Dans un précédent article, je m’en suis pris à un mythe séculaire en critiquant vivement le libéralisme. Il n’en a pas fallu plus pour que beaucoup pensent que, ce faisant, je défendais a contrario le socialisme. Erreur. Pour tout Guinéen, l’expérience traumatisante de la Ière République est là pour nous dissuader de toute nouvelle tentative d’instauration d’une société socialiste…
Les deux systèmes, libéralisme et socialisme, d’un point de vue théorique, visent exactement la même finalité : l’optimum économique et social. Le libéralisme conduirait à la meilleure allocation des ressources et à la satisfaction maximale ; le socialisme, pour sa part, à l’idéal absolu : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », lorsque le socialisme atteindrait son stade ultime, le communisme, autrement dit la fin de l’histoire. Il faut dire que la pensée de Marx et de la plupart des philosophes allemands de la fin du 19ème siècle débouche sur une sorte d’apothéose finale grandiose.
Revenons sur terre. On peut établir une totale similitude entre le marché parfait et la planification parfaite. L’économiste polonais Oscar Lange a démontré, dans les années 1930, en termes mathématiques – les économistes aiment les maths, sans doute pour convaincre les sceptiques -, l’équivalence entre l’utopie libérale et la planification intégrale. Malheureusement, en essayant d’établir des sociétés uniformes, l’une se révèle aussi dangereuse que l’autre. En poursuivant l’idéal de l’optimum, les communistes, tout comme les libéraux, ont jeté leurs pays dans une voie sans issue (pour employer un euphémisme).
Je pense pouvoir m’appuyer sur l’expérience que j’ai accumulée au cours de plusieurs décennies(1) pour proposer aujourd’hui un mode de développement qu’on pourrait adapter à la Guinée. En d’autres termes, aller au-delà de la critique des modèles existants pour apporter une petite pierre à la construction de notre édifice commun, celui d’une économie guinéenne moderne et performante.
J’invite mes compatriotes à me suivre dans l’élaboration de ce modèle. Avec comme guide le professeur Alain Cournanel, qui a formé des générations d’économistes du développement dans plusieurs pays et qui a publié l’ouvrage le plus complet sur l’économie guinéenne : « L’Economie politique de la Guinée (1958-2010) – Des dictatures contre le développement », L’Harmattan, Paris, 2012, 291 p.
Il faut tout d’abord fixer un objectif de croissance économique annuelle à atteindre et expliquer pourquoi ce choix. Ensuite, se fonder sur la vocation minière de la Guinée comme moteur de la croissance (j’entends déjà les vives protestations qui ne vont pas manquer de s’élever). Cette croissance va s’appuyer sur les activités collectives (éducation, recherche, santé, les infrastructures économiques et sociales en général). A ne pas confondre avec collectivisme ou collectivisation. Nous verrons, par la suite, la place de l’agriculture et des industries (lesquelles ?) et terminerons par la monnaie. Nous bâtirons enfin l’appareil permettant de piloter la croissance.
Nous allons, pour commencer, définir succinctement la croissance, en partant de la grandeur la plus significative de l’économie nationale, le produit intérieur brut (PIB). Je sais bien toutes les critiques qui ont été portées à cet indicateur. On a tenté, par exemple, de lui substituer l’indice de développement humain (IDH) du PNUD, sans succès. Ne nous attardons pas sur ces vaines polémiques. Le PIB reste l’outil le plus opérationnel et le plus couramment utilisé pour les comparaisons internationales (et son corollaire, le PIB par habitant). Il représente la somme de tous les biens et services produits pendant une année dans un pays (en somme, la production nationale annuelle du pays). Si le PIB augmente d’une année à l’autre, on dit qu’il y a croissance économique. Si la croissance se prolonge sur une longue période, elle conduit au développement. Pour définir celui-ci, faisons appel à l’un des géants de la science économique du 20ème siècle, François Perroux : « le développement, c’est la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, durablement et cumulativement, son produit réel global ». Cela implique une profonde modification des structures internes de l’économie considérée, de telle sorte que la croissance devienne autoentretenue et autocentrée, produite de l’intérieur et non impulsée de l’extérieur. Si les fruits de la croissance sont équitablement répartis, cela conduit au progrès social, ultime finalité du développement. Reste à trouver le cheminement pour y parvenir. C’est l’objet du modèle que je propose et que nous allons baptiser « La Haute-Route du développement ».
L’expression « Haute-Route » a été forgée par l’ingénieur-économiste, Edouard Parker, de l’Ecole Centrale de Paris, pour étudier l’expérience des Dragons asiatiques (Taïwan, Hong Kong, Corée du Sud et Singapour) et de ceux qui les ont suivis (Malaisie, Indonésie et Thaïlande), dans son livre « Objectif 10% de croissance », Editions Criterion, Paris, 1993. Mais, Edouard Parker a voulu étendre le modèle des Dragons à tous les pays en développement. Or, un tel modèle ne peut s’appliquer à la plupart des pays africains, par exemple, puisqu’il est fondé essentiellement sur l’ouverture des marchés des pays industrialisés aux exportations industrielles des pays du Sud. Alors que nombre de pays africains se limitent à l’exportation de seulement un ou deux produits de rente agricole ou minière.
Pourquoi diable des pays aussi pauvres en ressources que le Sénégal ou le Burkina connaissent des niveaux de vie plus élevés que la Guinée ? Pourquoi le fonctionnaire sénégalais est-il mieux payé (aussi bien en termes relatifs qu’en termes absolus) que son homologue guinéen ? Cela est totalement aberrant. L’explication tient en deux mots, si l’on peut dire :
26 ans d’un étatisme forcené
24 ans d’un libéralisme sauvage.
Calmons toute polémique. La première pratique n’est nullement du socialisme pas plus que la seconde n’est du libéralisme, au sens propre de ces deux concepts, quand bien même l’une et l’autre s’en réclamaient respectivement. La Ière République se disait socialiste tandis que la IIème se voulait libérale.
Comment se définit la Haute-Route du développement (HRD) ? C’est un mode de production dans lequel la propriété privée est reconnue, mais où l’Etat, en tant que monopoleur de la puissance publique, joue un rôle clef, tout au long du processus de développement. Le rôle de l’Etat restera toujours prépondérant, même lorsqu’on atteindra un niveau de développement très avancé, ce qui n’empêche pas la libre expression de l’initiative privée. L’Etat doit inspirer, orienter et donner du sens à l’action économique. Il faut dire que même les libéraux purs et durs ont fini par reconnaître la nécessité de recourir, ne serait-ce que momentanément, à l’intervention de l’Etat, mais seulement pour veiller au rétablissement de la concurrence. Ce qui explique que dans l’Union européenne, on s’attache à « la concurrence non faussée ». On a même vu le ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, proposer la nationalisation pure et simple d’une grande entreprise privée, l’unité d’Arcelor Mittal à Florange, dans l’Est de la France. Mais, même convertis au social-libéralisme, les socialistes français, avec François Hollande en tête, n’ont pas osé franchir le pas. Promu au rang de ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg vient de récidiver en prenant un décret, le 15 mai 2014, permettant à l’Etat d’empêcher la prise de contrôle par le capital étranger des entreprises dans les secteurs stratégiques suivants : l’eau, la santé, l’énergie, les transports et les télécommunications. C’est « le réarmement de la puissance publique », a-t-il déclaré. Et le quotidien Le Monde d’affirmer que c’est la fin du laisser-faire en France. Prenons-en de la graine.
Le modèle de la Haute-Route du développement, que nous allons appeler le modèle de la HRD, ou tout simplement la HRD, ne s’inscrit pas dans le schéma « libéralisme versus socialisme ». Il se situe ailleurs. Il ne convient pas à un pays capitaliste développé ni aux pays d’Europe de l’Est convertis à l’économie libérale. Il est destiné uniquement à un pays dont le niveau de développement est faible, donc n’appartenant pas à la catégorie des « pays émergents », qui sont déjà engagés très loin sur la voie du développement.
La HRD est conçue pour les pays qu’on pourrait appeler le Quart-Monde, c’est-à-dire les pays pauvres et économiquement stagnants (les PMA, c’est-à-dire les Pays les moins avancés, en langage onusien). Ce n’est pas du « libéralisme dirigé » car, dans celui-ci, l’intervention de l’Etat doit se réduire progressivement, au fur et à mesure du développement, jusqu’à se cantonner aux fonctions régaliennes (police, justice et défense nationale). Il ne s’agit pas non plus d’un « Etat keynésien ». Keynes ne s’intéressait qu’aux problèmes de sous-emploi dans un pays économiquement avancé où il existe des mécanismes et des automatismes déjà rodés dont il faut rétablir le fonctionnement par une politique de la demande ou de l’offre. Il ne s’occupait pas du long terme, qui est la distance dans laquelle s’inscrit le développement. « A long terme, nous sommes tous morts », disait Keynes. La HRD n’est pas non plus du « capitalisme d’Etat », qui est un système économique dans lequel l’Etat détient une part essentielle ou la totalité du capital des entreprises.
