Le procès n’a pas encore commencé que la coupable est déjà connue. Nafissatou Diallo (c’est son nom) passera le reste de sa vie à regretter ce maudit jour où elle a rencontré DSK…
Que le tribunal lui donne raison ou pas, son destin est scellé : ce sera dorénavant celui d’une paria condamnée à raser les murs et à subir la vindicte des puissants, les regards des vicelards et les chuchotements des bigots. La femme dans ce genre de situation est toujours la suspecte : toutes putes, toutes légères, toutes aguicheuses, est- ce vraiment un cliché ?
Il se produit chaque jour des milliers de viols dans le monde : dans les familles, dans le métro, dans les avions. 1373, rien que dans la ville de New- York ! Bon nombre des victimes préfèrent ne pas porter plainte. A quoi bon ? Elles ont peu de chance d’être écoutées et si le scandale éclate au grand jour, c’est leur bonne foi qui est mise en doute, c’est leur réputation qui est à jamais compromise.
La célébrité de son agresseur présumé aggrave le cas de NafissatouDiallo. DSK, cela sonne comme JFK : le fric, le pouvoir, le carnet d’adresses! Avec un nom pareil, on peut tout se permettre : les beaux hôtels, les belles nanas, les bons avocats. D’ailleurs, ces derniers sont formels : leur client sera acquitté comme il l’est déjà par ses nombreux et puissants amis parisiens qui nous jurent ab imo pectore que Monsieur Strauss-Kahn ne peut pas faire ça, ah non, cela ne lui ressemble pas. C’est la faute des comploteurs comme au bon vieux temps de Staline et de Sékou Touré ! C’est la faute de la justice américaine, cette loi de cow-boy qui, sans aucun respect pour les convenances, jette dans le même panier à salades les dealers de Harlem et les notables du XVIème.
Nafissatou Diallo est impardonnable. Cette poussière de femme sortie des décombres du Bronx a osé enrayer la grande machine de l’Histoire. Par sa faute, DSK ne sera plus ni le plus grand banquier du monde ni le successeur de Louis Napoléon Bonaparte et de De Gaulle. Et cela, on le lui fera payer cher, très cher. Déjà, des millions de dollars sont mobilisés pour la salir. On a jeté à ses trousses toute une officine d’espions, un privilège habituellement réservé aux multinationales et aux Etats. On va fouiller son passé à New- York mais aussi dans le moindre village de Guinée pour lui trouver les mille et un visages du Mal. On prouvera au monde entier que si elle n’est pas espionne, elle est sûrement pute, vampire, terroriste, ou trafiquante de drogue.
Nafissatou Diallo est devenue une vedette (la femme de ménage la plus célèbre du monde) mais une vedette silencieuse et invisible dans un feuilleton planétaire où elle tient pourtant le premier rôle. On ne connaît rien de son visage, rien de son passé, rien de sa colère, rien de sa détresse. Personne ne se hasarde à l’évoquer. Les sympathies et les indignations vont à Strauss-Kahn et dans une unanimité telle qu’elles ont tendance à confondre innocence et présomption d’innocence. Tout est bon pour sauver le camarade Dominique quitte à marcher sur le corps deNafissatou Diallo. Mais avant même que la redoutable machine du pouvoir et de l’argent ne commence son œuvre de démolition, elle est déjà anéantie, la pauvre. Elle n’est plus qu’un fantôme qui erre de cachette en cachette en tentant désespérément de dissimuler sa douleur et sa honte sous un informe voile blanc.
Tierno Monénembo, écrivain guinéen, Prix Renaudot 2008.
Source: Le Point