Dr. Faya Millimono: «il ne faut pas priver la Guinée d’une alternative importante au pouvoir d’Alpha Condé»

Dr. Faya Millimono était le directeur de campagne du candidat Ibrahima Abe Sylla de la NGR (Nouvelle Génération pour la République) lors du premier tour de l’élection présidentielle guinéenne de 2010. Il deviendra par la suite, le porte-parole de l’Alliance Cellou Dalein Président lors du second tour… AfricaLog.com l’a rencontré. Dans l’interview que Dr Faya Millimono nous a accordée, il fait un tour d’horizon de l’actualité politique en Guinée. Bonne lecture.

– AfricaLog.com : Dr. Millimono, vous étiez le directeur de campagne de M. Ibrahima Abe Sylla, candidat de la NGR à l’élection présidentielle guinéenne de 2010. Veuillez nous parler de cette expérience.

– Dr. Faya Millimono : Cela était une expérience enrichissante pour moi. Je saisis cette opportunité pour remercier M. Ibrahima Abe Sylla, candidat de la NGR, de m’avoir accordé sa confiance. Il faut signaler au passage qu’auparavant, j’avais participé à d’autres activités et fait plusieurs réflexions au niveau politique. Cependant, c’était la première fois que j’assumais une responsabilité aussi importante que celle de la direction de campagne d’une élection présidentielle.

– AfricaLog.com : Etiez-vous sûr des chances de succès de votre candidat avant d’accepter les charges lourdes qui devaient être les vôtres ? Au moins, de pouvoir franchir le cap du premier tour?

– Dr. Faya Millimono : Au début, nous n’avions pas pensé que le fait d’être nouveau était un handicap majeur, mais le terrain nous a dicté autre chose.

– AfricaLog.com : Qu’est-ce était?

– Dr. Faya Millimono : En tant que directeur de campagne, j’avais deux produits nouveaux : un parti politique, la NGR, qui n’était pas connu sur le terrain et un candidat, Ibrahima Abe Sylla qui, malgré la compétence, la vision et l’expertise qui sont les siennes, n’était pas assez connu du grand public guinéen. Même à Conakry, la Capitale, on se demandait qui est Abe Sylla.

Par contre, tout le monde connaissait Alpha Condé, Sidya Touré, Cellou Dalein, etc. Malgré cela, nous avions un programme bien ficelé. Nous envisagions de grandes réformes au cas où mon candidat passait, c’est-à-dire, s’il était élu à la magistrature suprême du pays.

– AfricaLog.com : Au second tour de la présidentielle, votre parti a fait alliance avec l’UFDG de Cellou Dalein Diallo, pourquoi?

– Dr. Faya Millimono : Lors des négociations pour la formation des alliances, M. Cellou a donné l’impression d’être quelqu’un de très courtois. Et, tout le monde lui reconnait cette qualité humaine de respect de l’autre et de certaines valeurs. Il est venu vers nous avec tout son état major. On a posé les questions qu’on avait. Il s’est dégagé une orientation philosophique, son projet de société et sa vision pour la Guinée.

– AfricaLog.com : C’est dire que vous n’avez eu aucune discussion avec le camp Alpha Condé?

– Dr. Faya Millimono : Si. Mais, à la différence de Cellou Dalein Diallo, Alpha Condé lui, il est venu seul et s’est essentiellement entretenu avec le candidat du parti, Abe Sylla. Les mêmes types de questions furent posés à M. Condé. A la fin il s’est dégagé que les deux candidats n’étaient pas sur la même longueur d’onde.

– AfricaLog.com : Pourquoi?

– Dr. Faya Millimono : Parce que pour nous, à la NGR, la question de la paix et de l’unité nationale tout comme celle du programme étaient d’importance. Nous avons finalement senti la proximité des programmes de l’UFDG et de la NGR en plus de la vision libérale des deux leaders, Abe et Cellou, pour la Guinée.

– AfricaLog.com : Donc, une vision libérale qui tranche avec celle socialiste d’Alpha Condé?

– Dr. Faya Millimono : Bon, Alpha nous avait fait savoir qu’il avait déjà proposé un protocole d’accord avec la coordination de la Basse Côte pour avoir le soutien de cette région.

– AfricaLog.com : Pour lui donc, pas question d’aller vers les partis politiques, si je comprends. Alpha Condé a plutôt souhaité négocier avec les coordinations. On peut dire que cette stratégie a porté fruit à la fin?

– Dr. Faya Millimono: Non, parce que chaque fois que les coordinations ont décidé de supporter un candidat contre un autre, il y a éclatement au niveau des régions. Et lorsque les coordinations entrent dans l’arène politique, elles cessent de jouer leur rôle moralisateur.

