elle consiste à dire que l’ethnie peul dont est issu le leader de l’UFDG Cellou Dalein Diallo dispose déjà en Guinée du pouvoir économique. Elle ne peut donc pas prétendre au pouvoir politique.

Cela constituerait un cumul de pouvoirs. C’est une opinion très répandue parmi les militants du RPG, le parti du Président, à tel point qu’on est fondé à croire que c’est une conception « théorisée » au sommet du Parti.

Encore récemment une personnalité ,le Général Facinet Touré, nommé Médiateur de la République par le nouveau Président ,c’est-à-dire une autorité chargée, entre autres, d’améliorer par son action, les relations des citoyens avec l’Administration (règlement amiable de différends), vient de déclarer dans une conférence publique, sans ciller, des propos indignes d’exclusion des Peuls de Guinée du pouvoir politique au prétexte qu’ils ont le pouvoir économique.

Ces propos infamants qui n’ont rien à envier à la défunte politique de l’apartheid d’Afrique du Sud raciste ne sont autre chose qu’une invite à la constitution de bantoustan dans notre pays.

Et dire que cette déclaration n’a pas conduit à la révocation de son auteur par le « Mandéla guinéen » qu’Alpha Condé prétend être! Cela signifie tout simplement que les mots n’ont aucun sens dans notre pays.

Après le tollé notamment de citoyens conscients de la gravité des propos de Facinet Touré et au rang desquels, il faut citer Faya Millimono de la NGR qui a menacé de porter l’affaire devant la justice, je dois ajouter que cet exemple de comportement citoyen de Millimono doit être salué et doit rassembler un grand nombre de nos compatriotes.

C’est après ce tollé que Facinet Touré a parlé de boutade en guise d’excuse car la Guinée est le pays où l’on pense communément que tout est permis. À condition de dire après la faute, pardon, pour que tout rentre dans l’ordre. L’impunité y est devenue une seconde nature.

Le simplisme du partage du pouvoir que soulignent les mots de Facinet Touré devrait éclater aux yeux de tous les Guinéens.

À tout militant, même dans les pays en développement, on apprend qu’en démocratie, la détention du pouvoir politique, procède d’élections au suffrage des citoyens mais qui peut citer une république, à l’heure actuelle, où des élections conduisent au pouvoir économique?

Dans les ethnies de toutes nos quatre régions, tous ceux qui exercent une activité économique dans les secteurs agricole, artisanal et des services ne sont des élus de personne. C’est à titre individuel ou en sociétés constituées par eux-mêmes que les hommes et les femmes exercent ces activités.

Ces lapalissades n’auraient pas eu besoin d’être rappelées si l’on n’était pas en Guinée. Par conséquent, sur le plan institutionnel public, outre le pouvoir politique, seul l’Etat au stade du développement de la Guinée dispose d’un large pouvoir économique, à travers ses actions de gestion de la monnaie nationale, de politique économique, du budget de l’Etat, des lois et règlements à caractère économique etc.

Alors, dois-je poursuivre cette explication, pour montrer l’inanité, au niveau des Pouvoirs publics et de ses partisans, de la thèse des Peuls dépositaires du pouvoir économique?

Au niveau des conversations de comptoir entre marchands, ce type de conception peut être entendu mais pas au niveau des responsables politiques du pays dont la mission est de traiter tous les citoyens sur un pied d’égalité.

Si des militants du RPG et associés ont été convaincus par la propagande politique que c’est leur camp qui doit avoir l’accès exclusif au pouvoir, alors on ne voit pas comment sera atteint l’apaisement social nécessaire à tout Etat pour son développement.

b)-La thèse de l’opposition sur le partage du pouvoir. Lors du deuxième tour de l’élection présidentielle, ce qui a constitué le camp conçurent était composé de l’association des partis politiques suivants: l’UFDG de Cellou Dalein Diallo, l’UFR de Sidya Touré, la NGR d’Abé Sylla, la GECI de Fodé Mohamed Soumah, d’une fraction du PUP, le parti de feu Lansana Conté, une autre fraction de ce parti s’étant associée à l’Arc-en-ciel d’Alpha Condé.

Deux ou trois autres partis (ceux de Baadiko Bah et de Mouctar Diallo) s’étaient associés à cette opposition dans le cadre de l’Association des Bâtisseurs. J’ignore la cohésion exacte de cette association à l’heure actuelle.