Dans la HRD, l’Etat ne joue un rôle décisif que dans « les activités collectives », c’est-à-dire dans les sociétés d’infrastructures. Il n’y a pas de bourgeoisie d’Etat qui serait composée de cadres occupant la position de classe dominante fondée sur la combinaison du pouvoir politique et du pouvoir économique. Il n’y a pas de parti-Etat, comme dans le régime actuel de Condé Alpha en Guinée où les cadres qui détiennent les leviers de commande sont désignés par le chef du RPG, le parti au pouvoir, et lui sont soumis. Dans la HRD, l’Etat est certes présent dans le capital des entreprises stratégiques du secteur minier, mais cette participation se limite à la minorité de blocage (au maximum 35% du capital) pour préserver l’intérêt national. L’action essentielle de l’Etat s’exerce donc dans les IES, c’est-à-dire les infrastructures économiques et sociales (voir plus loin).
Objectif : un taux de croissance économique annuel à deux chiffres
Nos pays connaissent une croissance démographique (augmentation de la population) de l’ordre de 3% par an. Donc, toute croissance économique inférieure à 3% se traduit par la baisse du niveau de vie et la régression. Il est consternant de voir le FMI et la Banque mondiale féliciter les pays africains lorsqu’ils réalisent une croissance de 5%. Pour qu’un pays sorte du sous-développement, il faut qu’il réalise une croissance économique forte, de l’ordre de 10% et plus, par an, sur une longue période. Pourquoi un taux de croissance d’au moins 10% par an ? D’abord, chaque pays en développement est capable de faire des améliorations de productivité de l’ordre de 4% par an. Il faut ensuite compenser la croissance démographique qui est d’environ 3%. De plus, pour qu’il y ait développement, il faut réduire le sous-emploi. Ne nous fions pas aux statistiques officielles qui évaluent celui-ci entre 10% et 20% de la population active. Dans nos pays, le chômage au sens large est de l’ordre de 50% de la population active. Pour le réduire de manière significative, il faut rajouter au moins 3% de croissance économique. Soit au total 10% par an.
Au rythme de 10% par an, le PIB double en 7 ans. Alors qu’avec un taux de croissance annuel de 3% par exemple, on n’obtiendra ce résultat qu’au bout de 23 ans et 1/2.
Pour l’heure, seuls les pays africains dotés d’importantes ressources minières réalisent une telle performance, pratiquement sans effort (voir le cas de la Guinée Equatoriale qui a dépassé certaines années 20%). Avec un peu plus de volonté, ces pays, au moins, peuvent faire encore davantage. La Guinée peut entrer dans ce cas de figure, à condition qu’elle réalise concrètement sa vocation minière, qui n’est plus à prouver. Sans oublier que la croissance doit s’accompagner de profondes transformations structurelles pour déboucher sur le développement. Donc, l’exportation de bauxite ou de minerai de fer stricto sensu, par exemple, ne peut pas seule être un facteur de développement.
Les activités collectives : pivot du développement
On observe qu’au sein de l’économie réelle, il y a beaucoup de phénomènes collectifs, de foule, de mimétisme. Contrairement au credo des libéraux, il n’y a pas indépendance des actions humaines, mais plutôt interdépendance. L’économie libérale est une économie de la rareté : un bien est un bien économique s’il est rare. Or, dans une société, ce qui fait la croissance économique, ce sont les phénomènes collectifs, d’altruisme, qui vont à l’encontre des phénomènes de rareté. Les phénomènes collectifs sauvent l’économie en l’empêchant d’aller vers l’équilibre bas. L’exemple le plus typique en est l’éducation. Si vous m’apprenez quelque chose, je gagne, mais vous ne perdez rien. Alors que si j’achète un litre d’essence, c’est le mien et vous ne pouvez plus l’avoir. Ce qui fait la croissance, c’est moins les biens économiques, rares, que les biens collectifs : l’éducation, la santé, l’intelligence et la recherche, le savoir-faire, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les autoroutes et le chemin de fer, les ports et aéroports, les barrages hydroélectriques, l’énergie solaire et éolienne, le logement social, les réseaux de distribution d’eau et d’électricité, les infrastructures économiques et sociales (IES) en général.
De fait, les IES constituent la véritable richesse d’un pays, car ce sont des biens qu’aucun investisseur étranger ne peut emporter avec lui. Les systèmes collectifs créent une synergie et de forts effets d’entraînement en amont et en aval. Il y a une véritable dialectique entre les biens économiques de la rareté, de la concurrence, qui tirent l’économie vers le bas et les biens collectifs qui la tirent vers le haut. La croissance est forte lorsque les activités collectives le sont. Si la France a mieux résisté à la crise mondiale de 2008 que les autres économies libérales, c’est parce que dans ce pays les systèmes collectifs (santé, protection sociale, chemins de fer, les infrastructures en général, et même la politique prudentielle des banques) sont forts et créent une synergie. Au lendemain de la chute de l’Union soviétique en 1991, la Russie s’est jetée dans les bras des instituions de Bretton Woods qui lui ont conseillé de privatiser à tout-va. On a livré les grandes entreprises publiques à quelques potentats, et la Russie a perdu 50% de son PIB. Dans nos pays, il faut créer un système de propriété privée autour d’un pôle public (constitué par les IES), fort, porteur de synergie et de rendements croissants. C’est la base du développement.
L’un des économistes les plus brillants du siècle dernier, John Kenneth Galbraith, conseiller le plus écouté du président John Kennedy, a montré que le développement culturel apparaît comme une exigence préalable du développement économique.
L’agriculture vivrière en haut des priorités
Depuis 50 ans, j’entends proclamer que l’agriculture doit être le secteur clef, le secteur prioritaire par excellence et même le secteur moteur de la croissance dans les pays en développement. On se fonde, pour justifier cette opinion, sur le fait que la population y est rurale, donc agricole, à au moins 60% à 70%. Dès lors, on a dépensé des milliards pour acheter des machines et des intrants agricoles, pendant des décennies, sans aucun résultat. Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise en criant « l’agriculture, l’agriculture, l’agriculture »…
Pour que l’agriculture devienne le secteur moteur dans un pays comme la Guinée, par exemple, il faut qu’elle soit en mesure de réaliser « des exportations agricoles exponentielles » (A. Cournanel – entretien avec l’auteur) pour engendrer les ressources pouvant financer les autres secteurs, dont l’industrie. Mais, on ne peut plus emprunter ce chemin. En 1958, la Guinée produisait 100 000 tonnes de bananes d’excellente qualité, bien loin devant la Côte d’Ivoire. Pas une seule banane n’est aujourd’hui exportée. L’ananas, le café, le coton ou l’huile de palme, aucun de ces produits ne figure à l’heure actuelle sur le tableau du commerce extérieur guinéen. Peut-on se permettre de perdre encore du temps à vouloir rattraper la Côte d’Ivoire (cacao, café ou bananes), le Ghana (cacao), la Malaisie (huile de palme) ou le Brésil (café ou canne à sucre), dans ces domaines ?
La priorité doit être pour la Guinée de mettre l’accent sur une agriculture diversifiée, orientée vers les produits destinés à la consommation intérieure, en un mot l’agriculture vivrière. On ne peut amorcer le développement que lorsque la production permet à toutes les couches sociales de se nourrir. Dans l’ex-Union soviétique, la devise était : « Celui qui ne travaille pas ne mange pas ». En Guinée, nous devons dire : « Celui qui ne mange pas, ne peut pas travailler », et par conséquent, ne peut pas prendre part au processus du développement.
Les Guinéens sont aujourd’hui honteux d’avoir à dépendre de l’étranger pour leur alimentation, alors qu’ils peuvent être largement autosuffisants en produits vivriers. Ce n’est malheureusement pas leur faute car cette situation résulte de l’impéritie des dictatures qui se succèdent dans le pays depuis 56 ans. Eu égard à l’extraordinaire fertilité du sol et aux conditions climatiques favorables sur l’ensemble du territoire national, c’est une aberration que de voir les importations de riz, produit qui entre dans leur menu quotidien, croître exponentiellement d’année en année : de 120 000 tonnes en 1985, elles atteignent 180 000 tonnes en 2001 (à la suite cette année-là, il est vrai, des attaques rebelles aux frontières sud et sud-est), grimpent à 300 000 tonnes en 2012, pour bondir en quelques années seulement du pouvoir de Condé Alpha à 500 000 tonnes. C’est à se fendre le cœur de monnè et de colère rageuse, comme dirait Ahmadou Kourouma. Quand on pense aux plaines du Kapatchez ou à toutes celles qui bordent l’embouchure des « rivières du sud » en Basse Guinée ou encore à celles qui longent le Djoliba (Niger) en Haute Guinée, où on peut faire jusqu’à deux récoltes de riz par an, sans compter les bas fonds des vallées des massifs montagneux au Fouta Djallon ou encore le grenier à riz que peut devenir rapidement la Guinée forestière si l’on y met les moyens, on mesure l’incurie des dirigeants guinéens. Le sort des populations, ces gens-là s’en contre-fichent ! Tout ce qui les préoccupe, ce sont les élections, et après les avoir gagnées frauduleusement, se maintenir au pouvoir par tous les moyens jusqu’aux élections suivantes.
