Je m’apprêtais à publier ce texte le jeudi lorsque j’ai été informé du décès de notre frère Georges Gandhi Faraguet Tounkara, c’est pourquoi je l’ai reporté. J’ai parlé de la Cour des Comptes qui n’était pas installée. Depuis ce vendredi, Alpha Condé, certainement sur les pressions des citoyens, qui se sont bruyamment exprimés, a nommé quelques membres de l’institution…
Je maintiens le texte comme tel, car il est important que nos compatriotes soient informés de la gravité des agissements du pouvoir, qui ne fait que piétiner nos lois. Alpha Condé se prend pour Louis XIV, il fait tout « selon son bon plaisir ». Il s’est mis au-dessus des lois. Dans un de ses discours, il se félicitait de l’installation progressive de nos institutions républicaines, ce qui n’est nullement permis par la Constitution. En effet, contrairement à la Constitution du 23 Décembre 1990 qui, dans ses dispositions transitoires en son article 92, accorde un délai qui n’excède pas 5 ans pour la tenue des élections présidentielle et législatives, ainsi que toutes institutions républicaines, la Constitution de 2010, en son article 159, n’accorde qu’un délai maximum de 6 mois à compter de son adoption, pour l’organisation des élections législatives et, conformément à l’article 160, la Cour Constitutionnelle, la Cour des Comptes, l’Institution Nationale des Droits Humains, le Médiateur de la République et le Haut Conseil des Collectivités Locales doivent être installés dans un délai de six mois au plus tard, à compter de l’installation de l’Assemblée Nationale. Il est donc clair que toutes les institutions de la République devaient être fonctionnelles au plus tard en Juin 2011.
En vertu de quels pouvoirs il a bloqué l’application stricte des dispositions constitutionnelles concernant la tenue des élections et l’installation des institutions républicaines ? Alpha Condé ne mérite pas nos félicitations bien au contraire.
En ce 21ème siècle, aucun président africain ne peut se permettre de maintenir son pays durant trois ans sans parlement élu, ni de refuser d’organiser les élections locales durant tout son mandat et de ne procéder à l’installation d’institutions constitutionnelles essentielles, qu’à la dernière année de son mandat pour certaines, et ne pas le faire pour d’autres comme la Cour des Comptes et le Haut Conseil des Collectivités Locales.
Voici ce que je disais de la personnalisation du pouvoir.
Je suis triste de voir l’empressement, l’enthousiasme de beaucoup de nos compatriotes qui se pâment de plaisir de voir Alpha Condé former selon eux un gouvernement de jeunes technocrates compétents et pétris d’expériences. Je constate simplement que nous ne tirons jamais les leçons du passé et que n’importe qui peut utiliser les mêmes ficelles pour nous tromper.
Dès qu’un premier ministre est nommé, la majorité des guinéens louent ses compétences, expriment leur espoir qu’il va réussir à redresser le pays, mais pour ajouter à condition que le président le laisse travailler. C’est carrément de l’amnésie collective, car depuis 1972, on a eu des PM dans ce pays, qui n’ont eu de pouvoir que leur titre.
Pour parler de ce gouvernement, je dirais que Alpha Condé a engagé la phase de personnalisation du pouvoir, à l’image de ses prédécesseurs Sékou Touré et le général Lansana Conté. Malgré le brouhaha actuel, ce signal ne m’a pas échappé.
Certains baissent la garde en se disant que c’est son dernier mandat ou qu’il est vieux, donc il ne pourra pas aller au bout de ses ambitions, en oubliant qu’à 78 ans il est encore plus jeune que le Zimbabwéen Robert Mugabe, le Camerounais Paul Biya ou le Tunisien Béji Caïd Essebsi.
Alpha Condé est dans une logique de conservation du pouvoir à vie, et pour le faire, il a commencé à le consolider davantage. L’opération d’élimination de tous ses adversaires est en cours. Il fait exactement comme ses prédécesseurs, dont je rappelle le parcours de l’exercice autocratique du pouvoir à vie.
En 1958, c’est le PDG et ses rivaux BAG et DSG ralliés à lui, qui ont porté au pouvoir Sékou Touré.
