Etats Généraux de la Justice : Volonté de changement ou obligation pour plaire à la CPI ?

Depuis trois mois, on crie sur tous les toits que la logique de tout gouvernement mis en place « démocratiquement » pour la première fois en plus de 50 ans d’indépendance, est de faire l’état des lieux par l’organisation d’Etats Généraux dans les secteurs de la gestion des affaires publiques, avec des axes prioritaires qui sont supposés être définis dans le discours d’Investiture…

Le Président de la République le dit régulièrement à juste titre : « J’ai hérité d’un pays et pas d’un Etat ! » Mais c’est à vous, monsieur le Président, d’en faire un Etat performant et moderne dans les règles de l’art. On dit bien dans les règles de l’art !

A partir de ce constat, il est difficile pour le commun des observateurs de voir que c’est seulement après trois mois d’exercice que l’on commence à parler d’Etats Généraux. On constate à ce niveau une drôle de coïncidence. En effet, comme le hasard fait bien les choses. C’est au moment où les regards de la Communauté Internationale, à travers la présence actuelle ou récente d’organismes ou juridictions pour s’enquérir de la situation des Droits de l’Homme dans notre pays, que l’on s’active pour faire un semblant d’organisation d’Etat Généraux de la Justice.

Il avait été écrit, il y a quelques temps que le gouvernement est une équipe de football avec le Président comme entraîneur et qui donne le style de jeu et la tactique à adopter et qui définit les objectifs à atteindre pour la saison. C’est alors que le Capitaine de l’équipe qui est l’équivalent du Premier Ministre, Chef de Gouvernement, de coordonner les actions des uns et des autres, afin que les avants n’aillent pas à gauche pendant que les arrières vont à droite. Quelque soit donc les talents de Messi ou de Maître Christian SOW, ils sont tous les deux tenus de jouer en équipe pour faire gagner le collectif, car tous seuls, ils ne sont rien.

Mais revenons un tout petit peu sur la substance de la Vision et des Objectifs des Etats Généraux, dans des conditions normales :

1. Avant les Etats Généraux, il est important de procéder à des évaluations effectives du secteur à travers trois types d’audits :

a. Un audit financier pour avoir une idée des fonds, de leur utilisation et surtout de la pertinence des dépenses par rapport à des procédures et normes préétablies ;

b. Un audit Programme en passant à travers le plan d’action pour savoir si les actions menées dans le secteur sont en conformité avec le plan initial et surtout la mission du secteur ou du département ;

c. Un audit de performance pour faire la part de l’adéquation entre les fonds alloués et l’atteinte des objectifs définis à travers une analyse approfondie des indicateurs de performance.

2. Pendant les Etats Généraux, l’accent sera d’abord et avant tout mis sur les rapports d’audit ainsi que tous les documents de procédures, de politiques, de lettres de mission et d’actes juridiques qui règlementent les actions dans ce secteur ou ce département. Ces documents serviront de base de travail, afin de permettre :

a. Une bonne analyse des rapports d’audit ;

b. Une révision et réactualisation des documents, textes, procédures et autres politiques ;

c. Une meilleure redéfinition de la Mission, des objectifs et d’un plan d’action ;

d. Une élaboration du Budget ;

e. Une redéfinition de la structure organisationnelle du sommet à la base ;

f. Une proposition de cadres compétents aux postes de responsabilité.

3. Après les Etats Généraux, il sera question de faire la consolidation des politiques, procédures, plans d’action et budget, de manière à ce que, tout en gardant les plans sectoriels, que l’on obtienne une politique générale qui cadre avec la vision initiale du Président de la République qui vise à tenir ses promesses électorales tout en tenant compte des contraintes du moment. C’est seulement à ce moment que l’on va avoir un discours de politique générale avec des axes prioritaires.

Monsieur le Président, encore une fois, vous voulez danser plus vite que la musique ! Attention, l’équilibre n’étant déjà pas là…

En Guinée, tous les secteurs de la vie nationale ont besoin d’Etats Généraux :

1. La Santé, le pays a besoin de mettre ensemble les spécialistes du secteur pour définir une politique générale de santé publique et si cette politique existe déjà, la réactualiser tant au niveau centrale qu’à celui décentralisé. Il ne sert à rien de dire que la césarienne est gratuite si le médecin n’a nit coton, ni compresse ni alcool pour travailler correctement, parce que tout cela sera à la charge de la patiente ;

2. L’Education, il est question de savoir ce que le pays sera pour ses enfants en la matière et surtout en terme de performance demain en tenant compte des exigences du marché et en anticipant les besoins de demain. Il ne sert à rien de former des mathématiciens si le marché n’en n’a pas besoin ;

3. Les Energies, cela fait 30 ans que nous vivons des délestages au fil des saisons. Il est important de se poser un certain nombre de questions pour avancer : Voulons-nous ou devons nous forcément produire de l’électricité ou l’acheter ? Si on produit, pouvons nous le faire à un coût compétitif ? Pouvons exporter l’excédent de cette production ? Au niveau de l’eau, pouvons nous stocker les eaux de pluies pour en faire usage en saison sèche ? Avons-nous la capacité de satisfaire, à terme tous les besoins de Conakry qui s’agrandi ?

