Entre deux avions à la rencontre des grands de ce monde, Tibou Kamara a accordé une interview exclusive à guinee58 dans laquelle il fait le grand déballage tant attendu sur la transition. Le plus jeune ministre de l’histoire de la Guinée postindépendance fait une analyse de la situation politique chaotique et détaille ses propositions de sortie de crise qui passe selon lui par le départ du pouvoir du président Alpha Condé. Lisez cette interview révélatrice des coulisses de la transition…
Guinee58 : Bonjour M. Kamara. Vous êtes en séjour privé à Paris. Nous vous remercions de recevoir la rédaction de www.guinee58.com malgré un agenda bien chargé. Vous avez été secrétaire général de la présidence de la République tout au long de la transition. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé vous vivez à l’étranger et on vous entend peu. Nous avons avant tout envie de vous demander, comment vous portez vous ?
Tibou Kamara : Ça va. Je me porte très bien. Par la grâce de Dieu, je ne suis pas plus malheureux qu’un autre. Mon seul souci aujourd’hui est la situation préoccupante de mon pays qui ne peut laisser indiffèrent aucun patriote.
Parce que beaucoup de sacrifices ont été consentis pour que la Guinée soit un Etat démocratique et que chaque citoyen ait la possibilité d’y vivre librement et en paix.
Malheureusement, ce n’est pas le cas lorsque nous voyons tous les abus qui y sont commis. Nombreux de nos compatriotes prennent le chemin de l’exil. Ceux qui vivent encore dans le pays peuvent être considérés comme des assignés à résidence dans la mesure où, au quotidien, leurs libertés sont bafouées.
Je considère qu’il y a eu trop de sacrifices pour peu de choses. Pour nous qui avions géré la transition, la désillusion est totale et pour tout le monde.
Guinee58 : Depuis votre départ du pays, vous êtes très discret sur votre vie. Quelles sont vosoccupations?
Tibou Kamara : Pendant la transition, je m’étais engagé sur mon honneur qu’après cette période difficile, je prendrai du recul de la vie publique. C’est un choix personnel de me mettre en réserve. Je m’étais imposé un devoir de réserve le temps que les nouvelles autorités se mettent en place. Lorsqu’on a été aux affaires, il est toujours difficile de commenter les actions des autres.
Ce qui ne veut pas dire que je suis indiffèrent de la situation du pays ou je n’ai pas d’occupation personnelle. Je garde toujours un œil attentif sur la Guinée.
Ces dernières années, à cause de mes responsabilités, je n’ai pas passé beaucoup de temps avec ma famille. J’ai estimé qu’il faut donner un peu de temps à la famille, se reconstruire sur le plan personnel et sortir de l’urgence de l’action publique.
La vie n’est pas que le pouvoir. Il y a une vie après le pouvoir. Il y a beaucoup d’autres centres d’intérêts dans la vie que d’exercer une responsabilité publique.
Je suis tout à fait heureux de ma vie actuelle. Je m’occupe de ma famille et de moi-même. Je réfléchis beaucoup. Le moment venu, je ferai savoir ce que j’ai l’intention de faire à titre personnel et professionnel.
Guinee58 : Votre exil est-il voulu ou forcé ?
Tibou Kamara : C’est un exil à la fois voulu et forcé. D’abord, c’était un exil voulu. Comme je l’ai dit tant tôt, qu’après la transition, j’avais décidé me mettre en réserve et partir du pays.
Quand on a été au pouvoir et exercé des responsabilités qui furent les miennes, ce n’est pas toujours facile de rester au pays sans porter ombrage aux nouvelles autorités. Elles peuvent éprouver des complexes et nourrir des suspicions à l’encontre de tout le monde. D’ailleurs, c’est le cas avec l’actuel régime qui est très paranoïaque. Donc, c’était tout à fait sage et responsable de partir du pays.
Mais, par la force des choses, mon exil est devenu imposé. Dans la mesure où les conditions de sécurité et de liberté pour que j’aille en Guinée, si j’en ai envie, ne sont pas réunies.
La Président Alpha Condé avait porté des accusations publiques à l’encontre de ma personne dans l’affaire du 19 juillet 2011. Dans un pays où la justice n’est pas complètement indépendante et lorsque le Président lance une fatwa contre une personne, il est évident qu’on ne se sent pas en sécurité pour vivre dans son pays.
