Interview Jean Marie Doré, président de l’UPG :

 M. Jean-Marie Doré, l’ancien Premier ministre de la transition, version Konaté,  nous a reçus à son domicile ce 29 décembre. Nous nous sommes entretenus avec lui sur la naissance de leur nouvelle alliance, appelé le Club des républicains, sur sa gestion de la transition, de la crise qui sévit au sein de la CNTG, de l’affaire des six (6) milliards perçus par lui, Sidya Touré et Cellou Dalein et tant d’autres sujets, les événements du 28 septembre 2009…

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Lejourguinee.com : M. Jean-Marie Doré bonsoir !

Jean-Marie Doré : Bonsoir monsieur !

Lejourguinee.com : Quelle appréciation faites-vous du dialogue politique actuel ?
Il y a un certain tâtonnement lié à l’évolution sur le terrain.  Evolution qui est tributaire de l’erreur commise par les gouvernements successifs  qui ont autorisé la création de nouveaux partis en violation de la charte des partis politiques qui est une Loi organique. Parce que pour donner un agrément à un parti, cette loi organique impose  que les fondateurs de partis fassent signer l’acte de fondation  par des militants résidant dans chacune des quatre régions naturelles en raison de huit notables par région naturelle. Parce que le parti doit naître national. Or, qu’est-ce qu’on a vu depuis l’avènement du Cndd, des gens restaient à New York, à Paris, à Lagos, à Dubai, pour téléphoner, ‘je vais créer un parti qui s’appelle X’ et on lui donne un agrément. Donc, aujourd’hui, on a cette pléthore de particules qui s’agitent dans le microcosme guinéen et qui rend difficile le débat parce qu’on ne sait pas où les classer. Il y a cette première difficulté. La deuxième difficulté vient de ce que les positions par rapport à l’objet du processus électoral ne paraissent pas s’apparenter à la nature du problème mais des prises de position politique, je ne veux même pas dire en caractère doctrinal, on regarde l’autre en ennemi et on rejette à priori ce qu’il dit. On ne pourra pas s’entendre comme ça. Or, l’intérêt de la Guinée, c’est que ces élections législatives aient lieu et que les résultats soient acceptés par les participants. Dans ces conditions, il faut qu’on s’entende sur la méthode et sur les modalités. Cela suppose de part et d’autre l’acceptation à priori de parvenir à un consensus. Pourquoi tous ces débats là ? Parce que le recensement qui avait été fait, comporte beaucoup de lacunes et c’est sur la base de ce recensement que le fichier actuel a été élaboré. Je ne parle pas des causes anciennes qui ont fait que tous les Guinéens ne s’étaient pas recensés. Parce qu’il y avait le problème d’impôt cellulaire que les paysans devaient payer. Ce n’est pas parce que l’impôt était très important mais les conditions dans lesquelles l’autorité allait réclamer l’argent faisaient souffrir beaucoup les paysans.  Donc, chaque fois qu’il était question de recensement, les paysans qui avaient dix personnes, 20 personnes en charge, refusaient de se présenter devant les recenseurs parce que c’est sur la base de ce recensement qu’il fallait payer l’impôt de capitation. Partant de ce constat, le président de la république dit que pour qu’on aille à ces élections, il faut donc un recensement intégral, donc la délivrance non seulement de la carte d’électeur biométrique mais aussi la carte d’identité nationale. Mais il se trouve qu’il  y a un inconvénient à ça. C’est que le recensement général de la population ne relève pas de la compétence  du ministère de l’administration du territoire et en encore moins de la Ceni. C’est le rôle qui revient légalement au ministère du Plan. Donc, la Ceni doit faire une révision. Mais cette révision se heurte à une difficulté sur le terrain. C’est que vous avez beaucoup de populations électorales qui pour des raisons diverses n’ont pas été recensées. Alors que des pourcentages allant de 62% à Yomou, 25%  dans certaines régions du Fouta ou la Haute Guinée. Entre les deux extrêmes, je dis que le fichier, tel qu’il est maintenant là, n’est pas bon. Mais, le recensement intégral pose des problèmes logistiques. Il paraît qu’on peut le faire en quarante cinq jours. Je ne suis pas spécialiste pour me prononcer sur la durée du recensement général. Je dis que le manque de moyens de locomotion, le manque de routes correctes ne permet pas de faire le recensement général de la population en 45 jours. Je ne crois pas.

