Thème : La place du pouvoir judiciaire dans les institutions actuelles de la Guinée…
Contribution de Nabbie Soumah : Le système judiciaire guinéen ou la confusion des pouvoirs
INTRODUCTION :
« Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » prophétisait Montesquieu (1689-1755) le chantre de la théorie de la séparation des pouvoirs élaborée également par le philosophe anglais John Locke (1632-1704).
Ce concept vise à séparer les différentes fonctions de l’Etat afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines, régaliennes.
La séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est le creuset, le fondement même de la République et de l’Etat de droit. Elle a fortement inspiré les rédacteurs de la Constitution américaine du 17 septembre 1787.
Ces constituants ont, en effet, institué un régime présidentiel avec une séparation stricte des trois pouvoirs tempérée par l’existence de procédures, de moyens de contrôle et d’action réciproques conçus conformément à la doctrine des « checks and balances » (freins et contrepoids).
La vitalité d’une démocratie se juge à l’aune de ses contre-pouvoirs ; l’indépendance du pouvoir judiciaire constitue un de ces contre-pouvoirs : elle est l’antidote de l’impunité et du pouvoir autocratique, la colonne vertébrale, l’échine de la démocratie et quel que soit le modèle adopté.
L’autocratie et la mauvaise gouvernance ont, quant à elles, une filiation génétique maléfique : ce sont des concepts, des pratiques intimement liés à la confiscation des libertés fondamentales, à la pauvreté, à la corruption et à l’impunité.
Le pouvoir judiciaire a un rôle majeur à jouer dans toute société démocratique caractérisée par la promotion, la garantie de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance.
Le préambule de la nouvelle constitution guinéenne du 07 mai 2010 réaffirme « sa volonté d’édifier dans l’unité et la cohésion nationale, un Etat de droit et de démocratie pluraliste » ; mais l’édification d’un état de droit nécessite la réunion de trois conditions cumulatives, liées :
– elle exige, tout d’abord, que l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics soient soumis, au même titre que les citoyens, au respect du droit positif ;
– elle implique, ensuite, que le respect de cette obligation de soumission à l’autorité du droit soit sanctionné par un tribunal impartial établi par la loi ;
– elle suppose, enfin, que le juge soit indépendant des autres pouvoirs.
La Guinée, à l’instar des pays francophones subsahariens, a fait preuve de mimétisme négatif de l’ancienne puissance coloniale. Sur le plan institutionnel et dans la pratique (cf. la 5ème République et la constitution du 4 octobre 1958), le pouvoir exécutif incarné par le Président de la République a une prédominance sur les autres pouvoirs.
D’autre part, l’indépendance de la justice y est très relative car la carrière des magistrats dépend de la Chancellerie donc du pouvoir politique. Le cordon ombilical n’est pas réellement rompu.
Cette similitude est avérée en Guinée avec, d’une part, un pouvoir exécutif dominant et tentaculaire, d’autre part, un juge unique omnipotent au sein d’une institution judiciaire mal formée, sinistrée, délabrée et corrompue.
C’est la double peine pour le citoyen guinéen.
L’ambition, la volonté d’ériger la justice guinéenne en un pouvoir indépendant, non domestiqué, démuni et déficient est une véritable gageure, un défi incommensurable.
Nous somme face à une série de questionnements majeurs :
– Comment éviter la confusion et la détention des pouvoirs par une seule et même entité (le pouvoir exécutif et le juge unique) ?
– Quels sont les remèdes et réformes appropriés pour réhabiliter ou instaurer une justice indépendante et protectrice des libertés individuelles et collectives ?
I) LE SYSTEME JUDICIAIRE FACE A UN POUVOIR EXECUTIF TENTACULAIRE
1°) Les garanties formelles d’indépendance du pouvoir judiciaire
Les règles de nomination, d’avancement, d’inamovibilité, de gestion du plan de carrière des magistrats et auxiliaires de justice sont fixés par :
– La nouvelle constitution guinéenne en ses articles 107 à 112 du Titre VII ;
– les articles 2, 48, 49, 50, 51 et 52 de la loi organique L/91/008/CTRN du 23 décembre 1991 portant Statut de la magistrature ;
– et les articles 15, 16, 17 et 18 de la loi organique L/91/10/CTRN du 23 décembre 1991 relative au Conseil supérieur de la magistrature.
