Le dossier lacunaire de Jeune Afrique sur les peuls.

La lecture du dossier sur les peuls, dirigé par François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique, n’est pas que décevante. Elle laisse un sentiment d’amertume, à tout peul mais aussi à toute personne soucieuse de la culture et du devenir de l’Afrique…

Sans amoindrir le mérite du panel que François Soudan a choisi et les commentaires retenus pour l’article, le travail reste globalement médiocre. Le rédacteur en chef fait référence à  la  fresque sur les peuls de Tierno Monémbo. Mais il n’a pas jugé utile d’interviewer l’auteur. Il fait plutôt appel à des jeunes, un internaute et un sociologue inconnus qui, fort malheureusement, ne font que véhiculer des archétypes dans leurs interventions.

            Des préjugés, des affirmations gratuites, des assertions dangereuses émaillent les articles. D’entrée de jeu, François Soudan tombe bien bas. A propos d’un groupe ethnique qu’il reconnait vivre dans plus de 15 pays en Afrique, il  fait une affirmation digne des préjugés d’ethnologues coloniaux. Pour lui la culture peule n’est qu’une source diffuse et réductionniste de phantasmes. « Ils partagent la même langue, la même culture, et alimentent souvent les mêmes fantasmes ».  François Soudan continue avec un condensé d’idées simplistes que même le commun des africains non-instruit n’oserait murmurer. « La victimisation, le complexe de supériorité d’un côté, les stéréotypes meurtries de l’autre, sont inévitables dès lors que la revendication identitaire se confond avec la revendication politique. »

            Le rôle du journaliste est de chercher à découvrir des fondements derrières les   évidences, fausses ou réelles. On s’attendait  plus à une tentative de description de cause à effet  historique sur le prétendu complexe de supériorité des peuls et leur victimisation  supposée. Au  lieu de cela le dossier en fait des caractéristiques intrinsèques et abonde dans une étrange thèse de confusion entre  revendication politique et  identitaire chez les peuls. Ce raccourci fait écho au bréviaire de la campagne électorale ethnique de Mr. Alpha Condé qui utilisa la même  thématique pour déclencher les pogroms anti-peuls durant les élections de 2010 en Guinée.

Dans les différents articles du dossier, les références à l’histoire sont tout aussi malencontreuses et simplistes.  Exemple : « D’interminables jihads contre les impies qu’ils méprisaient. C’est aussi ici qu’ils ont laissé parler leurs divisions. Deux siècles de conspirations et de luttes fratricides. ».

Pour ce qui est des Jihads, François Soudan occulte plusieurs faits. Les peuls comme beaucoup de sociétés africaines bâtirent des empires non musulmans. Tel est le cas de la dynastie Denianko des Tenghela qui au moyen-âge, de Guémé Sangan près de Telimilé en Guinée, fondèrent un empire qui perdura environ 3 siècles par des conquêtes vers le nord contre notamment le Fouta-Toro.  Avec le déclin de cette dynastie, les peuls devinrent  des prosélytes de l’islam. Mais les historiens attribuent l’émergence concomitante de plusieurs empires peuls aux 18eme et 19eme siècles, plutôt à  des facteurs économiques. La perturbation par la traite des noirs de l’agriculture, offrit aux bergers, détenteurs d’un capital mobile, une prévalence économique. L’islam ne  fut que l’idéologie de la conquête politique.  L’usage à l’emporte pièce du mot Jihad est un glissement dangereux. Il fétichise  un concept qui a des significations multiples : lutte pour une meilleure société, lutte interne pour être une meilleure personne et lutte physique contre les ennemis de la religion.

            Réduire la fondation de l’empire théocratique à un mépris contre les impies est simplement inacceptable. La contrevérité a plusieurs facettes. Les guerres de formation de l’empire du Foutah-Djallon, furent l’œuvre de chefs religieux et militaires peuls et  Diallonkés. D’où le nom de Foutah-Djallon. Elles furent dirigées également contre des peuls, des Diallonkés et d’autres groupes ethniques. Les personnes qui acceptaient de se convertir étaient épargnées. Les vaincus qui avaient résisté  étaient réduits en esclaves comme ce fut  la norme de l’époque. 

            Quant aux divisions, et les luttes fratricides, elles sont  un fait  systématique qui guette tout empire. François Soudan ignore délibérément que les fondateurs de l’empire  du Foutah-Djallon avaient géré les différences politiques  par l’alternance et la décentralisation. Une constitution régissait cette alternance, entre les familles régnantes. Avec la dégénérescence dynastique et la présence coloniale, l’alternance s’avéra source des conflits. Une recherche élémentaire aurait permis d’éviter le cliché de réduire une histoire riche à des luttes fratricides et à des conspirations.