La difficulté fondamentale tient à la combinaison qu’on a toujours tentée entre cultures vivrières et cultures d’exportation qui conduit à négliger les premières quand on encourage les secondes. Il faut définitivement sortir de ce dilemme et mettre l’accent, dans le cas de la Guinée, sur l’agriculture vivrière. Pour cela, point de grandes fermes collectives, nul besoin d’y consacrer des montants faramineux. Le petit outillage agricole y suffira. En plus de la levée de toutes les entraves administratives qui bâillonnent les agriculteurs. Et d’une protection contre l’action prédatrice des intermédiaires (commerçants et usuriers).
En ce qui concerne l’élevage et la pêche, deux types de problèmes doivent être résolus : promouvoir des transformations qui les feraient passer au stade industriel, tout en favorisant la commercialisation du bétail. Ainsi, assurer la sécurité alimentaire sans un recours excessif aux importations.
Le pôle électrométallurgique aluminium-acier : moteur du développement
Ici, nous allons suivre de près le professeur Alain Cournanel dans l’ouvrage cité plus haut. La Guinée est remarquablement dotée en ressources minières immenses et diversifiées. Son sous-sol renferme des substances minérales comme la bauxite, le minerai de fer, l’or, le diamant, l’uranium, le pétrole et divers métaux de base : chrome, pyrite (sulfure de fer), manganèse, plomb, cobalt, platine, colombo-tantalite, zinc et cuivre.
Mais ce potentiel demeure sous-exploité et offre, par conséquent, d’énormes opportunités d’investissement. Nous allons nous limiter aux deux mamelles que peuvent constituer la bauxite et le minerai de fer pour l’économie guinéenne.
Bauxite : La Guinée détient les deux tiers des réserves mondiales de bauxite, soit un potentiel total de 40,14 milliards de tonnes (à une teneur moyenne de 40% d’alumine), dont 10,6 milliards de tonnes de réserves prouvées, ce qui permettrait d’alimenter pendant un siècle (au niveau de consommation actuel) toute l’industrie mondiale d’aluminium.
Minerai de fer : La Guinée dispose de trois principaux gisements de minerai de fer, dont deux de classe mondiale. D’une haute teneur de 66% à 68% de fer, ils restent les derniers de cette classe à être inexploités :
Presqu’île de Kaloum : 6 milliards de tonnes (gisement qui ne peut être mis en valeur, évidemment, que si la capitale est déplacée)
Mont Simandou : 7 milliards de tonnes
Mont Nimba : 2 milliards de tonnes
Les grands projets en cours
Six projets majeurs sont actuellement en cours pour l’extraction de la bauxite, sa transformation en alumine et en aluminium, et quatre projets pour la mise en valeur du minerai de fer. A noter que tous ces projets sont antérieurs à l’arrivée au pouvoir, en décembre 2010, de Condé Alpha. Nous verrons plus loin que certaines grandes sociétés étrangères se sont désistées, ont gelé leur participation ou sont en conflit avec le gouvernement :
Projet Guinea Alumina Corporation (GAC) avec BHP Billiton/Global Alumina/Dubaï Aluminium Mudabala, à Sangarédi (site actuel de la CBG, contrôlée par l’américaine Alcoa et qui exporte déjà 12 millions de tonnes de bauxite par an).
Projet Cobad (Rusal et l’Etat guinéen) ou Compagnie des Bauxites de Dian-Dian.
Projet d’usine d’alumine Alcoa-Alcan/Rio Tinto, à partir de la bauxite non exportable de la CBG à Sangarédi.
Projet SBDT (Société des Bauxites de Dabola et Tougué), en partenariat entre l’Etat guinéen et l’Iran.
Projet Boffa/BHP Billiton : Une usine d’alumine et un port d’évacuation à l’embouchure de la Fatala.
Projet Gaoual/Alliance Mining Corporation : La société australienne AMC serait la principale actionnaire de ce projet, encore indéterminé, de bauxite et d’alumine.
Quatre projets sont à l’étude pour l’exploitation et la mise en valeur du minerai de fer :
Projet Simandou-Simfer SA/Rio Tinto : Une convention a été signée en 2002 avec Rio Tinto. Les partenaires sont Rio Tinto, Chinalco et China Investment Funds. Un chemin de fer, le Transguinéen, fait partie du projet.
Projet Nimba-SFMG/Euro-Nimba : Le consortium Euro-Nimba regroupe plusieurs multinationales, dont BHP Billiton et Newmont, et la société guinéenne Mifergui. L’exploitation de ce minerai de fer est tributaire d’un chemin de fer, soit le Transguinéen, soit par le port de Buchanan du Liberia voisin.
Projet des mines de fer de Kalia, comprenant l’Etat guinéen, la société australienne Bellzone et China Investment Funds.
Projet Zogota : En décembre 2008, l’israélien BSGR (Beny Steinmetz Group Resources) s’est vu attribuer un permis d’exploitation des blocs I et II du mont Simandou et en mars 2010 les gisements de Zogota dans la partie sud de Simandou. Après cet accord initial, BSGR a revendu à la société brésilienne Vale 51% de sa concession de Zogota pour 2,5 milliards de dollars et a ainsi créé l’entité Vale-BSGR Guinée. Mais le projet est à l’arrêt, en raison du différend entre BSGR et l’actuel gouvernement guinéen. On apprend que les permis de Beny Steinmetz sur les blocs I et II de Simandou lui ont été retirés le 17 avril 2014, ce qui ramène les compteurs de la filière fer-acier à zéro.
Il faut noter que le géant minier anglo-australien BHP Billiton a mis un terme, le 30 juin 2012, à son projet de bauxite-alumine à Sangarédi et à Boffa. Il a invoqué, à l’appui de sa décision, la chute des cours de l’alumine et de l’aluminium sur le marché international en raison de la crise économique et financière mondiale (mais les vraies raisons sont ailleurs). Puis, le 15 juillet 2012, il a décidé de vendre ses parts dans la Société des mines de fer de Guinée (SMFG) sur le Nimba, achevant ainsi son désengagement de la Guinée.
Le cas du géant anglo-australien Rio Tinto en Guinée est la manifestation la plus flagrante du cynisme et de la voracité des grandes sociétés minières internationales. Présente dans le pays depuis plus de 17 ans, elle n’a pas encore entrepris la moindre action concrète (cf. la série d’enquêtes complètes sur les mines en Guinée publiée par le site www.guineenews.org). Le 25 février 1997, Rio Tinto bénéficie de 4 permis de recherche couvrant une superficie totale de 1 460,97 km2 sur la partie la plus importante du gisement du mont Simandou. D’après la loi minière alors en vigueur, après une période de 3 années de recherche, la société bénéficiaire est obligée de rétrocéder la moitié du périmètre des permis. Ce que Rio Tinto a fait le 30 mai 2000 : son périmètre est ramené à 738 km2. Deux années plus tard, le 30 mai 2002, la société devait faire un renouvellement sur 369 km2 (soit la moitié du périmètre restant). C’est à partir de là que naît un lourd contentieux avec l’Etat guinéen. Le bras de fer est finalement dénoué par l’« Accord transactionnel » du 22 avril 2011 par lequel Rio Tinto verse à l’Etat « la somme transactionnelle définitive » de 700 millions de dollars, « en contrepartie de la confirmation de ses droits miniers exclusifs » sur la concession de 369 km2 (sise sur Beyla, Macenta et Kérouané). Sans entrer dans les détails de l’accord sur lequel il y a beaucoup à dire, il faut retenir que cette somme est une avance sur les revenus futurs de la Guinée, moyennant l’exonération de l’impôt sur le revenu de la société d’une durée de 8 ans à compter de la première année bénéficiaire (donc des années après le lancement de l’exploitation), et après remboursement des 700 millions de dollars (y compris le paiement par la Guinée des intérêts liés à cette avance). Une avance fort coûteuse et à rembourser. De plus, Rio Tinto ne peut pas jeter la pierre à la société BSGR de Beny Steinmetz, car Rio Tinto a cédé une partie de ses droits sur Simandou au géant chinois Chinalco en réalisant un bénéfice de 2 milliards de dollars. Sans compter que l’accord transactionnel avec l’Etat guinéen approuve et entérine l’accord conclu entre Rio Tinto et Chinalco. La revente de permis de recherche entre sociétés minières est une pratique courante ; elle est entrée dans les mœurs et n’offusque plus les professionnels dans ce secteur.
Cette avance de 700 millions de dollars pourrait tout de même servir, si elle est utilisée à bon escient, à financer les participations de l’Etat au capital des sociétés d’infrastructures à constituer dans le cadre de la HRD que je préconise. Mais ceci est une autre affaire. Car la destination de ces fonds est totalement inconnue. Derrière la prétendue lutte contre la corruption et la revue des contrats miniers, il y a une sordide affaire de racket des sociétés minières pour financer les ambitions politiques de Condé Alpha.
