Analyse de Lamarana Petit sur la nomination du tout premier ministre M. Kassory Fofana dans le contexte sociopolitique de la Guinée:
La Guinée a un nouveau premier ministre. Un de plus diront les mauvaises langues. Seulement, bonnes ou mauvaises, elles s’accordent sur un fait. Ce premier ministre-là a quelque chose de différent. Et le problème risque de venir de ce côté-ci prédisent toujours les mêmes langues.
Peut-être serait-ce plutôt la solution et non le problème. L’un dans l’autre, une nouvelle équation à plusieurs inconnues se posent tant sur le paysage politique guinéen actuel que sur celui de demain.
Au lieu de faire la biographie du « Nouvel Elu du Professeur » comme l’ont fait des portraitistes de tout genre et de tout acabit dans un CV tellement parfait qu’il frise l’hagiographie, rappelons certains critiques ou qualificatifs entendus de- ci, de-là.
Kassory Fofana est pour les uns « un vieux de la vieille qui traine des casseroles depuis le temps du Général. C’est un monsieur sympathique. Il est brillant, compétent, intelligent, capable. Il a une personnalité qui tranche. Il est ouvert. Il fera l’affaire », etc. On pourrait dire l’affaire de qui ? De la Guinée ? Du président qui l’a nommé ? Ne jouons pas au prédicateur, on verra bien.
D’un parcours plutôt universitaire et administratif que politique, Kassory, réservons-nous du sobriquet « Don Kass » qu’intimes et râteliers de circonstances ont remis au goût du jour, a fort à faire depuis le 21 mai 2018, date de sa nomination. C’est de Lapalisse de le dire. Qu’on ne se le cache pas, il en a plus que ces deux prédécesseurs. Disons en passant que ceux-là ont bien joué leur rôle de premier ministre bien que bon nombre de nos compatriotes ne le leur reconnaissent pas. Ignorance de la fonction dans un régime présidentiel ou simple volonté de discréditer ? Passons.
Dans tous les cas, il sera très difficile à un premier ministre de quelque pays que ce soit de changer un système, un régime et son orientation. Tout simplement parce qu’il n’a ni les clés du changement ni la mission. S’il lui arrivait de vouloir changer ce que le président veut maintenir, il sait la direction qu’il prendra : celle qui mène à la porte. Alors, attendre du nouveau premier ministre un quelconque changement est presqu’un leurre. Du moins, une exigence qu’il ne pourrait satisfaire car il n’est que le premier des ministres pour dire les choses simplement.
En revanche, il peut appliquer le changement insufflé et décidé par le président. Il peut être le phare, l’éclaireur, le meneur d’équipe si la volonté venait du sommet. Ce rôle-là, Kassory pourrait bien le remplir s’il en a la volonté et les qualités ou capacités que les uns et les autres semblent lui reconnaitre. Cela dit, essayons plutôt de voir ce qu’impliquerait la nomination de M. Fofana à la primature.
A mon avis, il y a plusieurs facteurs mais je n’en retiendrais que les plus importants.
Premièrement, le président guinéen est à la jonction de son mandat. C’est-à-dire au beau milieu du gué. En termes moins fleuris à la moitié de son deuxième et dernier quinquennat. A ce jour, pros ou anti- Condé reconnaissent que les résultats n’ont pas été à la hauteur des promesses.
Secundo, la corruption est si galopante qu’elle battrait, à sa vitesse actuelle, Pégase lui-même. La misère des populations est des plus criantes. L’insécurité diurne et nocturne n’a jamais connue un niveau aussi élevé. A ce rythme, il est fort à craindre que tous les Guinéens ne soient kidnappés par les bandits et gangs de toutes sortes. Ne sont-ils pas devenus en peu d’années le cauchemar des populations ?
N’en parlons pas de la misère quotidienne : la poussière, si ce n’est la boue et les éboulements meurtriers des tas d’immondices complètent le tableau sombre de la mandature passée et actuelle. Sans méconnaitre ce qui a été fait, il ne serait pas exagéré de dire que l’état du pays n’est pas plus reluisant qu’en 2010.
Tertio enfin, les crises politique, sociale et syndicale dépassent les pires années sombres que la République ait connues depuis 1958. La vie de nos compatriotes est autant réglée par le rythme de ces crises que les jours du Bon Dieu. On pourrait ironiser la situation si elle n’était pas aussi dramatique en disant que les Guinéens et les crises sont comme des concubins : on se quitte jusqu’au prochain rendez-vous. Et, tentation oblige, on sait que ce sera au plus tôt possible.