Il a lancé l’offensive pour le contrôle total du PDG dès 1962 au séminaire de Foulaya, puis au 6ème congrès à Conakry, afin de placer ses obligés dans les structures de décisions du parti et d’éliminer tous ses dirigeants historiques. De 1960 à 1976, il avait de façon sanglante nettoyé le PDG, qui était devenu sa propriété personnelle, avec des responsables qu’il a coopté et qui lui devaient leur promotion. Parallèlement à l’opération de contrôle du parti, il a aussi épuré l’armée, qui est devenue une section du parti. Le pays tout entier est soumis à sa volonté. Nous savons qu’il nourrissait une ambition dynastique, que le destin n’a pas voulu, car il est mort sans avoir achevé son œuvre.
Le général Lansana Conté a lui aussi procédé par étapes. Porté au pouvoir par la junte du CMRN, il a commencé par éliminer son rival le plus direct, le colonel Diarra Traoré et les principaux officiers liés à tort ou raison à lui. Ensuite en 1991, il se débarrasse du CMRN et renvoie ses frères d’armes dans les casernes, où il avait déjà placé ses obligés aux commandes. À partir de ce moment, contrôlant l’Armée et le gouvernement, il a exercé un pouvoir sans partage sur le pays jusqu’à sa mort. Nous savons que lui aussi avait une ambition dynastique. Il a monté les jeunes officiers sur lesquels il comptait s’appuyer, pour transmettre le pouvoir à son fils contre ses généraux qui lui avaient refusé cette allégeance. La suite est connue, les amis du colonel Ousmane Conté ont pris le pouvoir pour eux-mêmes et l’ont mis en prison.
C’est le même scénario que nous prépare Alpha Condé. Lui aussi s’est appuyé sur le RPG et les partis alliés pour prendre le pouvoir. Durant son premier mandat, il a débarqué du gouvernement ses alliés, et a gardé une main mise sur le RPG en prenant bien soin comme par le passé, de confier ses clefs à une brave dame, qui ne peut pas lui contester le pouvoir. Pour 2015, il élimine du circuit ses anciens et nouveaux alliés et ratisse encore plus large avec l’entrée de Sydia Touré dans sa mouvance.
Maintenant, comme Conté naguère, il faut montrer à tous les ambitieux, que les partis ne servent à rien et que pour accéder au pouvoir il faut une allégeance directe à la personne du chef. Il n’a plus besoin du RPG et il le fait savoir. Il veut tuer les partis en discréditant les politiciens, qui se laissent convaincre par ses promesses. Sa stratégie consiste à dégoûter les Guinéens de ces opposants si virulents contre lui, qui redeviennent comme par magie plus convaincus que ses thuriféraires les plus zélés.
Ce gouvernement est sa marque personnelle. C’est à juste raison, que les responsables et militants du RPG ont compris, qu’ils n’ont plus de représentants au cœur du pouvoir, et que ce sont les affidés de Alpha Condé, qui ont pris leurs places.
La plupart des promus travaillaient déjà pour lui dans l’ombre, ce sont ses hommes et femmes, qui lui doivent leur ascension et, qui ne peuvent donc contester son projet de transmission dynastique du pouvoir.
Il va renforcer son contrôle sur l’Armée et l’administration. Derrière toute cette opération de marketing politique, qui exalte à l’envie le rajeunissement du pouvoir, se profile donc l’ombre de son ambition dynastique, comme ses prédécesseurs.
Nous devons donc conclure que le danger qui guette notre pays est et reste la confiscation du pouvoir par un individu, l’affaiblissement de toutes les institutions du pays qui sont inféodées à sa personne.
Ayant milité avec le professeur Alfa Ibrahim Sow, je prends toute la mesure de ses cris d’alarme sur les risques d’un pouvoir solitaire. J’ai compris son insistance à dénoncer cette dérive, qui a conduit à tuer dans l’œuf la démocratie et ses institutions dans notre pays. Il a toujours insisté sur le travail d’équipe, la transparence et fustigé « les leaders solitaires » ou « les entrepreneurs politiques ».
Nous sommes encore devant ce risque mortel de concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme, qui devient tout puissant et, qui se met au-dessus des lois en toute impunité.
Il peut se permettre de violer les lois de la République et chaque fois qu’il concède un geste de s’y plier, comme s’il s’agit d’une faveur qu’il nous accorde, il est salué comme un démocrate accompli, comme à l’annonce de son communiqué, qui dit qu’il a transmis au président de la Cour Constitutionnelle sa déclaration sur l’honneur de ses biens. Mais que dit l’article 36 ?