Mais cette question a été tranchée. Le gouvernement paraît être d’accord pour qu’on fasse plutôt une révision. Par rapport au déroulement actuel du dialogue, qu’est-ce qu’il faut pour sa réussite ?
J’arrive, on n’a pas la même information. Je veux dire que le gouvernement veut qu’on fasse un recensement général avec une délivrance des cartes d’identité nationale.
Pourtant, le 18 juillet 2011, le président de la République a déclaré à la télévision nationale que le gouvernement est d’accord pour qu’on aille à une révision.

Je ne vous contredis pas. Moi, je vous parle de l’information que j’ai. Le président veut faire un recensement général. Je m’excuse si je ne partage pas votre information. Je suis navré, j’aurai voulu qu’on soit en harmonie. Je ne vous dispute pas la véracité de ce que vous dites. Mais j’ai l’information qu’il faut faire un recensement général. Je dis que ça pose problème. Le moyen terme, c’est de faire une révision classique en additionnant un recensement complémentaire de la population électorale qui a été exclue. Et pour cela, je pense à l’occasion du dialogue, les partis politiques avec la Ceni, l’administration du territoire, on doit se mettre d’accord pour faire la liste des préfectures dans lesquelles un recensement complémentaire s’impose puisque c’est manifeste. Les documents auraient permis de trouver. C’est cela. C’est l’un des volets. Donc, aujourd’hui, la divergence profonde par rapport à ça, fait qu’il y a une hésitation dans le champ du dialogue. Puis, deuxièmement, il y a un autre problème qui est soulevé. C’est la situation de la Ceni. En 2006, le gouvernement nous avait demandés de discuter pour qu’on remplace l’organe qui tenait lieu de commission électorale et qui n’avait pas répondu à toutes les attentes. Donc, on a négocié pendant longtemps et en 2007, nous nous sommes mis d’accord de créer une commission électorale nationale indépendante de caractère paritaire. Parité atténuée par la présence des trois représentants de la société civile et des deux représentants de l’administration. L’opposition devait fournir dix représentants, la mouvance présidentielle représentée à l’époque par le PUP, dix représentants. La Ceni a été ainsi constituée. Mais entre temps, la Guinée a évolué et il y a eu trois gouvernements successifs.  Celui de Dadis, celui de Konaté et celui actuellement du Pr Alpha Condé. Il se trouve que tous les élus du PUP, les délégués du PUP, ont viré vers la mouvance actuelle. De telle manière que l’organe n’est plus paritaire. Est-ce qu’il faut aller aux élections dans ces conditions là ? Certains disent qu’il faut complètement remanier pour que l’on puisse avoir une Ceni répondant au contexte actuel et à l’esprit d’équité que chacun se fait de l’organisation des élections. Mais, on a maintenant 150 partis. Si on fait ça, combien de membres faudra-t-il à la Ceni ? C’est un problème de financement. C’est pourquoi, je pense que la restructuration est une nécessité et quelle restructuration faut-il ? Je pense que les dernières élections présidentielles ont permis de mesurer la valeur des partis politiques qui ont été créés après tout. Deux ont émergé. Le parti de Lansana Kouyaté et le parti de Abé Sylla qui ont respectivement 7% et 5%. Je pense qu’on peut demander à Kouyaté  et Abé Sylla de fournir chacun un représentant à la Ceni.

Ça ne résout pas le problème fondamentalement mais cela donne le sentiment qu’on approche un certain sentiment de justice. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque de la création de la Ceni, nous étions 57 partis et nous devions fournir dix représentants. Alors, on a discuté et on est tombé d’accord sur un certain nombre de critères. Pour qu’un parti soit autorisé à envoyer à la Ceni, il fallait qu’il ait participé à une élection nationale. A défaut d’être élu président, il a eu des députés ou qu’il a eu une commune urbaine ou qu’il a eu une CRD. C’est sur cette base que les dix partis avaient été désignés dans l’opposition pour envoyer leurs représentants.
Aujourd’hui, on ne peut pas faire valoir ces critères puisqu’il y a eu 24 candidats aux élections présidentielles mais vous connaissez la fortune de chacun aux résultats. Ces deux problèmes sont les obstacles sur lesquels s’achoppent les débats. Je pense que l’esprit de conciliation doit aider les partis politiques et le gouvernement à trouver la solution pour que la Guinée quitte cette situation-là. Parce que nous sommes au milieu du quai, on a un président de la république mais on n’a pas un parlement. Ça cause beaucoup de problèmes et ça peut poser encore d’autres problèmes. Il faut en sortir. C’est pourquoi, je pense que la raideur des uns et des autres ne va pas dans le sens de l’intérêt de notre pays. Il faut qu’on en sorte, c’est pourquoi, nous avons créé une alliance du centre, Le Club des Républicains (CDR) qui va, par des réflexions, dégager tout esprit partisan, proposer des solutions qui nous paraissent être la voie moyenne pour que la Guinée puisse aller de l’avant.

