Sauf changement de dernière minute et de date, comme ça a souvent été le cas, le Forum de la diaspora s’ouvre ce mercredi 24 janvier 2018 à Conakry.
Tout avait commencé par une circulaire mal rédigée, du ministère des Affaires Étrangères et des Guinéens de l’étranger, au dernier trimestre de 2017.
Dans cette lettre, le ministère tenait à informer les 4 millions de Guinéens de l’extérieur de sa volonté de mettre en place, un Haut Conseil des Guinéens de l’étranger.
L’idée, bien que séduisante, n’avait rien de nouveau. Elle réapparaissait dès que des élections électorales étaient en vue, mais était mise dans les oubliettes, une fois la période électorale passée.
Donc, une fois le courrier reçu et partagé, les tractations avaient immédiatement commencé. Les divisons aussi. Car divisions, il y en a toujours eu au sein de la diaspora guinéenne. Et sur ce plan, on ne peut attribuer l’entière responsabilité au gouvernement actuel.
Là où le gouvernement du président Alpha Condé a péché, c’est d’avoir profité de ces divisions pour encore mieux diviser les différentes parties. …Cette belle occasion de voir la communauté affaiblie, ne pouvait pas ne pas être expliquée. Et au lieu d’encourager les Guinéens à renforcer leur fraternité en territoire étranger, le gouvernement du président Alpha Condé n’a fait que renforcer ces divisions dans l’unique but de contrôler le vote de la diaspora ainsi que les décisions prises par celle-ci.
Si le gouvernement a toujours eu le contrôle total de la situation à l’intérieur du pays, alors tel n’avait pas été le cas hors des frontières du pays. Les manifestations de protestation à Paris, Washington, Bruxelles, New York contre la politique adoptée par le chef de l’État guinéen et sa tentation pour un éventuel troisième mandat, n’ont jamais été appréciées par les autorités guinéennes. Et il fallait à tout prix dissoudre, le peu qui existait.
Des associations apolitiques qui avaient existé jusque-là pour réunir la diaspora autour des baptêmes, pendant les décès, les graduations, les cérémonies de l’indépendance etc., étaient devenues un instant caduques ou remises en question.
Comme en Guinée où les coordinations régionales ont empoisonné l’atmosphère politique et sociale, tout devrait désormais être vu sous l’angle ethnique, tribal, régional.
C’est ainsi qu’est récemment apparu, le phénomène des coordinations régionales à l’extérieur du pays, tout comme on le voit au bercail.
Quand des décès surviennent par exemple et qu’il fallait ramener les corps, avec des tarifs insupportables pour les familles, les Guinéens de toutes ethnies, se mobilisent comme un seul homme, pour rapatrier la dépouille, bien avant l’État ou l’ambassade qui n’a pas les moyens. Un jour, à Montréal, c’est l’ensemble de cette communauté qui était à l’aéroport pour empêcher toute une famille d’être expulsée. Et ça avait marché, la famille n’a pas été expulsée. Les exemples de l’élan de solidarité et de fraternité de ce genre ne pourront jamais être comptabilisés ou détaillés en quelques lignes. Et dire que c’est toute chaîne d’entraide que veut créer le gouvernement à travers cette campagne de discorde.
La pagaille, ainsi que le désordre sciemment organisé, ont eu pour effet, et au fil du temps, (surtout depuis 2010-date de l’élection du président Alpha Condé), de rendre la communauté guinéenne plus vulnérable, face aux autres communautés et dans les pays d’accueil. Les organes existants sont tous devenus ingouvernables, déjà première victoire pour le gouvernement. Tenez, quand le gouvernement américain a décidé de suspendre les visas pour la Guinée, les capacités de mobilisation et les fortes manifestations n’ont pas été à l’ordre du jour, même pour une simple résolution.
Un Guinéen résidant aux États -Unis, depuis de nombreuses années, et inquiet de l’ampleur de ces luttes fratricides, estime : « A l’heure actuelle, les Guinéens de l’extérieur sont plus divisés, que ceux de l’intérieur, et qu’à l’heure actuelle, on ne devrait en principe pas avoir besoin de la bénédiction des autorités guinéennes à Conakry, pour nous dire comment gérer nos propres affaires. Ici, nous vivons nos propres réalités. »
Même au plus fort de la Révolution du premier président Ahmed Sékou Touré, les Guinéens n’avaient été aussi divisés.