2°) La soumission de facto du système judiciaire au pouvoir politique
La culture démocratique et le respect de la séparation des pouvoirs sont totalement absents du fonctionnement des institutions, au plus haut niveau.
Le système institutionnel guinéen a toujours été caractérisé par l’omnipotence d’un pouvoir exécutif tentaculaire et un déséquilibre des pouvoirs au détriment du judiciaire notamment depuis 1958 à nos jours : de la première constitution du 10 novembre 1958 avec la consécration du parti unique et l’option socialiste à celle du 07 mai 2010 promulguée par décret par le général Sékouba Konaté, en passant par la Loi fondamentale du 23 décembre 1990.
Les pouvoirs du Président Ahmed Sékou Touré (1922-1984) avaient été encore renforcés par la seconde Constitution guinéenne du 14 mai 1982 : il pouvait même légiférer de sa propre initiative. Pendant toute la seconde partie de la « Révolution » guinéenne, la Constitution proclamait l’unicité et la confusion des pouvoirs exercés, en dernière instance, par le « Responsable suprême de la Révolution ».
La meilleure illustration de cette confusion des pouvoirs était fournie par l’exemple de magistrats qui étaient en même temps juges ou procureurs et députés de l’Assemblée populaire nationale.
Quant à la période qui a suivi (de 1990 à 2008), le Président Lansana Conté ne s’interdisait pas de s’immiscer dans le fonctionnement de la Justice, au point qu’il a « libéré » le 16 décembre 2006 Mamadou Sylla légalement placé sous mandat de dépôt et accusé de détournement de biens publics ; il affirmera à la télévision : « La justice, c’est moi (…) La preuve est que je suis moi-même allé le chercher en prison, car il a été emprisonné à tort ». Ce fut l’élément déclencheur des événements de janvier et de février 2007 qui avaient endeuillé la Guinée.
Par ailleurs, il était surprenant de voir que, très souvent, le porte-parole du Président, chef de l’exécutif, n’était autre que le Président de l’Assemblée Nationale, chef du législatif, M. Abdoulaye Somparé.
Le Capitaine Moussa Camara s’était érigé en juge d’instruction et procureur dans ses « Dadis show » retransmis par la RTG pour accuser et incarcérer des personnages publics.
Le Président Alpha Condé a violé le secret d’instruction et accusé nommément sans aucune preuve avérée, révélée Amadou Bah Oury, Tibou Kamara et Amadou Oury Diallo dit « Sadakadji » comme étant les commanditaires et les gouvernements sénégalais et gambien comme complices de l’attentat présumé du 19 juillet dernier.
La présomption d’innocence, le secret de l’instruction, la présence d’avocats dès la garde à vue, la protection et la garantie de l’intégrité physique n’ont pas été assurés à toutes les personnes appréhendées dans cette affaire.
La loi accorde l’inamovibilité aux magistrats du siège, mais dans les faits, ils ont du mal à se dégager de l’emprise du pouvoir exécutif qui les nomme et dont dépend l’évolution de leur carrière : « les magistrats du siège, du parquet et de l’administration centrale de la justice sont nommés et affectés par le président de la République, sur proposition du ministre de la justice, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) » qui ne s’est jamais réuni depuis sa création.
Par ailleurs, le budget de fonctionnement du CSM, est incorporé à celui du Ministère de la Justice qui est une entité relevant du gouvernement.
Garantir l’indépendance de la Justice, c’est d’abord rompre le cordon ombilical entre le Ministère chargé de la Fonction publique et la carrière des magistrats qui s’effectue en dents de scie.
