La conférence du 1er Aout 2011 dans les locaux du NDI (National Institut For Democracy) à Washington, avait une centaine de personnes dont une forte majorité d’américains…
La visite en terre étrangère et le cadre de la conférence étaient une occasion idéale pour un débat serein avec Alpha Condé sur la Guinée.
Je n’avais pas vu Alpha Condé depuis 1988. A la fin de la conférence, à ma grande déception, je réalisais que l’homme n’avait pas changé dans sa désinvolture cynique, son esprit alerte et toujours sur la défensive, ses efforts d’écoute artificielle qui ne cherchent que des réponses pour désarçonner l’interlocuteur. Devenu président, il n’arrive pas à accepter le fait qu’il fera l’objet d’attaques; que cela est souvent légitime, voire nécessaire s’il veut garder sous la main une bouée pour le sauver de lui-même. Je n’ai jamais caché l’opposition que j’ai contre Alpha Conde que je considère dangereux pour un pays fragile comme la Guinée. Les propos par lui tenus m’auront conforté dans la navrante conviction que l’homme est incapable de se hisser à cette hauteur de vue et de pratique de leadership dont la Guinée a besoin pour ne pas qu’elle continue à s’embraser dans ses propres cendres.
Après les remarques de courtoisie sur l’aide qu’il reçut pendant qu’il était opposant de NDI, Alpha Condé se lança d’emblée dans des justifications superflues sur le processus électoral. Le ton était revendicatif, comme si l’homme ne réalisait pas qu’il avait été proclamé vainqueur. Il semble obsédé par sa victoire. Il veut qu’elle soit sans disputes, sans contestations et sans questions. L’acrimonie avec laquelle il relata la compétition présidentielle trahissait un profond malaise. Le regret procède en général de deux sentiments. Celui de la nostalgie pour les choses qu’on aurait aimé avoir faites ou celui de la mauvaise conscience sur les actes accomplis. Il est difficile de savoir lequel de ces deux sentiments l’emporte dans l’esprit de Alpha. Tout comme il est difficile de comprendre que devant un auditoire en majorité composé d’étrangers, il se soit prêté à l’exercice indélicat d’attaquer les adversaires d’une campagne électorale close il y a plus de 8 mois. Avec le ton d’une leçon récitée, Alpha se mit à expliquer pourquoi il y eut 4 mois entre le premier et le second tour. Détails inutiles et affirmations gratuites à l’appui, il déclara que la raison du long intermède entre les deux tours était due à une massive électorale fraude contre lui. Les allégations alternaient entre l’accusation et l’auto-victimisation. En filigrane, les paroles cachaient des intentions de vengeance dont on aimerait épargner la nation. « Dans la région forestière, il fallait faire plus de 50 km pour aller voter du fait du manque d’urnes. » déclara Alpha. Il dit qu’ils se sont battus entre les deux tours pour augmenter le nombre des urnes de 392 à 1000. Il ajouta : « 800 étaient en ma faveur », sic. Il tira un boulet sur la CENI qui était « contre moi avec un homme de Sidya Touré à la tête ». Quant au système informatique électoral « il était dominé par Cellou ». Il indiqua qu’on lui avait conseillé de tout faire pour dissoudre la CENI mais il refusa car cela signifierait la prolongation du régime militaire. A la fin de sa longue digression, il fut clair qu’Alpha cherchait à embellir les stratagèmes de sa victoire.
Il continua la longue introduction en disant qu’en face de lui l’adversaire n’avait qu’un slogan « c’est notre tour ». « C’est ainsi que nous réussîmes à regrouper les autres régions naturelles et à vaincre ». Comme les mots sont souvent pour ne pas dire ce qu’on pense, Alpha corroborait maladroitement qu’il avait monté une campagne de division avec le slogan : « tout sauf un peul » que défendent en public certains de ses amis politiques sous des formes aux conséquences plus fâcheuses « les peuls devraient s’occuper de l’économie et nous laisser la politique ». Oubliant qu’il était en terre étrangère et qu’un message conciliant serait le bienvenu, Alpha Condé s’épancha sur le terrain des comptabilités des noms et de la représentation ethnique. S’insurgeant contre l’accusation de placer en majorité des personnes de l’ethnie malinké dans son gouvernement, il n’eut pas la présence d’esprit de dire que le principe de recrutement dans les fonctions d’état doit être dicté par la compétence, l’engagement et l’honnêteté. Au contraire, le cher professeur, malade d’ethno-régionalisme, se noya dans sa propre potion et se lança dans une sociologie des noms pour éviter de promettre l’égalité des chances aux citoyens. Il indiqua que dans les 3 régions naturelles qui lui étaient favorables, les citoyens portent souvent les mêmes noms de famille. Il y a des Fofana et des Touré qui sont à la fois malinké et soussou précisa-t-il. Il aurait pu rajouter qu’il y a des Diallo en Haute-Guinée, des Sangaré et des Diakité qui sont peuls. Mais le danger de son argument est ailleurs. L’exemple était une singularisation et un isolement du Foutah. Parce que au Foutah aussi on trouve des Fofana, des Cisse, des Camara, des Sylla qui sont des Hal-Pular. S’agit-il d’un oubli, d’une simple ignorance ou de la phobie anti-peule inconsciente qui semble habiter l’homme?
