Kobélé et le spectre du 22 Novembre 1970-Partie IV

Enquêtes bâclées, accusations fantaisistes et deshumanisantes…

Dans plusieurs de ses articles, Kobélé se présente comme «enseignant-chercheur». En fait, Kobélé a fait une formation de bibliothécaire-archiviste en France. Il était connu dans le milieu des étudiants comme un des agents du PDG (Note 1*). Kobélé n’a pas fréquenté une école normale pour être enseignant et n’a pas de doctorat ou un équivalent pour être chercheur. Pendant des années il a travaillé à la bibliothèque de Polytechnique où il était en charge de classer et de répertorier les mémoires des étudiants. Dans l’amalgame de la révolution culturelle et de l’enseignement au rabais, il fut chargé de cours. Ce passé n’interdit sûrement pas à Kobélé d’avoir des opinions sur l’histoire de notre pays. Mais quand il s’auto-proclame chercheur, il fait de l’imposture pour impressionner. Sa signature est une tricherie qui cherche à faire passer pour des études académiques ce qui n’est que de l’hagiographie, de la propagande, de la provocation politicienne et l’apologie de crimes d’état.

Le nombre de victimes et le mythe de la résistance populaire

Kobélé avance les chiffres de 365 à 500 victimes de l’attaque du 22 Novembre 1970. Il ne précise pas si elles sont civiles ou militaires. Pour les victimes militaires, il ne fait pas de distinction entre guinéens et combattants du PAIGC. Il mentionne des gardes égorgés au camp Boiro. Il dit aussi que le camp Boiro fut libéré par des professeurs et étudiants de l’Institut Polytechnique de Conakry. Ces affirmations sont gratuites et mensongères. Des témoins encore vivants disputent la présentation de la «résistance» des étudiants de l’institut polytechnique. Ils indiquent que des étudiants furent mobilisés à Poly et on leur donna des pistolets. Mais, arrivés au camp Boiro il n’y avait aucun commandement pour les guider. Ils se contentèrent d’observer – fascinés selon les termes d’un des témoins – le mouvement des chaloupes pour embarquer leur matériel dans les bateaux en rade sur mer. Il n’y eut aucun effort de la part des étudiants pour libérer les gardes neutralisés et regroupés au milieu du camp. Leurs témoignages font cas de 8 gardes tués au Camp Boiro durant les affrontements nocturnes. D’autres témoins qui habitaient aux abords du camp Boiro cherchèrent à s’en éloigner le matin du fait des tirs nocturnes. En route, ils furent rejoints par plusieurs gardes du camp qui avaient été démobilisés par les attaquants. Contrairement à ce que Kobélé avance, il n’est nulle part documenté que les assaillants s’attaquèrent à des civils. Plusieurs sources indiquent que la plupart des victimes militaires ou civiles furent tuées par la milice populaire. À l’époque, on raconta qu’à Madina, un groupe de miliciens avait pris refuge derrière des militaires. Il était de notoriété publique que les standards de formation de la milice étaient encore plus bas que ceux de l’armée régulière qui souffraient déjà de beaucoup d’insuffisance, due à la méfiance de Sékou Touré. À part quelques leaders qui furent envoyés à Cuba, la milice n’avait pas de formation. Elle n’avait aucune expérience de combat. Les miliciens talonnèrent les militaires lors du déploiement à Madina. Le chef de la milice prit de panique donna l’ordre de tirer à volonté. Les militaires qui se trouvaient devant furent fauchés par les balles des miliciens. Le nombre de morts fut estimé à 40 en plus de 8 militaires qui furent tués au Camp Boiro. Sur le comportement des attaquants, un fait établi ruine les affirmations de Kobélé sur des tueries sauvages auxquelles les attaquants se seraient livrés. Ce fut l’arrestation par les attaquants de Lansana Diané (Note 2**). Lansana Diané qui était membre du Bureau Politique du PDG et ministre de la défense prétendit n’être qu’un chauffeur et fut mis à l’écart des militaires qui étaient regroupés au milieu du camp. Mais l’ancien ambassadeur de la Guinée à l’ONU, Ashkar Marof (Note 3***) qui était parmi les détenus politique qui venaient d’être libérés le reconnut. C’est alors qu’il fut alors enfermé. Lansana Diané était connu pour son zèle et sa cruauté (Note 4****). Mais en dépit de ce passé, de son rang dans le parti et le gouvernement ainsi que de ses relations avec Sékou Touré dont il se disait le cousin, il ne subit aucun mauvais traitement. Il sera libéré après la fin de l’attaque et mourra après la chute du PDG. Typique des purges et des règlements de compte du PDG, il sera soupçonné de complicité et ne devra son salut qu’au fait d’appartenir au sérail de la «famille régnante» (sic).

