Monsieur Thierno Soufiana Diallo, 32 ans, kidnappé, torturé durant son kidnapping et sa détention provisoire à la prison centrale de Conakry pendant presque cinq mois, a succombé le 18 janvier 2012, par manque de soins médicaux, à l’infirmerie de la prison…
Voici un des pires cas de violation des droits humains qui vient de s’ajouter aux nombreux autres déjà enregistrés sous la dictature débutante de Monsieur Alpha Condé. De quoi transformer l’espoir suscité par les dernières élections présidentielles en cauchemar.
Bien sûr que la responsabilité des violations répétées des droits humains dont souffre le peuple de Guinée n’incombe pas qu’à l’exécutif dictateur. Elle incombe tout autant à la démission des magistrats, qui ont toujours soit manqué de courage pour défendre le droit surtout du plus faible, soit été corrompu par l’exécutif ou le plus nanti. Dans l’un comme dans l’autre des cas, la responsabilité de la souffrance du peuple consécutive aux violations des droits de l’homme incombe tout autant au judiciaire démissionnaire.
Voici le récit détaillé, narré par les proches de Thierno Soufiana Diallo, à l’âme de qui nous souhaitons le repos eternel au paradis céleste.
Bonne lecture et surtout faisons en sorte que justice lui soit rendue.
Lundi 29 Août 2011. Aux environs de 15H30. Deux personnes en tenues civiles débarquent à la maison. Elles nous demandent des nouvelles de Thierno Soufiana. Nous leur disons d‘entrer voir dans sa chambre. Trois minutes plus tard, ils ressortent et nous disent que Thierno Soufiana dort. L’un d’eux s’éloigne de nous d’à peu près 100m. Il communique au téléphone. Le second reste près de nous à la porte d’entrée. Dix minutes après, un pickup de la FOSSEPEL avec cinq militaires armés stationne devant la porte. Quatre parmi eux s’introduisent dans le bâtiment sans nous saluer. Cinq minutes après, ils ressortent avec Thierno Soufiana, menotté. On constate qu’il ne peut pas se tenir débout; il est soutenu par deux militaires. Ce qui indique qu’on l’a frappé pendant qu’il était dans la maison. Il est introduit dans le pickup qui démarre en trombe.
Le même jour, nous avons commencé à chercher son lieu de détention. Nous avons visité la plupart des Commissariats et Gendarmeries pour le retrouver, mais en vain.
Vendredi 02 Septembre 2011 à 14H. Ils débarquent de nouveau, avec Thierno Soufiana, toujours menotté et dans un mauvais état. Ils viennent avec deux pickups de la FOSSEPEL remplis de militaires. Ils barrent d’abord la route dans tous les sens avant de faire irruption dans le bâtiment avec Thierno Soufiana. Ensuite ils procèdent à des fouilles systématiques pendant plus d’une heure. Nous entendons l’un d’entre eux dire qu’il n’y a rien. On leur ordonne ensuite de repartir.
Finalement, nous sommes allés à la maison centrale. Là, ils nous confirment que Thierno Soufiana y est détenu. Mais ils nous informent que nous ne pouvons le voir, car les visites sont interdites. Néanmoins, ils acceptent notre doléance de lui apporter à manger. Ainsi nous lui avons apporté quotidiennement à manger. Toutefois, cela a été souvent accompagné de beaucoup de difficultés. Parce que, régulièrement, on était tenu de payer de l’argent, à la fois au niveau de la grande porte d’entrée où on dépose les cartes d’identité, et à la deuxième porte où on dépose le repas. Il fallait également donner de l’argent au soldat qui doit amener le repas dans la cellule où est incarcéré Thierno. Il arrivait parfois qu’ils nous injurient ou nous demandent de déguerpir les lieux, manu militari. Un jour, un des soldats qu’on payait pour apporter le repas à Thierno Soufiana nous a informés qu’il est détenu dans la Cellule C7 : c’est à dire la Cellule des « condamnés », selon ce dernier. Celui-là nous a dit qu’avec « un permis de communiquer », on aurait la possibilité de rencontrer Thierno.
19 Septembre 2011 au Ministère de la Justice. On se procure ce fameux permis, après avoir payé également de l’argent.
20 Septembre 2011. Aux environs de 15H. On peut enfin rencontrer Thierno Soufiana, cela en présence de militaires. Notre rencontre ne durera que deux à trois minutes. Nous n’obtiendrons aucune information en ce qui concerne la cause de son kidnapping, ainsi que l’état dans lequel il vit en prison. Son état physique montrait réellement qu’il était souffrant.