Le président en paie parfois le prix fort. La journée du 8 mars 2018 marquée par le couac entre lui et les femmes en est l’illustration. La promesse de changement de gouvernement n’est-elle pas la conséquence de la réaction très peu respectueuse de ces dernières à son égard ? Un président hué sait que quelque chose est rompu avec ses administrés. Il fallait donc une porte de sortie.
Changer de gouvernement est dès lors devenu plus qu’une nécessité. Il y avait urgence quoi que le président ait fait retarder l’échéance. Histoire de montrer qu’il garde la main. Mais on en convient que ni les voyages avec leurs innombrables retombées sous forme d’accords et contrats, pas plus que les annonces présidentielles lors de rencontres ou de manifestations du genre « Journée du paysan ; Guinée capitale mondiale du livre », n’ont redoré l’image du chef de l’Etat guinéen.
Le nouveau premier ministre, je ne m’étendrais pas là-dessus, a décliné ses priorités. A mon avis, on pourrait ajouter que la priorité des priorités devrait être « sauver le soldat Alpha ». Ce serait l’une des conditions qui permettrait à son mentor de terminer sa deuxième mandature différemment de la première.
En tout état de cause, préparez un troisième mandat serait l’une des raisons de la nomination de Kassory prédisent certains. Nous verrons bien ! Les patates ne cuisent que lorsqu’elles sont sur le feu, dit-on. Alors attendons et ne faisons pas dans la supputation comme je le disais plus haut.
Il est évident que, dans les conditions actuelles, un troisième mandat qui pointerait à l’horizon risquerait ne pas voir le lever du jour tant il serait crépusculaire. Passons et laissons aux politiques de savoir s’il y a des intentions cachées ou malsaines dans la nomination de ce troisième premier ministre du professeur-Président. Oh ! Du président-professeur tant ses gestes instruisent ses compatriotes.
Pour en revenir aux enjeux de la nomination de Kassory Fofana, je dirai que cette nomination ressemble fort bien au risque que prend le turfiste : placer son joker pour un succès inattendu. Par conséquent, s’il s’agit d’une volonté de sortie honorable par la porte de l’histoire avec le concours d’un premier ministre populaire et, comme le disent certains, capable et dynamique, ça se verra. Déjouer les jeux politiciens qui sourdent dans le camp du président et mettre fin aux velléités internes, cela ne saurait tarder à se dévoiler.
N’a-t-on pas entendu des propos du genre « on a présenté le président, il ne sera pas candidat pour un troisième mandat ? Si l’intention est de s’attacher les faveurs d’une région, (au risque de perdre d’autres) en faisant preuve d’une fidélité décennale en lui donnant trois premiers ministres d’affilé, ce mystère se dévoiler sous peu. Serait-ce enfin, la réalisation d’une promesse dont on se souvient : « d’ici la fin de mon mandat, il n’y aura plus d’opposition en Guinée ? Wait and see !
Quoi qu’il en soit, la réponse viendra dans un futur immédiat. Quant à l’opposition, elle aurait tout à gagner de prendre comme un évènement politique majeur la nomination de Kassory Fofana comme premier ministre. Mieux, comme un tournant qui pourrait être déterminant dans le présent et le futur politique tant d’Alpha Condé, du nominé que de cette opposition elle-même. En tout état de cause, une nouvelle stratégie, (on me répondra, c’est la même rengaine) devrait être mise en place rien que pour disséquer les enjeux et parer à toute éventualité.
Je dis d’ores-et-déjà qu’il ne sert à rien de s’attaquer à l’homme Kassory, ni à ce qu’il représente. Il faudrait l’attendre sur le terrain politique. Il serait utile d’avoir en mémoire qu’un premier ministre est presque comme les autres avec en plus le fait d’être le fusible le plus exposé et en même temps l’homme à tout faire. Ce dernier aspect de la fonction pourrait servir afin de scruter les intentions de l’opposant d’hier qui se retrouve en position aujourd’hui. Mais de quelle pourrait-il s’agir ?
Le tout dépendra de la nature et de la solidité du mariage entre les deux partis (RPG/GPT) pour ne pas dire du remariage entre les dirigeants de ces partis qui vient d’enfanter le remaniement en question.
Quoi qu’il en soit, il faut toujours prêter des bonnes intentions à un nouveau promu, fusse-t-il un adversaire de taille. Ce à quoi s’accorde l’opposition ou ce qui en reste aujourd’hui.
En ce qui me concerne, je dis bonne réussite au nouveau premier ministre si son action devait servir toutes les Guinéennes et tous les Guinéens autrement ce qu’ils ont connu depuis quelques décennies 》.
Lamarana Petit Diallo, membre du bureau exécutif national de l’UFDG