Les béquilles de la politique en Guinée (par Ansoumane Doré)

Il s’agit des béquilles auxquelles les dirigeants politiques guinéens ont constamment eu recours comme supports de ce qu’ils ont pris ou prennent comme une politique nationale .Tous ceux qui s’intéressent à l’évolution de ce pays connaissent ou devinent ces béquilles qui ont gravement compromis l’avenir guinéen…

AnsoumaneDore_05Tous les Guinéens, ou presque, au nom du patriotisme et de la nécessaire unité nationale condamnent plus ou moins sincèrement les béquilles-supports du pouvoir politique que je vais citer sans ordre précis et sans être exhaustif.

1)-L’improvisation et les effets d’annonces qui l’accompagnent a été et est toujours la marque de l’inorganisation de la culture du travail gouvernemental. Elle a conduit à une administration de saute d’humeur, d’où la production à profusion de décrets à longueur d’année.

Tout cela dans une ambiance d’activisme soutenu mais stérile. Et dire qu’en présence de ce contexte d’imbroglio des Guinéens n’ont de cesse d’invoquer la Constitution et la kyrielle de lois existantes qui sont là pour faire comme tous les Etats mais sont ignorées faute d’esprit de loi.

Cet état de fait constitue une première béquille sur laquelle les gouvernants se sont toujours appuyés et les effets d’annonces dont ils sont coutumiers satisfont la troupe de gens qui espèrent ou peuvent grappiller quelques miettes de la mangeoire gouvernementale.

On se souvient du rapport-bilan des deux premières années du présent quinquennat : un gigantesque catalogue de 76 pages sans réel contenu tangible.

2)-La deuxième béquille est constituée par l’absence d’esprit des lois en Guinée. Esprit des lois, dans le sens ici que les lois doivent revêtir un caractère sacré pour jouer le rôle qui leur est assigné dans la société.

Du simple citoyen aux ministres, tout le monde parle de lois et de justice. Or, très souvent l’une et l’autre sont bafouées. L’impunité est devenue un comportement normal.

Le Président de la République, Alpha Condé, juriste de formation, qui est plus préoccupé par son maintien au pouvoir que par le respect scrupuleux de la Constitution et des lois de la République, ne semble pas être le juriste que les Guinéens « éclairés » avaient cru porter au pouvoir.

Comme moi et d’autres, à l’époque de nos temps d’étudiants, il avait dû cependant percevoir sur le fronton de sa Faculté de Droit et des Sciences Economiques, l’inscription remontant à l’Antiquité romaine : « Legibus atque ratione, civitas sustinetur », La cité (l’Etat) est soutenue par les lois et la raison, (Cicéron, 106-43 av. J.C. Des lois). Sans lois et sans justice dignes de ces noms, l’Etat ne peut demeurer qu’une jungle. Et l’on est dans la jungle en Guinée.

La réforme de l’Armée guinéenne que le Président a brandie comme une avancée significative de son quinquennat, aurait pu servir, le pays n’étant pas en guerre, à lutter contre le développement de l’insécurité, pour la réduction des malfrats. Il n’en est rien, l’effet d’annonce a consisté à dire qu’on ne voyait plus de soldats en armes dans les rues de Conakry.

Les assassinats ou tentatives d’assassinats de cadres supérieurs de l’Etat ou d’opposants politiques ne manquent pas dans les rues de la capitale sans qu’on sache exactement qui sont les malfrats.

Pour des Pouvoirs soucieux de la tranquillité sociale des Guinéens, l’Armée, la Police et la Gendarmerie, par leurs efforts conjugués seraient parfaitement parvenues à réduire la criminalité qui gangrène le développement économique et social de la Guinée avec le cortège de morts, si cette mission leur avait été clairement assignée.

Au lieu de cette tâche nationale, elles sont soumises au rôle de cerbères du régime et de répression des militants des partis de l’Opposition qui ont des velléités de manifester leurs mécontentements contre la gestion de la chose publique qu’est la république.

Naturellement, il se trouve toujours des opportunistes, qui, pour approcher la mangeoire gouvernementale, se répandent en haut -parleurs des annonces mirifiques de Sékoutouréyah. Toute cette camarilla berce d’illusions les Guinéens pour les maintenir dans l’obscurantisme, la médiocrité et les frustrations.

