La présomption d’innocence et l’affaire DSK vs Nafissatou Diallo

Cette affaire concerne juridiquement un « présumé innocent » en la personne de Dominique Strauss Kahn alias DSK et une « présumée victime » qu’est la guinéenne Nafissatou Diallo résidant légalement aux USA avec une « green card »…

Elle oppose un des hommes les plus puissants du monde, le favori d’une élection présidentielle au summum des intentions de vote, d’une part, et une immigrée, mère célibataire d’une fille de 15 ans et femme de ménage de surcroit, d’autre part.
C’est le combat de David et de Goliath, une présumée agression sexuelle qui a suscité un profond émoi dans le monde entier, notamment en France et chez les compatriotes de Nafissatou.
DSK serait-il victime d’une manipulation ou de lui-même ?
A l’arrière-plan de cette tragédie, et au-delà de l’émotion légitime que suscite cette affaire politique et de mœurs, se pose la question du sacro-saint principe cardinal de la présomption d’innocence.

I°) Le principe cardinal de la présomption d’innocence

C’est le principe selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie dans un procès public et équitable.
Il se fonde sur l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 de l’ONU  et est repris dans le corpus juridique de tous les Etats démocratiques et modernes :
« Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux a été commis ».
Outre la présomption d’innocence, le premier alinéa fonde les droits de la défense, tandis que le deuxième alinéa souligne le principe de légalité des délits et des peines.
Avant, pour les droits anciens (dont le droit divin, religieux), l’accusé était présumé coupable jusqu’à ce qu’il ait fait la preuve de son innocence, du fait que la puissance accusatoire procède de l’autorité et que celle-ci par essence détient la vérité absolue.
L’égalité de droit entre les parties sera instaurée par le droit civil qui est l’ensemble des normes qui régissent les rapports entre les personnes privées, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de personnes morales.
La présomption d’innocence représente une évolution dans l’éthique du droit qui considère que « mieux vaut, pour la cohésion sociale, un coupable en liberté qu’un innocent condamné injustement ».
Au regard du principe fondamental de la hiérarchie des normes, la Déclaration des droits de l’homme est une source de droit de portée supranationale (cf. article 7) et tous les droits subsidiaires doivent se conformer à ladite déclaration. Ces droits subsidiaires sont, entre autres, le droit constitutionnel de chaque Etat, le droit législatif voté par les parlements nationaux, le droit réglementaire émanant du pouvoir exécutif, la jurisprudence des tribunaux.
En France, l’article 9, alinéa 1, du Code civil (modifié par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, J.O. du 16 juin 2000, page 9038) décrit la présomption d’innocence assortie de la possible réparation de ses atteintes.
L’atteinte aux droits de la défense comme l’atteinte à la présomption d’innocence sont sanctionnées par la loi.
La charge de la preuve incombe à l’accusation, c’est-à-dire au Ministère public (procureur à l’instruction, avocat général à l’audience).
L’accusé doit être jugé par un tribunal indépendant et impartial et bénéficier de tous les moyens pour sa défense : toutes preuves amassées contre lui, toutes dépositions, du droit de contre-interrogation des témoins.
Pour le juge administratif, le droit à la présomption d’innocence est une liberté fondamentale (Conseil d’Etat, ordonnance du juge des référés du 14 mars 2005, n° 278435, Bruno Gollnisch) ; idem pour les Tribunaux de Grande Instance (Morlaix, 22 août 2002 ; Nantes,  mai 2005) et la Cour européenne des droits de l’Homme (10 février 1995 et 7 août 1996, Allenet de Ribemont contre la France).
La loi Guigou du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence vient modifier le Code de procédure pénale afin de mieux protéger les droits des personnes mises en examen, notamment en réformant la détention provisoire. Elisabeth Guigou était la ministre de la justice du gouvernement de la « Gauche plurielle » (1997-2002) dirigé par Lionel Jospin.
Alors que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait appelé les chaînes de télévision françaises  à faire plus de retenue dans le traitement de l’affaire en se basant sur la loi Guigou, le maire de New York, Michael Bloomberg, a de son côté défendu la présentation devant les médias par la police de la ville de DSK menotté, pratique appelée « perp walk » et vivement critiquée en France.
« Je pense que c’est humiliant, mais si vous ne voulez pas de ‘perp walk’, ne commettez pas de crime », a-t-il rétorqué.