– AfricaLog.com : On dit que les candidats ont joué profondément la carte ethnique. Qu’en dites-vous?

– Dr. Faya Millimono : Je ne pense pas que les deux candidats ont joué la carte ethnique de la même façon et au même degré. Au premier tour de la présidentielle, ce n’était pas le fait de Cellou ou de Alpha. Tous les candidats ont bénéficié du vote de leur ethnie d’origine, compte tenu du niveau de compréhension de la chose politique par le guinéen moyen. Au Fouta, on a voté pour Cellou, en Haute Guinée, pour Alpha Condé et Kouyaté, en Forêt, pour Papa Koly et Jean Marc Telliano. Seul Sidya Touré a bénéficié du vote au-delà de l’ethnie.

– AfricaLog.com : Au regard de cette affirmation, Sidya Touré avait-il des chances d’être élu Président au cas où il réussissait à franchir le cap du premier tour?

– Dr. Faya Millimono: Oui, c’était le sentiment que beaucoup de personnes avaient. Parce que les chances de succès de Sidya contre un Cellou Dalein, par exemple, en Haute Guinée étaient plus grandes. Et elles l’étaient aussi contre Alpha Condé, par exemple au Fouta. Mais on peut mettre tout ça au compte d’hypothèses.

– AfricaLog.com : Quelle est la raison de la défaite de Cellou Dalein Diallo, malgré l’avance numérique qu’il avait à l’issue du scrutin du premier tour?

– Dr. Faya Millimono : J’impute cela sur les fraudes et les manipulations. Dès l’entame du second tour, Alpha Condé était convaincu qu’il ne pouvait pas honnêtement gagner l’élection. Il a d’abord intenté des recours en justice contre le Président malade de la CENI [NDLR : feu Ben Sékou Sylla] ; ensuite il a essayé plusieurs autres tentatives. Lorsque le vote du second tour est terminé, nous avions des délégués au niveau de tous les bureaux de vote exceptés à Kouroussa et à Siguiri pour des raisons que vous connaissez. On a fait nos calculs pour arriver à la victoire de Cellou Dalein avec 54% contre 46% pour Alpha. Je suis convaincu qu’El hadj Cellou est le choix du peuple de Guinée. Alpha Condé avait un discours diviseur et des velléités tribalistes.

– AfricaLog.com: A l’égard de qui?

– Dr. Faya Millimono: Il a toujours eu une attitude d’intolérance. Durant le règne du Président Lansana Conté, lui, Alpha Condé, avait même dit «qu’un Malinké qui votait pour Conté est un bâtard». Certains alliés Malinkés du président Conté comme le Général Sory Doumbouya, l’ex-Ministre de l’Economie et des Finances, MadiKaba Camara, l’industriel Mamadi Diawara de « Yaourt de Guinée » ont vu leurs biens détruits en Haute Guinée par des militants du RPG, le parti d’Alpha Condé.

D’autre part, des ténors de l’alliance Arc-en-ciel parlaient d’alliance naturelle entre Soussous, Malinkés, Tomas et Kpèlés [guerzés] pour promouvoir l’argument «tous contre un.» Alors, je me suis demandé qu’est ce qui était artificiel. C’est ce que j’ai d’ailleurs appelé la « fulaniphobie » c’est-à-dire une peur imaginaire contre un danger peul. Heureusement que c’est imaginaire.

– AfricaLog.com : Voulez-vous dire par-là, que l’Alliance Arc-en-ciel a, elle aussi, voulu dresser les ethnies guinéennes les unes contre les autres?

– Dr. Faya Milimono: Oui, je l’ai perçu dès le début lorsque les idéologues du RPG d’Alpha Condé disaient que «si un Peulh arrivait au pouvoir, la Guinée ressemblerait à la Palestine, parce que tous les peulhs du monde se donneraient rendez-vous en Guinée pour chasser les autres ethnies » et qu’« ils seraient restés au pouvoir pendant 100 ans.» Ce qui n’était vérifiable dans aucun document scientifique ! Pensez-vous qu’un peulh du Cameroun, du Mali, du Nigeria, etc, va abandonner sa patrie pour la Guinée à cause de l’élection d’un peulh à la tête de ce pays ? Non, soyons sérieux …

– AfricaLog.com : Que pensez-vous du soutien considérable des cadres de la Basse-Guinée et de la Forêt à Alpha Condé?

