Un citoyen camerounais incarcéré en Guinée pour avoir refusé de corrompre ?

La rédaction de Camer.be a publié l’intégralité d’une lettre de Louis-Marie KAKDEU, adressée à une consœur, relatant des faits vécus en Guinée. Nous vous livrons a notre tour l’intégralité de cette lettre qui montre combien la Guinée est dans une déchéance totale de ses institutions…

Chère Juliette,

J’ai passé une journée d’injustice du fait de ce que je suis étranger dans une prison dangereuse en plein cœur de Conakry pour avoir réclamé d’un agent de police qu’il respecte la loi. En effet, j’ai été interpellé dans la circulation sans raison, alors que je conduisais ma voiture de marque Honda CRV. Je mentionne la marque de la voiture à cause du fait que les policiers ont coutume d’extorquer de l’argent aux étrangers identifiables par leur voiture. Quand tu es interpellé, on ne manque jamais de motif à te coller.

Donc, l’agent m’a demandé de me garer, ce que j’ai fait. Il a demandé les pièces du véhicule ainsi que mes pièces personnelles que j’ai présentées. Seulement, c’est mon permis de conduire international que j’ai présenté. L’agent a estimé que j’étais dans un délit de conduite sans permis qui allait me coûter très cher (l’équivalent de 50 euros). Il a retenu les pièces du véhicule (carte grise, assurance, vignette) et m’a demandé d’aller chercher mon permis de conduire guinéen pour venir récupérer mon dossier. Je lui demandé de s’identifier lui-même afin que je sache auprès de qui faire mes réclamations. L’agent en question n’avait pas de badge professionnel, et j’ai donc refusé de lui laisser mes pièces et de corrompre. J’avais la présomption qu’il était un faux policier comme c’est courant par ici. Il m’a menacé de m’amener en fourrière, la « routière » comme on l’appelle ici. J’ai accepté de m’y rendre parce que je savais qu’étant légalement domicilié en Europe, je pouvais conduire en Guinée avec mon permis international.

Le policier monta illégalement dans ma voiture au siège avant et m’imposa de démarrer. La « routière » se trouvait à environ trois kilomètres. En cours de route, le policier renonce à m’y conduire. Il a l’idée de me livrer à ses complices à un autre barrage de police au lieu dit Dixinn Terrasse. J’ai compris que j’étais en danger et j’ai exigé qu’on ne s’arrête qu’à la « routière » au milieu des autorités, où j’estimais que je pouvais être au moins en sécurité. L’individu se leva, tira sur le frein à main et posa son pied gauche sur le mien au-dessus du frein au moment où ma préoccupation était de stabiliser la voiture. Le véhicule s’immobilisa donc en pleine chaussée et il eût attroupement. J’ai eu la chance cette fois-là qu’on n’avait dépassé que d’environ 150 mètres la barrière de police. Je pus me débattre pour continuer avant l’arrivée des policiers.

Au niveau du quartier Minière où se trouve la « routière », c’est mon bourreau qui refusa cette fois-ci qu’on prenne la première sortie de l’autoroute qui devait directement nous conduire aux autorités compétentes. Je commis l’erreur d’accepter sa proposition de passer par le Rond-point Hamdallaye. A cet endroit, il y avait une autre barrière de police et une gendarmerie. Donc, il a créé un accident en reprenant le même scénario de Dixinn pour immobiliser la voiture sur l’autoroute. Dans la foulée, je fus cogné par derrière par un taxi non identifié. Pendant ce temps, je devais me battre aussi pour stabiliser la voiture au milieu des coups de poing du policier. L’incident qu’il recherchait fût créé. Je réussis à m’extirper de la voiture et je dois reconnaître honnêtement que je me suis débattu comme le ferait toute personne en situation d’agression et de légitime défense. Ayant vu cela, policiers et gendarmes de ce barrage et de la gendarmerie d’à côté se sont déversés sur moi et m’ont copieusement battu. Ils m’ont ensuite enfermé avec des brigands dans une cellule infeste, sans qu’aucune charge ne soit établie contre moi. Par le biais d’un gendarme conciliant, j’ai pu alerter quelques membres de la communauté camerounaise, mais qui n’ont pas pu me voir. Ils ont trouvé un avocat qui n’a pas pu me voir non plus. Entre temps, j’étais à la merci de certains gendarmes qui, de temps en temps, venaient décharger leur animosité sur moi. Les autorités consulaires du Cameroun n’ont pas été alertées.

Finalement, mes contacts ont pu alerter le cabinet du Ministre de la Défense qui a réagi positivement. J’ai donc été sorti de cet enfer vers 21heures, mais je n’ai pas pu avoir accès à mes affaires personnelles qui avaient déjà disparu (chaussures, cravate, montre). Je n’ai pas pu non plus sortir ma voiture endommagée.

Les forces de l’ordre avaient fabriqué un motif (coups et blessures sur un agent en plein service), et une déposition farfelue me fut présentée, que je n’ai pas signée. Ils ont estimé que j’étais « gonflé à la Dadis Camara ». Vers 22 heures, ils m’ont demandé de verser l’équivalent de 1000 euros pour pouvoir sortir, vu que mon cas était soi-disant « très grave ». J’ai déposé une caution qui a permis que je sois libéré de la prison infeste malgré l’intervention du Ministre.

1. Mes droits n’ont pas été dits et respectés.

2. J’ai été détenu illégalement à la gendarmerie pour une affaire de la police sans aucune plainte contre moi.

3. Je n’ai pas eu droit à mon avocat.

4. J’ai essuyé des propos xénophobes inacceptables.

Donc, je t’écris parce que je vais réclamer mes affaires avec mes conseils. Si tu n’as pas de mes nouvelles d’ici à 18 heures TU aujourd’hui, je prie de prendre toutes les dispositions nécessaires pour alerter l’opinion internationale et l’opinion camerounaise. Je te réécris d’ici là.

Merci d’avance pour ta sollicitude.

Louis-Marie KAKDEU