Alpha conclut en enfonçant le clou sur la lutte contre la corruption, le refus qu’il a toujours observé de participer à un quelconque gouvernement de compromis avec les prédateurs de l’économie, son passé d’opposant contre Sékou Touré qui fut malinké comme lui. Le proverbe dit que celui qui ment croit que celui qui écoute est un idiot. Dans l’énumération des ses principes, Alpha oublia commodément de mentionner que parmi ses alliés figurent les pires prédateurs et les pires faucons de l’ère de Conté : Mamadou Sylla, Kassory, Fall, Souare etc., qui ne peuvent pas revendiquer la moindre présomption de droiture économique. Leur présence dans son entourage est révélatrice du mensonge que représentent ses slogans sur le changement et la propreté économique.
Alpha eut enfin le beau jeu de citer ses réalisations et clamer avoir reçu plus de 700 millions de dollars avec Rio Tinto. L’argent sera utilisé pour réduire la pauvreté annonça-t-il. Promesse notée. On attend le plan et on surveillera le processus.
Après son discours introductif d’où était absent de tout mot de conciliation, Alpha répondit à la première question. Elle consistait à savoir ce qu’il compte faire pour reconsolider le tissu social largement entamé de la Guinée. La réponse est plus une piqûre de douleur, complètement en porte-à-faux avec ce dont la nation a besoin pour épurer son passé. Faut-il rire ou pleurer quand l’homme indique qu’il a payé des centaines d’imam pour prier pour le repos des âmes de Sékou Touré et de Conté Lansana en guise de signe de réconciliation ? Que le président « démocratiquement élu » prenne le temps d’encenser des dictateurs honnis par l’histoire et de faire prier pour le repos de leurs âmes est un signe de plusieurs troubles à venir. Que ces prières aient lieu alors que les victimes de ces deux psychopathes attendent un signe de justice et de consolation, est une insulte à la raison et à notre nation. Par son cynisme Alpha s’était disqualifié à maintes reprises comme garant de l’unité et de la cohésion collective. L’accent de glorification qu’il met d’avoir encensés les chefs des terribles régimes qui ont sévit dans notre nation est l’ultime reconnaissance de plusieurs maladies. C’est une honteuse apologie de criminels. L’acte, malsain et irresponsable de quelque façon qu’on le tourne, est le culte pathologique d’un démon pour le pouvoir et une adoration maladive des diables de l’histoire de notre nation. Le geste ne peut ni apaiser les esprits, ni réconcilier la nation. L’acte demande un réveil des consciences pour barrer la route au fils putatif des monstres du passé avant qu’il n’éparpille dans les vents les cendres sur lesquelles la nation veut renaitre. On aurait pu fermer le prétoire à ce niveau et déclarer Alpha Condé définitivement incompétent, politiquement et mentalement. Mais, dans la suite de la conférence, il nous offrira d’autres occasions de désespérer.
A la question de savoir pourquoi il maintient dans son gouvernement Pivi et Thiegboro, accusés de crimes contre l’humanité par Human Right Watch et la commission d’enquête de l’ONU, Alpha eut des réponses tout aussi troublantes. Il indiqua que ces deux militaires n’étaient pas membre de son gouvernement ( !? sic). Il précisa qu’après son investiture, héritier d’une junte militaire, son prédécesseur lui avait demandé de garder 3 militaires. L’explication qui suivit était étrange et mérite d’être élucidée. Je cite de mémoire : « En tant que civil nouveau, je serai fou de ne pas suivre ces recommandations ». Il y a dans cette affirmation une tonne de raisons d’avoir peur ; toutes aussi déconcertantes les unes que les autres. D’abord il y a le mensonge qui consiste à délibérément confondre le gouvernement de transition avec le CNDD. Ensuite la déclaration est un aveu d’impuissance, de collusion avec l’appareil militaire, de souci d’épargner les tueurs au dépends des victimes, de démission, de manque d’un minimum de considération pour les victimes et de souci de justice etc. Il serait malencontreux d’évacuer la réponse et de la ranger dans le musée des incongruités du nouveau chef de l’état. Elle est à étudier avec une attention d’autant plus soutenue qu’après avoir défendu le principe de la présomption d’innocence dont les deux soldats Pivi et Thiegboro devraient bénéficier, Alpha Conde ne trouva rien de mieux à faire (à deux reprises et au grand désespoir de l’assistance) que de dire : « je suis chef d’état. Je ne dirige pas une organisation de défense des droits de l’homme. »
Après cette sortie, Alpha répondit à une question que je lui posai ; avec la même irrésistible prédilection pour la provocation facile et la polémique stérile. La question était qu’au vu du passé de complots fictifs dont la Guinée a été le théâtre et dont il fut lui-même victime, s’il ne serait pas judicieux d’établir une commission internationale, sous les auspices de l’ancien groupe de contact devenu AMIS DE LA GUINEE, pour conduire les investigations sur les allégations d’attentat à sa vie.