Voilà, où a conduit l’absence de l’esprit des lois, une des béquilles qui semblent être appréciées des régimes guinéens.

3)-Une politique ethnocentriste, c’est la troisième béquille sur laquelle continue de fonctionner la politique nationale guinéenne. L’ethnocentrisme, le repli sur son ethnie pour faire de la politique nationale n’est pas nouvelle en Guinée même si elle a revêtu une acuité particulière ces trente dernières années.

Le système de monopartisme des débuts de la Première République (1958-1984) n’avait pas mis en avant des aspects ethnocentriques, bien que des « princes » et des « princesses » issus du sérail clanique du Président, se fussent mis à pointer, très tôt, le bout du nez au-dessus du peuple dans la démocratie populaire d’alors.

Puis le masque du leader révolutionnaire et nationaliste fut jeté quand le Chef de l’Etat déclara ouvertement la guerre à une partie de son peuple : La guerre aux Peuhls en 1976.

Ceux qui demeuraient timorés sur cette face longtemps cachée de la Guinée révolutionnaire, donnèrent des élans insoupçonnés dans leur fureur vengeresse anti peuhle.

Lansana Conté venu au pouvoir a tout d’abord semblé jouer le national contre le régional/tribal au sein du Comité Militaire de Redressement National (CMRN). Ce fut de très courte durée, car après ce qu’on a appelé la tentative de coup d’État de Diarra Traoré, d’ethnie malinké, en juillet 1985, l’ethno-stratégie fut la méthode qu’il adopta pour gérer la Guinée.

Nos compatriotes soussous furent anormalement présents dans tous les rouages de l’Etat guinéen. Depuis lors, la tentation ethnocentriste n’a pas cessé de gagner du terrain. Les intellectuels politiques arrivés dans le sillage du multipartisme, n’ont pas encore réussi à corriger la glissade sur les sentiers de l’ethnie.

Le pouvoir d’Alpha Condé n’a pas fait d’efforts visibles pour un redressement de cette évolution. Divers indices le montrent comme la falsification des résultats du dernier recensement de la population guinéenne.

La Haute-Guinée, fief électoral supposé du RPG au pouvoir, a été classée la première région démographique du pays. Si cette région est en effet, la plus étendue en espace, elle est comme toute région de savane en Afrique de l’Ouest, de densité démographique très faible et donc sans bouleversements socio-économiques de plusieurs années sur toute son étendue, elle ne peut pas se hisser à cette première place, d’autant plus que ma connaissance des résultats de recensements démographiques guinéens, depuis le premier en 1954-1955 me conduisent à douter de l’authenticité du dernier classement mettant la Haute-Guinée en première position.

L’intention de cette fraude démographique est à visée électorale et donc remplit bien le rôle ethnocentrique du pouvoir en place. La béquille ethnocentrique est donc pleinement utilisée sans fard dans l’Administration d’Alpha Condé, comme le montrent les informations suivantes.

*** a)- Au niveau du cabinet de la Présidence, on dénombrait en décembre 2014, 27 Ministres et Conseillers dont 51% de Malinkés et apparentés, 23% de Soussous et apparentés, 23% de Peuhls et apparentés, 3% d’autres ethnies ;

*** b)- Au gouvernement de 35 ministres, il y avait toujours en décembre 2014 : 47% de Malinkés et apparentés, 25% de Soussous et apparentés, 17% de Peuhls et apparentés, 11% d’autres ethnies ;

***c)- Dans les 35 chefs de missions diplomatiques, à la même date : 53% de Malinkés et apparentés, 26% de Soussous et apparentés, 12% de Peuhls et apparentés, 9% d’autres ethnies ;

*** d)- Des 8 gouverneurs de Régions : 37 % de Malinkés et apparentés, 25% de Soussous et apparentés, 13% de Peuhls et apparentés, 25 % d’autres ethnies ;

*** e)- Des 33 préfets, enfin : 39 % de Malinkés, 27 % de Peuhls, 18 % de Soussous, 16 % d’autres ethnies.

Ces informations ne donnent que la partie émergée de l’iceberg mais que doit-il se passer dans les couches intermédiaires et inférieures de la fonction publique?…

NB. J’ai été dans une première partie de ma vie professionnelle fonctionnaire à l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) en France de 1965 à 1971, je sais par conséquent que quand on avance des chiffres il faut en indiquer les sources.