Guinee58 : Les autorités guinéennes avaient refusé de vous délivrer un passeport. Comment faites-vous pour vous déplacer ? Avez-vous demandé un asile dans un pays ?
Tibou Kamara : D’abord, il faut rappeler que j’avais demandé un passeport ordinaire et non diplomatique auquel d’ailleurs, j’en ai droit. Tout citoyen a légitimement droit à un passeport ordinaire. En tant que citoyen guinée, j’estime en avoir droit. Malheureusement, certains ont estimé que je n’en avais pas droit.
Par ailleurs, mon compte à la Banque centrale a été bloqué. Je vous rappelle que les hauts cadres de l’Etat et les ministres bénéficiaient d’office l’ouverture d’un compte à la Banque Centrale dans lequel ils reçoivent leurs salaires et primes. C’est ainsi que j’avais ouvert ce compte.
Puisque je ne mène pas un combat personnel, je n’en ai jamais fait état. Car, La Guinée a mieux à faire que d’écouter des frustrations personnelles. Mes relations personnelles avec Alpha Condé n’ont aucun enjeu national et ne doivent pas être portées sur la place publique.
Dans la vie, lorsqu’une porte se ferme, beaucoup d’autres s’ouvrent. Grâce à la solidarité africaine, un pays ami m’a fait l’estime de m’accorder un document de voyage pour me faciliter mes déplacements.
Guinee58 : Dans l’affaire du 19 juillet 2011, Alpha Condé a porté des accusations à l’encontre de MM. Bah Oury, Diallo Sadakaadji et vous-même. Selon vous, pourquoi vous a-t-il accusés? S’agit-il d’un règlement de compte?
Tibou Kamara : Le problème d’Alpha Condé est qu’il considère qu’il est toujours dans un combat politique. C’est un éternel candidat. Il n’a pas encore fait sa mutation politique pour devenir un Président de la République et un véritable homme d’Etat afin de s’atteler à un effort de rassemblement.
Pendant la transition, certains membres de l’équipe avaient affiché leur sympathie pour Alpha Condé. D’autres, comme moi, ne l’avaient pas fait. Donc, Alpha considère ces derniers comme des ennemis politiques. Surtout, il ne fait pas un effort de discernement lorsqu’il reçoit des informations.
Pour des raisons qui lui sont propres, il estimait que certains de ses compatriotes étaient non seulement opposés à son régime mais aussi engagés à le déstabiliser. C’était une manière de lancer un ballon d’essai et prêcher le faux pour avoir le vrai. C’était également une tentative d’intimidation afin de nous éloigner du pays et nous imposer l’exil. Alpha Condé voulait créer le vide au tour de lui pour pouvoir se comporter en tyran sans rencontrer aucune résistance, comme il le fait aujourd’hui.
Guinee58 : On va toujours rester sur l’affaire du 19 Juillet qui défraie la chronique. Votre ami, l’ancien président de la transition le général Sékouba Konaté a affirmé par voix de presse que « l’affaire du 19 Juillet » est une affaire montée de toutes pièces. Quelle est votre opinion sur cette affaire ?
Tibou Kamara : La Guinée est malheureusement un pays marqué par les complots permanents et des mensonges d’Etats érigés en pratique et en système de gouvernement. Alpha Condé a dit qu’il a pris la Guinée là où Sékou Touré l’a laissé. Tout le monde l’a entendu mais tout le monde pensait que c’était une boutade. Malheureusement c’était un engagement, plus qu’un engagement d’ailleurs. Car au fil du temps on a compris que c’était une conviction profonde de l’homme.
S’agissant de l’affaire du 19 Juillet, on ne sait pas s’il y a une vérité dans cette affaire mais tout ce qu’on peut dire, c’est que la vérité n’a pas encore été dite. Je sais tout simplement c’est qu’il y a eu beaucoup d’accusations gratuites. Beaucoup d’innocents ont été arrêtés et sont maintenus en prison malheureusement. D’abord, je ferai remarquer que la justice n’a pas encore confirmé les accusations qui ont été portées par le président Alpha Condé.
Pour ce qui me concerne, j’ai été accusé par Alpha Condé et son gouvernement d’avoir participé à cette attaque. Un certain nombre de personnes et moi avons été accusés mais jusqu’à présent aucune de personnes arrêtées ne nous a cités comme étant instigateur de ceux qui ont agi dans le cadre de ce supposé attentat manqué.