L’homme sortit de ses gongs. Il aligna un barrage de réponses : a) « seuls des apatrides peuvent penser comme cela ». b) «La Guinée est un état souverain et sa justice allait mener l’enquête. J’ai la liste des personnes impliquées et je la publierai en temps utile. » « Est-ce que les États-Unis et la France demandent des commissions d’enquêtes internationales ? » « J’avais avisé un chef d’état voisin de la préparation dans son pays d’un complot visant à déstabiliser la Guinée. » c) « Tout ceux qui sont impliqués seront traduits en justice qu’ils soient commerçants, officiers etc.… ».. La fougue et l’indécence de la réaction étaient outre-mesure. Le mot « apatride » qu’il m’adressa est triste, inquiétant et irritant. Je ne pus m’empêcher de répéter le mot et de crier dans la salle :
« Bravo pour les apatrides ! ».
Le vocable ramenait à l’esprit de vieux événements. C’était il y a 37 ans. Nouvel étudiant a l’Institut Polytechnique de Conakry, pour avoir dit que les croissants, pleins d’insectes étaient faits avec de la farine avariée, je fus convoqué à l’état major de la milice et accusé d’être un apatride. Après une altercation où je revendiquai mes propos en traitant mes accusateurs de trafiquant de farine, l’incident n’eut pas de suite. Pour d’autres l’accusation signifia la mort. Le mot apatride trahit la maladive tendance, encore à l’œuvre dans les zones d’ombre de la pratique politique de la Guinée, de ne voir au contradicteur qu’un traitre. C’est une forme de tricherie par laquelle les tueurs prennent la notion de la patrie en otage pour dissimuler leurs crimes. Le mot est une triste réminiscence des sales épisodes des purges et des vociférations de la voix de la Révolution, dans les nuits des dénonciations et des peurs… A cette époque, Alpha Condé était sur la liste des condamnés à mort. Piètre destin que celui de cet homme qui, une fois que les chaises de la vie se sont retournées pour le propulser à la tête de la nation, ne trouve rien de mieux à faire que le réplica de l’imprécation facile qui l’aurait mené devant le peloton d’exécution. Sur le plan du verbalisme provocateur, Alpha a bien tenu à sa promesse de ramener la Guinée « là où Sékou l’avait laissée». On attend la suite…
La consolation vint de la Présidente de NDI qui prit la parole pour corriger, dans un langage diplomatique les bourdes d’Alpha Condé. Elle exhorta la Guinée à persévérer sur le chemin du changement démocratique. Le chemin sera long mais c’est le seul viable. « L’état est l’organe ultime des droits de l’homme » dit-elle pour soulager la salle. On applaudit. Ensuite elle élabora avec des tournures sur le danger de l’usage des vocables du passé qui rappelle le triste règne de Sékou Touré.
Mais Alpha ne voulait décidément pas être en reste. Dans sa réplique sidérante, il indiqua que le gouvernement américain avait demandé le rappel de l’ambassadeur guinéen. Un nouvel ambassadeur allait être nommé indiqua-t-il. Ensuite, il ajouta qu’il souhaitait de son coté que NDI choisisse de nouveaux représentants en Guinée. Car, soutint-il, certains membres de l’organisation sont restés pendant trop longtemps sur le problème de la Guinée et qu’ils n’ont pas capables de neutralité. Étrange forme de gratitude à une organisation qui à soutenu Alpha quand il était opposant, comme il l’a reconnu lui-même. Étrange pratique de dévoiler des négociations de cette nature en public. Plus étrange encore est le fait de parler à cet endroit des relations diplomatiques entre la Guinée et les US.
Ourouro Bah