La fausse main tendue d’Alpha Condé à l’Opposition guinéenne

A son retour du Libéria, Alpha Condé, dans un message à la Nation, a surpris tout le monde. Pour la première fois, depuis son investiture, celui qui voulait, mordicus, recommencer le recensement ou réviser la liste électorale et contrôler la CENI, tend la main…

Il déclare «  la Guinée a déjà trop souffert tout au long de son histoire pour l’instauration d’un véritable Etat de droit. Ce sacrifice ne saurait être vain. C’est pourquoi, me mettant à l’écoute du peuple qui aspire à la paix, à l’unité, à la sécurité et au bien être, j’ai instruit le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation d’entamer sans délai  le dialogue avec tous les acteurs de la vie politique et du mouvement social »

Il ajoute que l’objectif du dialogue est de créer une plate forme en vue de dégager un minimum de consensus (à défaut de chercher le maximum) sur  les meilleurs moyens pour organiser une élection législative, équitable transparente et crédible.

 

Un dialogue sous forme de monologue

Bien qu’il demande à son Ministre Alassane Condé de tendre la main (c’est dommage qu’il ne tende pas directement sa main en les invitant officiellement), il pose les conditions. Il décide que « la révision de la liste électorale suivie de la délivrance des cartes biométriques et de carte d’identité pour tous les citoyens constituera le départ pour créer les meilleures bases pour l’organisation d’une élection législative équitable inclusive ».
Or, la volonté unilatérale du gouvernement de réviser les listes électorales, se substituant à la CENI, qui est l’institution chargée de la mise à jour du fichier électoral, constitue la pomme de discorde entre le pouvoir et l’opposition. Un dialogue implique que les deux interlocuteurs expriment leurs préoccupations/visions et tentent de se mettre d’accord sur des points clefs de la discussion.

Un poignard dans le dos

Au lendemain de cette invitation au dialogue, c’est une nouvelle stupeur qui attend les Guinéens. L’étrange attaque de la maison d’Alpha Condé à Kipé où il a courageusement attendu dans les pièces voisines que des bazookas et autres lances roquettes effeuillent sa chambre et les pare-brises des véhicules garées dans sa concession. Avant même que ne soit engagée  l’enquête et la procédure judiciaire, Alpha Condé a une idée très précise des commanditaires.
Il n’en garde pas moins une obsession de sa liste électorale comme le montre cet extrait de son interview sur RFI :
« Pour ma part, j’appelle le peuple au calme et je demande à tout le monde de reprendre le travail. Et je vais faire un discours pour demander que l’on discute avec tout le monde. Il faut que l’on se mette d’accord sur la révision de la liste électorale pour que l’on ait une élection crédible et démocratique. Mon souci c’est l’unité du pays et la réconciliation ; que l’on ait des élections libres et transparentes pour que le processus démocratique soit irréversible en Guinée. Le reste est l’affaire de la justice […].J’ai fait une déclaration hier [lundi] où j’ai annoncé que l’on allait faire la révision de la liste électorale. J’ai appelé le ministre de l’Administration du territoire à rencontrer tous les partis politiques et mouvements sociaux. Il faut que tout le monde s’asseye autour d’une table pour trouver un minimum de consensus pour la révision de la liste électorale. Jeudi, il y aura une réunion de l’ensemble de la société civile, des syndicats et des partis politiques. Le ministre reçoit les partis demain. On va voir maintenant tous les problèmes posés, mais il faut que tous les Guinéens puissent voter ».
En guise de table ronde, c’est une chasse à l’opposition qu’Alpha Condé a organisé, en tentant, au passage de bâillonner la presse. Les opposants sont directement pris pour cible par les meutes de bidasses lancées à leur trousse. Ils ne se contentent pas de perquisitionner et d’interpeller, ils saccagent, intimident parents et amis. Le gouvernement et son armée n’ont cure de l’article 3 de la Constitution qui dispose que « les partis politiques concourent à l’éducation politique des citoyens, à l’animation de la vie politique et à l’expression du suffrage » et qui  reconnaît  les droits des partis politiques de l’opposition de s’opposer par les voies légales à l’action du gouvernement et de proposer des solutions alternatives.
Exit pour le pouvoir les dispositions constitutionnelles qui disent que l’Etat doit promouvoir le bien être des citoyens, protéger et défendre les droits de la personne humaine et les défenseurs des droits humains, veuille au pluralisme des opinions et des sources d’informations (art 23), que la loi garantit à tous l’exercice des libertés et des droits fondamentaux (art 24), d’assurer la promotions des conventions internationales sur les droits de l’homme (art. 25.
Pour Alpha Condé et son gouvernement, seul compte son égo, peu importe pour eux la violation des droits des autres. Telle est sa conception du fonctionnement de l’Etat. Une attaque à son domicile justifie pour lui la violation des droits des partis politiques et des citoyens.