Je profite d’ailleurs pour dire que cette affaire a fait plus de mal à notre pays qu’il ne l’a aidé. Elle a nui à la crédibilité de nos institutions. Cette affaire a également entaché la réputation de notre justice qui était déjà malmenée par d’autres évènements qu’on a connus de par le passé. Avec l’évolution de la procédure judiciaire, on constate un écart entre les faits et les accusations. Cela ne favorise ni à Alpha Condé, ni à son régime.
Guinee58 : Comme vous l’avez évoqué précédemment, Alpha Condé vous a cité comme étant impliqué à cette attaque. Il avait également cité Mr Bah Oury (vice président de l’UFDG, ndlr). Mais jusqu’à présent, vous n’avez pas encore été cité ni dans les procès verbaux, ni lors du procès. Comment expliquez-vous que malgré les accusations formulées contre vous par le président Alpha Condé lui-même, votre nom n’a toujours pas été cité ? On n’arrive pas à comprendre. Est-ce que vous avez négocié avec le pouvoir depuis ces accusations à votre encontre ?
Tibou Kamara : Si vous vous rappelez, j’avais réagi à l’époque. J’avais dit qu’Alpha Condé n’était pas dans le vrai. Je suppose que le fait d’être cité dans une affaire ne fait pas de moi un coupable. Je suis convaincu que moi et tous ceux qui ont été cités dans cette affaire sommes innocents. Lorsque cette instruction judiciaire ira à son terme, l’innocence des accusés sera établie si la justice fait son travail de manière indépendante et impartiale.
S’agissant de Bah Oury, je vois mal comment un démocrate comme lui qui s’est battu toute sa vie pour l’avènement démocratique par les voies légales peut recourir du jour au lendemain à l’usage de la force. Avec ses convictions démocratiques qui sont fortes, je ne vois pas comment il peut engager ou favoriser un coup d’Etat. Ce genre d’actes seraient contraire à son engagement démocratique et politique.
Ceux qui ont envie de faire usage des armes ne l’ont pas fait à visage masqué car ils ont estimé aucune autre alternative n’était possible pour sauver leur pays. Mais ce n’est pas pour la Guinée.
Mais lorsqu’on est un épouvantail pour un régime qui est illégitime, illégal, fragile et vulnérable comme celui d’Alpha Condé, il est évident que les méthodes les plus rocambolesques soient utilisées pour vous éloigner du pays. Connu pour sa pugnacité à lutter contre toutes les formes d’injustices de tous les régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays, cela peut expliquer l’acharnement contre lui. Bah Oury s’est opposé à tous les régimes et pas seulement à celui d’Alpha Condé. Cela explique qu’il soit une cible du régime d’Alpha Condé. Mais je trouve qu’être la cible numéro un du régime d’Alpha Condé est flatteur pour Bah Oury. Cela ne fera que renforcer sa conviction politique et sa légitimité dans notre paysage politique.
Guinee58 : Arrivez-vous à suivre le procès ? Commet vous le jugez ?
Tibou Kamara : C’est une mascarade, une comédie, une parodie judicaire qui ne fait pas honneur à notre pays. Cette mascarade décrédibilise d’avantages un régime aux abois à la quête de légitimité. Ce manque de légitimité ne va jamais être compensé par ce genre de montage. Ceci est un mensonge d’Etat qui rappelle un passé sombre de notre pays. Cela prouve qu’Alpha Condé est un homme du passé qui veut faire la politique comme dans les années 50. Ce genre de montage est totalement dépassé.
Alpha Condé n’a jamais participé à l’histoire de la Guinée et malheureusement pour lui, il ne fait pas partie de l’avenir. Je suis malheureux pour Alpha Condé qui est devenu président. Au moins s’il n’avait pas été président, il aurait gardé la légitimité du combat qu’il a mené. Désormais, on retiendra de lui d’un président dont le bilan est chaotique et dont le mythe s’effondre. Finalement, on a vu que ce n’est pas un combattant mais plutôt un brasseur de vent et un marchand de bisons. Il n’a jamais été un démocrate et un patriote qui a réellement eu pour souci une ambition nationale. Son seul souci était de conquérir le pouvoir mais sans jamais se poser la question comment l’exercer.