Par exemple, un magistrat avait occupé successivement les fonctions de Président de Tribunal, de Président de Cour d’appel, d’Inspecteur général des services judiciaires pour mourir dans les fonctions modestes de Juge de Paix.
3°) La triple tutelle sur la police judiciaire : un conflit d’autorité entre magistrats, policiers et gendarmes
Les article 11 à 14 du Code de procédure pénale du 31 décembre 1998 et un arrêté du 16 novembre 2005 indiquent que les modes de désignation et d’habilitation des Officiers de Police Judiciaire sont pris conjointement par les Ministres de la Justice, de la Sécurité (Police) et de la Défense nationale (Gendarmerie).
Le rétablissement de l’autorité de la Justice sur la Police judiciaire est urgent autant que vital pour une bonne administration de la Justice.
II) UN JUGE CUMULARD OU LA CONFUSION DES ROLES
L’institution judiciaire elle-même connaît la confusion des rôles entre l’exécutif d’une part, et le judiciaire d’autre part. Puisqu’au bas de l’échelle judiciaire que sont les 10 tribunaux de première instance (dont 3 à Conakry) et les 26 justices de paix (établies au chef-lieu de chaque préfecture n’abritant pas un TPI).se trouve le Juge d’instance qui remplit à la fois les fonctions de Procureur de la République, de Juge d’Instruction, de Juge qui rend la sentence et de juge de l’application des peines qui décide du maintien en détention ou de la libération anticipée.
Le juge unique est donc omnipotent, au centre de l’organisation judiciaire ; sous d’autres cieux, on l’appellerait juge « cube maggi ».
Quand on sait que les traitements de ces magistrats sont inversement proportionnels à leur pouvoir on peut imaginer les conséquences quant à leur impartialité.
Les TPI et les justices de paix sont des juridictions à juge unique qui peut, en violation du principe de séparation du Parquet et du Siège, juger les affaires qu’il a poursuivies ou instruites. Ceci est en contradiction avec l’article 46 du Code de procédure pénale qui dispose en son alinéa 2 que « le Juge d’Instruction ne peut participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites, sous peine de nullité de la procédure ».
III) DE LA REHABILITATION D’UN SYSTEME JUDICIAIRE INDEPENDANT
ET PROTECTEUR DU CITOYEN
1°) L’Etat des lieux d’une justice sinistrée et non indépendante
La justice guinéenne a été l’objet de nombreux projets, rapports et forums :
– le Plan triennal 1960-1963 de renforcement des capacités de la justice ;
– la Table ronde au Palais des Nations de Conakry, du 19 au 24 octobre 1992, organisée par le Ministère de la Justice, avec l’appui de la Banque Mondiale ;
– le Rapport réalisé en 2007 par les experts commis par la Commission européenne avec une délégation conduite par José María Cueto Álvarez de Sotomayor ;
– la Mission d’identification des axes d’intervention dans le secteur de la Justice en Guinée, mandatée par l’Union Européenne (rapport final de juillet 2010) ;
– les Etas généraux du 28 au 30 mars 2011 au Palais du peuple, en exécution de l’engagement pris par le Président Alpha Condé de « restaurer la justice guinéenne et de faire désormais de la Guinée résolument un Etat de droit, d’exposer et d’analyser, en profondeur et sans complaisance les défis et dysfonctionnements résultant des ‘’trébuchements que la mauvaise gouvernance’’ a infligés au système judiciaire de notre pays ».
La deuxième journée de cette dernière rencontre avait commencé par une introduction du Président de séance Monsieur Salifou Sylla, ancien ministre de la justice : « nous ne sommes pas à notre première expérience des Etats Généraux de la justice. En effet, en Octobre 1992 les mêmes travaux avaient eu lieu ici et au cours de ces travaux, les mêmes maux avaient été diagnostiqués suivis de pertinentes recommandations ». Il s’interrogera sur l’impact de celles-ci sur le quotidien de la justice avant de formuler le souhait que « les présents Etats généraux ne soient pas une simple formalité vite tombée dans les oubliettes ».