M. Doré, comptez-vous présenter des listes communes à l’occasion des législatives avec votre nouvelle alliance ?
Qui vous a dit ça. On a fait les alliances pour régler les contentieux actuels. Etre allié ne veut dire qu’on est devenu des amis à telle enseigne que l’on puisse faire une liste commune. Chaque partie veut prendre le pouvoir. Tout parti créé veut prendre le pouvoir.  Pour le moment, j’affirme pour moi que l’UPG va seule aux élections.
 
Qu’est-ce qui vous a motivés à créer cette nouvelle alliance ?
Mais, c’est ce que j’ai dit tantôt. On ne peut rester entre les défis que se lancent  journellement le gouvernement et sa mouvance et le Collectif des partis, on n’en sortira pas. Pour en sortir, il faut une solution moyenne. Personne n’a intérêt à ce que la Guinée implose. Ceux qui sont contre le gouvernement, c’est leur droit, ceux qui sont pour le gouvernement, c’est leur droit. Mais, ils n’ont pas le droit d’imposer à la Guinée des convulsions inutiles. C’est pourquoi, nous allons nous appliquer aussi bien pour la restructuration de la Ceni que pour la révision des listes électorales pour trouver la formule qui devrait permettre aux uns et aux autres de s’accorder sur un consensus.

Justement, vous avez créé le CDR qui se veut centriste. En qualité d’ancien député, vous avez une expérience en la matière, il s’avère aujourd’hui que vous coopérez avec des gens qui ont soutenu le Pr Alpha Condé à l’occasion du second tour. Est-ce que vous avez la certitude qu’ils vont respecter les principes du centrisme ?
Nous sommes aussi avec des gens qui ont travaillé avec Lansana Conté, des gens qui ont travaillé avec Dadis Camara, des gens qui ont travaillé avec Konaté. Est-ce que vous croyez que c’est un critère ça ? Le fait que quelqu’un ait travaillé avec Alpha Condé ne me gêne pas. Le fait que quelqu’un ait travaillé avec Cellou Dalein Diallo, Premier ministre, ne me gêne pas. C’est ce que dit le monsieur, c’est ce qui vaut. Parce qu’il y a des critères. Ce n’est pas parce que quelqu’un rentre dans une alliance, qu’il va désorganiser l’alliance. L’alliance est appelée à avoir d’après nos estimations quarante membres. Qu’est-ce qu’un seul peut faire contre ces gens vaccinés qui sont là ? Donc, moi, je crois qu’il ne faut pas voir cet aspect là. Si on suit ça, il y a aucune alliance qui est à l’abri de critiques fondamentales. Prenez le Collectif, les gens qui sont dedans, ils ont servi tous les gouvernements de la République. On ne les a jamais vus élever une protestation contre les dérives des uns et des autres. Ici, il ne faut pas revenir sur le passé des gens. Ce sont les actes qu’ils posent aujourd’hui pour que la Guinée aille de l’avant qu’il faut voir.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de ne pas avoir une position fixe ?
Moi, je suis un homme de principe. Ma position est claire et nette. Je ne sais pas si vous faisiez du journalisme quand nous avons créé notre parti. J’étais le seul parti qui se réclamait du centre. Le centre est un lieu de réflexion, ce n’est pas un lieu de harangue. On réfléchit sur des principes…L’idée de la création de l’ADP est venue de moi. Je me suis adressé à mon ancien ministre de la Communication puis Charles Pascal Tolno s’est présenté, Ibrahima Condé du PSD, Oumar Bah du PUL. Lors de la réunion ici, Mme Zalikatou Diallo est venue dire que son parti a décidé d’adhérer à l’ADP mais à une condition sine qua non. Je la cite, ‘c’est que M. Kouyaté en devient le président’. Nous avons dit en ce moment, M. Kouyaté ne sera jamais membre de l’ADP. Elle est partie. Deux jours après, elle est revenue pour nous dire non ! ‘notre parti a réfléchi, nous renonçons à la présidence  de l’alliance. Mais il faut que M. Kouyaté soit l’un des deux porte-paroles’. J’ai dit non ! parce que M. Kouyaté étant au dehors, il ne peut pas être le porte-parole d’une structure qui délibère à Conakry. Alors j’ai désigné M. Sylla comme porte-parole. Et le principe fondamental de l’ADP, c’était d’être au centre. Et de n’appartenir ni au collectif ni à la mouvance présidentielle. C’est ça les valeurs du centre. Puis, petit à petit, le porte-parole s’est retrouvé au centre du collectif. Je viens de Genève, je vois qu’ils ont fait des déclarations communes, ils ont décidé même  de faire des cotisations communes.