Pour ne pas remettre le doigt dans un tel engrenage, BHP Billiton – qui, on le sait, avait déjà participé à ce type de magouille au Cambodge – a préféré plier bagage. Quant au groupe BSGR-Vale, il devait dès 2012 commencer l’exploitation minière et la construction du Transguinéen pour des investissements estimés à 14 milliards de dollars. Il a effectivement commencé les travaux avant même la fin du régime de la Transition et n’a pas cru bon de payer des dessous de table, comme c’est de règle dans les transactions minières. Mal lui en a pris car ses permis lui ont été retirés pour être, sans aucun doute, revendus ultérieurement à d’autres.
Il faut savoir que les montants exorbitants payés par les sociétés minières aux Etats ne servent pas à acheter les permis de recherche, mais à alimenter les « cagnottes » présidentielles. Ces permis ont en réalité un prix dérisoire, comme cela est prévu dans tous les codes miniers : en Guinée, ces droits sont fixés à 5 000 dollars/km2. C’est ainsi que Rio Tinto n’a eu à payer que 1,8 millions de dollars pour obtenir en bonne et due forme les permis sur les 4 blocs qui lui ont été attribués en 1997. Et depuis 17 ans, cette firme ne fait que ruser pour obtenir des dérogations et ne pas passer aux actes, c’est-à-dire à l’exploitation minière proprement dite. Alors que les 2,5 milliards de dollars que BSGR devait recevoir de Vale sont une partie des 14 milliards qu’elle s’était engagée à mobiliser pour la mise en valeur de son périmètre sur Simandou.
De même que George Soros, Tony Blair ou Bernard Kouchner, Rio Tinto roule pour Condé Alpha (et a cédé au chantage en payant les 700 millions de dollars), contrairement à BSGR, qui a voulu user d’autres moyens et en paye aujourd’hui les conséquences. Les Guinéens devraient se demander pourquoi les potentats russes de Rusal ne sont-ils pas inquiétés, étant donné que Condé Alpha se pare de l’armure du chevalier blanc qui lutte contre la corruption dans le secteur minier. Ce n’est qu’une posture pour abuser l’opinion publique mal informée. Condé Alpha devient malade dès qu’on lui parle de BSGR. Il bloque aujourd’hui ce groupe et l’empêche de travailler, alors que c’est le seul qui avait réellement entrepris quelque chose en Guinée, parmi toutes les multinationales qui s’y agitent en brassant du vent. On vient d’apprendre qu’il a ordonné à Vale de quitter sa base logistique de Kénien, le 23 mai 2014 au plus tard, base qui va être récupérée par son ami Bolloré. En se comportant ainsi, Condé Alpha se révèle sous son vrai jour.
Avant d’aborder la mise en valeur de ces gisements de bauxite et de minerai de fer, rappelons que, dans l’ambiance crépusculaire de fin de règne du président Lansana Conté, la Guinée a été transformée en une vaste braderie de ses fleurons industriels et entreprises stratégiques. A titre d’exemple, le complexe aluminier de Fria, devenu la société mixte Friguia (en 1973), première usine d’alumine d’Afrique (600 000 tonnes d’alumine par an), a été bradé en 2003 à la mafia russe qui détient le numéro un mondial de l’aluminium, Rusal, pour la somme ridicule de 19 millions de dollars. Friguia, qui était devenue entre-temps Alumina Company of Guinea (ACG – à ne pas confondre avec le projet mentionné plus haut, GAC : Guinea Aluminium Corporation) est ainsi passée aux mains de Rusal pour être aussitôt enterrée. Ont été également victimes de privatisations sauvages, entre autres, la Société minière de Dinguiraye et la Société Ashanti Gold Fields à Siguiri.
Le pôle électrométallurgique aluminium-acier
Tout pays a intérêt à se spécialiser dans la production de biens pour lesquels il a un avantage comparatif, c’est-à-dire des biens dont la production nécessite une utilisation intensive du facteur de production national qui est relativement abondant. Ainsi, il va de soi que la Guinée a intérêt à mettre sur pied un pôle électrométallurgique aluminium-acier, dont la matière première est la bauxite pour l’aluminium et le minerai de fer pour l’acier, deux minerais dont la Guinée est abondamment pourvue, comme nous l’avons vu plus haut.
La production totale de bauxite-alumine (Fria-ACG-Rusal, CBG-Sangarédi-Boké et SBG-Kindia), exprimée en dollars, s’est lentement érodée au cours des trente dernières années, tombant de 450 millions de dollars en 1985 à quelque 80 millions seulement en 2012, effondrement dû à la mauvaise gestion d’une façon générale, soit un manque à gagner de l’ordre de 400 millions de dollars par an. C’est hallucinant ! En raison des turpitudes de Rusal à la tête d’ACG, la société a été fermée depuis le 4 avril 2012. Et les 850 salariés et 1 200 agents de sous-traitance sont donc au chômage depuis plus de deux ans et sont sans rémunération. C’est toute la ville de Fria, bâtie autour de cette entreprise, qui est ainsi paralysée. Quand ce drame épouvantable – qui jette dans la misère et la désolation des dizaines de milliers de personnes -, va-t-il prendre fin ? La principale centrale syndicale du pays, la CNTG, l’a inscrit en haut de la pile de ses revendications. Mais, a-t-elle les moyens de faire face à la politique brutale et répressive du régime de Condé Alpha ? Un bras de fer en perspective qui, si l’on y ajoute Sotelgui, Ferralux et tant d’autres fermetures d’entreprises, pourrait sonner le glas de ce régime tyrannique, impopulaire et, de surcroît, totalement incompétent.
Il convient de mettre fin à ce lamentable gâchis en mettant à plat tous les projets miniers en cours et de les fondre tous dans le cadre d’un grand pôle électrométallurgique aluminium-acier dont les contours ont été esquissés depuis l’époque coloniale. Ce n’est malheureusement pas Condé Alpha qui le fera.
Le pôle aluminium :
Lancé en 1957, à la veille de l’indépendance de la Guinée, le projet de Fria a été réalisé en 1963, et est resté jusqu’à son arrêt en avril 2012, la première usine de production d’alumine en Afrique. A l’origine, ce projet devait se dérouler en trois phases :
Fria I : Extraire la bauxite du plateau du lieu-dit Kimbo (près de la localité de Fria) et produire sur cette base 480 000 tonnes d’alumine.
Fria II : Porter la production d’alumine à 720 000 tonnes.
Fria III : Construire une usine pour transformer l’alumine en aluminium ; et créer une aciérie pour transformer le minerai de fer de la presqu’île de Kaloum en fer, puis en acier.
Le passage de la phase II à la phase III était assujetti à la construction du barrage hydroélectrique de Souapiti sur le plus grand fleuve du pays, le Konkouré. De fait, la transformation de la bauxite en aluminium et du minerai de fer en acier utilise le procédé de l’électrolyse, un process technologique qui consomme des quantités énormes d’énergie électrique.
Ni la phase II ni la phase III n’ont été réalisées, la production d’alumine stagnant à 600 000 tonnes, et totalement abandonnée depuis le 4 avril 2012, en raison de l’intervention désastreuse de la mafia russe par l’intermédiaire de Rusal.
Selon les experts, la véritable matière première de la production d’aluminium est l’énergie électrique plus que la bauxite, car elle compte pour plus du tiers dans le coût de production d’une unité de ce précieux métal. La production d’aluminium s’obtient selon le schéma suivant :
4 tonnes de bauxite → 2 tonnes d’alumine → 1 tonne d’aluminium
Dans le contexte actuel de l’industrie, la Guinée ne peut plus se permettre de continuer à exporter du produit brut. Et pour parvenir au stade de l’aluminerie, la réalisation du barrage de Souapiti est absolument indispensable.
Cet ouvrage, qui représentera une capacité installée de 515 MW (près de 7 fois le barrage de Garafiri réalisé en 1999, mais qui est handicapé par le manque de pièces de rechange et les fuites d’eau dues à l’usure des turbines), est estimé à l’heure actuelle à 1 milliard de dollars. Souapiti est une priorité absolue, car sans lui, il n’y aura pas de pôle électrométallurgique en Guinée. Et l’aménagement complet du Konkouré se clôturera avec le barrage de Kaléta (lancé en août 2011), complément indispensable de Garafiri, et par le barrage d’Amaria dont l’aménagement avait été envisagé depuis le projet de Fria, à l’époque coloniale.
Mais, la filière de l’aluminium ne peut être rentable qu’à la condition de réaliser une méga-aluminerie d’une capacité d’au moins 500 000 tonnes d’aluminium. La Guinée dispose de tous les atouts naturels pour atteindre un tel objectif. De fait, les quatre projets de raffinerie d’alumine les plus mûrs à ce jour représentent plus de 8 millions de tonnes d’alumine, à quoi peuvent s’ajouter les 600 000 tonnes d’alumine d’ACG-Rusal (si son fonctionnement est rétabli), ce qui justifie amplement l’installation d’une méga-aluminerie.
