Dans un article qui prétend donner une version quasi-scientifique et détachée des évènements du 22 Novembre 1970 dans le but proclamé d’une réconciliation nationale, Kobélé affirme que des conflits ethniques dans les rangs de l’opposition extérieure du temps du PDG seraient la raison de l’échec du débarquement et de la défection de Jean-Marie Doré…
Apparemment Kobélé n’arrive pas à se défaire de ses hantises ethniques, qui sont une constante dans ses écrits. Il avait dit que les peuls sont le problème majeur en Guinée. En filigrane, à travers ses papiers et celui-ci ne fait exception, il veut entériner à tout prix la thèse des tensions ethniques comme une donnée factuelle et incontournable de l’histoire de la Guinée, ou une explication de la faillite du pays – au lieu qu’elles soient conséquences de l’incurie des régimes politiques qu’il défend.
Mû par ses hantises, Kobélé ignore ou ne fait aucun effort pour étudier un trait caractéristique des exilés guinéens du temps du PDG : leur unité dans la souffrance, leur sens de communauté vivant en terres étrangères et l’aspiration partagée de retour dans une Guinée libre du despotisme. Les faiblesses du leadership des organisations de la diaspora empêcheront la réalisation de ces rêves. Les fragmentations des organisations qui suivront seront moins le fait de tensions ethniques que de conflit de leaders, fortement encouragés du reste par des agents infiltrés par le PDG. Même après la campagne anti-peule du PDG de 1976, les communautés guinéennes de l’extérieur résisteront aux scissions ethniques. Les faits sont que les tensions ethniques en Guinée restent l’œuvre exclusive des gouvernements et jamais des forces d’opposition.
La méthode des historiens est en principe de prendre du recul, pour analyser avec des documents, les causalités multiples des conditions d’un pays. À défaut, et surtout s’ils se laissent guider par des obsessions personnelles, ils ne peuvent produire que de la propagande que Kobélé nous sert épisodiquement.
Sékou était au courant de l’attaque – Kobélé confirme.
Kobélé confirme ce que beaucoup de guinéens ont soutenu : Jean-Marie Doré fit partie de l’opération et qu’il s’en retira. Kobélé omet volontairement de mentionner que Jean-Marie Doré fut de ceux qui informèrent Sékou Touré de la préparation et des plans de déroulement de l’opération. Des sources variées ont confirmé ce fait. Entre autres, Madifing Diané qui était son contact à la présidence, et plus récemment, feu Prof. Ansoumane Doré avait décrit la trahison de l’opposition par leur collaborateur, Jean-Marie Doré, qui transmettait leurs dossiers au gouvernement. Admettons qu’il soit de bonne guerre pour un gouvernement d’infiltrer les rangs de ses opposants. Ce qui rend la tragédie du 22 Novembre 1970 déroutante, c’est le fait que Sékou Touré ayant été informé de l’attaque, ne fit rien pour y parer. Par inadvertance, Kobélé confirme ce fait qui défie la logique et le bons sens. Il écrit: «par précaution ces avions avaient été déplacés. L‘équipe mixte, malgré toutes les fouilles, ne put trouver les MIG». L’hagiographe de Sékou Touré, trouve normal – voir malin – la «précaution» de cacher des avions de combat alors qu’une attaque par mer était imminente.
Chez Kobélé, la pauvreté intellectuelle s’alimente de cynisme. Il se mire l’esprit à celui de son inspirateur, Sékou Touré qui décida de faire de l’attaque l’occasion de la mise à exécution du plan d’élimination d’adversaires politiques. Sékou croyait avoir donné des gages aux portugais en déplaçant les prisonniers que détenaient le PAIGC à Mamou et à Kindia, au camp du PAIGC, d’accès facile de la mer. Mais il fut surpris par la combativité des guinéens qui faisaient partie de l’expédition. Kobélé tait le fait que pour l’armée coloniale portugaise, la mission fut une réussite totale. Il omet de mentionner la panique de Sékou Touré qui – dès qu’il eut accès à la radio- lança des appels désespérés à l’ONU, pendant plusieurs jours, pour une intervention des casques bleus. Il ira jusqu’à rabrouer la commission d’enquêtes dépêchée par l’ONU, à son arrivée le 26 Novembre 1970 – en leur disant qu’il a demandé des militaires et non des enquêteurs (André Lewin). Amère ironie du sort, c’est Diallo Telli, le Secrétaire Général de l’OUA qui répondit à l’appel au secours. Il se rendit à Conakry avec un contingent d’officiers africains, sous le commandement d’un colonel égyptien.