Le choix du pourrissement

Pendant qu’il mène la chasse armée à l’opposition, il n’en perd pas moins son objectif prioritaire d’avoir une CENI aux ordres qui va exécuter sa révision des listes électorales.
Lounceny Camara dont l’élection en octobre en violation de la loi instituant la CENI est la cause du blocage actuel de cette institution, est investi pendant que l’opposition est terrée, de peur d’être prise pour du gibier par une soldatesque dont certains sont habillés en civils mais lourdement armées. Lounceny Camara réédite son exploit d’octobre 2010 qui avait été à l’origine du choix d’un Malien à la tête de la CENI. Alpha et Alassane Condé ont ainsi réussi leur dessein de faire essaimer leurs pions au sein de la CENI.
A l’origine, la CENI comptait 25 membres, 10 issus de l’opposition et 10 issus de la majorité sous l’ère du PUP, trois des organisations de la société civile et deux représentants de l’Administration. Les représentants de la société civile étaient : feu Ben Sékou Sylla, Lounceny Camara et Fodé Abass Bangoura. Ce dernier a démissionné au lendemain du premier tour de la présidentielle et le premier est décédé. Aujourd’hui Lounceny Camara est le seul représentant restant de la société civile. Il a toutefois montré son absence de probité et d’intégrité le disqualifiant pour rester membre de la CENI.
Le 21 juin 2011, Alpha Condé a démis deux membres de la CENI, Abdoul Karim Bah et Cheick Fantamady Condé qui étaient les deux représentants de l’Administration. Sans aucune concertation avec l’opposition. Il les a remplacés par Cheick Mohamed Konaté et El Hadj Mohamed Cissé.
La veille Lounceny Camara président contesté de la CENI avait suspendu Thierno Seydou Bayo, chargé de Communication de la CENI, (représentant l’ancienne majorité (PUP)). Lounceny Camara n’a aucun pouvoir de suspendre qui que ce soit. En effet, l’article 44 du Règlement intérieur de la CENI stipule que ce sont le bureau ou l’Assemblée plénière qui prononce les sanctions disciplinaires : l’avertissement verbal par le bureau, l’avertissement écrit sur décision de l’Assemblée plénière ou la suspension provisoire prononcée par l’Assemblée plénière. Même le bureau n’a pas le pouvoir de suspension, a fortiori le président de l’Institution. Ainsi, non content de violer la loi, il s’octroi de pouvoir d’exclure. Ce qui est encore plus déplorable, aucun autre membre de la CENI, ou aucun parti politique n’a souligné cette violation des textes. Or la CENI, suivant l’article 4 de la loi l’instituant « veille à ce que la loi électorale soit appliquée et respectée aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs ».
Comment une CENI qui méconnaît ses propres règles de fonctionnement peut faire respecter la loi ?
Suivant l’article 8 du Règlement intérieur, le bureau est entre autres, chargé de coordonner les activités de la CENI et d’exécuter les décisions de l’Assemblée plénière. Or avec Lounceny Camara, c’est l’inverse qui se dessine. Il signe un protocole d’accord sans consulter ses pairs et devant la protestation légitime de ces derniers, il s’arroge des prérogatives de sanction que la loi ne lui confère pas. Pire il usurpe le poste de président dans une élection similaire à la précédente qui lui avait valu la contestation de ses pairs. Dans un contexte de peur, car ceux qui sont à l’origine de la manœuvre pour le cramponner au poste de président ont réussi à terroriser l’opposition, à exclure les membres gênants, transformant les autres en figurants exécuteurs. Comprennent-ils seulement le sens de l’intégrité, de la probité, la bonne moralité et l’indépendance d’esprit qui sont les qualités exigés d’eux ?
Le pouvoir ne peut pas unilatéralement modifier la composition de la CENI. C’est le consensus qui prévaut d’où un dosage entre majorité et opposition. En principe, même si la donne a changé, aujourd’hui, si les commissaires remplissaient les critères requis, il leur revenait de remplir leur mission jusqu’à la fin de leur mandat. La loi et le Règlement intérieur ont omis de mentionner la durée du mandat. Toutefois, l’article 14 indique que le bureau de la Commission est mis en place pour un mandat de cinq ans. Le bureau actuel de la CENI a été mis en place le 16 décembre 2007. Il était composé de :
Mr Ben Sekou Sylla Président,
Mme Hadja Aminata Mame Camara (ancienne majorité)
Et  El Hadj Amadou Oury Baldé, (ancienne opposition) Vices présidents
Mr Foumba Kourouma, (ancienne opposition) Rapporteur
Mr Mamadou Telly Diallo,  (ancienne majorité) Trésorier
Théoriquement les membres de ce bureau restent en fonction jusqu’en 2012, s’ils n’avaient pas failli.
Ben Sekou Sylla est décédé après le premier tour de la présidentielle, que dit la loi pour sa succession ?
L’article 49 du RI stipule qu’en cas de décès, d’empêchement …le remplacement est fait dans les mêmes conditions ayant présidé sa nomination. Ceci nous renvoie implicitement à l’article 15 de la loi instituant la CENI qui dispose que « le Ministre chargé de l’intérieur convoque la première session de la CENI pour l’élection de son Président par bulletin secret. La majorité et l’opposition désignent chacune un vice président. Elles désignent par consensus un Rapporteur et un Trésorier ».
Il est curieux que l’élection des vices présidents et le renouvellement des différents départements soient prévus dans un proche avenir, ce qui constituerait une violation de plus des textes. Si la CENI et le gouvernement veulent se montrer cohérents avec eux mêmes, il n’y a que le président qui est à remplacer (Ben Sekou). Ils ne peuvent pas davantage narguer l’opposition en sélectionnant qui changer, qui remplacer, alors que techniquement il n’y a qu’un membre à remplacer. Mais compte tenu de l’avancée de la recomposition hors concertation opérée par Alpha Condé, cette CENI n’a plus sa raison d’être. Elle s’est disqualifiée.
Avec la recomposition unilatérale amorcée par Alpha Condé, la CENI est désormais viciée. Elle n’est plus régie par le consensus mais par la volonté d’Alpha Condé, qui y avait déjà un représentant en la personne de Ibrahim Khalil Keita.
Désormais la majorité de la CENI est composée du PUP et du RPG, la société civile y est écartée et l’opposition actuelle sous représentée car certains membres de l’opposition en 2007, au moment de l’adoption de la loi, sont désormais au pouvoir ou lui est affilié à l’instar de l’UPR. On est loin de la parité et du consensus dans la mesure où Alpha Condé s’est assurée d’avoir recomposé la CENI avant d’organiser l’intronisation de Lounceny Camara.
Ce n’est pas la meilleure méthode pour engager un dialogue sincère et franc. Le Le 22 juillet 2011, le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, Said Djinnit a d’ailleurs demandé à Alpha Condé «d’ engager un dialogue avec l’opposition » (après l’attaque contre le palais présidentiel). Il a souligné « la nécessité d’engager un dialogue avec les partis politiques d’opposition afin notamment de trouver un consensus sur les modalités des prochaines élections législatives ».