Celui qui dérive par rapport à moi, pas moi par rapport à lui. Il faut me rendre cette justice là. Moi, je n’ai pas changé. Comme je ne me reconnaissais plus dans le centre, l’alliance que nous avons créée pour ne pas soulever des débats inutiles, c’est vous qui avez soulevé les débats. Sinon moi, j’ai notifié à l’ADP…qu’à partir de l’instant, mon parti ne fait plus partie  de l’ADP parce qu’on n’est plus au centre. Le centre ne peut pas être la périphérie.

Entre le gouvernement et le Collectif/ADP, il y a des brouilles. Que compte faire le CDR pour améliorer les relations entre les deux parties ? Apparemment, c’est là, il y a le blocage.
Non ! Nous n’avons pas pour vocation, de nous entremettre entre le gouvernement et le Collectif. Nous voulons faire des propositions pour la Guinée. On dit, il ne faut pas toucher à la Ceni mais nous disons la Ceni telle qu’elle est ne répond plus  à la philosophie de sa création. Sa composition ne reflète plus la parité. Il faut faire quelque chose. Nous allons réfléchir à la nature de ce quelque chose, formule 1, 2, 3, 4 etc. et nous allons demander que c’est ça qu’il faut accepter pour que l’on puisse aller de l’avant. Peut-être que le collectif va dire que nous sommes d’accord sur la formule 1 si vous déplacez telle virgule, tel point. Vous comprenez ? Le gouvernement va dire si vous changer tel paragraphe, on peut accepter. C’est ça.  Nous ne sommes pas là pour nous entremettre en tant que tel entre le gouvernement et le Collectif. Que le collectif soit là ou pas, nous avons des propositions à faire pour que les élections soient organisées sur la base de la justice, de l’équité, de la crédibilité et de la transparence.

Avec ce blocage politique, est-ce que vous craignez le retour des militaires au pouvoir ?
N’anticipez pas. Je crois à la valeur intellectuelle des politiques Guinéens. Ils vont tout faire pour que nous restions dans une République démocratique. Je suis un optimiste. Il faut que chacun ait à l’esprit que la Guinée doit continuer à progresser dans la consolidation de la démocratie. Et ne pas créer des conditions qui puissent faire envisager l’éventualité qu’il y ait des incidents de parcours qui retardent la marche de la nation.

Revenons sur votre passage à la primature. On vous accuse d’avoir signé des marchés de gré à gré. Quelle est votre réaction par rapport  à ce sujet ?
Nous avons signé des contrats dans la nécessité pour la Guinée. Si c’était à refaire, on allait le refaire immédiatement. Parce qu’on l’a fait en tenant compte des intérêts présents et futurs de notre pays. Quand un pays a 60% de ces cadres universitaires qui chôment, quand un pays ne peut pas donner des retraites d’un niveau décent à des cadres qui ont servi sa cause pendant 30 ou 40 ans, qui vont à la retraite avec des pensions qui ne permettent pas de payer les loyers des mois, alors vous comprenez que ce pays a le devoir de faire en sorte que s’investissent dans son pays des capitaux pour que le maximum des Guinéens puissent aller au travail. C’est préoccupé par ça qu’on a fait. Aujourd’hui, on assiste aussi à la nécessité dans certains cas de signer des contrats de gré à gré. Vous ne pouvez pas échapper à ça. Dans la situation de la Guinée, ce n’est pas tous les jours qu’on a le temps devant certaine  nécessité de faire des appels d’offres. Et puis en réalité, en Guinée, les appels d’offres, c’est quoi ? C’est des grés à grés déguisés.  Il faut être carrément honnête pour donner à quelqu’un le marché qui peut faire le travail proprement. Par exemple, la route entre Mamou et Faranah, est complètement dégradée. Si cela reste comme ça jusqu’à la saison des pluies prochaines, il faudrait contourner Faranah pour accéder à Mamou…Si quelqu’un vient nous proposer, je veux le faire à crédit à telle et telle condition. Si c’est moi qui suis aux affaires, je l’autorise à faire ça immédiatement parce que la Guinée ne peut pas mourir parce que le type aura fait des calculs simples prouvant que c’est un peu plus cher que ce qui l’aurait dû proposer. Ce qui est le plus important, c’est les résultats et ses incidences sur l’avenir de la Guinée.