L’article 36 de la Constitution dispose : « Après la cérémonie d’investiture et à la fin de son mandat, dans un délai de quarante huit (48) heures, le Président de la République remet solennellement au Président de la Cour Constitutionnelle la déclaration écrite sur l’honneur de ses biens. Les Ministres avant leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci déposent à la Cour Constitutionnelle la déclaration sur l’honneur de leurs biens.
La déclaration initiale et celle de la fin de mandat ou des fonctions sont publiées au Journal
Officiel.
La copie de la déclaration du Président de la République et des membres du Gouvernement est communiquée à la Cour des comptes et aux services fiscaux.
Les écarts entre la déclaration initiale et celle de la fin de mandat ou des fonctions doivent être dûment justifiés.
Les dispositions du présent article s’appliquent au Président de l’Assemblée Nationale, aux
premiers responsables des Institutions constitutionnelles, au Gouverneur de la Banque centrale et aux responsables des régies financières de l’État ».
Voila ce que dit la loi, est-ce que Alpha Condé l’a appliqué et fait appliquer depuis 2010 ? La Constitution est claire et précise sur le délai de 48 heures pour présenter sa déclaration de biens, donc passé ce délai il a violé la loi. Ensuite, il n’a pas fait respecter la Constitution, en acceptant que ses ministres entrent en fonction sans qu’ils ne présentent leurs déclarations de biens.
Plus grave, où se trouve la Cour des Comptes, qui est chargée de vérifier les justificatifs nécessaires et de donner en fin de mandat le quitus au départ des concernés ?
L’absence de la Cour des Comptes remet en cause gravement l’équilibre institutionnel et nous prive du moyen de contrôle de l’action gouvernementale ainsi que du bon emploi de l’argent public. Elle remet en cause l’applicabilité de la Loi Organique relative aux Lois de finances et Règlement général sur la gestion budgétaire et la comptabilité publique. Cette loi qui est la Constitution financière de notre pays ne peut s’appliquer en ses articles 52, 53, 75, 76, 79, 80 et 81 parce que la Cour des Comptes n’est pas en place. C’est tout le processus de vote de nos lois de finances qui est rendu illégal, parce qu’on ne peut voter une loi de finance sans au préalable voter la loi de règlement, qui nécessite obligatoirement l’avis et donc le quitus au gouvernement de la Cour des Comptes. C’est l’article 116 de la Constitution qui est systématiquement violé depuis 2011. Aucune institution de la République n’exerce un contrôle sur l’utilisation de nos deniers publics. Alpha Condé s’est donné le pouvoir d’utiliser le budget de l’État sans aucun contrôle de qui que ce soit, en l’absence de la Cour des Comptes. Maintenant, il nous parle des femmes de ministres, qui ne doivent pas faire des affaires ou des audits, alors qu’il met le pied sur la mise en place de l’institution, qui est chargée de vérifier l’utilisation de chaque franc guinéen provenant de nos recettes publiques.
L’absence de la Cour des Comptes empêche aussi l’installation de la Haute Cour de Justice dont elle pourvoit un membre. Aujourd’hui, sans cette Haute Cour de Justice, on ne peut pas juger le président et les ministres pour haute trahison pour le premier et les autres pour crimes et délits.
Certains vont minimiser ces manquements, mais ils oublient que c’est à cause de tels actes que nous sommes pauvres et que nos jeunes préfèrent se suicider dans la mer Méditerranée. Aucun développement n’est possible sans respect des lois et règles qui régissent l’État. Comment pouvons-nous sortir de la pauvreté avec un État prédateur, où le pays est transformé en une jungle car l’État n’est pas soumis au droit. Dans ce contexte, seules les multinationales spécialisées dans l’extraction de nos minerais sont capables d’imposer leurs lois d’airains sur nos gouvernants, et peuvent prospérer sans risque, alors que leur impact sur l’économie est limité.
Pour finir, je dis que Alpha Condé est en train de nous imposer son pouvoir personnel. Il a tué le lien qui existe entre lui et son parti RPG, qui est aussi insignifiant que ne l’étaient le PDG et le PUP, dont les existences en réalité sont devenues purement théoriques. C’est pourquoi, il ne fallait pas s’étonner de la chute comme un château de cartes de ces partis après la mort de leurs chefs, parce que ces derniers ont affaibli leurs structures, et ont placé les hommes qui ne représentaient pas les populations.