Mais un nombre de Guinéens ramènent l’opposition, en Guinée, au binôme Malinkés-Peuls alors qu’à l’énumération, ci-dessus des membres des Bâtisseurs, le problème est plus que cela. Il est ce que des leaders politiques ont semé dans les esprits.de ceux qui étaient disposés à en découdre avec un ennemi imaginaire. Ceux-ci ont retenu à propos de l’alternance au pouvoir, le fameux « notre tour » de feu Ba Mamadou. Or si la course au pouvoir n’avait pas aveuglé les dirigeants politiques, on pouvait comprendre que la Présidence de la République de Guinée doit aussi passer par la Région de la Moyenne-Guinée, autrement dit le Fouta, habité majoritairement par l’ethnie Peul.

Certes, avoir formulé par « notre tour », l’alternance des régions au pouvoir politique national, n’était peut-être pas une formule heureuse, d’autant plus que cela a été compris par certains dans un sens plus ethnocentriste, plus irrédentiste que de géographie régionale.

Mais je pense que s’il y a eu maladresse dans cette formulation, celle-ci est moins loufoque que la fumeuse « théorie » de la balance entre pouvoir politique et pouvoir économique. Comme il vient d’être dit plus haut, ce dernier pouvoir n’émane d’aucune volonté populaire.

Pour une élite politique éclairée, l’expression « notre tour » n’évoque l’exclusion de personne au partage de la gestion de la res publica, la chose publique qu’est la république. Et plus encore, une ethnie de notre peuple ne saurait être tenue à l’écart de la direction de ce peuple. Cette conception est contraire aux fondements des lois de la République de Guinée.

Il faut donc que les hommes et les femmes qui se sont volontairement mis au service politique du pays admettent et enseignent dans leurs ethnies respectives et à leurs militants politiques les principes élémentaires du vivre en commun qui fait une nation. Lancer, à la légère, des formules à l’emporte-pièce, à des militants primaires dans un Etat-nation en formation, est d’une grande gravité. Notre République commune a vécu ses 53 années d’existence dans le brouillard de ces ambiguïtés.

De même que je l’ai écrit sur l’état d’esprit des militants du camp présidentiel; si, ici aussi des militants sont convaincus également par la propagande politique du bien-fondé de l’expression « notre tour », renfoncée par les soupçons de fraudes électorales et par l’épisode de la chasse aux Peuls à Kouroussa et à Siguiri; ils se maintiendront dans cette position et ne considèreront pas, en leur for intérieur, Alpha Condé, malgré tous ses attributs officiels, comme leur Président.

Cette désaffection ne pourra pas trouver de solution par la force régalienne dont dispose le Président élu. Un livre du sociologue Michel Crozier demeure d’actualité sur cette question, qui dit qu’on ne change pas la société par décret (cf Michel Crozier « On ne change pas la société par décret », Paris, Fayard, 1979).

Une main tendue, cordiale, du Président s’impose donc pour aller à cette conférence de réconciliation nationale.

Telles sont esquissées les deux prémisses contradictoires du dilemme guinéen Ces deux prémisses mènent à une même conclusion : La Réconciliation Nationale.

Tous les Guinéens parlent en effet de dialogue, de réconciliation nationale pour enfin s’atteler à la nécessaire construction du pays. Cela suppose que des hommes et des femmes qui sont aux commandes de la Guinée, soient pétris de grandes vertus et détachés de bien de contingences, car il s’agit d’une grande cause qui n’a rien à voir avec la grandiloquence habituelle des forums à répétition qui n’ont mené nulle part, tant la culture de l’improvisation est profondément ancrée dans notre pays.

Ainsi, cette grande question de la réconciliation nationale vient de faire l’objet d’un « Forum national »du 27 au 29 juin 2011, à l’initiative du Secrétariat général de la Ligue islamique.

Ce Forum a regroupé des représentants religieux (musulmans et chrétiens), des fonctionnaires et la représentante du PNUD en Guinée. Avec tout le respect que j’ai, comme bon nombre de mes compatriotes, pour les religieux ; je m’étonne que les Pouvoirs public et notamment le Président de la République aient laissé une telle initiative aux religieux. Il est, en effet, bien connu, qu’à l’exception notable de Mgr Sara, au temps de Conté, les religieux ont toujours été opportunistes pour parler dans le sens de plaire aux pouvoirs en place.

Le Comité de Réconciliation Nationale (CRN), une ONG, qui vient à son tour de lancer un appel sur la même réconciliation nationale fera-t- il mieux en ne se transformant pas en courroie de transmission du Pouvoir central?

Seul l’avenir prochain le dira.

Pour l’heure, le Président Alpha Condé et son gouvernement doivent impérativement entreprendre de faire cesser toutes les formes de stigmatisation et de discrimination de citoyens de la République de Guinée si réellement, ils veulent trouver des solutions au dilemme guinéen comme le désire la majorité de la population.

Ansoumane Doré (Dijon, France)