Sékou Touré refuse une enquête indépendante sur l’attaque du 22 Novembre 1970

Jusqu’au 8 Décembre 1970, Sékou avait crié sur toutes les ondes que l’attaque était une tentative de reconquête coloniale de la Guinée dirigée par la France et le Portugal. Selon Lewin, quand la BBC mentionna la présence de guinéens opposés à Sékou Touré parmi les attaquants, la radio guinéenne s’insurgea avec violence. Le conseil de sécurité de l’ONU voulut dépêcher une mission d’évaluation afin d’imposer une compensation au Portugal. Sékou Touré s’opposa vigoureusement à la mission. Avec une pirouette typique de l’homme à la recherche du sensationnel au lieu de la vérité, Sékou demanda comme compensation l’indépendance immédiate des colonies portugaises d’Afrique. Cela permit Sékou Touré d’entretenir le flou sur l’ampleur des dégâts matériels et humains mais aussi de denier une assistance au pays. Ce comportement de la part d’un président soulève des questions d’importance. Le manque total de compassion envers les familles des victimes et les populations guinéennes en général est bien dans le cadre de la politique de domestication des citoyens par la misère que Sékou Touré pratiquait pour prévenir toute forme de résistance interne. Connaissant l’exhibitionnisme de Sékou Touré, le refus de la mission d’évaluation de l’ONU s’explique par d’autres raisons qu’une fierté ou un nationalisme africain que ces adeptes lui prêtent. Il faut se rappeler que quelques jours avant, le même Sékou Touré lançait des supplications publiques et répétées pour une intervention militaire de l’ONU. Il avait rabroué la première mission de l’ONU en public, déclarant qu’il ne voulait pas des enquêteurs mais des militaires. En réalité, le refus de la mission d’enquêtes était dû à la peur que les enquêteurs de l’ONU ne découvrent les faits réels autour de l’attaque : des données sur sa complicité avec les troupes portugaises, les vrais auteurs et l’ampleur des dégâts, la faiblesse voire l’inexistence des prétendues complicités intérieures, le manque de mobilisation des guinéens pour contrer l’attaque, l’état piteux de l’armée et de la milice. Dès après le vote du Conseil de sécurité condamnant le Portugal (le 8 Décembre 1970) et avec l’annulation de la mission d’enquêtes sur les dommages, Sékou Touré changea le ton. Il lança la campagne de répression interne avec le slogan de la cinquième colonne.

Chefs d’accusations – «anti-Guinéens», mercenaires et cinquième colonne- la logomachie de vendetta

Les chefs d’accusations «d’anti-guinéens », «d’agent de la cinquième colonne» ou de « mercenaires » accompagnés de traitres, d’apatrides, de collaborateurs qui furent appliqués aux victimes de la répression ne sont que des slogans diffamatoires faits pour humilier. Ils ne correspondent ni à des faits, ni à des délits ou crimes définis par les lois en vigueur. Ils étaient destinés à conditionner l’opinion sur travesti de justice populaire de circonstance et aux purges sauvages des années 1970-71.

Anti-guinéen

Être guinéen est un statut juridique qui procède des dispositifs prévus par la loi. Ce statut ne peut avoir un antinomique. On peut y renoncer sans conséquences adverses. De quelques façons qu’on l’analyse, l’idée d’anti-guinéen est un concept creux. Il ne peut se prêter à une analyse rationnelle. Il ne peut être un délit qui soutiendrait une cour de justice digne de ce nom. Le slogan est une manipulation abusive qui consiste à exclure du corps social et à diaboliser des citoyens aux fins de justifier leur extermination – avec la justice de foule.