2°) Le descriptif de l’acte d’accusation contre DSK

Les chefs d’accusation, les actes imputés à DSK sont au nombre de 7.
Dans la fameuse suite 2806, selon le procureur Cyrus Vance et le procès-verbal de la plainte énoncé au cours de l’audience, l’accusé a :
– fermé la porte et empêché cette personne de quitter la pièce ;
– touché les seins de la plaignante sans son consentement ;
– tenté de retirer de force les bas de cette personne et lui a touché la zone du vagin de force ; 
– forcé la bouche de la plaignante à toucher son pénis à deux reprises ;
– commis ces actes en utilisant sa force.
D’après le récit de la police, la victime était entrée samedi dans la suite 2806, croyant qu’elle était vide, alors que DSK prenait une douche : « Il s’est approché d’elle par derrière et l’a touchée de manière inconvenante. Il l’a forcée à accomplir un acte sexuel ».
Les chefs d’accusation de crimes sexuels sont passibles d’une peine d’emprisonnement de 25 ans chacun, tandis que les autres sont passibles de peines allant de trois mois pour attouchements non consentis à sept ans pour agression sexuelle au premier degré.
Le descriptif de l’acte d’accusation contre DSK est le suivant :
– La charge d’acte sexuel criminel au premier degré est comptée ici deux fois : en l’espèce, « le pénis est entré en contact avec la bouche de la victime à deux reprises », selon le procureur Cyrus Vance ; « un viol par fellation ou sodomie en ayant recours à la force ou menaçant d’y recourir » est passible d’un maximum de 25 ans de réclusion, soit une peine de 50 ans dans cette affaire en raison de la répétition du fait.
– La tentative de viol au premier degré : l’agresseur ayant employé la force physique ou a menacé d’y recourir, il est punissable de 15 ans de réclusion.
– L’agression sexuelle au premier degré : cette qualification recouvre « tout contact sexuel non consenti avec usage de la violence ou menace d’y recourir ». DSK encourt 7 ans de prison pour ce motif.
– L’emprisonnement illégal au second degré : il s’agit du fait de retenir quelqu’un contre son gré, un délit passible d’un an de prison. DSK est soupçonné d’avoir fermé la porte de la suite du Sofitel, empêchant ainsi la femme de chambre de sortir.
– Les attouchements non consentis : il s’agit de « toucher les parties intimes d’une personne dans un but dégradant et afin d’abuser d’elle ». En l’espèce, la victime présumée accuse le patron du FMI de lui avoir « attrapé la poitrine », selon le procureur. Ce délit est passible d’un an de prison dans l’Etat de New York.
– L’agression sexuelle au troisième degré : cette qualification recouvre un « contact sexuel sans emploi de la force ». Le délit est passible de 3 mois d’emprisonnement.
En France, en cas de condamnation pour l’ensemble des charges, la peine ne peut excéder la peine maximale pour la charge la plus lourde. S’il devait être condamné à New York pour l’ensemble des chefs d’accusation, DSK encourrait un minimum de 15 ans et demi de prison et un maximum de 74 ans et trois mois. Ici toutes les peines  encourues sont cumulées, s’additionnent.
Aux Etats-Unis, il est sain et encourageant pour les parties moins nanties de constater que des stars, des personnalités publiques et politiques de premier plan (Michael Jackson, OJ Simpson, Bernard Madoff, etc.) sont passées sous les fourches caudines de l’implacable et impartial appareil judiciaire.

3°) DSK serait-il victime d’une manipulation ou de lui-même ?