Kobélé prouve être comblé par la grâce de l’aveuglement. Sur le débarquement du 22 Novembre, il évacue sans état d’âme des questions importantes auxquelles nul historien ne résisterait. Surtout quand il prêche un débat honnête et la réconciliation. Par exemple, Kobélé ne se pose pas la question de savoir pourquoi entre le débarquement et l’exécution d’environ une centaine de prétendus coupables, il n’y eut que 58 jours. Même un dossier de flagrant délit ne peut être instruit en ce temps record. Encore moins l’exécution des accusés. La justice expéditive avec la rapidité des arrestations dans tout le territoire guinéen, la production presque instantanée de preuves fabriquées, le caractère hétéroclite des personnes incriminées, la forte présence de hauts cadres dont la participation aurait balayé sans faute le régime chancelant de Sékou Touré, est en soi un signe crédible d’une vendetta préméditée par le PDG et son chef. En elle-même, cette vendetta constitue une forte présomption de complicité de Sékou Touré dans l’attaque contre son propre pays. Cette thèse qui a été souvent chuchotée du fait de son apparence illogique, devient de plus en plus crédible. Elle le sera davantage avec l’ouverture des dossiers des services secrets des pays impliqués.
Le fantôme d’Amilcar Cabral
Pour les historiens de l’avenir, de nombreuses autres questions restent à répondre sur l’attaque du 22 Novembre 1970. Parmi les plus importantes, il y a l’impréparation des leaders guinéens de l’opposition extérieure. Ils auront plutôt servi de couverture à l’armée coloniale portugaise, qu’ils n’aient bénéficié de son appui. Mais, la question du comportement cynique de Sékou est celle qui reviendra pendant des décennies sur le plateau des historiens. Si l’opération des portugais fut une aubaine pour Sékou Touré pour liquider anciens compagnons ou adversaires tout comme des hommes à sa dévotion, dans un délire qui pose questions sur sa santé mentale, derrière la folie meurtrière des années 1970-71, il y a des ramifications troublantes. Parmi ces ramifications, il y a la complicité de Sékou dans l’assassinat de Cabral.
L’assassinat de Cabral est lié au transfert des prisonniers portugais à Conakry avant l’arrivée des portugais. Étant au fait des conflits dans les rangs du PAIGC, Sékou Touré profita de l’absence de Cabral pour, avec l’aide d’éléments dissidents, procéder à la mise des prisonniers à la disposition de l’armée coloniale portugaise. Cabral ne fut pas consulté pour le transfert. À son retour en Guinée, il était ulcéré par le marchandage. Les prisonniers de guerre étaient une carte importante de négociation et de relations publiques du PAIGC. Il le fit savoir à Sékou Touré et commença à diversifier ses bases extérieures. Il pensa même reloger le quartier général du PAIGC au Sénégal où – contrairement à ce que laisseraient croire les affirmations de Kobélé – Senghor leur avait donné un soutien sans réserves. Le Sénégal subira d’ailleurs des attaques de l’armée coloniale portugaise à deux reprises sans – bien entendu – que cela ne résulte à des purges sanglantes.