Le diagnostic est accablant et les dysfonctionnements du système judiciaire sont exponentiels et reposent sur :
– L’insuffisance et le vieillissement des effectifs des magistrats et des greffiers : c’est seulement en 1986 qu’une formation initiale des magistrats déjà en exercice a été entreprise, par voie de concours.
L’effectif déficitaire des magistrats en service dans les juridictions est de 252 magistrats pour une population estimée à 10.000.000 d’habitants, soit un ratio de un magistrat pour 39.683 habitants, alors que le ratio admis est d’un magistrat pour 10.000 habitants. Ce ratio commande que la Guinée fournisse des efforts soutenus de recrutement d’auditeurs de justice pour compenser les 26 ans d’absence de recrutement : 1981-2007.
Ce déficit, préoccupant, pourrait se creuser eu égard au vieillissement des magistrats ; idem pour les greffiers qui constituent la cheville ouvrière des juridictions et les garants de l’authenticité des décisions de justice.
– Plus de 80% des huissiers de justice et des avocats, acteurs importants de l’œuvre de justice, présentent des problèmes de formation et de moralité ;
– Le manque de formation initiale et continue des magistrats et greffiers dans des conditions satisfaisantes. L’on dénombre aujourd’hui une quarantaine de facultés de droit dont le total du corps enseignant ne compte qu’un professeur agrégé en droit public et quelques doctorants ; la grande majorité ne possédant qu’une maîtrise en droit. Cette prolifération d’universités, qui fait de Conakry la capitale africaine des universités, cache mal des accointances mercantiles entre les ministères en charge de l’enseignement supérieur et des finances et les fondateurs d’universités.
Il faut noter le faible niveau de recrutement des auditeurs de justice, les conditions précaires d’enseignement en faculté, le niveau du baccalauréat et toute la chaîne de l’enseignement pré-universitaire : 8% budget national consacrés à un système éducatif en faillite avec moins de 17 % de réussite au bac 2011. « là où il faut délier le cordon de la bourse, l’investissement est toujours rentable » dit-on ;
– La non-application depuis bientôt plus de 20 ans de la loi organique portant Statut de la Magistrature ;
– L’inertie du Conseil supérieur de la Magistrature dont la composition et le fonctionnement doivent être revus et corrigés ; à ce jour, l’indépendance de la justice n’est pas garantie. Le CSM n’a pas été mis en place et le Statut de la magistrature n’est pas appliqué. Les juges sont régulièrement soumis à des pressions des pouvoirs exécutifs ou militaires. Ceux qui ont tenté de résister ont fait l’objet de sanctions (cf. les mutations en province) ;
– L’insuffisance, l’éloignement et le désordre dans la gestion des juridictions ;
– Le coût élevé des procédures ;
– L’insuffisance de mobiliers, d’équipements, de moyens logistiques, de bibliothèques et des outils juridiques (Codes et autres textes légaux) dans les services du Ministère et des juridictions ;
– Le manque de logements administratifs, la vétusté et l’exiguïté de la plupart des infrastructures judiciaires et pénitentiaires ; les prisons sont principalement peuplées de pauvres qui n’ont pas réussi à s’arracher aux « griffes de la justice » ;
– L’insuffisance et l’octroi irrégulier des crédits de fonctionnement et des réquisitions de transport ;
– L’insécurité des Magistrats et des Palais ;
– Les interférences dans les affaires judiciaires des autorités administratives ; la justice est régulièrement rendue par la police et des autorités administratives qui y voient une source de revenus et sont sollicitées par la population ;
– Le manque de spécialisation des magistrats ;
– Le non-respect des délais de procédure pour le traitement des dossiers ;
– Les jugements interminables et l’’inexécution des décisions de justice ;
– Les mécanismes de justice coutumière ou informelle n’ont pas été étudiés alors qu’ils semblent résoudre de nombreux litiges et pourraient offrir des solutions adaptées aux réalités de la société guinéenne. Une telle étude devrait précéder la refonte de la carte judiciaire et pourrait constituer une des bases de la recherche d’un nouveau consensus socio-politique sur la justice en Guinée.
