Le Cri du Cœur de l’Imam Mamoudou Camara ou le malaise de la Basse-Côte face à un système démocratique injuste.

Face aux injures et aux insultes les plus ignobles proférées à l’encontre d’un homme incarnant une autorité religieuse, il m’est paru opportun de faire quelques mises au point. Que les gens qui s’adonnent à ce genre d’exercices sachent que de telles attitudes dénotent l’éducation qu’ils ont reçue dans leurs familles respectives. L’imam Mamoudou Camara n’a fait qu’émettre une inquiétude: un élu local qui n’a aucun lien affectif et effectif avec une localité peut-il la servir de façon loyale?

Les détracteurs les plus subtiles de l’imam Mamoudou Camara se servent de l’exemple de Barack Obama pour asséner de critiques des personnes prétendument intolérantes. Ils oublient que Barack Obama qui est certes de père kenyan, est surtout de mère américaine. Comme le dit une expression Soussou: « il a bu le lait maternel américain ». Dans toutes les sociétés du monde, le lait maternel constitue un fort lien affectif. C’est pourquoi, Barack Obama a défendu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toutes ses forces les intérêts américains durant sa présidence. Chez les Akan, un peuple d’Afrique de l’ouest vivant en Côte-d’Ivoire et au Ghana, la succession au trône royal et la transmission de l’héritage se font sur la ligne matrilinéaire: c’est à dire que le fils ainé de la sœur du roi lui succède à son décès et l’héritage du défunt est réparti aux enfants de ses sœurs. Dans toutes les sociétés du monde, nous avons des règles permettant un fonctionnement harmonieux de la cité. Ceux qui y dérogent s’y brûlent inexorablement. Au Pérou en 1990, les populations dans un esprit de tolérance et de démocratie, élurent comme président, Alberto Fujimori: un homme d’État d’origine japonaise. La présidence de cet homme fut marquée par l’autoritarisme et la corruption. Son implication dans de nombreuses malversations financières lui valut des poursuites judiciaires. Et pour échapper à la justice, il se réfugia dans le pays de ses parents, le Japon: pays dans lequel il avait investi une grande partie de l’argent détourné au peuple péruvien. En 2004, Transparency International le cita parmi les dix anciens chefs d’États les plus corrompus des vingt dernières années.

L’imam Mamoudou Camara en se prononçant ainsi, n’a fait qu’exprimer la pensée profonde des kindianais de souche. C’est un homme qui est soucieux de l’avenir et du devenir de la terre de ses ancêtres. Il ne veut pas que le budget qui est destiné au développement de Kindia soit détourné au profit d’une autre localité. Cette inquiétude est d’autant plus fondée que ses détracteurs font table rase des messages véhiculés par les extrémistes ethnicistes de leur camp qui invectivent en permanence sur les réseaux sociaux, les populations qui les ont accueillis la main sur le cœur. Pire, certains parmi eux parlent ouvertement d’annexion ou de colonisation de la Basse-côte. De tels propos haineux et méprisants ne peuvent que provoquer le durcissement des positions. Il incombe à chacun de faire preuve de responsabilité en évitant les écarts de langages et de conduites. Le respect des ainés et des autorités religieuses constitue une règle d’or dans nos sociétés. La décence commande qu’on débatte sur la problématique posée et non sur la personne de l’imam Mamoudou Camara.

La Basse-côte est indéniablement confrontée aux velléités hégémonistes d’une certaine classe politique ethnicise agissant sous l’astucieux couvert de la démocratie. Cette région constitue le poumon économique de la Guinée avec ses ressources portuaires, aéroportuaires, halieutiques, minières et agricoles. De ce fait, elle est celle qui attire le plus de monde dans notre pays. Les gens s’y sentent profondément républicains mais à un moment donné, ils réclament le droit de gérer eux-mêmes leurs communes urbaines et rurales. Également, ils sont en droit d’exiger que les représentants de leurs circonscriptions électorales à l’assemblée nationale, soient issus comme eux des communautés autochtones. Il est temps de mettre fin à la dictature de la majorité qui dessert une partie des citoyens guinéens. Comme le disait Albert Camus: « La démocratie ce n’est pas la dictature de la majorité mais la protection de la minorité… »