Cinquième colonne

Des témoignages divers (dont celui de Nadine Barry) expliquent comment le concept de cinquième colonne fut introduit dans le dispositif répressif du PDG. Quand Émile Cissé (Note 5*****) servit à Kankan, il se lia d’amitié avec Dr. Kozel, un médecin dentiste et coopérant tchèque. Ce dernier lui parla du concept de la cinquième colonne dans l’Espagne fasciste, en France, en Allemagne et en Belgique pendant la deuxième guerre mondiale. Émile Cissé comprit que le slogan serait utile pour justifier l’arrestation de qui on veut et en fit part de l’idée à Sékou Touré. Sékou rencontra Dr. Kozel pour plus d’amples détails et en fit son conseiller (Note 6******). Le concept de cinquième colonne prouvera être d’une efficacité extraordinaire dans les purges. Sans justification aucune, il affirma l’existence de réseaux internes de complicités lors de l’attaque. Encore de nos jours des guinéens en sont convaincus. A l’instar des accusations d’anti-guinéen et de mercenaire, le concept de cinquième colonne permit de faire l’économie de l’obligation de preuves. Avec une mauvaise foi qui donne le tournis, Kobélé abonde dans le même sens avec des « preuves » maigres: «…parmi les éléments pendus à Conakry, Certains figuraient sur le film réalisé par Carl Michaël le matin du 22 novembre 1970 au bas de la résidence de l’Ambassade de la Tanzanie surplombant la zone et où il s’était réfugié avec Miriam Makéba ; les intéressés communiquaient par talkie-walkie avec les 6 bateaux stationnant dans les eaux de Conakry…. Le film avait été donné au feu Président Ahmed Sékou Touré. Une copie se trouvait encore dans le bureau de feu Président Ahmed Sékou Touré dont les archives étaient très bien classées. Bien entendu aucune trace de ce film ne fut exhibée pendant les campagnes contre les victimes. Comme par hasard, toutes «les pièces-à-convictions » des complots du PDG sont des ragots dont l’historiographe Kobélé s’est fait l’agent. Et, fait qui peut paraitre anodin mais essentiel dans les montages du PDG, le fait incriminant dans le supposé film selon Kobélé, c’est le fait de communiquer par talkie-walkie. Sans preuve aucune, Kobélé affirme que c’était avec «les 6 bateaux stationnant dans les eaux de Conakry».

Mercenaire

Une compilation de définitions juridiques et de l’étymologie du terme s’accorde sur le fait que le mercenaire est un soldat qui agit pour le compte d’un gouvernement étranger, moyennant un avantage matériel. Le mercenaire est étranger aux parties en conflit. En outre il doit prendre une part directe aux hostilités. Ainsi, par définition on ne peut être mercenaire dans son pays. La vendetta du PDG vida le mot mercenaire de son sens pour en faire un moyen de deshumanisation des guinéens qui prirent part à l’attaque. Dans la frénésie des purges, furent aussi considérés comme mercenaires les supposés complice internes. Que Kobélé véhicule cette accusation peut s’entendre. Mais que des «journalistes » et des «faiseurs d’opinion» versent dans la dangereuse confusion est symptomatique d’une histoire tronquée. Le label de mercenaire avait pour but de ravaler en une aberration le courage de guinéens patriotes qui risquèrent leur vie pour débarrasser leur pays d’un despotisme sanguinaire. L’accusation cherche à réduire leur engagement en une entreprise bassement monétaire. La campagne est dans la nature totalitaire du PDG qui dénie aux citoyens guinéens les vertus de se soulever pour gagner leur liberté. Et d’humilier des adversaires politiques qui sont réduits à des bêtes de somme ou des sous-humains, avides et cupides sur lesquels toutes les infamies sont permises.

