Émasculer l’État, unique remède aux violences ethnico-politiques et aux inégalités en Guinée

Retirons enfin ces œillères ! Les inimitiés ethniques, fussentelles brutales, ainsi que d’ailleurs les crises sociopolitiques, voire économiques, de toutes natures qui happent fréquemment la Guinée, sont loin de représenter la cause fondamentale du « mal guinéen », encore moins la mainmise étrangère, certes, non moins négligeable. Tout autant que les poncifs éculés de médiation internationale, de dialogue politique, et j’en passe, qu’on voudrait idoines, ne soient la panacée.

L’illustration en est qu’en plus de cinquante ans d’indépendance, une longue transhumance politique caractérisée par le passage d’une sanglante dictature à la « démocratie burotico-militaire » (Juan J. Linz), puis à une “démocratie civile”, il n’y a toujours pas eu jusqu’à maintenant, dans notre pays, de cadre sociopolitique propice à enclencher (enfin !) la dynamique du changement pourtant impérieux.

L’on se méprendrait donc à croire que le remède au problème guinéen viendra de l’étranger ou de conclaves entre acteurs politiques (pouvoir et opposition), à fortiori de la seule justice transitionnelle dans la perspective d’une réconciliation nationale vu les multiples violences actuelles et passées. En dépit, bien certainement, des vertus ô combien bienfaisantes de ces actes précités ! Ça se saurait depuis, sinon. . .

L’Étatle diable 

À vrai dire, c’est en la nature même de l’État guinéen où le bât blesse: par les penchants ethniques du pouvoir, son enclin à l’autoritarisme et à la violence comme mode de règlement des conflits sociaux, sa propension à ethniciser la démocratie, son incapacité manifeste à bâtir la nation et à promouvoir le développement. Tares qui ont pathologiquement et continuellement inhibé à travers le temps le reste de la société et en ont jugulé tous les ressorts d’émancipation et de progrès.

L’État guinéen s’inscrit, ainsi, dans la directe lignée de la conception marxiste de l’État, assimilé à une sorte « d’appareil d’oppression au service de la classe dirigeante », maître dans l’art de la corruption, le clientélisme et, pire, s’appuyant sur l’armée pour se maintenir au pouvoir, réprimer les autres ethnies et les opposants ; instrumentalisant les ethnies, spoliant les richesses nationales au profit d’une coterie, de connivence souvent avec des intérêts étrangers.

La monstruosité du pouvoir guinéen est d’autant plus inquiétante que ce dernier a irrésistiblement phagocyté toute forme de résistance civile ou politique, nargué impunément le droit international, dans un contexte d’Étatnation pluriethnique sans sentiment réel d’appartenance nationale.

Toutefois, la rémission de l’État postcolonial est une large problématique commune à la plupart des États africains voire audelà, avec des travers plus ou moins marqués ici et là. (Les Balkans, l’Irak, le Mali, la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceuxlà.

Pourtant, il suffirait que les composantes guinéennes s’unissent et vivent en harmonie, pour que le Léviathan que l’État guinéen se complait à être montre ses limites et tombe en loques le satrape avec. Ou que, de façon inversement utopique, le pouvoir se moralise un tant soit peu, pour que nous commencions à voir le bout de nos peines. Les choses semblent bien loin de prendre cette direction pour le moment. Loin s’en faut !

Les ethnies ne sont pas insolubles dans la démocratie, à fortiori à nier   

L’enclin de l’individu à un attachement identitaire, religieux, culturel, ou à quelque autre valeur, porte à croire qu’il serait difficile d’envisager une dissolution de l’ethnie. Quelle que soit donc la configuration sociopolitique, il faut faire avec les ethnies. Comme le dirait Jean-François Bayart: « on ne peut nier l’existence, voire l’irréductibilité des consciences ethniques ». De plus, « dans les sociétés africaines, les identités ethniques appartiennent à un horizon défini, bien identifié, qui les rendent attractives. » (C. Coulon). Tout bien considéré, démocratie et ethnie ne sont, à priori, antinomiques en Afrique.

À cet égard, fort heureusement, l’on conviendra que les crises guinéennes sont plus révélatrices des défaillances de l’État et de la nécessité d’y remédier par de profondes réformes structurelles, que de velléités sécessionnistes réelles.

Tant mieux que les liens historiques et sociaux aient jusquici sauvé la patrie, ce, presque de façon miraculeuse dans l’aprèsélection d’AC, tant on y alors frôlé le précipice. Gare ! toutefois, car rien ne semble acquis d’avance.

Au fait, « il convient juste d’envisager l’ethnicité sous l’angle de la diversité culturelle et territoriale et se poser la question de son intégration dans le cadre de la démocratie. » (R. Otayek)Comme au Ghana, au Bénin ou en Ouganda où l’on assiste à lémergence de chefferies traditionnelles dotées de vrais pouvoirs.

Reformer le pouvoir à tout prix 

C’est la fumisterie légendaire du pouvoir guinéen qu’il faudrait vaille que vaille changer, audelà des vœux pieux, de critiques et suggestions de tout acabit, afin de voir émerger une société démocratique, apaisée et prospère dans notre pays.

Aussi longtemps sinon que le pourvoir central guinéen se détournera de la question du développement, de la neutralité — ethnique — dans la gestion des affaires, et perdurera dans l’irresponsabilité démocratique et administrative (truquages électoraux, viol des libertés, rapines, violences tous azimuts, spoliation des ressources publiques, paupérisation des masses), eh bien les clivages entre les composantes nationales persisteront, ramenant au centre des querelles de clocher la question du partage du pouvoir, avec des conséquences plus ou moins graves.

Et, si « la superbe bête blonde [d’État], assoiffée de proies et de victoire » (Nietzsche) persévérait dans son « désir de puissance absolue » et de violence symbolique à l’endroit des minorités et des autres composantes nationales, la question… de sa mise en mort en découlera tout naturellement !

In fine, dans la problématique des rapports sociopolitiques conflictuels autour du pouvoir en Guinée, il s’agit de rompre avec le bonapartisme politique hérité du féodalisme africain, de la colonisation et de l’idéologie socialocommuniste, fondés sur l’autocratie, la violence, la prédation, pour une gestion consensuelle, équilibrée, progressiste, moins tributaire de l’ethnie ou d’intérêts privés, voire décentralisée de l’État suivant nos propres réalités socioculturelles.

Oury Baldé