Les artistes montent au créneau

Le dialogue est le nouveau leitmotiv en vogue. C’est la nouvelle rengaine de Fodeba Isto Keira qui s’est improvisé compositeur. Il a mis son « argent » à contribution pour enregistrer dans le studio de Mory Kanté, sous la direction du Maestro (svp) Ansoumane Camara surnommé petit Condé (est-ce en lien avec le miraculé de Kipé ?) « le destin » qu’il a dédié à Alpha Condé (une fois n’est pas coutume). Il est allé livrer son message de paix au CNT, qui à défaut d’assumer son rôle de gardien des droits et libertés et de contrôle de l’action gouvernementale, s’est trouvé une nouvelle occupation de transmetteur des doléances au chef de l’Etat. Isto keira, avec son « chef d’œuvre musical » de dix minutes et treize artistes, a dédié à sa muse cette mesure « il se doit en toute humilité, en toute grandeur et sagesse, de tendre la main à l’opposition, à ses frères premiers ministres Sidya Touré, Cellou Dalein, Lansana Kouyaté, Jean Marie Doré ou ministre Mouctar Diallo » ( a-t-il omis lamine Sidimé ou kabinet Komara) ? Le nouvel artiste de la chanson dit s’inspirer de Sory kandja Kouyaté qui aurait réconcilié Modibo keita du Mali et son voisin Lamizana d’alors la Haute Volta, actuel Burkina Faso à Conakry dans les années 70 (disons plutôt 60).
Un autre artiste, confirmé et engagé celui là, a décidé d’asséner certaines vérités à celui qui se croit toujours en campagne électorale avec des discours qui exacerbent la division. Le reggae man et prix de la découverte RFI 2011, Elie Kamano pense que « Alpha Condé ne doit pas diriger dans l’exclusion. Il ne peut pas se permettre d’exclure une communauté quel qu’elle soit ». L’homme engagé conclut sur son intention de rester au pays « j’ai osé les militaires, ce n’est pas un civil que je vais fuir ».