4. Les Mines, il y a un grand besoin de se parler dans ce secteur parce qu’il est important de savoir ce qui est bien pour le pays aujourd’hui, mais aussi et surtout pour demain. Les contrats doivent se faire en conséquence. Devons nous mettre en place une carte des mines qui dirait par exemple la Basse Guinée et la Moyenne Guinée garderont les Minerais, la Haute Guinée et la Forêt, les métaux ;

5. Les Transports, il s’agira d’une définition de ce que nous voulons pour le terrestre (routes et chemins de fer), le maritime et l’aérien. Comment assurer ce fonctionnement ? l’Etat doit être seul ou le laisser au Privé ? Devons nous avoir une Compagnie Aérienne seule ou en partenariat ? devons nous exploiter des navires pour desservir la sous région ;

6. La Diplomatie, avons-nous les moyen d’entretenir efficacement 10, 20, 30, 40 ou 50 missions diplomatiques à travers le monde ? Devons nous forcément respecter le principe de la réciprocité ? Que font réellement nos diplomates à l’étranger ? Sont-ils vraiment formés pour bien représenter le pays ? Quelles leçons pouvons nous tirer de la situation en Libye en Côte d’Ivoire et nos jeunes qui étudient au Maroc, à Cuba et ailleurs ?

7. L’Agriculture, la Pêche et l’Elevage, comment mettre les bases pour assurer l’auto suffisance alimentaire dans notre pays à moyen terme ? La production locale sera-t-elle au cœur du processus ou bien tout sera importé ? Si cela est le cas, tiendrons nous longtemps le coup ? Pouvons nous parler de spécialisations régionales pour profiter des avantages comparatifs au niveau de la production locale ?

8. L’Environnement, que voulons nous léguer aux générations futures en matière de qualité de vie et d’environnement ? A quel niveau sommes nous par rapport au respect des textes et conventions que nous avons signés ?

9. Les Forces de Sécurité et de Défenses, voilà toute la problématique du pays. Que devons nous faire face à l’opacité de la gestion de ce secteur ? Voulons nous une force destructrice ou une force professionnelle ? Mais qui dit professionnel dit forcément critère de sélection à la base, formation, plan de carrière et spécialisation, avec un nombre proportionnel à la population du pays. Il ne sert à rien d’avoir un militaire pour 10 citoyens alors que nous ne pouvons pas avoir un médecin et un enseignant pour 500 citoyens ;

10. Les Finances Publiques, le nerf de la guerre. Quel est son état et quel est son avenir ? Elles seront le moteur de tout développement. Quelles vont être la vision et la gestion des postes de recettes (Impôts et Douane), mais aussi et surtout celles des postes de dépenses. En effet, il ne sert à rien de renforcer les capacités de recouvrement des postes de recettes si les postes de dépenses ne sont pas sous contrôle. Et ce contrôle passera nécessairement et obligatoirement par la réduction du train de vie de l’Etat ;

11. L’Emploi des Jeunes, ce secteur sera la résultante de tout le travail qui sera fait en amont dans le but d’attirer les investisseurs. En effet, une bonne gouvernance, un secteur éducatif performant et un cadre propice aux affaires permettront de mettre de bonnes bases. Mais il sera tout aussi important de connaître le débit annuel de nos centres de formation, mais aussi la capacité du marché à les absorber. Avons-nous besoin de salon de l’emploi? Avons-nous besoin de revoir l’âge de la retraite pour permettre aux jeunes de rentrer plus vite en activité ? devons nous mettre en place un fonds pour la promotion ;

12. La Jeunesse, Sports/Loisirs, Arts/Culture, que voulons nous pour l’épanouissement de la jeunesse. Comment assurer la santé, l’éducation et l’emploi. Quelle politique contre la délinquance, la drogue, le tabac, le Sida et la prostitution. Au niveau des sports, est-ce qu’il faut suspendre la Guinée de toutes les compétitions internationales pour au moins 2 ans, le temps de mettre les bases ? Sur le plan culturel, allons nous ramener les festivals culturels, afin de faire vivre les spécificités de nos régions naturelles ?

13. L’Administration Publique, elle est pléthorique, vieille, inefficace et dépassée. Quelle administration voulons nous et quelle sera sa mission dans le contexte actuel ? Quel plan de carrière pour nos fonctionnaires ? Avons-nous besoin d’une Ecole d’Administration ?

14. Infrastructures et Aménagement du Territoire, l’élément moteur de toute gestion cohérente et efficace reste la réalités des infrastructures et l’aménagement. Quelle politique pour assurer le désenclavement de nos localités à l’intérieur du pays ? Devrait on envoyer la capitale politique à l’intérieur du pays ? Quel aménagement pour le commerce, l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’eau et l’électricité ?

La question que tous les guinéens sont en droit de se poser c’est pourquoi la justice et pourquoi maintenant pour faire des Etats Généraux ?

Le Premier Ministre nous a présenté au CNT un discours de politique générale avec cinq axes prioritaires de son gouvernement et qui sont :

1. La Bonne Gouvernance ;

2. La lutte contre la Pauvreté ;

3. Le Développement des Infrastructures ;

4. Le Développement et Expansion Economique ;

5. La Réforme du Secteur de la Sécurité

Selon ce discours et les axes prioritaires ci-dessus, la justice n’est qu’un simple élément de l’axe de la Bonne Gouvernance. Si cela est bien le cas, pourquoi ne pas faire des Etats Généraux de tout l’axe prioritaire dans son ensemble ? A ce rythme, tout le quinquennat de Alpha Condé sera consacré à faire des Etats Généraux sans jamais se mettre au travail.

Il est à rappeler que dans le passé, il y a eu des Etats Généraux de l’Education et les choses sont pires aujourd’hui qu’au moment où on faisait l’état des lieux.

Le constat est simple et très amer, la gestion de Alpha Condé est approximative et chaque acte de son gouvernement ou de lui-même n’a rien de cohérent et ne s’inscrit nullement dans une logique et un esprit avec ce qui est annoncé la veille.

Monsieur le Président, vos compatriotes ont besoin de vous voir mettre de l’ordre dans cette gestion le plus vite que possible avant que cela ne soit trop tard !

 

Mamadou BARRY,

Analyste Financier

mamadoubiro@yahoo.fr