Au-delà des emplois escomptés dans les chantiers de l’aluminerie et les retombées financières provenant des exportations du produit, il faut rappeler que l’aluminium est un produit protéiforme aux débouchés multiples : emballage, mécanique, électronique, bâtiment (tôles ondulées), électroménager, automobile et aviation, soit autant d’effets d’entraînement en aval de l’aluminerie.
Le pôle acier :
L’électricité de Souapiti permettra aussi la transformation du minerai de fer en fer et la réduction de celui-ci en acier. Il n’y a plus lieu d’exporter du fer brut. Il faut passer au stade de l’aciérie.
Dans le projet d’origine, on prévoyait la production de 2 millions de tonnes de minerai de fer pour lancer une aciérie d’une capacité de 40 000 tonnes d’acier par an pour une consommation de 200 millions de kwh. C’était il y a plus de 50 ans. Aujourd’hui, le potentiel guinéen en minerai de fer (15 milliards de tonnes de réserves prouvées) plus les trois projets de barrages hydroélectriques sur le Konkouré (Kaléta, Souapiti et Amaria) permet d’envisager la mise sur pied d’une véritable industrie sidérurgique.
Celle-ci permettra de nombreuses activités industrielles connexes : laminés, industrie de l’étirage, clouterie et câbles, serrurerie et ferronnerie, coutellerie, industrie mécanique, matériel électrique, matériel de transport, pièces d’automobile, bicyclettes et motocycles.
Aller au-delà de la bauxite et de l’alumine, au-delà du minerai de fer et du fer, voilà les deux mamelles de l’économie guinéenne : l’aluminium et l’acier.
L’énergie et les infrastructures
En Guinée, il est possible d’établir un lien étroit entre le développement énergétique et le programme d’infrastructures économiques et sociales. Le potentiel hydroélectrique est estimé à 6 000 MW pour une production de 26 000 GWh par an dans des conditions hydrologiques moyennes. Il a été envisagé, dès les années 1950, l’aménagement du bassin du Konkouré : créer un grand barrage à Souapiti, dont l’exploitation complète exigerait un deuxième ouvrage, celui d’Amaria. Soixante ans plus tard, on est toujours dans l’attente.
Le barrage de Garafiri (75 MW), inauguré en juillet 1999, paralysé à l’heure actuelle par le manque de pièces de rechange et l’usure des turbines, est loin de régler le problème du déficit énergétique. Son complément indispensable, le barrage de Kaléta (240 MW) a été lancé en août 2011. Les deux ouvrages (dont la remise en état et le reconditionnement de Garafiri) pourraient se rapprocher des 400 MW nécessaires à la satisfaction des besoins domestiques en électricité du pays.
L’alimentation en énergie du pôle électrométallurgique aluminium-acier nécessite d’ajouter au complexe Garafiri-Kaléta, celui de Souapiti (515 MW), soit au total une puissance installée de l’ordre de 900 MW. L’aménagement hydroélectrique du Bafing, affluent du fleuve Sénégal, à Koukoutamba (280 MW) pourrait approvisionner l’exploitation de la bauxite de Dabola-Tougué. De même que le barrage de Fomi (94 MW) sur le Niandan, affluent du Niger, serait disponible pour les projets du Nimba-Simandou. A quoi s’ajouteraient les mini-centrales sur les autres grands cours d’eau qui sillonnent la Guinée.
Outre la fourniture d’électricité, tous ces ouvrages peuvent avoir des buts multiples : aménagement des bassins rizicoles, irrigation des zones sèches situées en aval, développement de PME agropastorales, régulation du cours supérieur du Niger permettant la navigabilité du fleuve entre la Guinée et le Mali.
D’une façon générale, les infrastructures doivent faire l’objet de sociétés à capitaux publics, en tirant bien sûr les leçons de l’étatisme excessif de la Ière République et du contre-étatisme de la IIème République.
Les infrastructures routières sont dans un piteux état. Le plus urgent est la réhabilitation des principaux axes :
Conakry-Kindia-Mamou
Kindia-Télimélé-Gaoual
Coyah-Forécariah-Farmoréah
Conakry-Boffa-Boké-Gaoual
Mamou-Labé-Koundara
Mamou-Dabola-Kouroussa-Kankan-Siguiri
Mamou-Faranah-Kissidougou-Guéckédou-Macenta
Macenta-Sérédou-N’Zérékoré-Lola
Kankan-Kérouané-Beyla-N’Zérékoré
Soit dit en passant, Mamou, qui est le centre de gravité du pays, pourrait accueillir la nouvelle capitale politique, pour décongestionner Conakry, qui resterait la capitale économique.
Transguinéen ou pas Transguinéen, la première des tâches dans le domaine des infrastructures est, sans aucun doute, la reconstruction du chemin de fer Conakry-Niger (662 km). Première étape : faire fonctionner le chemin de fer Conakry-Km 36, sous forme de train de banlieue et de métro de surface. Deuxième étape : réaliser la tranche Conakry-Kindia, exploitable dès la première année de réfection. Aller ainsi d’étape en étape jusqu’à Kankan. Avantages du chemin de fer :
Alléger le trafic routier interurbain de passagers.
Préserver les axes routiers en transportant les produits pondéreux par wagon.
Faciliter l’évacuation des ordures.
Capter le trafic du Mali (Bamako-Conakry est plus court que Bamako-Abidjan) et faire de Conakry le premier port malien.
Constituer éventuellement une partie du mythique Transguinéen.
Si, en plus de cela, le Conakry-Niger est électrifié, grâce au barrage de Fomi, nous entrons de plain-pied dans l’ère industrielle et propulsons l’économie guinéenne dans une tout autre dimension.
Les projets de transformation de la bauxite et du minerai de fer vont de pair avec la réhabilitation du chemin de fer, la rénovation du port autonome de Conakry, la réalisation de ports minéraliers à Kassa, à Boké et à Boffa, la modernisation de l’aéroport international de Gbessia-Conakry et des aéroports régionaux, la relance des investissements dans les télécommunications (fibres optiques, faisceaux hertziens, réorganisation de la téléphonie mobile envahie par trop d’opérateurs sans interconnexion entre eux).
Il est absolument indispensable que l’Etat garde le contrôle des programmes d’infrastructures. Il suffit de voir les turpitudes de Bolloré au port de Conakry ou la pagaille dans la téléphonie mobile pour s’en convaincre. Ce rôle prépondérant de l’Etat est indiscutable dans l’éducation et la santé. Malheureusement, sous le régime de Condé Alpha, l’enseignement supérieur est livré à la rapacité du privé et à la recherche du profit. La situation est hallucinante : 32 universités privées à Conakry ! L’éducation est tombée au degré zéro. Pendant ce temps, la Guinée est l’un des rares pays au monde qui ne possède pas de compagnie aérienne nationale, Air Guinée ayant été engloutie dans la corruption.
Même lorsque des services comme les télécommunications sont fournis par des prestataires privés, ceux-ci doivent être soumis à une réglementation publique. « L’infrastructure routière et l’adduction d’eau doivent être assurés directement par l’administration publique » (Extension de la Stratégie de la Réduction de la Pauvreté, ESRP, Banque mondiale et FMI, Décembre 2012).
Secteur minier et lutte contre la pauvreté
Créée en 1971 par les Nations unies, la catégorie des « Pays les moins avancés » (PMA) compte, à l’heure actuelle, 45 pays dans le monde, dont malheureusement la Guinée. En se référant au document le plus récent qui évalue la pauvreté, « Extension de la Stratégie de Réduction de la Pauvreté » de décembre 2012 de la Banque mondiale et du FMI, on estime que 55% des Guinéens vivent en dessous du seuil de pauvreté en 2012 (contre 49% en 2002 : cela va de mal en pis !), soit environ 6,3 millions de personnes. Et 20% de la population totale est dans une situation d’extrême pauvreté : 2,3 millions de personnes, environ 320 000 familles.
Il faut absolument mettre à profit la rente minière pour réduire la pauvreté. Les experts guinéens estimaient, en mars 2011, que le secteur minier participait à hauteur de 15,88% des dépenses publiques profitant aux pauvres (éducation, santé, eau potable, pistes rurales). C’est insuffisant, eu égard aux standards de la sous-région qui s’élèvent à 40%. On peut tout à fait envisager une mesure d’urgence s’inspirant du programme « Bourse familiale » de l’ancien président Lula da Silva du Brésil (2003-2010), qui allouait un montant moyen de 24 euros par famille et par mois, touchant 40 millions de personnes sur une population totale de 180 millions, selon des critères très précis (revenu, niveau d’éducation et conditions de logement).