C’est volontairement que je ne le fais pas ici afin de protéger mes informateurs. Ceux qui sont sur place en Guinée, peuvent vérifier, à la source, les chiffres à partir desquels ces pourcentages ont été calculés.

Au sujet de la répartition que je viens d’indiquer, le problème ne relève pas seulement de l’arithmétique mais des compétences des ressources humaines à utiliser pour le développement de la Guinée. Ces compétences ne se localisent pas dans une seule ethnie.

Le parti politique du Président, qu’il a appelé Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) aurait pu honorer son appellation en faisant preuve de comportement moins ethniciste que l’image qui ressort des données qu’on vient de lire.

Mais dans ce pays les appellations des choses et les titres ronflants des hommes diffèrent très souvent des réalités qu’ils désignent. L’image et la réalité de cette béquille ethniciste de l’Etat-RPG est une des causes non seulement de la tension politique Pouvoir-Opposition mais surtout de la tension sociale dans le pays.

Accolées à la tentation ethniciste, les coordinations régionales qui étaient à l’origine des associations amicales des originaires d’une même région dans la capitale Conakry, ont reflué à l’intérieur du pays.

D’abord comme messagers voilés de partis politiques puis comme acteurs visibles dans le clivage ethnique. Ainsi, bien qu’existent dans les quatre régions des minorités importantes issues d’autres régions, on n’a pas encore vu de président de coordination régionale qui ne soit pas du cru du terroir.

Alors s’agit-il d’une préfiguration d’une Guinée fédérale de quatre régions au lieu d’une Guinée unitaire?

La vision au jour le jour des gouvernants ne permet pas de voir où l’on va et cela ne semble même pas être leur problème. Et les coordinations peuvent continuer leur rôle de démolition de l’unité nationale. Ceci dit nul n’aurait soulevé la nocivité de ces coordinations régionales si elles œuvraient pour l’unité nationale guinéenne.

4)-La culture des effets d’annonce qui conduit à l’imposture et aux magouilles politiciennes.

Cette béquille est aussi vieille que la république et a été de pratique sous tous les régimes.

Les effets d’annonces et les magouilles ne s’encombrent pas de l’armature légale du pays. On l’a déjà dit que l’absence d’esprit des lois a conduit sur cette voie où la pratique de la tactique l’emporte sur l’élaboration de stratégies mûries en matière des grands axes de la politique nationale.

Dans ce contexte, la tentation totalitaire du président en place ne fait que s’enfler. L’émiettement de l’espace politique consécutif à l’avènement du multipartisme ne déplaît pas aux tenants du pouvoir pour utiliser l’appétit en tous genres d’animateurs de petits partis sans avenir en s’en servant comme des supplétifs politiques.

Cette béquille a entraîné vers le culte de la personnalité. L’appropriation privée de tous les pouvoirs d’Etat par le Président en exercice n’a pas l’air de révolter bien des citoyens, même dits éclairés : les deniers publics utilisés comme bakchich lors des élections notamment, les distributions d’argent public à des catégories de clients politiques comme s’il s’agissait de fonds tirés de la cassette privée du premier magistrat du pays sont des aspects de ces abus de pouvoirs.

L’utilisation du secteur d’Etat (fonctionnaires, armée, gendarmerie, police etc… au seul bénéfice du pari au pouvoir donc de son président est monnaie courante. Et cela ne semble gêner personne, en dehors de l’Opposition.

On ferme les yeux sur les agissements de fonctionnaires publics qui se font payer des pièces administratives à fournir à des usagers ou encore de policiers qui rançonnent les automobilistes.

La lutte contre toutes ces magouilles, petites ou grandes aurait amorcé le fameux changement tant claironné avant 2011. Le locataire de Sékoutouréyah a donné l’impression que son but était d’y être parvenu et pas d’autre chose.