Quelle est votre position par rapport à la réconciliation nationale ?
J’ai donné mon point de vue. Jusqu’à nouvel avis, je maintiens mon point de vue à moins que des événements nouveaux surgissent et que l’on puisse changer d’avis. Je dis, on a le sentiment que les gens pensent que les conflits, c’est entre les peuls et les malinkés. Dans ces conditions faites confiance aux notables malinkés et peuls. Ils n’ont qu’à se rencontrer pour régler cela. Pourquoi, on va mettre la Guinée debout pour tout ça ? Je vais vous dire quelque chose. Pendant les régimes de Sékou Touré, Conté, Dadis, il y a eu des choses inacceptables dans ce pays. Toutes les régions naturelles, tous les ressortissants de toutes les régions naturelles sans exception, se sont rendus coupables de comportements indignes. Qui ont été à l’origine de beaucoup de turpitudes de la part de nos populations. Ce n’est pas le fait d’une région contre une autre, ce n’est pas vrai. On pense que beaucoup de peuls ont été arrêtés pendant la révolution, les peuls aussi ont tué les dignitaires de Sékou Touré à Kindia. On connaît leurs noms. Est-ce que la marche de la Guinée va s’arrêter à cause de cela ? Donc, les malinkés n’ont qu’à demander pardon aux peuls et vice-versa. Parce qu’on ne pourra pas juger les peuls pour les mettre en prison ou juger les malinkés pour les mettre en prison. Vous pensez qu’on va arrêter les populations peules parce qu’elles ont tué des malinkés à Kindia ou emprisonner des malinkés parce que des peuls ont été tués à Boiro ? Ces problèmes là se posent et je crois qu’il faut éviter le schéma importé. Parler de vérité-réconciliation, cela me paraît irréaliste…Il faut trouver la solution pratique pour la Guinée pour redonner confiance aux gens les uns aux autres. C’est ça le problème de la confiance. Que désormais, quand il y a un emploi, si c’est un forestier qui doit recruter les gens, qu’il ne vous demande pas comment vous vous appelez pour lire votre dossier.

Que pensez-vous du conflit qui perdure au sein de la CNTG ?
C’est un dossier que je ne connais pas bien. J’ai reçu tous les courants syndicaux ici. Chacun a donné sa version qui exclut l’autre version. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est une affaire de syndicats. Il faut laisser les syndicalistes régler leur affaire entre eux. Il ne faut pas qu’il y ait des interférences. Dès qu’il y a interférences, ça va réagir sur les revendications, sur les relations entre le monde syndical et le monde administratif et le pays va en pâtir.

En termes de bilan, que pourrait-on retenir de l’an 1 de la magistrature d’Alpha Condé ?
Il a fait de bonnes projections parce que pour le moment, les Guinéens continuent de vivre l’obscurité, ils continuent de manquer d’eau. Mais, il faut atténuer ces manques par le fait qu’on ne peut pas faire un barrage en un an. On ne peut pas drainer l’eau de Konkouré à Conakry en un an. Ça suppose des grands investissements et ils ne sont pas là…il a fait de bonnes projections dans son discours d’anniversaire. Si ce qu’il a dit se réalise, c’est une bonne chose. Mais concrètement, le pays continue de connaître des problèmes de ravitaillement en denrées de première nécessité. Je crois que le gouvernement devrait faire des efforts dans ce sens là notamment la capitale. Et puis,  je note qu’il y a des mesures injustes qu’on a prises. On interdit au paysan forestier de ne pas vendre son riz aux commerçants qui viennent là-bas pour l’acheter. Je ne comprends pas parce que le forestier, quand il cultive son riz c’est pour envoyer peut-être deux cent mille francs au fils qui est à l’université ici…Les besoins de vivre n’attendent pas la bonne volonté de l’administration. Il faut régler tous ces problèmes là pour que chacun se sente à l’aise dans ce pays. Mais je ne jetterai pas la pierre au gouvernement comme certains le font allègrement. C’est vrai qu’on avait promis que les problèmes de l’électricité seraient réglés, je me suis toujours étonné car il y a au moins cinq candidats qui ont dit ça. Mais il ne fallait pas y croire. C’est impossible de croire que l’on peut régler le problème de courant. Car, celui qui est produit et amené à Conakry, 40%, se perdent à cause de la vétusté des fils. Je pense que pour parer au plus pressé, le gouvernement avec les moyens dont il disposait remplace les fils  sans créer de nouveaux barrages. Cette opération aurait pris peut-être 4 à 6 mois. Ça aurait peut-être changé ici. Si toute la production du courant électrique actuelle était distribuée à Conakry, ça atténuerait les interruptions intempestives et augmenterait le nombre de quartiers desservis.