En Guinée, les 320 000 familles très pauvres pourraient recevoir chacune un montant moyen de 15 euros par mois, ce qui représente environ 55 millions d’euros par an, soit 1% du PIB. Le secteur minier peut parfaitement supporter un tel effort. Cette allocation mensuelle de 142 500 FG par famille est trois fois inférieure au salaire minimum interprofessionnel garanti. Elle n’entre donc nullement en concurrence avec le travail salarié. Il ne s’agit point d’assistanat, mais d’une mesure de justice sociale et de répartition équitable de la manne minière, une aide aux plus pauvres et aux plus vulnérables de la population, tout comme ailleurs la manne pétrolière profite aux pauvres (voir les monarchies du Golfe). Et ce ne serait pas une exception guinéenne. Au Sénégal, le président Macky Sall envisage de créer « la Bourse de sécurité familiale » destinée aux plus démunis d’un montant de 100 000 F CFA par an (soit environ 1 457 000 FG), comparable à celui qui serait octroyé en Guinée.
Quelles industries ?
Examinons les différentes filières industrielles possibles : l’import-substitution ; la politique des Dragons asiatiques ; restaurer le tissu industriel hérité des deux premières Républiques ; réduire l’écart numérique …
Que reste-t-il de la politique de l’import-substitution ?
La politique de l’import-substitution a été mise en œuvre dès les années 1950 au Nigeria, au Ghana et au Sénégal, puis dans les années 1960 en Côte d’Ivoire. Elle repose sur la priorité aux produits primaires d’exportation couplée avec la création d’industries légères de biens destinés à remplacer les produits importés, politique financée par le capital étranger. Mais on voit bien que ce type de croissance bute rapidement sur la détérioration des termes de l’échange et sur la dépendance à l’égard du capital étranger.
Il est cependant tout à fait logique de chercher à produire des biens qui étaient jusque-là importés. L’import-substitution est viable, à condition de partir de ressources propres.
Peut-on s’inspirer des Dragons asiatiques ?
Les recettes des Dragons asiatiques appelés aussi les Nouveaux pays industriels (Newly Industrialised Countries) sont les suivantes :
Eprouver un appétit pour le développement qui se traduit par une politique gouvernementale.
Un cadre juridique favorable à l’investissement et l’arrivée de capitaux extérieurs.
Créer des industries à fort contenu de main-d’œuvre.
Attirer les industries intéressées par les salaires plus faibles que dans les pays développés.
Porter les investissements à des niveaux atteignant 25% à 30% du PIB.
Former les jeunes par l’apprentissage et qui seront absorbés par les industries à forte croissance.
L’ouverture des marchés des pays du Nord.
Mettre toutes ces recettes en œuvre par l’Etat qui doit jouer un rôle de premier plan.
La Guinée peut parfaitement mettre en œuvre ces recettes sous l’égide d’un Etat volontaire (on y revient).
Restaurer le tissu industriel hérité des deux premières Républiques
Après l’instauration de la IIème République et au moment du lancement de la politique de libéralisation de l’économie nationale (décembre 1985), les entreprises publiques étaient au nombre de 249. Durant la première phase de privatisation (1985-1992), 37 entreprises ont été privatisées et 71 liquidées. La deuxième phase (1993-1999) a été marquée par l’adoption d’une loi de privatisation qui a réduit le nombre d’entreprises publiques à 62. Durant la troisième phase (2000-2004), 8 entreprises (exemple : Enelgui) dont la création remonte aux années 1960 et relevant de la politique de substitution aux importations ont été liquidées ou dissoutes. Ensuite, 33 entreprises susceptibles d’être rentabilisées ont été privatisées. Enfin, 21 entreprises d’utilité publique ou des sociétés minières ont été mises en location ou placées sous concession (on connaît l’exemple fameux de Rusal).
Les repreneurs des entreprises d’Etat, le plus souvent d’anciens directeurs, ne savaient pas gérer selon les lois du marché. Les entreprises rachetées ont rapidement fait faillite.
Les privatisations et la libéralisation des prix ont accru le chômage, la pauvreté, la corruption, accéléré l’exode rural et conduit à une hypertrophie des activités informelles.
Cependant, beaucoup de ces entreprises peuvent revivre : usine de meubles de Sonfonia, Briqueterie de Kobaya, usine de textiles de Sanoya, usine de kinkina de Sérédou, conserverie de Mamou, usine de plantes et parfums de Labé, etc.
Combler l’écart numérique
Aujourd’hui, on considère comme « analphabète » toute personne ne sachant pas se servir d’un ordinateur. Le secteur des Nouvelles techniques de l’information et de la communication est un secteur stratégique dans lequel la Guinée doit le plus rapidement possible combler son retard. C’est encore dans ce domaine que l’Etat est appelé à jouer un rôle essentiel. A titre d’exemple, il y a quelques années, le niveau de développement d’un pays était mesuré au nombre de lignes téléphoniques dont il dispose. La téléphonie mobile a rendu caduc ce critère. A l’heure actuelle, c’est au nombre de téléphones portables et d’ordinateurs qu’on évalue l’état d’avancement d’une économie.
La réforme monétaire et bancaire
L’économie guinéenne présente, à l’heure actuelle, les caractéristiques suivantes : elle est faiblement productive ; les importations sont trop lourdes ; la politique agricole est peu dynamique ; la création de PME est très limitée ; l’offre de devises est insuffisante. Dans une telle situation, il n’y a que deux politiques monétaires possibles :
– Soit on fige le taux de change, ce qui conduit à une allocation discriminatoire des devises et se traduit, à terme, par une chute de la production ou la stagnation économique.
– Soit on déprécie la monnaie pour faire face à la demande surabondante de devises, auquel cas on adopte le régime des changes flottants.
La première politique (taux de change fixe) a été suivie de 1960 à la fin de 1985. Elle a donné des résultats désastreux, notamment l’effondrement de la production nationale.
La seconde politique (taux de change flottant) permet de sauvegarder la compétitivité de l’économie nationale. C’est elle qui a été adoptée à partir de janvier 1986.
Mais, pour qu’elle produise les effets escomptés, il faut qu’elle s’accompagne d’une politique de promotion des exportations, dans le but d’accroître l’offre de devises étrangères.
Cependant, le glissement du taux de change doit être maintenu dans des limites acceptables. Car, à long terme, il risque de prendre un caractère aberrant. Pour éviter d’en arriver là, il n’y a qu’une recette :
Il faut que l’Administration encaisse normalement les taxes douanières, que les entreprises (y compris les sociétés étrangères) s’acquittent de leurs impôts, que les usagers paient à leur juste prix les utilités publiques (eau, électricité, télécommunications), que l’Etat réduise « les poches de liquidités indues », par exemple les taxes pétrolières non versées au Trésor public.
Depuis le 1er mars 2005, le franc guinéen vit sous le régime du « flottement contrôlé », c’est-à-dire que son cours varie au jour le jour, selon la loi de l’offre et de la demande de devises ; mais, la Banque centrale détermine un taux de référence qui, aux termes des accords avec le FMI, le grand gendarme financier international, devenu le gendarme financier des pays pauvres, ne doit pas trop s’écarter du cours observé sur le marché libre.
Sous un tel régime, la monnaie se détériore continuellement en raison de l’utilisation irraisonnée de la planche à billets. Mais comment résister, quand on est un Etat souverain, à la tentation « irrésistible » de demander des avances de la Banque centrale au Trésor public ? Cela n’est sans doute possible qu’en s’orientant vers une monnaie régionale.
La Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO)
Le thème d’une monnaie unique pour l’Afrique de l’Ouest a été officialisé, si l’on peut dire, depuis 1975, avec le Traité de Lagos – révisé en 1983 -, qui avait fondé la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce traité prévoyait la création d’une monnaie et d’une Banque centrale communes.
Lors du 8ème sommet de la CEDEAO tenu à Conakry en Guinée, en 1983, il avait été demandé d’engager des études pour la mise en œuvre de cette nouvelle monnaie. On s’est donné ensuite l’an 2000 pour date limite, soit un délai de dix-sept ans.
En 2000, une nouvelle étape a été franchie puisque six pays non membres de la zone franc ont décidé de se constituer en une zone monétaire avant 2003. Ce sont : la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone. A remarquer que la Guinée est le seul pays francophone du groupe.
Ces pays envisagent donc de créer la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest, la ZMAO. Il est prévu de mettre en place : l’Institut monétaire de l’Afrique de l’Ouest (IMAO) ; un Conseil de convergence ; une Banque centrale, la BCAO ; et un Fonds de stabilisation et de croissance, le FSC.
L’IMAO est effectivement entré en service en 2001. Il est implanté à Accra au Ghana. Il a comme attributions la mise en place des conditions requises pour appliquer une politique monétaire commune, la supervision du mécanisme visant à contenir les fluctuations des monnaies nationales, et la surveillance du respect par les Etats membres des critères de convergence.
En 2003, l’IMAO devait laisser la place à la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCAO). Tout comme l’Institut monétaire européen (IME), créé le 1er janvier 1994 à Francfort en Allemagne, a donné suite à la Banque centrale européenne (BCE), le 1er juin 1998. A noter que l’Euro a été adopté comme monnaie fiduciaire, le 1er janvier 2002.
Cette seconde zone monétaire en Afrique de l’Ouest devait donner naissance à une monnaie convertible (certains ont proposé qu’elle soit appelée le Nina), et la fusionner avec le franc de la zone franc, en 2004.