– La vénalité très fréquente des décisions de justice ; la corruption est très répandue, notamment en raison de l’insuffisance des salaires et de la faiblesse des moyens de contrôle. Les services de justice deviennent une marchandise vendue par les détenteurs de charge aux plus nantis. Les plus faibles ont peu de chance de voir un droit légitime reconnu s’ils sont opposés à des puissants ou des riches, souvent « hors la loi » et arrogants.
– La culture de « service public» et le civisme sont peu développés au sein des juridictions et des autres services judiciaires en Guinée.
Ces dysfonctionnements sont à la base de nombreuses atteintes au droit à la liberté et à l’intégrité physique. La torture et les détentions abusives ou illégales sont fréquentes, notamment dans le cadre des enquêtes.
La Guinée fait face à une longue tradition d’impunité. De graves violations des droits de l’homme et des crimes économiques ont été commises sous les différents régimes et n’ont presque jamais été poursuivies. Les militaires, policiers et gendarmes qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’Homme (cf.les massacres de septembre 2009) jouissent toujours d’une impunité totale. Les capacités du système de justice guinéen à les poursuivre et les condamner sont faibles. En outre, il n’existe à l’heure actuelle aucun système national pouvant garantir la protection des victimes et des témoins.
La justice n’est pas capable de contribuer au contrôle des forces de sécurité.
2°) Des axes d’intervention pour réformer le système judiciaire guinéen
« Innover, ce n’est pas avoir une nouvelle idée mais arrêter d’avoir une vieille idée », disait l’inventeur et physicien américain Edwin Herbert Land (1909-1991).
a) Rationaliser le fonctionnement de la justice
Les réformes pour instaurer une justice indépendante et protectrice des libertés individuelles et collectives sont urgentes.
Cinq grands thèmes regroupent les préoccupations du justiciable guinéen et dégagent les perspectives de réforme de son système judiciaire :
– L’Indépendance de la justice à l’égard des pouvoirs tant politiques que financiers. Des questions de formation (universitaire et professionnelle), de gestion de carrière, de rémunération, de discipline, d’éducation civique, de sécurité juridique et judiciaire des affaires. Il faut impérativement mettre en place le CSM et le libérer de l’emprise du pouvoir exécutif.
Il faudra décharger le Ministère de la Fonction publique de la mission de gérer la carrière des magistrats et confier la Division des ressources humaines du Ministère de la Justice à un magistrat assisté d’un greffier, comme cela se pratique partout dans la sous-région ouest-africaine.
– Les infrastructures, équipements et documentation judiciaires sont liés aux conditions de travail des juges et des auxiliaires de justice. L’autonomie financière des tribunaux doit être assurée par l’octroi d’un budget conséquent qui oscille autour de 0,5% du budget national contrairement au 33 % octroyés à l’armée. La dotation budgétaire reste dérisoire et s’élevait pour l’année 2007 à près de 11 Milliards de FG dont 1 550 000 pour les investissements. Elle mérite d’être réévaluer pour supporter la rémunération du personnel judiciaire et les travaux de construction ou de rénovation des infrastructures judiciaires et pénitentiaires.
Lorsque le juge n’est pas logé par l’Etat, n’a pas les moyens financiers pour ses besoins et ceux de sa famille, il reste à la merci du justiciable riche.
– La Carte judiciaire et pénitentiaire pour faciliter l’accès des cours et tribunaux, à moindre coût, pour les justiciables. Le rattachement des juges de paix dans leurs fonctions de Parquet au Procureur n’obéit pas au principe de proximité géographique : ainsi, par exemple, les juges de paix de Dubréka et de Forécaria exercent sous le contrôle du Procureur de la République de Kindia. Or celui-ci est situé à 115 km de Dubréka, et à 137 km de Forécaria alors que l’un n’est éloigné de Conakry que de 50 km et l’autre de moins 100 km.