Qu’est-ce qui vous a marqué pendant votre passage à la primature ?
J’avais un contrat. C’était d’organiser des élections et garantir la sécurité des populations. Je l’ai fait. Je suis un héros. Parce que j’ai évité aux Guinéens de quitter leurs chaumières, leurs villas pour aller errer à l’étranger. Ça, c’est très important. Les gens parlent n’importe comment de la transition. Mes ministres sont des héros et je le suis également. Nous avons fait avec peu de choses ce que d’autres n’ont pas réussi avec une longue durée devant eux. Nous avons garanti la paix, il  n’y a pas eu de désordres significatifs. Ce sont les partis politiques qui ont créé le désordre. Mais le gouvernement ne s’est pas laissé émouvoir pour employer des grands moyens de répression. On a créé la Fossepel et j’ai tenu à ce que les interventions soient uniquement d’elle. Elle n’avait pas le droit d’avoir de fusils. Ils avaient les gaz lacrymogènes et les bâtons. Mais la plupart des déprédations connues à Conakry ont été le fait des partis politiques. Ce n’est pas le fait des forces de l’ordre. Et on a accusé à tort l’armée. Ce n’est pas vrai. L’armée était en couverture pour parer à toutes fins utiles, mais elle n’est jamais intervenue. Mais des partis ont essayé d’impliquer la responsabilité de l’armée, de la gendarmerie et de la police.

N’oubliez pas que pendant la transition, il y a eu plus de 20 policiers tués par des manifestants. Les policiers, les gendarmes sont des citoyens guinéens. Un civil n’a pas plus de valeur qu’un militaire…Nous avons pu  en dépit de la profonde division qu’il y a eu à cette époque là, tenir l’Etat dans ses fonctions, maintenir la sécurité globale et on a rendu la copie dans la sécurité.

Qu’avez-vous regretté durant la transition ?
Vous savez quand vous avez gouverné, il ne faut pas avoir des états d’âme. Et ce n’est pas à moi de faire le procès de ceci ou de cela au sein du gouvernement. J’ai le devoir de solidarité envers l’Etat que j’ai servi dont j’étais le Premier ministre, chef du gouvernement.