Un dialogue franc est sincère n’est pas synonyme de foire

Finalement, la main faussement tendue s’est traduite par une grande rencontre sous l’égide on ne sait plus si c’est du premier ministre ou des organisations de la société civile. L’opposition, à juste titre, a boudé cette cérémonie grotesque. L’ancien PM, JMD, qui était dans tous ses états après l’attaque de la résidence d’Alpha Condé, a insisté sur le fait que les partis de l’opposition sont importants et ne pouvaient pas être ignorés «  Si les collègues du collectif ne sont pas là, il faut tout faire pour qu’ils soient là, c’est très important. S’ils ne sont pas là, ce débat ne sera rien. On n’est pas là pour faire l’apocalypse. Mais pour résoudre les problèmes qui vont rendre efficace la Commission électorale et le ministère de l’administration pour organiser correctement les élections, sans tricherie. Nous sommes habitués à la voltige du ministère de l’Administration du territoire qui triche ». Dire qu’il y a quelques mois, il jouait la même partition qu’Alassane Condé avec les lois et ordonnances qu’il a voulu introduire pendant la transition et qui sont la trame du renversement des rôles entre la CENI et le Ministre de l’Administration du Territoire.
Au lieu d’un cénacle entre le pouvoir et l’opposition pour discuter sérieusement des points d’achoppement et chercher une issue satisfaisante avant l’élargir le cercle de concertation, le pouvoir organise ce qu’il sait faire le mieux, la mamaya. Il veut ainsi diluer  l’opposition dans la nuée des partis qui ont vu le jour ces deux dernières années (plus de 120) et se sont placés sous le sillage du pouvoir.
Cependant le nouveau Premier Ministre fictif a reflété les volontés de son président  en se focalisant sur la question de la liste électorale en parlant de « un fichier électoral fiable et une carte électorale sécurisée ». Hum dire que les Guinéens ont été recensés après avoir présenté leurs cartes d’identité et qu’ils ont du apposer leurs doigts dans de l’encre et qu’après ces opérations, des cartes avec nos photos et leurs empreintes leur ont été délivrées ?
De qui se moquent les autorités qui exigent des cartes électorales sécurisés qui ont déjà été faites l’année dernière. A ce sujet, il ne restait qu’à régler le problème de quelques électeurs qui disposaient de récépissés. Pourquoi cette obsession de réviser la liste électorale pour quelqu’un qui est sûr d’être passé de 18% au premier tour à plus de 50% au second ? Reconnaît-il avoir implicitement triché ?
Puis, il faut expliquer à Alpha Condé que dialogue ne signifie pas participation au gouvernement. Dans une interview à RFI (21 juin 2011), face au constat du journaliste sur l’absence de dialogue avec son challenger du second tour, il déclarait «  moi, je suis président de tous les Guinéens. Ce qui veut dire qu’il y a un dialogue avec moi. Je me suis bagarré avec personne ».
Dire que cet ancien opposant historique a vécu la plus grande partie de sa vie en France où malgré les divergences entre le pouvoir et l’opposition, une tradition de concertation s’est instaurée où le Président reçoit à certaines périodes les représentants de l’opposition pour échanger avec eux.
Ce qui est sûr, par son comportement, Alpha Condé a montré ses limites de dirigeant digne. Il n’a rien d’un Mandela, rien d’un Obama, des noms symboliques qu’il s’est abusivement attribué. Il est le digne représentant de celui dont il revendique aujourd’hui l’héritage politique après avoir prétendu l’avoir combattu, le dictateur sanguinaire, Ahmed Sekou Touré.

Hassatou Baldé