– L’exécution des décisions de justice : le respect de l’autorité de la chose jugée impose des mesures drastiques à la fois à l’égard des huissiers de justice et des autorités intervenant dans le processus, que des populations impliquées dans cette exécution. Le Gouverneur de la ville de Conakry le capitaine Sékou « Resco » Camara aurait giflé le 27 janvier 2011 Me Sylla, un huissier de justice venu faire exécuter un arrêt de justice sur la 5e avenue à Sandervallyah.
– Intégration Judiciaire : la Guinée est membre de plusieurs organisations régionales, sous-régionales et internationales telles l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA) du 17 octobre 1993, l’organisation africaine de la propriété Intellectuelle (OAPI) du 2 mars 1977.
Les juridictions communautaires sont : la cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) située au cœur du système juridique de l’OHADA et dont le siège est à Abidjan (Côte d’ivoire) ; la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest fondée le 28 mai 1975 ; la Cour de justice de l’Union Africaine entrée en vigueur en juin 2004 (à ce jour, la Guinée n’a pas encore ratifié son protocole adopté à Maputo le 11 juillet 2003).
La Guinée a signé des accords de coopération judiciaire, d’une part, avec certains pays africains et la CEDEAO et, d’autre part, avec des pays étrangers et des organisations internationales. Mais elle ne paye pas régulièrement ses cotisations et doit des arriérés dont le montant total s’élève, au mois de février 2011, à plus d’un milliard cinq cent millions de FCFA (lettre N°30/SP-OHADA/DEC/en Décembre 2010). Depuis le 14 Juillet 2003, la Guinée est un Etat Partie au Statut de Rome qui a institué la Cour Pénale Internationale.
b) Promouvoir le principe de la collégialité des juges
« Plus les acteurs sont nombreux, plus on peut éviter les abus ! » préconise le juriste et président du Club-DLG Malick Kadra Diaby.
Cette idée a une double portée : mettre fin au cumul des fonctions du siège et du parquet, d’une part, et éradiquer la corruption du juge unique et omnipotent, d’autre part. En effet, les juges agissent tantôt sous la pression du pouvoir politique, tantôt sont guidés par l’esprit du lucre ; toutes attitudes qui sapent leur indépendance et leur impartialité. Ce sont là des menaces qu’il convient de circonscrire.
Le juge est l’émanation d’un milieu social déterminé comme le disait le juriste Kéba M’Baye (1924-2007) ancien Président du Conseil constitutionnel, de la Cour suprême du Sénégal et vice-président du mouvement olympique CIO : « on ne peut forcer un homme à être libre, on ne peut que lui donner les moyens de sa liberté : l’indépendance n’existe que par exercice et volonté. »
« Le besoin ébranle la vertu ; on ne peut pas cultiver la vertu dans un environnement vicié par la misère, le dénuement » m’avait souligné un jour à Dakar l’avocat et homme politique sénégalais Maitre Jacques Baudin.
Pour rappel, selon l’index 2010 présenté par l’ONG Transparency International le mardi 26 octobre 2010 à Berlin sur la perception de la corruption dans 178 pays du monde, la Guinée est classée164ème ; par ailleurs, selon l’indice de développement humain en 2008, elle était classée 173ème sur 180 parmi les pays les plus pauvres.
Dans le cadre d’une réforme de la carte judiciaire, on doit préconiser la suppression du cumul des fonctions de poursuites, d’instruction, de jugement, d’exécution et d’application des peines. La séparation des pouvoirs doit être une règle intangible.
Le juge unique guinéen est un juge d’instruction, un magistrat du siège et la clé de voute de la procédure pénale. La réforme de l’instruction judiciaire, par exemple, après « l’affaire d’Outreau » visait à mettre fin à des dysfonctionnements, à l’omnipotence et à l’isolement du juge d’instruction qui avait engendré des drames en France. Déclenchée en 2001, cette affaire pénale d’abus sexuel sur mineur, instruite par le jeune juge Fabrice Burgaud, avait débouché sur une erreur judiciaire en juillet 2004, avec 13 acquittements et laissait des stigmates tant sur la parole des enfants que sur les acquittés. Il engendra même des suicides.