Par comparaison, au Ghana c’est le parti de Rawlings qui est au pouvoir après deux tentatives infructueuses, et le parti de John Kuffor a perdu de justesse aux dernières élections. Ces partis ont survécu à leurs leaders, qui avaient exercé le pouvoir.
Ce combat pour des institutions fortes nous incombe à tous au-delà de nos divergences, car il s’agit de notre intérêt national.
Hier, les responsables et militants du PUP étaient frustrés par le général Conté, dont les agissements ont fait perdre le pouvoir à leur parti. Aujourd’hui, les responsables et militants du RPG sont frustrés par Alpha Condé, qui leur fera perdre le pouvoir.
N’importe quel autre dirigeant risque de suivre le même chemin, parce que le culte de personnalité est ancré dans notre culture politique.
Je dis donc à tous ces jeunes gens, qui sont satisfaits de la nomination selon eux de jeunes, qu’ils se trompent. Ces derniers n’ont aucun pouvoir dans la conduite de la politique de leur pays, mais ils sont aux ordres d’un chef, qui les utilise pour réaliser ses desseins personnels. Ils ne seront donc que des larbins à son service.
Que ce soit Sékou Touré, Lansana Conté et maintenant Alpha Condé, tous ont utilisé des trentenaires et des quadras, il suffit de revoir les anciennes équipes ministérielles pour s’en rendre compte, donc ce n’est pas une nouveauté dans notre pays. Nous devons donc rester vigilants et ne pas accepter qu’on nous utilise pour des intérêts obscurs.
Maintenons la pression sur Alpha Condé, à l’image de l’association « le Balai citoyen guinéen » qui a écrit au président de la Cour Constitutionnelle, pour exiger que Alpha Condé fasse sa déclaration de biens. Pour le moment elle est muette sur la question.
Je suis convaincu que nous n’avons aucune excuse à la légèreté avec laquelle nous gérons nos États, ni justifier les lenteurs dans le changement de nos mentalités. Nos élites dirigeantes font exprès de ne pas respecter les règles. Ce n’est pas le paysan analphabète de Baro qui est chargé de faire respecter notre Constitution, mais bien Alpha Condé qui est un diplômé de droit d’une université française, et qui a vécu plus de 50 ans dans un pays démocratique comme la France. Les fonctionnaires de l’État ne sont pas des analphabètes pour expliquer leur incapacité à respecter les lois. Nos parents analphabètes parviennent à vivre dans des sociétés occidentales parce qu’ils sont obligés de respecter les règles. Quand il s’agit de dépenser des sommes exorbitantes de nos deniers publics pour s’acheter les derniers modèles de 4*4, des gadgets de la société de consommation, nos dirigeants ne parlent pas de lenteur d’adaptation de nos mentalités pour jouir de ces objets de luxe, mais par contre, ils ordonnent à leurs forces de répression de tirer à balles réelles sur nos compatriotes, et ils osent dire qu’il faut du temps pour changer les mentalités de leurs tueurs.
Qui peut justifier qu’un ancien de la fac de droit de la Sorbonne devenu chef d’État soit incapable d’appliquer le droit dans son pays, ou qu’un ancien de Saint-Cyr, devenu chef des armées, oublie sa mission de protection des citoyens de son pays, en n’hésitant pas à ordonner à ses hommes de tirer sur des civils, contrairement à leurs condisciples occidentaux ?
C’est une insulte à notre intelligence, ces gens nous rabaissent aux yeux du monde civilisé et justifient ainsi toutes les thèses racistes sur notre supposée infériorité. Comme pour dire que nous n’avons pas la force morale de nous élever au dessus de nos instincts grégaires, pour construire une société fondée sur les règles et principes. Mais oui, c’est pourquoi, on nous traite avec condescendance et que, finalement, même lorsqu’on est sorti de Harvard University, nous gardons toujours cette prégnance villageoise, cet attachement viscéral à la tribu, qui obscurcit tout jugement objectif.
Nous devons arrêter les frais et dire STOP à ces dirigeants qui nous prennent pour des imbéciles. Soyons vigilants et veillons au respect strict des lois de la République par les dirigeants.
Comme le disait Robespierre : « Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ».
Alpha Saliou Wann Ex prisonier politique d’Alpha Condé