Et si l’affaire DSK était une manipulation pour le neutraliser ? Est-ce une simple bêtise du Président du FMI ?  DSK s’est-il fait piéger ? A qui profiterait le « crime » qui, pour l’instant, relève de la présomption d’innocence ?
Beaucoup de questions taraudent l’esprit de l’opinion publique internationale actuellement ; et, selon un sondage CSA exclusif pour le journal « 20 minutes » daté du 17 mai dernier, une majorité de Français sont sceptiques et 57 % des sondés estiment que le directeur général du FMI est victime d’un complot politique.
Pour certains, l’implication de DSK dans une affaire de tentative de viol présente après tout de nombreux avantages au plan politique, tant pour la campagne présidentielle française d’avril 2012 que pour les intérêts économiques des USA.
N’en déplaise à la présomption d’innocence, la curée des hommes et femmes politiques de tout poil a déjà commencé. On assiste déjà à une mise à mort politique comme une conclusion de chasse à courre. Tout cela sent le souffre.
Sans DSK, jeté aux gémonies et discrédité, le Parti Socialiste restera-t-il uni ou se déchirera-t-il lors de la primaire à gauche prévue au mois d’octobre prochain ? Sera-t-il au second tour ou bien aura-t-on le remake d’avril 2002, cette fois-ci entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ?
DSK serait perçu par certains milieux américains comme un français qui défend au FMI l’Europe, les Européens, l’Euro, des Etats et des intérêts du tiers-monde avec beaucoup d’acharnement depuis quatre ans.
Celui qui contrecarre les intérêts américains dans le monde alors que les USA sont au bord d’une nouvelle implosion en matière monétaire, avec une dette galopante en partie détenue par les chinois et un Dollar pratiquement en perdition.
Aurions-nous droit à une nouvelle crise monétaire beaucoup plus forte que la précédente ?
En plus n’oublions pas l’aversion systématique des dirigeants américains pour un président socialiste en France.
DSK saura-t-il se tirer du guêpier sans perdre de sa crédibilité déjà bien mise à mal ?
Mais, il est utile de préciser que c’est la troisième affaire Strauss-Kahn ; en effet, le directeur du FMI est, paraît-il, connu pour ses frasques, ses conquêtes amoureuses extraconjugales. Notamment, sa « relation intime entre adultes consentants » avec Mme Piroska Nagy, une économiste hongroise qui travaillait pour le département Afrique du FMI.
Par contre, Il y a plus grave : une vidéo, en ligne sur le web depuis le 5 février 2007, explique à mots couverts que DSK aurait pu se livrer à des « violences » sur Tristane Banon, une jeune journaliste et romancière qui l’avait qualifié de « chimpanzé en rut ». DSK ne serait-il pas viscéralement victime de lui-même ?
Il aurait affirmé, récemment, craindre trois choses lors de la campagne électorale « l’argent, les femmes et sa judéité ». N’est-ce pas une prémonition, un aveu ?

Conclusion
L’affaire DSK vs Nafissatou Diallo est loin de livrer tous ses secrets et vérités ; la procédure étant longue et coûteuse aux protagonistes. Et bien au-delà, du passage des différentes parties prévu le vendredi 20 mai prochain devant le jury, la chambre d’accusation composée de 16 à 23 membres.
Au final, Nafissatou Diallo pourra-t-elle résister au rouleau compresseur financier et relationnel de son illustre et puissant adversaire à l’entregent bien fourni ?
Les autorités guinéennes voudront-elles et pourront-elles se porter partie civile pour avoir accès à l’ensemble du dossier et défendre judicieusement Nafissatou, le cas échéant ?
En attendant, au-delà de l’émotion légitime que suscite cette affaire politique et de mœurs, il faudra faire preuve de discernement et de patience jusqu’à son épilogue.
Quant au sacro-saint principe cardinal de la présomption d’innocence, il a été allégrement bafoué et a causé des victimes innocentes en Afrique et, notamment, en Guinée depuis l’indépendance à nos jours.
Il est grand temps d’y réhabiliter ou consacrer l’Etat de droit, les droits de l’Homme, nos valeurs humaines et morales.
Que Dieu nous révèle la vérité et préserve la Guinée !

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 18 mai 2011