Quand Sékou Touré eut vent des démarches de Cabral, il attisa les conflits entre les factions à l’intérieur du PAIGC. Déjà, il ne supportait pas l’indépendance d’esprit de Cabral. L’intellect et le rayonnement international du leader du PAIGC lui étaient intolérables. Sa paranoïa atteignit son comble avec la colère de Cabral sur son marchandage avec les forces coloniales portugaises qui mettaient à nue ses prétentions de révolutionnaire africain. Enfin, Sékou ayant démoralisé et démantelé l’armée guinéenne – notamment par la mise en place de la milice populaire inefficace et pléthorique composée de la lie de la société, il ne dut sa survie lors de l’attaque qu’à la résistance des troupes du PAIGC. Plus que jamais conscient de sa vulnérabilité, Sékou fit ce qu’il fait quand il se sent menacé. Il encouragea l’assassinat du leader en jouant sur des dissensions qu’il avait encouragées. Sékou Touré n’était pas seul dans ce jeu. Il était de notoriété publique que des dignitaires du PDG étaient impliqués dans des trafics d’armes et de biens de première nécessité avec des combattants véreux du PAIGC qui jouissaient de privilèges d’importation sans douane et de déplacement sans contrôle de police. L’encouragement de l’indiscipline et des dissensions à l’intérieur du PAIGC était un moyen de camoufler ces méfaits. Dans son excellent livre – QUI A TUÉ CABRAL ? le journaliste portugais, José Pedro Castanheira donne beaucoup de détails sur la complicité de Sékou dans l’assassinat. Un indice important de connivence est le fait que le groupe de militaires du PAIGC responsable de l’assassinat se présenta au palais présidentiel pour rencontrer Sékou Touré le lendemain. Au lieu de fuir et conscient d’avoir en Sékou Touré une oreille attentive, ils annoncèrent que l’assassinat était un simple règlemente de compte interne du PAIGC. Très tôt les militaires impliqués dans l’assassinat comprirent qu’après les avoir poussés à l’acte, Sékou était prêt à les sacrifier. Certains s’enfuirent en direction de Bissau. Ceux qui restèrent furent arrêtés. Ils seront interrogés par les forces de sécurité du PDG avant d’être remis au PAIGC pour des procès sommaires sur la base des aveux extorqués avant d’être exécutes.
Castanheira relate plusieurs autres témoignages de personnalités, dont l’ambassadeur de l’Algérie, présentes à Conakry à l’époque de l’assassinat. Il ouvre des pistes intéressantes de recherche avec la visite de deux diplomates à la maison de Cabral le matin de sa mort à Conakry pour l’informer d’un assassinat en préparation contre lui. L’un était l’ambassadeur de le Tchécoslovaquie. Castanheira mentionne aussi des confidences de Senghor et de l’ancien ministre des affaires étrangère français, Roland Dumas, impliquant Sékou Touré comme instigateur.
Un témoignage important est celui du capitaine Kouyaté, arrêté en 1976. Le témoignage est relaté par Alhassane Diop – ancien ministre de Sékou Touré qui fut libéré du camp Boiro grâce à l’intervention de Senghor du fait de sa double nationalité. Le capitaine Kouyaté aurait dit à Alhassane Diop avoir été celui qui tua Cabral. « Je sais que je dois mourir car j’ai tué Cabral sur l’ordre du chef de l’état ». Un autre officier qui occupait la cellule 49 de la prison a aussi confié à Alhassane Diop qu’il avait assisté à l’exécution de Cabral. L’un des interprètes du PAIGC lors des interrogatoires des prisonniers fut recruté par Siaka Touré qui le supportait matériellement. Plus tard, il donnera des détails provenant de l’un des détenus qui, lors d’un interrogatoire affirma que Sékou avait préparé une table à manger pour 40 personnes pour recevoir les insurgés après l’assassinat. Il fut frappé et trainé à la « cabine technique ». Quand il revint, il avait changé sa version. En plus, le livre cite un certain Gabriel Cissé «considéré comme l’ancien chef des services secrets [qui] arriva à Bissau. Dans des déclarations faites à la presse, Cissé attribue la responsabilité de la mort de Cabral à Sékou Touré. C’est l’exécution du père et l’arrestation de ses deux sœurs qui l’ont poussé à abandonner le pays et [à] se réfugier à Bissau ». Le coordinateur de la commission d’enquête du PAIGC à l’époque, Fidelis Almada, s’interrogera pendant des années sur l’attitude du gouvernement guinéen après l’assassinat, surtout la façon dont ils phagocytèrent les enquêtes. (À suivre)
Ourouro Bah