Ce calendrier n’a pas pu être tenu pour de multiples raisons, dont le manque d’une volonté politique forte, et les priorités politiques des Etats de la future ZMAO, qui étaient ailleurs.
Seul pays francophone de la ZMAO, la Guinée n’aurait en réalité trouvé d’intérêt à cette adhésion que dans la mesure où elle aurait pu abriter le siège de la Banque centrale, la BCAO. Il y a peu de chance qu’elle y parvienne, car l’IMAO, l’Institut monétaire de l’Afrique de l’Ouest, qui doit donner naissance à la BCAO, est déjà implanté à Accra au Ghana. Il serait tout à fait logique que la BCAO y prenne place, si elle voit le jour.
A l’heure actuelle, la ZMAO et la BCAO n’ont toujours pas vu le jour. Et beaucoup d’observateurs pensent qu’elles ne le verront jamais, en raison principalement de la trop grande hétérogénéité des structures économiques des six pays candidats à la zone monétaire commune, et du manque de volonté politique.
Faut-il alors que la Guinée se tourne vers la zone franc qu’elle a boudée depuis 54 ans ?
La Guinée doit-elle et peut-elle revenir dans la zone franc ?
Qu’est-ce que la zone franc ? :
La zone franc est un espace géographique, uni par des mécanismes monétaires. Elle regroupe 15 pays africains, en trois sous-zones :
1°) – L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont la monnaie commune est le franc de la Communauté financière africaine (F CFA). Elle regroupe 8 pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. A signaler que la Guinée-Bissau est non francophone (elle est lusophone), ce qui ne l’a pas empêché d’en être membre.
2°) – La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), dont la monnaie commune est le franc de la Coopération financière africaine (F CFA). Elle regroupe 6 pays : Cameroun, République Centrafricaine, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad. La Guinée Equatoriale aussi est non francophone (elle est hispanophone), mais a quand même pu intégrer cette zone monétaire.
3°) – Les Comores, dont la monnaie est le franc comorien (FC) et dispose de sa propre banque centrale (la BCC).
Les pays membres exercent en commun leur souveraineté monétaire. Ils sont convenus de donner cours légal, sur leur territoire respectif, à une monnaie unique. A noter que le produit intérieur brut (PIB) total de la zone franc représente moins de 5 % de celui de la France.
La coopération monétaire entre les pays de la zone franc repose sur trois principes :
– Une parité fixe avec l’ancien Franc français (FF) intégré à l’Euro depuis le 1er janvier 2002, donc une parité fixe avec l’Euro, qui est de : 1 € = 655,957 F CFA (excepté le franc comorien dont la parité est de : 1 € = 491,96775 FC).
– Un institut d’émission commun pour chaque sous-zone : la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ; la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) ; la Banque centrale des Comores (BCC). Chacune de celles-ci conduit la politique monétaire de sa sous-zone et centralise les avoirs extérieurs des Etats membres.
– Une garantie de convertibilité. La libre convertibilité de la monnaie de chaque sous-zone est assurée par le « Compte d’opérations » ouvert auprès du Trésor français par chaque Banque centrale sous-régionale. Les Banques centrales ont un droit de tirage illimité sur ce compte d’opérations en cas de déséquilibre de la balance des paiements des pays membres. En contrepartie de ce droit de tirage, elles doivent déposer sur ce compte 65 % de leurs avoirs extérieurs. Lorsqu’il est créditeur, le compte d’opérations est rémunéré par le Trésor français au taux du marché monétaire. A l’inverse, lorsque ce compte est débiteur, la Banque centrale débitrice paie des intérêts au Trésor français. En cas de découvert prolongé du compte d’opérations, la politique monétaire doit être resserrée et des mesures de sauvegarde et de redressement doivent être envisagées (c’est là que le bât blesse).
Ces mécanismes de coopération monétaire présentent plusieurs avantages pour les pays de la zone franc. La fixité de la parité favorise la stabilité des prix et incite à l’équilibre des comptes publics. En fournissant un accès sans limite aux devises internationales, en limitant les risques de change à l’intérieur de la zone et dans ses échanges hors zone, la coopération monétaire propre à la zone franc contribue à faciliter l’insertion des pays membres dans le commerce international.
En revanche, l’appartenance à la zone franc comporte une absence d’autonomie de la politique économique, et des contraintes budgétaires qui, à long terme, peuvent entraver les tentatives d’industrialisation.
Le dilemme est sérieux. L’arrimage à la zone franc est un garde-fou contre les dérives monétaires, mais crée une zone de basse pression délétère pour une politique active de développement (ce sont les experts de la zone franc eux-mêmes qui le disent, mais cette contrainte existe dans toute zone monétaire commune).
Le retour éventuel du franc guinéen dans la zone franc :
Dès qu’on évoque l’éventualité du retour de la Guinée au sein de la zone franc, les cadres guinéens élèvent une protestation quasi-unanime, au nom de la souveraineté nationale. Cette attitude procède plutôt de la réaction d’amour-propre, qui est irrationnelle.
Tous les pays francophones d’Afrique de l’Ouest sont membres de la zone franc (à l’exception, bien évidemment, de la Guinée). Le pays le plus proche de la Guinée par l’histoire et la géographie, en l’occurrence le Mali, y a fait son retour définitif en juin 1984. Rappelons qu’après l’avoir abandonnée en juillet 1962, le Mali crée alors le Franc malien (FM), mais revient dans la zone franc partiellement en mai 1967, après une dévaluation de 50% ; il reste dans cette sorte d’antichambre de la zone franc jusqu’à sa réintégration totale en 1984. Des non-francophones y ont fait leur entrée, comme la Guinée Equatoriale (hispanophone), en janvier 1985, et la Guinée-Bissau (lusophone), en mars 1997.
Il est vrai que la Guinée (le Gouvernement devrait demander aux Nations unies l’interdiction de la dénomination Guinée-Conakry) ne remplit pas les critères de convergence économique (taux de croissance, niveau de l’inflation, déficit budgétaire) qui sont en vigueur dans la zone franc. Cela ne constitue pas pour autant une raison dirimante. C’est justement pour sortir du marasme actuel que la Guinée devrait y faire son retour.
Pour cela, il faut bien sûr remplir deux conditions :
– Il faut que les huit pays de l’Afrique de l’Ouest, qui en sont membres, et la France, donnent leur accord. Cette condition n’est pas insurmontable. Les deux piliers de la zone, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, n’y feront point obstacle.
– Il faut éponger le déficit abyssal des comptes publics guinéens, opération qui aura un coût élevé. L’entrée dans la zone franc d’un pays comme la Guinée Equatoriale, en 1985, qui présentait le même profil économique et financier que la Guinée actuelle (mais qui est près de 9 fois plus petit par sa superficie et sa population), a coûté au Budget de la France quelque 60 millions de FF de l’époque (l’équivalent de 9 millions d’Euros). Le retour du Mali, pays beaucoup plus grand que la Guinée Equatoriale, mais tout à fait comparable à la Guinée par ses dimensions économiques et sociales, a coûté à la Coopération française 1 milliard de FF de 1984. Trente ans plus tard, le retour de la Guinée coûterait un montant comparable (plusieurs centaines de millions d’Euros actuels), une somme pharaonique pour la Guinée. A négocier avec Paris, avec l’arrière-pensée – ce qui est une arme formidable pour accroître le pouvoir de négociation de la Guinée – de solder définitivement le contentieux né du Référendum d’indépendance du 28 septembre 1958.
Parrainée par la France, la Guinée ferait ainsi son retour dans la zone franc et, par ce biais, se rattacherait par une parité monétaire fixe à l’Euro. Il faut rappeler que les accords conclus lors du lancement de l’Euro en juin 1998 acceptent que la zone franc relève exclusivement des affaires intérieures de la France et disposent que les autres membres de l’Union européenne n’y ont pas droit de regard. De fait, la zone franc est gérée par le Trésor français et non par la Banque de France (qui, elle, est liée à la BCE, la Banque centrale européenne).
Une fois la situation économique et financière normalisée, tous les pays ouest-africains membres de la zone franc, y compris la Guinée, se constitueraient en une zone monétaire africaine autonome, rompant ainsi le cordon ombilical les rattachant à l’Euro.
Pour résister à la tentation du recours à la planche à billets, il faut sortir du cadre étroit d’un seul Etat, « propriétaire » de sa zone monétaire autonome, et prendre part à une vaste zone monétaire qui engloberait tous les Etats de l’Afrique de l’Ouest et qui, de ce fait, soumettrait chacun des pays membres à une stricte discipline monétaire.
Conclusion sur la monnaie :
Cinquante-quatre ans de dérive monétaire dans le cadre étroit d’une zone autonome ont causé à l’économie guinéenne des dommages difficiles à réparer. Le montant cumulé des avances de la Banque centrale au Trésor public a franchi la barre fatidique des 3 000 milliards de FG, ce qui est le principal carburant de l’inflation et de la dépréciation de la monnaie guinéenne.