L’instruction judiciaire fera donc l’objet de nombreuses réformes législatives au cours des dernières années, dans un souci de renforcement du contradictoire et des droits de la défense :
– La loi du 5 mars 2007, tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale est une loi de compromis ; elle a créé les pôles de l’instruction et développé la cosaisine (possibilité pour 2 ou 3 juges d’instruire ensemble un dossier) pour permettre aux juges d’instruction de travailler en équipe.
– La loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs a instauré les jurés populaires au tribunal correctionnel et non aux Assises.
– La tentative de suppression du juge d’instruction pour le remplacer par le procureur qui dépend lui du Parquet. Elle a été suggérée par Nicolas Sarkozy pour qui « le juge d’instruction ne peut pas être l’arbitre de la détention parce qu’il est avant tout guidé par le besoin de son enquête (…) la décision de placement en détention provisoire est suffisamment grave pour qu’elle implique une audience collégiale publique ».
L’arrêtdu29 mars 2010 de la Cour européenne des droits de l’homme (Affaire Medvedyev et autres c. France, Requête n° 3394/03) stipule que « Le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire en France puisqu’il n’est pas indépendant du pouvoir exécutif ». La Cour estime que « l’équipage du navire a été détenu irrégulièrement en Haute Mer mais rapidement présenté à une autorité judiciaire en France et ce, en violation de l’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme mais sans violation de l’article 5 § 3 (droit à la liberté et à la sûreté) de ladite Convention ».
Le Juge d’Instruction est une autorité judiciaire indépendante au sens de la Convention. Cette décision pourrait aller à l’encontre de la volonté du gouvernement français de supprimer le juge d’instruction dont les missions seraient assumées par le parquet.
CONCLUSION : Globalement, l’état de la Justice en Guinée, et plus particulièrement de la justice pénale, est caractérisé par un délabrement particulièrement attentatoire aux libertés individuelles. On y déplore la confusion des pouvoirs, des rôles, un manque de formation et de moyens depuis le début de la chaîne pénale, l’intervention des officiers de police judiciaire de la police comme de la gendarmerie, jusqu’au système pénitentiaire proprement dit, en passant par l’intervention judiciaire.
La justice demeure encore trop mystérieuse et méconnue par la plupart de la population et les dysfonctionnements en tous genres ont complètement ruiné son crédit. A l’évidence, les conditions difficiles dans lesquelles la justice est exercée ne sont pas connues dans leur dimension réelle. Il serait vain d’espérer obtenir des acteurs de la justice qu’ils satisfassent la forte demande d’aujourd’hui si les conditions de vie et de travail ne sont pas améliorées et les contre-performances inversées.
Tout cela justifie largement une réforme profonde et rapide.
Le juge guinéen est enfermé dans un corset d’interdictions et d’incompatibilités que l’on ne retrouve dans aucune autre profession. Son indépendance, pour être effective, doit pouvoir se décliner dans trois principales directions : vis-à-vis du Pouvoir exécutif, de l’environnement familial et à l’égard des justiciables. Il est malade, parce que miné par la corruption, le favoritisme, le laxisme, l’amateurisme, lente et peu efficace à répondre aux préoccupations des guinéens, avec des magistrats et des auxiliaires de justice dont la plupart est très peu qualifiée.
Ses infrastructures judiciaires et pénitentiaires sont dans un état de délabrement total et certaines datent de l’époque coloniale et de la 1ère République.
La réalisation des réformes judicieuses préconisées lors de différents forums et projets depuis belle lurette devraient permettre au pouvoir judiciaire de s’ébrouer librement et allégrement dans le futur champ démocratique guinéen.
Que Dieu préserve la Guinée !
Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr
Paris, le 15 octobre 2011