            En occultant l’histoire sur les raisons de l’émergence de la « suprématie peule » aux 17eme et 18eme  siècles, sur une étendue allant de l’Afrique centrale à la Mauritanie, le dossier verse dans le trivial.  Ce manque de rigueur scholastique réduit  la production en une série  d’affirmations erronées, mal placées ou tout bonnement mensongères. Le résultat est un synopsis simpliste sur les peuls.  Par exemple, l’opposition entre l’aristocratie de l’épée et celle de la plume,  les deux piliers  institutionnels de l’empire théocratique du Fouta-Djalon, est factice. François Soudan semble animé de l’intention maligne de perpétuer le cliché d’opposition entre Timbo et Labé qu’exploitèrent les colons pour affaiblir la résistance interne. Il se livre à des prédictions au ton prophétique et implacable sur les peuls: « Mais jamais les Peuls ne pourront avoir de terre promise. ». Pour conforter sa lubie, il cite  hors contexte l’aphorisme de Monénembo. “Misérable vagabond, bohème de rien du tout” sans expliquer que c’est là un regard d’ironie d’un écrivain  sur son peuple  qui  fait parler le cousin de plaisanterie, le sérère.  Ces subtilités des sociétés africaines ne sont pas ésotériques. Un minimum de recherche aurait permis à François Soudan de ne pas s’appesantir sur elles comme hypothèses de travail.

            Enfin, quand François Soudan laisse écrire que « Il y a cinquante ans, à Conakry, les Peuls étaient gardiens ou femmes de ménage…  ils dormaient sur les varangues des maisons des colons » et vivaient « de la générosité des Soussous ». Cette généralisation fait tomber des nues.  On se croirait en 1976 avec Sékou Touré et son « complot peul ». Même si les auteurs ajoutent, par contraste bien orienté que «aujourd’hui, ils monopolisent l’import-export et attisent la jalousie des autres Guinéens.  Ont-ils pour autant perdu les valeurs qui étaient les leurs il y a cent ans ? », il est difficile d’ignorer l’insidieuse sourdine sur le spectre du danger peul qui est présenté tout au long du dossier comme un peuple insolite, mystique et étrange.

            Les peuls qu’ils soient du Nigeria, de la Mauritanie, de la Guinée etc. voire les citoyens africains en général ne vivent pas de phantasmes  et n’aspirent pas à une quelconque terre promise. Partout où ils vivent, les peuls  demandent ce que tous les africains demandent ; à savoir que les règles de la démocratie soient respectées, comme moyen d’endiguer les conflits ethniques dont raffolent les régimes corrompus. C’est le seul moyen – François Soudan l’a admis en introduction – de  valoriser les cultures  et d’intégrer les nations fragmentées du continent.  En Guinée, même après des élections teintées de crimes et de trucages, ce que les peuls exigent c’est le respect de leurs droits de  citoyens. Ils condamnent  les démons de la  culpabilisation collective que  Sékou Touré pratiqua et que le régime d’Alpha Condé réveille. Ils demandent la traduction en justice de criminels avérés qui ont violé principalement des femmes peules, pillés avec prédilection leurs biens et tué leurs enfants.

            L’irrédentisme des peuls et l’osmose avec les autres nations sont des traits fascinants de l’histoire des peuples d’Afrique. Une recherche sans apriori  révèle le fonds culturel commun des ethnies et des nationalités du continent, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Mais les gouvernements qui ont failli dans leurs missions de construction de nations viables font de ces traits culturels des outils de division et d’ostracisme. En s’appuyant sur des mythologies d’autant  plus nocives qu’elles sont en total porte-à-faux avec les faits historiques, le dossier de François Soudan participe, volontairement ou non, à cette diversion. Le titre alléchant de Jeune Afrique peut vendre du papier. Mais le dossier ne contribue en rien, ni à éclairer les esprits, ni à forger des perspectives pour l’Afrique et la Guinée.

            Une Guinée viable  n’est pas possible avec l’exclusion des peuls.  Cette exclusion a été la marque-déposée des régimes qui se sont succédés depuis l’indépendance dans le pays.  Du  simple fait de leur quasi-majorité en Guinée, les politiques obsessives d’ostracisme envers  les peuls ne feront que maintenir le pays dans l’ornière de la faillite. Ceci n’est pas de la victimisation Mr. François Soudan. Ce sont des faits tragiques de l’histoire de la Guinée. L’Afrique des après-indépendances, à travers les soubresauts de la construction de nations sur les bases boiteuses du découpage colonial, connaitra encore beaucoup de confrontations ethniques. Dans certains pays, cette confrontation a pris une allure  tragique.  C’est le cas de la Guinée. C’est le cas des  peuls dans ce pays. Revendiquer l’éradication des telles pratiques politiques pour une compétition ouverte et dans le but de préserver les lambeaux de la nation, restera le leitmotiv des peuls de Guinée. Appeler cela de la victimisation n’est pas seulement une faute morale doublée d’une incompréhension inexcusable de l’histoire. C’est une présomption de délit de collusion entre le tenant actuel du pouvoir en Guinée  et le rédacteur en chef de Jeune Afrique qui, de surcroit se disent amis intimes.

            Sur le plan de la construction africaine, les peuls, de par leur présence dans plus de 27 pays, constituent de fait une des pierres angulaires d’une Afrique intégrée. Où les identités culturelles et les citoyennetés plurielles pourraient se combiner de façon heuristique. Dans un monde qui se globalise et face à l’arbitraire des frontières artificielles du colon, la révision de la notion nation elle-même est inscrite sur les murs des temps à venir.  Il est bien dommage que l’étude lacunaire de Jeune Afrique n’ait  pas eu la présence d’esprit d’ouvrir de tels débats essentiels  pour le futur de l’Afrique, avec les peuls comme illustration.

            Ourouro Bah