De 1 dollar pour 360 FG le 1er janvier 1986, lors de la dernière réforme monétaire, le taux de change du franc guinéen caracole, à l’heure actuelle, à des hauteurs stratosphériques : 1 dollar pour 7 000 FG, en moyenne ; 1 euro à 9 500 FG ; 1 F CFA = 14,57 FG (contre 1 F CFA pour 1 FG, le 1er janvier 1986) ; le cours FG-F CFA est totalement aberrant (si on le compare aux cours respectifs Euro-F CFA et Euro-FG). Et la dérive continue.
Le taux de change d’une monnaie, qui représente son prix par rapport aux autres monnaies, constitue le repère par excellence pour les opérateurs économiques. S’il change tous les jours, comme c’est le cas à l’heure actuelle, ceux-ci perdent le nord.
Malgré ou à cause du flottement généralisé des monnaies depuis la fin de 1971 (abandon de la parité fixe du dollar avec l’or), on observe sur tous les continents des tentatives de regroupements régionaux, car « la mondialisation va de pair avec la régionalisation » (Rapport Cyclope), sur la base de zones monétaires unifiées. Face à la zone Dollar des Etats-Unis, il y a désormais la zone Euro au sein de l’Union européenne. En Asie, la Chine, qui est quasiment un continent et qui s’est hissée au premier rang des grandes puissances économiques mondiales, constitue la zone Yuan, comparable à la zone Dollar.
En Afrique de l’Ouest, la ZMAO – qui cherche à regrouper le Nigeria, le Ghana, la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone et la Gambie, dont les structures économiques sont trop hétérogènes – est un projet qui risque, quant à lui, de ne jamais voir le jour, en raison surtout du manque d’une réelle volonté politique. Sans compter que le Nigeria, qui pèse d’un trop grand poids par rapport aux autres, est tenté de les dominer et de les écraser. Alors que le Liberia hésite à quitter sa zone qui est plus ou moins affiliée au dollar. Le Cap Vert, quant à lui, a fait faux bond dès le départ, en négociant directement des liens privilégiés avec le peso du Portugal (ancienne puissance colonisatrice) proches de ceux qui unissent la France et les pays de la zone franc. De quoi déculpabiliser l’éventuel retour dans la zone franc (qui est plus jaloux de sa souveraineté que le Mali ou le Cap Vert ?).
Pour ne pas perdre encore plus de temps qu’elle n’en a déjà perdu, la Guinée aurait intérêt à rejoindre l’UEMOA. Ensuite, tous les pays membres de cette union monétaire pourraient envisager, ensemble, de prendre leurs distances par rapport à l’Euro et se constituer en une zone monétaire spécifique, embryon d’une zone monétaire ouest-africaine plus large (s’étendant à toute la CEDEAO). Etant entendu que « le maintien d’une zone monétaire spécifique [pour la seule Guinée] serait un facteur permanent d’instabilité, compte tenu de la position géographique de la Guinée et des courants d’échange traditionnels dans cette zone de l’Afrique. » (L’Economie politique de la Guinée, p.179).
Si, tous comptes faits, les cadres guinéens s’opposent au retour de la Guinée dans la zone franc, pour des raisons idéologiques et d’amour-propre, il restera alors à procéder, de toute façon, à une nouvelle réforme monétaire qui pourrait s’inspirer de la création du nouveau franc le 1er janvier 1960 par le général de Gaulle (1NF = 100 F), ou de la réforme du rouble le 1er janvier 1998 par Boris Eltsine (1 nouveau rouble valant 1 000 anciens roubles). Dans le second cas, la réforme avait un but purement pratique : réduire le nombre de zéros, ce qui facilitait la manipulation de la monnaie (dont la valeur fut inchangée) pour le grand public.
Cette réforme devrait s’inscrire alors dans le cadre d’une loi instituant une nouvelle émission monétaire (nouveaux billets de banque). Une nouvelle parité serait fixée comme suit : 1 NFG (Nouveau franc guinéen) = 10 FG (ancien Franc guinéen). Tous les prix et les salaires seraient divisés par 10. A titre d’exemple, le Smic actuel, qui est de 440 000 FG serait ramené à 44 000 NFG, équivalant (en termes nominaux, ce qui est très symbolique) au Smic dans les pays voisins exprimé en F CFA. La valeur de la monnaie ne serait pas changée, donc pas de dévaluation du FG (contrairement à la création du NF en 1960, qui avait été marquée par la dévaluation du franc de 17,5%). Cette opération aurait pour objet de créer un grand choc psychologique (l’économie est beaucoup mue par les facteurs psychologiques). Comme ce fut le cas lors de la création du syli le 2 octobre 1972. Mais les effets d’une telle opération ne peuvent être durables que si elle est accompagnée d’une restructuration en profondeur de l’économie guinéenne.
Ce serait l’occasion de réviser complètement le rôle de la BCRG. A l’heure actuelle, ce rôle est directement inspiré de celui de la Banque centrale européenne, ce qui est une totale aberration : « L’objectif principal de la Banque centrale est d’atteindre et de maintenir la stabilité des prix. L’objectif supplémentaire est de promouvoir un système financier stable. » (Article 9 du Statut de la BCRG du 7 Février 2009). Dans tous les autres pays qui se veulent souverains comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, la Banque centrale ne se limite pas à la lutte contre l’inflation. Elle se fixe aussi comme objectif de soutenir la croissance économique. Comment ne peut-il pas en être ainsi dans un pays en développement ? Il faut donc que la BCRG s’assigne également ce double objectif : combattre l’inflation et soutenir la croissance.
La réforme bancaire :
Sous la IIème République, le système bancaire a été revu de fond en comble. Toutes les banques publiques ont été liquidées. A l’heure actuelle, 12 banques mixtes ou privées sont opérationnelles. Mais leurs opérations sont à 80% des opérations commerciales à court terme, notamment d’importations. C’est dire qu’elles financent peu ou pas le développement.
Il s’avère indispensable de créer un pôle bancaire public pour soutenir la production. Des banques disposant de ressources longues pour promouvoir les activités productives. C’est pourquoi, la création d’une banque de développement agricole, par exemple, est nécessaire pour assurer le crédit aux paysans. Il n’y a que les banques publiques qui peuvent se soucier des investissements productifs et pas seulement des opérations commerciales.
Une superstructure autonome pour piloter le développement
La Haute-Route du développement (HRD) détermine, comme nous venons de le voir, la stratégie de politique économique et sociale à suivre à court, à moyen et à long terme, pour accélérer l’émergence de l’économie guinéenne. Elle doit être supervisée, élaborée et mise en œuvre par une superstructure autonome, placée au-dessus du Gouvernement. Cette institution nouvelle est donc à inscrire dans la Constitution au même titre que la Cour constitutionnelle (CC), le Haut Conseil des collectivités locales (HCCL) ou encore l’Institution nationale indépendante des droits humains (INIDH). Elle pourrait prendre la dénomination, par exemple, de Haut Commissariat au développement (HCD).
Le HCD devrait remplacer le Conseil économique et social. Ce « machin », qui ne sert strictement à rien dans un pays en développement, est inspiré du Conseil économique, social et environnemental français dont beaucoup demandent aujourd’hui l’abolition pure et simple. On sait qu’en France, il sert surtout à recycler d’anciens ministres en mal de portefeuille ou à caser des amis politiques. On a même vu une ancienne actrice désargentée y faire son entrée. C’est le comble de l’insignifiance.
Le Haut Commissariat au développement devrait comprendre 24 experts de haut niveau : économistes, statisticiens, démographes et sociologues. Ils représenteraient la tour de contrôle de l’économie nationale. Cela n’empêche évidemment pas l’existence du ministère du plan dans le Gouvernement. Le HCD doit veiller à ce que l’Etat mène une politique économique active, en un mot, à ce que la puissance publique inspire, oriente et donne un sens à l’action économique.
Nous sommes arrivés au terme de cette longue pérégrination. J’invite les uns et les autres à une discussion – pour employer le langage diplomatique – franche, loyale et sereine, en sachant que nul ne détient la vérité à laquelle tout le monde doit se plier. De ces échanges peut naître un modèle de développement approprié pour la Guinée.
Alpha Sidoux Barry
Economiste et journaliste professionnel
Président de Conseil & Communication International (C&CI)
A 67 ans révolus, après avoir enseigné l’économie au CER du 2 Août, à l’Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser, à l’Institut Polytechnique Julius Nyéréré et dans divers établissements d’enseignement technique à Abidjan en Côte d’Ivoire, après avoir été consultant en Guinée, au Sénégal et en Guinée Equatoriale, après avoir été pendant 22 ans rédacteur-économiste puis rédacteur en chef à Jeune Afrique et Jeune Afrique Economie, après avoir écrit ou contribué à quatre ouvrages d’économie, à la retraite depuis 2012, je pense pouvoir m’appuyer sur toute cette expérience accumulée depuis plusieurs décennies pour proposer aujourd’hui un modèle de développement qu’on pourrait adapter à la Guinée.