Guinee58 : On va revenir sur l’actualité politique qui est très tendue entre les différents protagonistes. Quelles sont selon vous les raisons de cette crise et quelles sont les solutions pour sortir de cette crise ?
Tibou Kamara : Je vais peut être vous surprendre. A titre personnel, il n’y a pas d’issue ni de solution à cette crise avec Alpha Condé. La raison de la crise est simple. Alpha Condé est un président mal élu qui n’a d’ailleurs pas été élu. M. Condé a envie de confirmer une légitimité qui n’existe pas en remportant les élections législatives. L’enjeu de ce processus dépasse largement les législatives. C’est une présidentielle avant l’heure. Etant déclaré vainqueur de la dernière présidentielle dans les conditions que l’on connait, avec des résultats controversés et une légitimité mise à mal, Alpha Condé veut démontrer le contraire malgré l’effritement de son électorat. Même les alliés d’Alpha Condé ont publiquement avoué que les résultats annoncés ne reflètent ni les résultats des urnes ni la volonté des électeurs. Les présidentielles ont été organisées dans des conditions chaotiques avec des résultats calamiteux que tout le monde connait.
Si Alpha Condé perd les législatives puisqu’il va les perdre si elles sont transparentes équitables et transparentes, cela confirmera qu’il n’a pas remporté la dernière présidentielle. Ceci renforcera surtout le fait qu’il soit minoritaire dans le pays comme tout le monde le constate aujourd’hui.
En revanche, si Alpha Condé remporte les législatives, ce sera le premier tour de la présidentielle de 2015 avant l’heure. Cela lui permettra de démontrer que c’est lui le véritable vainqueur de la dernière présidentielle. En même temps, il prendra une longueur d’avance sur la prochaine présidentielle. Puisque tout le monde a compris qu’il n’est pas venu pour faire un seul mandat. C’est pour cela que ces législatives dépassent largement la simple mise en place d’un parlement. Donc s’il les perd, ça sera un coup dur pour lui et son réveil sera rude.
Alpha Condé ne peut se permettre de perdre ces législatives car ceci marquera clairement le début de la fin pour lui. Ça sera aussi une forme de cohabitation avec l’opposition qui sera majoritaire à l’Assemblée.
Mais son échec est inévitable si on se réfère à son bilan sur le terrain. Alpha Condé veut utiliser les mêmes recettes que la dernière présidentielle. N’étant pas capable de remporter les élections dans les urnes, il veut créer les conditions qui lui permettront d’être déclaré vainqueur sur le papier par la CENI acquise à sa cause.
S’agissant de l’opposition, ayant perdu injustement la présidentielle, elle ne peut se permettre de perdre les législatives. Ce n’est pas la parodie électorale que l’opinion retiendra mais plutôt le manque de leadership et de clairvoyance des leaders de l’opposition. Ceci sera le signe de faiblesse de l’opposition devant Alpha Condé qui aura réussi à prouver son efficacité et la suprématie de sa politique sur la classe politique actuelle. Les leaders de l’opposition ne peuvent pas se permettre de perdre ces législatives qui marquera le début de la fin de la carrière politique de plusieurs de ces leaders de l’opposition. Leur perte marquera surtout l’inévitable recomposition du paysage politique. Je tiens à préciser que beaucoup de jeunes leaders n’attendent que l’effritement de la classe politique actuelle pour jouer leurs propres cartes.
Aucun de deux camps ne peut se permettre de perdre ces législatives d’où l’impossibilité d’aboutir à un minimum de consensus permettant d’aller sereinement aux législatives de sorte que les électeurs sentent que leurs choix ont été respectés.
Guinee58 : A vous entendre, c’est comme s’il n’y a pas de solution ?
Tibou Kamara : Je conseillerai à l’opposition d’arrêter d’aller sur le terrain d’Alpha Condé. On a vu ce que la reforme de la CENI a donné où malgré les nombreuses victimes qui ont permis cette recomposition, Alpha Condé a renforcé son hégémonie sur la CENI avec l’arrivée de Bakary Fofana qui est beaucoup plus dangereux que Louceny Camara. Le pire c’est que Louceny Camara a été nommé à l’issue de cette recomposition comme membre du gouvernement. Ce qui constitue une offense pour l’opposition et une insulte pour la population Guinéenne.