Depuis l’avènement du suffrage universel dans notre pays en 1990, certaines localités de la Basse-côte n’ont jamais eu l’opportunité d’avoir des dirigeants locaux issus des communautés autochtones: c’est le cas de Kindia et de la commune de Ratoma à Conakry. Le vote étant ethnique, la majorité des électeurs préfèrent élire le porte-étendard de la communauté allogène majoritaire dont ils sont issus. Lors de la première législature dans notre pays en 1995, le député-maire de la circonscription de Ratoma ne défendait que sa localité d’origine à l’assemblée nationale au détriment de celle qui l’avait élue. En 1998, le même élu faisait partie des manifestants interpelés au pied des bâtiments à démolir à Kaporo-rails alors que quelques mois auparavant, il n’avait pas bronché quand des maisons d’autochtones Bagas furent rasées à Kobaya pour bâtir une cité chinoise. Il est à rappeler que Ratoma avant la période coloniale, était un ensemble de villages Bagas, l’actuel quartier de Kaporo était la capitale des Bagas de Kalomi: l’ancien nom de Conakry. En 2018, l’expropriation du domaine rizicole de Kobaya s’est effectuée sous le silence de l’actuel maire de cette commune: une façon de dire qu’il n’en a cure du sort des Bagas de sa commune. À Kindia, la cité fondée par Manga Kindi: un des maires issus de la communauté des allogènes, s’était servi du budget de la commune pour bâtir un dispensaire dans son village d’origine. Ces 2 exemples prouvent à suffisance que les leçons de morales sur l’unité nationale et l’égalité entre les citoyens qui ne sont paradoxalement données qu’aux gens du littoral, ne sont que de la supercherie. D’autant plus qu’il n’y a aucun enfant de la Basse-côte parmi les élus des autres régions. Les élus originaires d’autres régions ne peuvent défendre que leurs communautés et leurs localités d’origines.

Après tant de couleuvres avalées par les autochtones de la Basse-côte, il est impérieux de réviser les règles d’éligibilité concernant les élections locales. Je tiens viscéralement au respect de la démocratie. Cependant, je pense que le contexte guinéen désavantage les gens du littoral. L’attractivité de la région fait en sorte qu’elle abrite de fortes communautés allogènes à tel point que les autochtones sont devenus minoritaires dans plusieurs localités. Le vote ethnique systématique fait perdre aux autochtones le droit de gérer leurs localités. C’est pourquoi il faudrait désormais exiger que tout candidat à une élection locale ait au minimum un de ses parents (le père ou la mère) originaire de la localité. Comme le dit un dicton populaire: « on est mieux servi que par soi-même », seuls les gens ayant de réelles attaches avec les localités pourraient avoir de l’empathie pour leurs habitants.

Il y a un certain malaise au sein des populations du littoral. Il est impérieux qu’on ouvre le débat sur notre système démocratique. Est-il adapté aux réalités socio-culturelles de notre pays? Le hic de ce système, c’est qu’il n’est pas représentatif de l’ensemble des composantes de la nation. En prenant exemple sur les États-Unis d’Amérique, nous constatons que ce pays prend en compte les droits des minorités dans l’application de la démocratie. Les américains dans le souci de préserver la paix civile, ont opté pour le suffrage universel indirect. Ce sont les grands électeurs, élus par le corps électoral qui élisent le président du pays. Et pour ne pas marginaliser les États minoritaires, il y a le statut de « swing states » ou États clés, des États pouvant faire basculer l’élection présidentielle. Au dernier scrutin présidentiel en Novembre 2016, Hillary Clinton avait obtenu plus d’un million de voix d’avance sur Donald Trump mais finalement c’est ce dernier qui fut élu président. Cela s’explique par le fait qu’aux USA, le système est fait en sorte que les États fortement peuplés ne dominent pas ceux ayant un faible nombre d’habitants. Pendant ce temps en Guinée, la réalité sur le terrain est très loin de l’idéale démocratique auxquelles nous aspirons. Les partis politiques ne sont en réalité que des associations communautaires et le caractère ethnique du vote fait en sorte que les communautés ethniques majoritaires se taillent la part du lion dans la répartition des dividendes de la démocratie. Cette injustice ne peut que créer des frustrations qui finiront à coup sûr en prise de position radicale. Comme le disait Dom Helder Camara: « l’injustice est la mère de la plupart des violences… ».

Sylla Abdoul, membre de la rédaction du journal en ligne: leguepard.net