– Dr. Faya Milimono : Mais, il ya eu aussi un grand soutien des cadres de ces régions à Cellou Dalein. Nous avions Cheick Camara [NDLR : ex-Ministre de l’Economie et des Finances sous le Président Lansana Conté], il y avait surtout Sidya Touré, un leader politique qui inspire au-delà de la Basse Côte. Par exemple, entre un Abe Sylla et un Kassory Fofana, 80% des guinéens choisiraient Abe Sylla qui est l’un des leaders les plus populaires de la Basse Côte. En Guinée Forestière Jean Marc Telliano et Papa Koly n’étaient pas les meilleurs que cette région pouvait avoir comme candidats. A l’extérieur, au sein de la diaspora, beaucoup avaient pensé à Mohamed Béavogui [NDLR : un guinéen évoluant au FIDA], comme meilleur candidat provenant de la Guinée Forestière, mais pas un Papa Koly Kourouma ou un Jean Marc Telliano. Dans notre alliance, il y avait des cadres et des leaders forestiers comme Charles Pascal Tolno, leader du PPG, Moussa Solano, Président du PUP, Madame Tofani et même, l’ancien ministre de la Justice Maurice Zogbélémou Togba.

– AfricaLog.com : Quel est votre jugement vis-à-vis des autorités de la transition?

– Faya Milimono: Dès le début du second tour, comme dit plus haut, Alpha Condé s’est mis à chercher des alliés au sein du gouvernement. Le Premier ministre Jean Marie Doré devint ainsi, son principal allié. M. Doré a essayé d’apporter des modifications à la Constitution par Ordonnance, au Code électoral par décret et de les faire signer par le Président de la transition, Général Sékouba Konaté. Heureusement que les organisations de la société civile et le CNT veillaient au grain ; ils dénoncèrent, sans hésiter, cet état de fait. Quant à Sékouba Konaté, il était avec Alpha Condé de bout en bout, car il n’était pas neutre. Lorsqu’on a parlé d’empoisonnement des militants du RPG à Conakry, la rumeur a provoqué des attaques violentes contres les ressortissants peulhs en Haute Guinée. Dans un pays normal, les autorités prennent leurs responsabilités, enquêtent sur les mensonges et punissent les coupables. Le général Konaté et Jean Marie Doré n’ont rien fait dans ce sens. Sékouba Konaté a été totalement irresponsable, car pour la première fois, des guinéens ont été chassé d’un mètre carré de la Guinée, parce qu’ils s’identifient à une ethnie ou à une région. Ça, c’est un précédent dangereux. L’histoire le retiendra. Donc, le général Konaté ne mérite pas les honneurs qu’on lui colle d’avoir été le militaire qui a donné la démocratie à la Guinée.

– AfricaLog.com : Allez-vous maintenir l’alliance formée durant la présidentielle pour espérer remporter les législatives?

– Dr. Faya Millimono : C’est mon souhait personnel, mais il ya des choses à négocier. La Guinée a besoin d’une opposition responsable composée d’hommes intègres. C’est seulement le pouvoir qui peut arrêter le pouvoir, donc il ne faut pas priver la Guinée d’une alternative importante au pouvoir d’Alpha Condé. L’opposition doit jouer le rôle de contre-pouvoir pour créer ce qu’on appelle ici aux Etats-Unis « Check and Balances »

– AfricaLog.com : Comment envisagez-vous l’avenir de la Guinée sous le leadership du Président Alpha Condé?

– Dr. Faya Millimono : Les premiers pas du nouveau Président ne sont pas rassurants. Il avait promis un équilibrage ethnique de 25% par région pour le gouvernement. Il ne l’a pas fait. Nous voulions savoir aussi la structure du gouvernement avant la formation de celui-ci pour connaître ses priorités. Aujourd’hui, il ya plusieurs départements qui se retrouvent avec les mêmes compétences.

– AfricaLog.com : Votre message à l’endroit des guinéens en ce début d’année

– Dr. Faya Milimono: C’est de ne pas se décourager et d’aborder l’année 2011 avec détermination et espoir, malgré tout ce que nous avons vécu. On n’a pas dénoncé Alpha Condé en tant que personne, c’est plutôt son discours diviseur. Nous n’avons pas dénoncé une ethnie. Les choses marchent dans toute démocratie, lorsque le pouvoir ne se retrouve pas dans les mains d’une seule personne. Pour cela, la Guinée doit se doter d’une législature contrôlée par l’opposition.

– AfricaLog.com : Merci Docteur.

– Dr. Faya Millimono : C’est moi qui vous remercie et bonne chance

– AfricaLog.com : Cordial merci Docteur et à bientôt.

Interview réalisée par Oumar Bah