Le journal satirique, le Lynx, à lui seul, nous résume, avec un terme approprié, pour désigner, les déchirements de cette diaspora : ´´diaspouri’’.
Avant l’annonce de la mise en place du Haut Conseil, à Washington par exemple, il y avait deux bureaux qui se disputaient la présidence de la communauté. L’ambassadeur partant, Mamady Condé, avait essayé de les faire asseoir pour une médiation. Une médiation qui n’avait que peu donné. La notabilité, à son tour, était intervenue, sans grand succès, ici aussi.
Jusque-là, presque la plupart des villes des États-Unis, on faisait face à la même situation dans laquelle le président était contesté ou son bureau. Mais, la situation était ´´ gérable ´´, avec un minimum d’activités et de retrouvailles, mais jamais de blocage, et jamais tant de haine de l’autre.
Les 3 derniers mois ont été entièrement consacrés à des tractations sur la désignation des 2 personnes par pays, qui allaient parler au nom des diapos. Si certains d’entre eux se battaient pour une vraie représentation face au pouvoir de Conakry, force est de constater, que d’autres ne se voyaient déjà que comme ministrables, constituant un pont entre ces communautés et la mère patrie.
Au Canada où des élections transparentes avaient été organisées durant l’été 2017, l’Association des Guinéens du Canada (AGC) a été ignorée et mise à la touche, par l’ambassade, qui a créé à sa place, le Conseil des Guinéens du Canada (CGC).
La présidente de l’AGC et son bureau furieux, ont immédiatement dénoncé ces tractations qui avaient lieu à l’ambassade.
Dans une lettre envoyée à la présidente de cette association, Marly Cabah Bah, l’ambassadeur Saramady Touré, exprimait déjà en décembre, ´´le regret de constater que ce bureau (AGC) s’inscrit dans une logique de confrontation’ ´. Ici, contrairement aux États-Unis, l’ambassade s’est ouvertement affichée et a manifesté sa préférence.
Après l’annonce de la création de ce bureau parallèle, l’AGC n’a pas tardé à émettre sa lettre de non-reconnaissance. Prenant acte de la décision, Marly affirme : « que l’AGC ne reconnaisse pas un processus qui ne reflète en rien, le climat démocratique sous couvert duquel nous vivons dans ce pays, le Canada. L’association exprime donc sa désapprobation de ce Conseil des Guinéens du Canada » ˋ
Pour mieux comprendre la position de l’ambassadeur, il est utile de se référer à sa lettre du 14 décembre 2017, dans laquelle il donne ses arguments. Dans cette lettre, il écrit : « l’AGC est une ONG, une association apolitique et à but non lucratif. Elle est de droit canadien. Le CGC, quant à lui, n’est pas une ONG. Il est une structure d’utilité publique, de droit guinéen. »
Selon lui, ‘’la mise en place dudit Conseil procède de la volonté du Président de la République, Pr Alpha Condé, de rendre formel le rôle joué par les Guinéens de l’étranger dans le développement économique’’.
Autre conséquence du mauvais fonctionnement des structures de la diaspora, est le désintérêt des jeunes étudiants et des jeunes professionnels qui se préoccupent peu de ces vieilles rivalités qui enveniment la communauté. Dans la liste soumise par Ottawa face à une AGC plus rajeunie, la plupart ont dépassé les 45 ans.
Dans les pays voisins comme le Mali ou le Sénégal pour ne citer que ceux-là, de tels Hauts Conseils existent depuis près de 15 ans. Ils se battent pour une meilleure représentativité à l’assemblée nationale et à l’essor économique. Ces associations parlent et se battent pour trouver des fonds pour des forages, pour l’électricité rurale, pour trouver des taux plus bas pour transférer l’argent, bref pour transmettre et faire bénéficier, à leurs pays d’origine les connaissances, acquises là où ils vivent.
À l’assemblée nationale du Sénégal, ce sont 15 députés issus de la diaspora qui représentent les Sénégalais éparpillés dans le monde.
En Novembre dernier, au moment où l’on se battait déjà pour être délégué à un forum sur la diaspora à Conakry, il était rapporté que les ressortissants du Burkina Faso en Côte d’Ivoire, annonçaient des investissements confirmés de 351 milliards de FCFA, dans leur pays d’origine. Une somme jamais égalée dans la sous-région.
Mouctar Baldé