Pour ne pas subir pareil revers, l’opposition doit s’y prendre autrement. Compte tenu de l’engouement populaire et de sa légitimité auprès des électeurs, l’opposition doit faire en sorte d’en finir une fois et pour toute avec Alpha Condé. La Guinée a beaucoup plus de problèmes que ceux liés à des élections. A côté de ces législatives, il y a des problèmes beaucoup plus importants. Le tissu social est rompu et les ethnies que compte notre pays se regardent en chiens de faïences. La gouvernance d’Alpha Condé est contestée et contestable. Des facteurs qui ne laissent aucun doute, font état des détournements importants des derniers publics.
La corruption monte en puissance. Elle est aujourd’hui plus importante qu’elle ne l’a jamais été de par le passé. C’est la première fois de notre histoire qu’on assiste à l’avènement d’un régime clanique, tribal et familial. Il n’y a qu’Alpha Condé, son clan et sa tribu qui sont au pouvoir Guinée. Toutes les autres ethnies sont exclues. On a toujours construit la Guinée sur une base fragile et précaire mais qui a toujours respecté l’équilibre régional.
Ces facteurs sont beaucoup plus importants que les questions électorales qui ne seront jamais transparentes tant qu’Alpha Condé est au pouvoir. On a compris que le problème c’est Alpha Condé et la solution c’est son départ. Donc, au lieu de se battre pour des questions électorales, il vaut mieux se batte pour son départ. Il n’y a qu’Alpha Condé qui plombe le processus électoral. L’unique solution pour le débloquer est de faire en sorte qu’il parte du pouvoir.
Pour ce faire, l’opposition doit changer de stratégie en arrêtant d’aller sur le terrain d’Alpha Condé qui ne négocie que quand il veut et réprime quand il veut. Il ne négocie que quand son pouvoir bat de l’aile pour le permettre de gagner du temps et sauver ce qui peut l’être. Ces négociations n’aboutiront à aucune solution.
Guinee58 : Que pensez-vous d’une médiation mixte conduite par des Guinéens et la communauté internationale ?
Tibou Kamara : Le dialogue avec Alpha Condé n’est pas la solution. Je comprends la situation de l’opposition qui subit la pression de la communauté internationale pour faire aboutir le processus électoral par tous les moyens et quelques soient les sacrifices. Je comprends la position de l’opposition qui axe sa stratégie sur la concertation et le dialogue pour ne pas perdre la confiance de la communauté internationale et ainsi donner l’impression d’être une opposition radicale dont la seule stratégie est basée sur la violence.
Mais la réalité de notre pays est tout autre. Alpha Condé est devenu ultra-minoritaire dans le pays. Il ne peut consentir aucune concession allant dans le sens d’un processus électoral libre et transparent. Seules les manifestations ont permis de faire bouger le régime d’Alpha Condé qui est sourd et aveugle à toute revendication. L’autre question est le fait que ce n’est pas la première fois que le dialogue est initié. Des recommandations issues des dialogues précédents dorment dans les tiroirs sans qu’aucune action ne soit menée pour les faire aboutir. Je suis donc septique à ce dialogue qu’Alpha Condé veut utiliser pour gagner du temps.
Guinee58 : vous avez eu des mots très durs contre la gouvernance d’Alpha Condé. Vous l’avez même assimilé à une dictature. Mais vous qui avez été un acteur clé de la transition, vous ne vous sentez pas responsable de ce qui arrive aujourd’hui ?
Tibou Kamara : Je me sens responsable dans la mesure où j’ai été de ceux qui ont géré la transition mais je ne me sens pas coupable. Nous avons un bilan collectif dans la gestion de cette transition, qu’il faut avoir le courage politique et intellectuel d’assumer. Mais au delà nous avons aussi des responsabilités individuelles. Dans la gestion de la transition, si les acteurs ont tous fait le même serment, tous ne l’ont pas respecté à l’identique ou du moins l’appliqué dans son esprit. D’ailleurs c’est ce qui explique qu’actuellement parmi les acteurs de la transition, certains sont toujours aux affaires alors que d’autres sont traqués et contraints à l’exil. Certains se sont compromis et ont soutenu et favorisé l’élection de tel ou tel candidat alors que d’autres comme moi sont restés neutres et n’ont soutenu aucun des nombreux candidats. Ma fierté aujourd’hui est de n’avoir pas contribué à l’élection d’un président comme Alpha Condé. Ceux qui ont participé à l’élection d’Alpha Condé se sentent aujourd’hui moralement et politiquement coupable. Ils expriment de regrets, certains d’ailleurs publiquement, pour se soulager la conscience mais le mal est déjà fait. Avec le temps on saura ce qui se passé tout le long de la gestion de la transition.