Quelques jours passent. Nous cherchons un avocat. Nous rencontrons Maître Barry Ibrahima. Ce dernier, à travers ses enquêtes, nous informe que Thierno Soufiana est accusé d’être impliqué dans l’attentat manqué contre le Président Alpha Condé.
Mercredi 18 Janvier 2012, aux environs de 14H, en amenant son repas, nous sommes bloqués au niveau de la deuxième porte d’entrée. Les militaires nous demandent de patienter. C’est inhabituel. Pendant que nous attendions, ils nous apprennent que Thierno Soufiana vient de rendre l’âme. Nous avons insisté pour voir son corps. Ils refusent catégoriquement. Ils disent qu’on récupérera le corps le lendemain matin au niveau de l’hôpital Ignace Deen. Quand nous sommes sortis, nous avons joint au téléphone son grand frère. Celui-ci nous dit qu’il était déjà aux côtés de Thierno Soufiana, peu de temps avant sa mort. Il était sorti pour acheter des médicaments quand on l’a rappelé pour lui dire que son frère est décédé.
Le lendemain, tôt le matin, nous avons récupéré le corps de Thierno Soufiana de la morgue de l’hôpital Ignace Deen. Nous l’avons ramené dans notre quartier de Madina Boussoura, où il fut enterré à 14H00, au cimetière de Touguiwondy.
Cependant, avant de l’enterrer, nous avons jugé nécessaire de prendre des photos, afin que ses parents du village sachent que leur fils a été enterré, par ses parents et amis de Conakry, selon les rites traditionnels et religieux. En prenant les photos, nous constatons que le sang coulait de ses narines. Pour éviter un blasphème, selon les sages, et pour ne pas amplifier le choc pour ses parents au village, nous avons évité de photographier son visage d’où coulait du sang. Néanmoins, sur quelques photos apparaissent les taches de sang coulant des narines, indiquant ainsi qu’il a subi un cas de torture avant de rendre l’âme.
Il est important de rappeler que Thierno Soufiana était un jeune très connu et admiré par tout le monde. Reconnu pour son humanisme et sa non violence, il ne peut en aucun cas être mêlé à une quelconque attaque criminelle. Nous le disons et le réitérons en toute connaissance de cause. Tous ceux qui connaissent Thierno peuvent témoigner qu’il n’est pas un homme violent ou haineux pour commettre un délit ou un crime. Tout le monde le connait très généreux. Jamais il n’a fait de prison auparavant. Il n’a jamais été impliqué dans un cas de vol ou viol. Il ne se bagarrait ou s’insultait avec personne. Il aimait tout le monde et tout le monde l’aimait. On l’appelait Thierno Ataya, c’est à dire Thierno Thé. Parce qu’il préparait tout le temps du thé et le partageait avec tout le monde. Avant qu’il ne soit arrêté, tout le monde venait chez nous, tous les jeunes et à chaque heure. Depuis son arrestation, les jeunes ont disparu de chez nous ; on ne les voit plus. Parce que Thierno Ataya n’est plus là.
Ironie de cette accusation, lorsqu’on lui amenait son repas, sur l’étiquette qui accompagnait le riz, ils écrivaient: « S/Lieutenant Thierno Soufiana Diallo. Effectivement l’avocat nous a confirmé qu’il lui est attribué le titre de Sous Lieutenant. Pourtant, il n’a jamais intégré l’Armée, sauf peut être à partir du 29 Août 2011 (jour de son kidnapping) où il fut gradé directement Sous Lieutenant.
Dans la nuit de ce prétendu « attentat », c’est son ami qui dort dans la même chambre que lui, qui l’a réveillé pour l’informer que des tirs étaient entendus près de la Résidence du Président. Celui-ci venait de recevoir un appel d’un autre de ses amis logeant tout près. C’est ridicule alors pour nous d’apprendre que Thierno était impliqué dans cet « attentat » pendant qu’il dormait. Il y aurait pris part alors dans lors de son profond sommeil. Il est alors certain que cet « attentat » n’est pas moins fictif que le rêve qu’il faisait dans son sommeil de cette nuit. Mais nous tenons pour évidence que justice sera faite. Un jour ou l’autre.
Par Faya L Millimouno