Une ONG réclame à vous et à vos collègues Cellou Dalein et Sidya Touré la somme des six milliards versés pour vous dédommager ? Qu’est-ce que vous avez à dire par rapport à ces allégations ?
On parle actuellement de deux milliards que Jean-Marie Doré, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré auraient perçus dans le cadre soi-disant des réparations dues aux victimes des événements du 28 septembre. Ce n’est pas comme ça. C’est complètement faux. Cela participe de la diffamation et de la calomnie. Dans la nuit du 28 au 29 septembre 2009, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Tidiane Traoré, l’actuel ministre délégué aux transports, Bah Oury, Mouctar Diallo, nous étions blessés gravement au stade. Et grâce à l’intelligence des gendarmes, on nous a regroupés à la clinique Pasteur. Puis, vers 23h, une forte délégation composée des membres du gouvernement, des chefs religieux musulmans, chrétiens et autres sont venus nous informer qu’ils ont rencontré le président Moussa Dadis Camara, qui a consenti à ce que l’on rejoigne nos domiciles. Les médecins ont estimé que Fall, Sidya et d’autres pouvaient rentrer mais que l’Etat médical de M. Jean-Marie Doré et de Cellou Dalein Diallo est si grave qu’il faut qu’ils restent en observation à la clinique. C’est comme ça que Cellou et moi, nous sommes restés à la clinique. Sidya a eu une chance inouïe. Quand il est sorti, il n’a pas été directement chez lui. Ils sont allés au domicile de Mouctar Diallo avec Fall. Donc, pendant qu’on pensait que nous étions déjà chez nous, huit (8) camions chargés de bérets rouges dirigés par Toumba Diakité (ancien aide de camp de Dadis, ndlr) et un certain Marcel Guilavogui (neveu de Dadis, dit-on) sont arrivés chez moi. Ils ont commencé par mon domicile. Ils ont tout cassé. Ils ont tiré, vous ne pouvez pas imaginer. Si j’étais là, je serai transformé en pâte. J’avais quatre 4×4 garés ici, ils ont tiré dans le moteur parce qu’ils n’ont pas trouvé les clefs…Ils ont coupé les canalisations d’eau, les armoires détruits. J’avais 350 000 euros dans l’armoire, ils ont emporté. La maison était inhabitable. De chez moi, ils sont allés chez Cellou Dalein Diallo. Ils ont emporté six 4×4, ils ont déménagé la literie, le salon, tout. Chez moi, ils n’ont pas pris la literie parce que les portes sont étroites. C’est pour cela qu’ils n’ont pris les lits. Mais chez Cellou comme c’était à un seul niveau, ils ont tout pris. Je vous dis toute la literie de toutes les chambres, plus les six 4×4 et tout ce qui était là-bas, ils ont emporté. Ils sont allés chez Sidya. Ils ont cassé le portail, les meubles, volé le coffre fort de Sidya. Ils ont amené. Deux jours après, général Konaté et M. Kiridi Bangoura qui est actuellement chef du cabinet civil, du président Alpha Condé sont venus me visiter. Ils étaient profondément choqués de l’état dans lequel se trouvait mon domicile. Et ils m’ont félicité pour le fait que je n’étais pas à la maison parce qu’ils (les bérets rouges) étaient venus pour me tuer. Ils sont venus avec Dadis qui n’est pas rentré, qui est resté sous le manguier dans la voiture. Ils venaient du restaurant. Konaté a tout visité. Quand il est parti, le général Mamadouba Toto Camara avec l’ancien ministre de la Fonction publique, Alpha Diallo, qui a démissionné, Alpha Diallo, ils étaient venus visiter ici, ils étaient étonnés. Je leur ai dit d’aller voir chez Cellou. Et compte tenu des valeurs, Konaté nous a dit de faire toute de suite un constat par voie d’huissier.  Cellou et Sidya ont fait leur constat d’huissier et ils m’ont donné pour qu’on fasse les démarches et voir ce que l’on peut faire. Entre temps, j’ai été nommé Premier ministre, j’ai montré les constats d’huissier au général Konaté qui a dit ‘non, il faut réparer mais on n’a pas beaucoup d’argent. Et comment on va faire ? Dix 44, la valeur, c’est énorme. On va dédommager ce qu’on vous a pris au forfait. Sinon ça atteint les 7 milliards chez chacun’.  Avec l’accord du général Konaté, le gouvernement a attribué à Jean-Marie Doré, à Cellou Dalein Diallo et à Sidya Touré, deux milliards chacun qui ne réparaient pas les dommages qu’on nous a causés notamment les dommages corporels. On ne nous a pas donnés pour nos traitements physiques, c’est plutôt à cause des biens volés chez nous et les dégâts causés à nos domiciles que l’Etat s’est vu dans l’obligation de faire cette réparation. Cet agent n’était pas destiné à la réparation des dommages causés aux  victimes du 28 septembre mais pour les dommages causés au domicile de Jean-Marie Doré, de Cellou Dalein et de Sidya Touré.