Guinee58 : Pouvez-vous avancer des noms de ces acteurs de la transition qui ont trahi l’esprit du serment ?
Tibou Kamara : Je suis tenu à une certaine obligation de réserve. Quand on a été au plus niveau de responsabilité dans la gestion des affaires de la nation, on se doit d’être discret et le devoir de réserve s’impose. Cela dit, j’avais toujours affirmé ma volonté d’apporter mon témoignage afin d’éclairer cette partie de notre histoire. Tout ce que nous vivons maintenant est la conséquence de cette transition. C’est important que sa gestion et son déroulement soient bien compris par nos compatriotes. L’ordre des choses est inversé dans notre pays. Ce sont toujours ceux qui ont mal servi le pays qui s’en sortent mieux. Le vice et le mal ont toujours triomphé du bien dans notre pays. C’est pourquoi il est important que chacun témoigne afin de bien expliquer les faits.
Guinee58 : Vous dites être tenu au devoir de réserve. Mais nous insistons justement ces témoignages que vous venez d’évoquer. Certains de vos anciens collègues de la transition ont promis de faire des révélations. Le premier ministre de la transition dit vouloir en faire au moment venu. Il s’est notamment engagé à apporter toute la vérité sur le fameux empoisonnement des militants du RPG au palais du peuple. Même le Général Konaté, qui a présidé la transition, s’est engagé à apporter des précisions sur les événements qui ont conduit à l’intronisation d’Alpha Condé. Nous avons envie de vous demander si vous aussi vous n’avez pas de révélation à faire. Si oui voulez-vous en faire quelques unes au micro de www.guinee58.com ?
Tibou Kamara : Le devoir de réserve ne veut pas dire le silence. Le rôle et la responsabilité de chacun mérite d’être connu. Je me réjouis que chacun ait conscient du devoir qu’il a à témoigner. Il est important surtout que ces témoignages interviennent maintenant. Tous les acteurs sont encore en vie et la situation politique actuelle est la conséquente évidente de cette histoire récente de notre pays. Ces témoignages auront bien plus d’intérêt historique s’ils interviennent maintenant.
Guinee58 : Il faut attendre vos mémoires afin de connaitre votre part de verité alors ?
Tibou Kamara : Non ! Non ! Il y a déjà beaucoup de gens qui sont intervenus. J’interviens quelques fois dans les médias. Le Général (Konaté) lui-même s’exprime quelques fois et a promis d’en dire davantage. Jean-Marie Doré également intervient régulièrement et s’est effectivement engagé à apporter un éclaircissement sur un certain nombre d’affaire et particulièrement sur celle concernant l’empoisonnement des militants du RPG au palais du peuple.
Guinee58 : Certains observateurs n’ont cessé de stigmatiser la faiblesse du gouvernement de transition. Cependant certains dénoncent plutôt la faiblesse du candidat de l’UFDG. A votre avis, est ce que la personnalité de Cellou Dalein Diallo a joué en faveur du candidat du RPG, Alpha Condé ?