Ourouro Bah (À suivre : Les mécanismes des aveux et de la justice populaire) (Note 1*) En tant qu’étudiant, Kobélé était connu comme espion à la solde du régime. Il fit partie du groupe qui divisa le mouvement des étudiants lors de la grève de 1961 quand le gouvernement guinéen voulut dissoudre l’Association des étudiants guinéen en France (AEGF) et les enrôler dans des sections de la JRDA. (Dr. Abdourahmane Bah – in Mon Combat pour la Guinée) (Note 2**) Lansana Diané est vétérinaire de formation. Sékou Touré lui conféra le titre de Général d’armée et le dépêcha au Congo dans le cadre d’une mission d’observation de l’ONU dans les années 60. Lansana Diané brilla par son incapacité et fut rabroué par les officiers guinéens qui demandèrent son rapatriement avant terme en Guinée. (Note 3***) Ashkar Marof est né en 1930 à Coyah. Il fit des études à l’École Breguet à Paris et devint directeur adjoint des Ballets Africains en 1954 puis directeur en 1957. Il fut le représentant permanent de la Guinée auprès des Nations Unies, de 1964 à 1968. Rappelé à Conakry en 1968, il fut arrêté et emprisonné au camp Boiro. Il fut brièvement libéré lors du débarquement de 1970. Mais il sera fusille en janvier 1971. Son fils David lui a dédié un film émouvant: ALLAH TANTOU- (Remerciements à Allah) (Note 4****) Voici ce que dit Kaba 41 de Lansana Diané : « [en] 1959, à la fin novembre et au début décembre, ce même Diané Lansana ordonna de ramasser tous les aveugles de Kankan, et Dieu sait s’ils étaient nombreux. Dans leurs camions, les militaires les raflèrent dans toute la ville, en particulier devant la poste, les pharmacies, les marchés et devant la concession du feu Cheik Fanta Mady Kaba. Les camions bourrés s’ébranlèrent vers Baté-Nafadyi, à la sortie de Kankan vers Siguiri. Là, les aveugles, femmes, enfants, vieillards, furent proprement abattus. La raison divine de ce crime ? C’est que la toute puissante Excellence Kwamé N’Krumah devait séjourner à Kankan pour deux semaines. Ses yeux divins (quelle divinité !) ne devaient pas tomber sur ces loques humaines qui faisaient honte à la Guinée». Lors de la grève des étudiants de 1961 alors qu’il était commandant à Labé Kankan. Il avait fait appel à l’armée du camp Elhadj Oumar pour réprimer la grève et les manifestations qui avaient suivi l’arrestation des leaders syndicaux. (Note 5*****) Émile Cissé était un métis et un protégé de Sékou Touré. Ce dernier lui donna carte blanche pour régner sur les populations de Kankan et de Labé. Il fut le principal du collège de Labé entre 1966-1971 avec des pouvoirs illimités. Personnage extravagant et sans scrupules, il usa de ses pouvoirs pour détourner plusieurs collégiennes et en abuser sexuellement ; il engendra un nombre considérable d’enfants illégitimes. Il épousera une de ces filles. Il l’empêcha d’aller au lycée après le brevet. Il lui créa une classe au collège où elle était la seule élève pour pouvoir la contrôler, en violation des règles de l’éducation publique. Les populations de Labé excédées par ses abus se plaignirent à Sékou Touré lors d’une conférence de « bouche ouverte » en 1967. Sékou défendit son poulain. Il insulta publiquement son ancien bienfaiteur Samba Cissoko, un des premiers militants du RDA à Labé, dont Émile Cissé avait licencié la fille de l’école parce qu’elle avait refusé ses avances. Le public outragé hua Sékou Touré. Quant à Samba Cissoko, il ne survivra pas au fait d’avoir été traité de menteur en public. Il mourra quelques jours après la conférence. Émile Cissé joua un rôle central dans la fabrication du « complot » qui emporta les Kaman Diaby, Fodéba et Diawadou en 1969. Il monta l’affaire pour se venger de certains de ses « amis » qui narguaient ses prétentions intellectuelles. Sékou Touré de son côté en profita pour se défaire de fidèles compagnons et d’adversaires qui s’étaient ralliés à lui et pour infiltrer les casernes militaires. Émile Cissé sera nommé gouverneur de Kindia où il supervisa les tortures au camp Kémé Bouréma. Il mourra comme il avait sévi, de «diète noire», au camp Boiro. (Note 6******) Les rôles d’Émile Cissé, de Dr. Kozel et d’autres personnalités de l’époque dans la préparation des aveux des purges seront abordés dans la prochaine livraison