Je ne vois pas pourquoi ceux-ci mêmes hésitent à expliquer cela aux gens. C’est aussi simple que ça. Si on avait passé par la justice j’aurais demandé dix milliards. Mais comme il fallait parer au plus pressé, il fallait que je récupère mon domicile. Pendant longtemps, je n’ai pas habité ici. Ce n’était pas habitable. Cellou aussi ne pouvait pas aller chez lui. Il paraît qu’une certaine dame avait dit, ‘si quelqu’un en veut à Cellou, qu’il va régler ses comptes avec lui, mais pas pour cette question d’argent’.
C’est moi Doré qui ai pris l’initiative. J’assume totalement la responsabilité de cette réparation insuffisante qui a été donnée à nous trois. Si quelqu’un n’est pas content, qu’il porte plainte à la justice. Je suis là pour répondre. Donc, il ne faut pas chercher la petite bête là où il n’y en a pas. On risquait notre vie pour l’honneur des Guinéens, nous avons protesté. On a failli nous tuer. Et puis, je vais vous dire aujourd’hui, sans le général Ibrahima Baldé, chef d’état-major de la gendarmerie et sans son inspecteur général, le colonel Cécé Balamou, on nous aurait enterrés vivants à Koundara. Ce sont eux qui ont dit non ! Dadis avait donné l’ordre de nous tuer. Le général Baldé a pris des mesures de sécurité pour isoler la clinique Pasteur où on nous avait conduits. C’est en désespoir de cause que les Toumba sont venus ici détruire tout chez nous. Un journaliste de New York Times a relevé avec son appareil plus de deux milles impacts de balle sur le mur. Parce que non seulement, ils ont tiré dans les maisons, mais aussi ils se sont mis à tirer contre les murs…et les pertes subies ne sont pas compensées par les deux milliards qu’on a donnés. Je tiens à le dire catégoriquement. Les Guinéens aiment falsifier l’histoire, ils aiment chercher la petite bête quand ils sont contre quelqu’un, ils utilisent la pluie et le beau temps pour le salir. Ce n’est pas de l’argent volé. Ce qu’on nous a donné n’est rien en réparation par rapport à la vraie réparation qu’on aurait dû réclamer par voie judiciaire.
Chez moi, la seule pièce qui n’a pas été détruite, c’est la bibliothèque. L’étage était inutilisable. Ils ont volé les assiettes, le frigidaire…Je vous dis que c’était très grave. Si j’avais été ici vous auriez même perdu mon souvenir…c’est une réparation que l’on a demandée officiellement à l’autorité légale de ce temps.

Un dernier mot M. Doré

Je souhaite que la presse use de plus de pédagogie pour aborder sereinement l’étude des problèmes. Parce que la presse n’est pas une presse de l’opposition ou de la mouvance. Elle est aux services  de la Guinée. Elle doit aborder les problèmes d’une manière analytique et pédagogique parce que notre peuple a besoin de l’information juste dans ses dédales de parti pris, c’est elle seule qui peut présenter  un produit consommable et garantir la santé de celui qui le consomme. Mais si vous les journalistes aussi, vous essayez d’être les porte-voix de M. Doré, de M. Cellou, de M. Saloum Cissé, vous brouillez les cartes. Vous n’avez pas le droit d’être mon porte-voix. Non ! Si vous le faites, vous n’êtes plus une presse libre parce que mon porte-voix doit dire coûte que coûte ce que je dis. Mais si un journal est créé pour justifier coûte que coûte le point de vue d’un parti, je regrette pour la presse.  Vous devez être des censeurs. Vous devez connaître profondément les problèmes de notre société pour que vous censuriez les autres en fonction de ça, par rapport à ça.  A l’occasion du nouvel, je  voudrai du plus profond de moi-même espérer que notre peuple va retrouver sa voie pour sortir de ses dédales aujourd’hui, au lieu de rester éternellement au milieu du quai menacé par les courants, les caïmans et toutes sortes de bêtes féroces qui se trouvent dans l’eau et que la Guinée puisse trouver les moyens de se nourrir, de nourrir son peuple, d’avoir des hôpitaux qui soignent les maladies, qui protègent notre peuple des épidémies, des maladies infectieuses, trouver les moyens de donner à notre pays une vraie université qui forment les cadres qui vont prendre la relève de demain comme vous, vous êtes plus jeunes que nous. La responsabilité de l’avenir repose sur vos épaules. Si vous dérivez par rapport à la classe actuelle, il y a tellement de problèmes que la Guinée n’a pas d’espoir.  Donc, mon souhait le plus profond, c’est que notre pays trouve sa voie et puisse mettre à la disposition de notre peuple le bénéfice de ses immenses richesses qui sont enfouies dans le sous-sol et qu’il faut les mettre à la disposition de la société globale en faisant de bonnes infrastructures routières, en construisant des logements. Que Dieu inspire au gouvernement de concevoir une politique de l’habitat. Parce que notre peuple vit dans des ratières et autres souricières qui ne sont pas dignes de nous. L’alimentation est déficiente. La vie morale va à vau-l’eau. Aujourd’hui, il n’y a pas de règles morales. On a abandonné l’enseignement de la morale dans les écoles. Mais le pied de la société n’est pas seulement l’enseignement, les emplois, il faut des valeurs morales surtout autour desquelles on bâtit une nation. S’il n’y a pas de morale, tout ce que l’on fait, on est à la merci de n’importe quel événement.

Interview réalisée par Amadou Kendessa Diallo
Source: lejourguinee