Tibou Kamara : Avant tout je voudrais dire une chose. Je me suis fixé une règle simple qui m’oblige à me dispenser de donner une appréciation individuelle sur tel ou tel acteur politique. Simplement on peut constater que le comportement responsable de Cellou Dalein Diallo a permis à la Guinée d’éviter le pire et de sortir ainsi d’une crise au lendemain incertain. Déjà tout au long de la transition certains acteurs ont joué sur la fibre ethnique afin d’enflammer le paysage politique et de dresser les Guinéens les uns contre les autres. La situation était bien fragile. L’attitude responsable qu’il a eue a permis de montrer aujourd’hui toute la faiblesse du président qui a été mal élu. S’il avait eu l’attitude belliqueuse que tout le monde attendait de lui, peut être que le monde et la communauté internationale n’auraient pas eu l’occasion d’apercevoir la vraie nature d’Alpha Condé. Et surtout cette attitude belliqueuse, qu’il a soigneusement évitée, aurait masqué sa grandeur d’homme d’Etat. Actuellement l’unanimité est faite contre le président Alpha Condé et c’est autour de son challenger Cellou Dalein Diallo que se fait le consensus politique. La vocation d’un leader c’est parfois de faire des choix difficiles et des les assumer. Il lui incombe aussi de prendre des décisions que les gens ne peuvent pas comprendre. Dans l’histoire, il y a beaucoup d’homme d’Etat qui ont pris des décisions qui les ont fragilisé mais qui au fil du temps les ont finalement renforcé. Je ne pense pas qu’on puisse avancer que Cellou soit perdant dans cette affaire car s’il n’avait pas pris la bonne décision, peut être qu’on n’aurait pas pu apercevoir tous les ressentiments négatifs sur Alpha Condé. Aujourd’hui personne ne peut contester la légitimité de l’opposition de Cellou à un système qui a montré ses limites. Les faits actuels montrent que les citoyens, dans leur grande majorité, souhaitent que l’alternative soit incarnée par l’UFDG et son leader. Quand on milite dans un parti c’est pour faire confiance à son leader. Je rappellerai qu’Alpha Condé a cinquante ans de lutte politique dont vingt pour arriver au bout du régime du Général Conté alors que Cellou n’a pas dix ans d’engagement politique. Aucun homme politique surtout en Afrique n’a conquis le pouvoir au bout de cinq ou dix ans de lutte politique. Je ne pense pas qu’on puisse construire une entreprise politique si à chaque fois il y a défaite ou échec on met en cause l’autorité du leader. Cela fragilise l’action politique. Aujourd’hui il faut continuer à lui (Cellou) faire confiance. Il est entrain de renforcer son leadership politique. Plusieurs de nos compatriotes ont compris dans la décision qu’il (Cellou) a prise, qu’il n’est pas un assoiffé du pouvoir. Il a réussi à sortir de ce carcan de leader régional dans lequel on voulait l’enfermer, pour devenir un véritable leader national.
Guinee58 : Les proches de Sydia Touré, président de l’UFR, vous accusent de l’avoir disqualifié au profil de Alpha Condé pour la qualification au second tour de la présidentielle de 2010. Quelles explications donnez-vous à cette accusation ?
Tibou Kamara : Dans la transition, la fierté que j’ai c’est d’avoir accepté le pouvoir, en âme et conscience, sans avoir eu le souci d’aider quelqu’un ou l’ambition de gêner un autre. J’ai eu l’occasion de m’expliquer sur ce qu’il s’est passé mais peut-être comme c’était sous le feu de la transition, je ne me suis pas fait comprendre. Ben Sékou était le président de la CENI et celle-ci était réellement indépendante. Ce n’est pas l’indépendance de façade dont on parle aujourd’hui. La transition telle qu’elle a été gérée était l’émanation de toutes les forces vives qui’ s’étaient repartis les postes de responsabilités au sein de l’exécutif de transition. Ce n’était pas la présidence qui gérait les affaires de la CENI. Chacun, dans la transition, avait une place et un rôle, c’est vrai complémentaire de celui de l’autre mais indépendante.
Quand Ben Sékou est venu avec les résultats tels qu’ils étaient sortis des urnes, Cellou Dallein Diallo était premier, Alpha Condé deuxième et Sydia Touré troisième. Il a estimé qu’il y a eu une ampleur de fraude dans les circonscriptions de Alpha Condé qui l’amène à invalider (conformément à l’article de la CENI qui donnait plein pouvoir à son président d’annuler, à sa discrétion, les résultats dans des circonscriptions pour lesquelles il estime le vote mal déroulé) les résultats de ces circonscriptions. Ce qui avait une incidence sur le classement puisque Sydia passait deuxième en procédant ainsi.
Je lui ai fait trois remarques :
Premièrement, si c’est à cause de l’irrégularité, c’est tout le vote qui doit être annulé parce que le code électoral est clair, un bulletin qui ne soit pas dans une enveloppe est un bulletin nul. Or, sur l’ensemble du territoire, le vote s’est déroulé sans enveloppes.
Deuxièmement, ce n’est pas que dans les circonscriptions de Alpha Condé qu’il y a eu des irrégularités de nature à annuler le vote; la cour suprême le confirmera plus tard par l’annulation de certaines circonscriptions favorables aux autres candidats (Ratoma, Matam,…). Je l’ai dit qu’on ne peut pas dire que le vote s’est mal déroulé que dans les circonscriptions de Alpha Condé et supprimer des voix qui vont modifier le classement et éliminer un candidat qui était sorti deuxième au terme des résultats des urnes.