Les magouilles politiciennes existent plus ou moins partout mais en Guinée, elles sont devenues une spécialité à grande échelle qui dame le pion à tous les ingrédients politiques.

Ainsi, juste à l’approche des grandes manœuvres des élections présidentielle et locales d’octobre 2015, le Président avait voulu qu’à cette date n’eût lieu la présidentielle avec en place des délégués communautaires (locaux) qu’il avait nommés en 2011 alors qu’ils auraient dû être élus depuis cette date.

Cette question semble avoir abouti à une entente Pouvoir-Opposition. Tant mieux. Mais c’est seulement à la date du 15 mars 2015 que le Médiateur de la République, M. Facinet Touré nommé en 2011 pour sept ans a prêté serment pour accomplir sa mission. C’est également en mars qu’est relancé le serpent de mer sur les Consultations nationales du processus de la réconciliation nationale.

Cette question aurait dû être abordée dès le début du quinquennat en 2011, mais c’est oublier qu’on est au cœur de la république de la procrastination.

Sur les quelques béquilles évoquées dans cette chronique quelles actions peuvent avoir les partis politiques d’opposition, la Société civile, les Syndicats ?

Je réserve mes quelques éléments de réponses à la chronique prochaine.

Avant de terminer le présent chronique, je dois ajouter ceci.

Tous ceux qui sont au pouvoir, à une époque donnée, et nombre de leurs partisans, très souvent opportunistes, adeptes de ces mots d’Horace, dans l’Antiquité, carpe diem (mets à profit le jour présent), oublient toutes leurs acrimonies contre le pouvoir précédent pour s’accommoder de ses béquilles et jouir du pouvoir.

Ainsi du temps du pouvoir du Général Lansana Conté, l’unique mal de Guinée, c’était lui selon un slogan de la propagande politique du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) au pouvoir depuis 2011.

Ce général-président, ne s’appuyait que sur des béquilles de la mal gouvernance. Mais cela n’a pas empêché de reconduire dans la gouvernance actuelle, bien des habitudes et des hommes de l’époque, jugée honnie de Lansana Conté. Ce n’est, cependant pas celui-ci qui est, à présent, le plus jugé comme responsable de la mise à genoux de la Guinée, mais ses ex-Premiers-Ministres.

C’est comme si sous Lansana Conté on ignore qu’il n’y avait pas, à sérieusement analyser l’état de la Guinée à cette époque, un Etat guinéen objectivement organisé.

L’entourage immédiat de Conté, constitué, le plus souvent, d’affidés issus de son ethnie, le manœuvrait à longueur de temps, par la confection de décrets et de contre-décrets en son nom et « gouvernait » ainsi la Guinée.

Alors parler dans ces conditions du pillage économique de la Guinée par les seuls Premiers-Ministres, ressemble à des manœuvres de bas étages et à des ukases de règlements de compte pour tuer politiquement des adversaires.

Ce qui reste vrai est que cette époque du général-président a été l’occasion pour ceux qui le pouvaient de s’enrichir sur le dos de l’Etat dans un cadre manifeste d’absence d’Etat organisé.

Un apurement d’une telle situation aurait pu trouver place dans un cadre dénué d’arrière -pensée politicienne afin que tous ceux qui ont pillé les biens collectifs, soient amenés à des remboursements à la République de Guinée.

Je demeure persuadé que des investigations sérieuses sur un tel domaine ne concerneraient pas que les seuls ex-Premiers -Ministres. Et le travail gouvernemental qui se serait attaqué à cette question aurait mis à bas bien des béquilles qui entravent encore ce pays

Enfin l’épidémie Ebola qui a durement frappé notre pays et pour laquelle il faut que les Guinéens dans leur ensemble manifestent une grande reconnaissance à tous ceux qui ont volé au secours de la Guinée pour l’éradiquer.

Je pense à des pays tiers et à des ONG et notamment à Médecins Sans Frontières (MSF) .Il peut être souhaitable que cette épidémie ne soit pas utilisée politiquement ni par la mouvance ni par l’Opposition à moins de dérapages notoires dans sa gestion.

Ansoumane Doré Dijon, France.