Troisièmement, je l’ai dit que moi j’ai un conseil à te donner ; en politique, il faut toujours tenir compte de la perception et non de la réalité. On te dit partisan de Sydia Touré et moi de Cellou Dallein Diallo, tant que nous ne faisons pas d’arbitrage en faveur de l’un ou de l’autre, nous sommes innocents. Mais que tu fasses un arbitrage favorable à Sydia Touré n’est pas crédible quelque soit, par ailleurs, l’objectivité du jugement. A partir du moment où à notre niveau l’arbitrage est pratiquement impossible du fait des suspicions dont nous sommes confrontés dans l’opinion, je te suggère de présenter les résultats tels qu’ils sont sortis des urnes à la cour suprême. Elle a la compétence de décider de quel vote est valable et de quel vote ne l’est pas et les résultats qu’elle présentera s’imposeront à tout le monde.
Guinee58 : Nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien. Avez-vous un message à passer pour conclure ?
Tibou Kamara: Je voudrais vous remercier pour m’avoir accordé cette occasion de m’exprimer sur la situation de la Guinée qui nous interpelle tous à plus d’un titre. Je voudrais également vous féliciter pour le travail remarquable que vous êtes entrain d’accomplir. Ce qui n’est pas du tout facile parce qu’il s’agit de porter un regard critique sur l’action publique. Je vous encourage à persévérer dans la voie de l’indépendance et de la transparence dans le traitement de l’information comme vous l’avez fait jusqu’à maintenant. De toute façon, vous faites l’histoire au quotidien et je suis convaincu que la contribution que vous apportez à notre pays sera reconnu un jour ou l’autre et constituera pour vous une fierté personnelle ainsi qu’à vos proches et à tous ceux qui vous aiment.
Je n’ai pas de doute que la Guinée est appelée à connaitre un grand destin et que tous ce que nous connaissons aujourd’hui font partie des étapes normales de l’évolution d’un peuple. Je pense également que nous avons suffisamment de ressort et de volonté pour pouvoir changer le cours de notre histoire.
J’invite les guinéens à aimer davantage leur pays et surtout à ne pas laisser l’action publique se faire en dehors d’eux. Ils doivent se dire qu’aujourd’hui que ce sont eux qui ont le pouvoir de demander des comptes, ce sont eux qui ont le pouvoir de demander à ce que le pays soit gérer autrement et ce sont eux qui ont le pouvoir de déterminer une meilleure qualité du dirigeant pour leur pays. Aujourd’hui, partout, ce sont les peuples qui font les révolutions, ce sont les peuples qui ont des voix, ce sont les peuples qui ont des libertés et ce sont les peuples qui imposent leurs volontés aux dirigeants. Le travail citoyen, patriote appelle pour façonner une nouvelle histoire pour notre pays.
Alpha condé, heureusement pour la Guinée, est aujourd’hui connu de tout le monde. Chacun sait que ce n’est pas lui qui fera notre avenir et tout le monde sait que ce n’est pas une opposition en sa personne mais c’est parce que nous aimons notre pays et que nous refusons qu’il soit gouverné comme il est entrain de l’être.
A l’avenir, que ceux qui ont géré rendent comptes et que ceux qui ont envie de gérer dépouillent leurs projets pour nous éviter de vivre une expérience comme celle que nous vivons avec Alpha Condé. Tout le monde savait que c’est quelqu’un qui n’avait aucune connaissance de l’administration et dont toute la vie a été portée et axée sur la politique avec une seule obsession, le pouvoir sans y être préparé.
Aujourd’hui, la vocation des élites est de défendre un projet puis de partager un idéal avec un peuple dans lequel il faut être intégré pour pouvoir l’aimer et le servir. Je crois que les faiblesses de Alpha Condé sont de n’avoir pas connu la Guinée, de ne pas aimer les guinéens, d’être très éloigné d’eux et qu’il ne soit pas à la hauteur de l’espérance que la première élection présidentielle démocratique a apportée pour notre pays.
J’espère que notre pays sera bientôt une aire de liberté, d’espérance qui va nous réconcilier avec notre propre histoire.
Source: www.guinee58.com