Cellou Dalein Diallo fait le bilan d’Alpha Condé

Le chef de file de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo, a accordé jeudi soir une interview à la rédaction de Guinéenews à son domicile situé dans la commune de Dixinn…

Dans cet entretien, le leader de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée jette un regard sur la gestion du Président Alpha Condé en un an d’exercice du pouvoir. Mais pour lui, c’est la déception dans tous les domaines.

Guinéenews© : Le président Alpha Condé a bouclé sa première année de gestion à la tête de la Guinée. Votre appréciation générale de cette nouvelle gouvernance ?

Cellou Dalein Diallo : C’est la déception. Je suis très déçu de la manière dont M. Alpha Condé gère le pays. Je sais qu’il n’avait pas d’expérience en matière de gestion d’un Etat. Je sais aussi qu’il ne maitrisait pas les questions économiques. Mais je pensais qu’en tant qu’opposant historique, en tant qu’homme politique qui revendique quarante ans de combat politique, je m’attendais à ce qu’il s’attèle à la mise en place d’un Etat de droit et à l’instauration de la démocratie et de la réconciliation nationale.

Guinéenews© : Beaucoup disent que c’est ce que le Président Alpha Condé est en train de faire…

Cellou Dalein Diallo : Dans tous ces domaines, vous dis-je, il n’a pas du tout répondu aux attentes des populations. La vérité est que tout le monde est déçu.

Guinéenews© : Sur le plan politique, quels sont vos griefs ?

Cellou Dalein Diallo : Je parlerai d’abord de la démocratie. On devrait prendre les dispositions pour organiser des élections législatives transparentes et crédibles en vue de finaliser la transition. Malheureusement, M. Alpha Condé n’est pas pressé d’aller aux législatives. En plus, il veut non seulement créer toutes les conditions d’une mascarade électorale en vue de s’octroyer la légitimité qui lui manque en tant que président, mais aussi avoir les moyens de contrôler le parlement. A cet égard, on ne peut pas dire qu’il a été un bon démocrate et qu’il ait œuvré pour l’instauration de la démocratie en Guinée.

Guinéenews© : Ce sont tous vos griefs sur le plan politique ?

Cellou Dalein Diallo : En ce qui concerne les libertés, il a plutôt cherché à réprimer toutes les tentatives d’expression et d’exercice des droits qui sont reconnus par la constitution, dont les droits des partis politiques et des citoyens. A chaque fois que nous avons envisagé des manifestations pacifiques, il a organisé une répression sauvage, en procédant à l’arrestation de nos militants, en les jugeant arbitrairement et en les condamnant. A plusieurs reprises, on a tiré sur la foule, tué des citoyens. Au sein de mon parti, on dénombre sept morts dans nos rangs depuis qu’Alpha Condé est au pouvoir. Il n’a pas réagi. Il ne s’est pas indigné non plus. Il n’a pas demandé l’ouverture d’une enquête concernant la mort de Zakariaou Diallo. Il n’a absolument rien fait.

Guinéenews© : Mais vous auriez dû saisir la justice vous aussi ?

Cellou Dalein Diallo : Lorsque la famille de Zakariaou Diallo a déposé une plainte au niveau de la justice, M. Alpha Condé a demandé aux tribunaux de ne pas l’accepter. Jusqu’à présent, la plainte est sans preneur. A l’occasion de la marche pacifique du 27 septembre 2011 aussi, il a ordonné une répression sauvage de nos militants et sympathisants. Là aussi, nous avons enregistré six morts. Aucune enquête n’est ouverte. Aucune sanction n’est prise envers les coupables. Au contraire, M. Alpha Condé dit qu’il assume l’erreur des gendarmes et des policiers. Aujourd’hui, les guinéens sont déçus. On s’attendait à ce qu’il mette fin à l’impunité. On a des difficultés à gérer ce qui s’est passé avant son élection, mais ce qui s’est passé sous sa responsabilité en tant que président de la république, on ne l’a pas vu s’indigner, ni prendre des dispositions comme le ferait un chef d’Etat responsable pour éviter la répétition de tels actes.

Guinéenews© : Mais il vous a invité le 15 novembre à la présidence. Il vous appelé avant son voyage au Brésil pour vous annoncer la grâce à vos partisans. Et mieux, le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation vous a rendu visite….

Cellou Dalein Diallo : Ecoutez, il y a eu des rencontres, mais ce sont des rencontres-spectacles. En ce qui nous concerne, nous demandons simplement la tenue d’un dialogue franc et sincère pour résoudre les contentieux électoraux entre le pouvoir et l’opposition en vue de trouver un consensus dans l’organisation des élections législatives. Nous sommes tous des guinéens soucieux de la paix et de l’unité nationale. Depuis janvier, nous aurions pu relancer le dialogue politique en vue de discuter ensemble sur les conditions d’organisation d’élections législatives apaisées dans un délai raisonnable. Mais ils ne l’ont pas voulu. Au contraire, ils ont refusé systématiquement. Et c’est seulement mardi qu’ils ont décidé de satisfaire à nos conditions et demandé l’ouverture du dialogue. Et on a mille raisons de douter de la tenue de ces élections. Sinon comment expliqueriez-vous le refus du président depuis son investiture d’ouvrir le dialogue politique entre la classe politique, la commission électorale et le gouvernement pour trouver le consensus ?

Guinéenews© : Vous dressez un bilan sombre dans le domaine politique, et du point de vue économique ?

Cellou Dalein Diallo : Sur le plan économique, tout le monde le sait. Il y a moins d’électricité qu’il y a un an. Il y a moins d’eau courante et de sécurité. Aujourd’hui, le pouvoir d’achat des travailleurs est beaucoup plus faible. Les citoyens ont du mal à assurer les deux repas par jour. Telle est l’économie vécue par les citoyens. On vous dira que l’inflation est maitrisée, mais à quel niveau ?

Guinéenews© : Sans vous frustrer, Mr le Président de l’UFDG, répondez s’il vous plait ?

Cellou Dalein Diallo : Mais à 21 pour cent. On vous dira aussi que les revenus de la Banque Centrale se sont améliorés, mas un élément exceptionnel s’est ajouté, ce sont les 700 millions de dollars, qui ne vont pas se répéter. On aurait du faire ce bilan sans cet élément. Mais l’important pour les citoyens, c’est l’amélioration de leurs conditions de vie. Dans quelles conditions les guinéens vivent-ils aujourd’hui ? A quel prix achètent-ils le riz ? Alpha Condé avait promis le riz à 21 mille. Ils se sont même arrangés à vendre le sac à 21 mille à l’entre-deux-tours. Mais aujourd’hui, les guinéens souffrent. Ils ont moins d‘eau, moins de courant, moins de sécurité, moins de pouvoir d’achat. C’est cela la réalité.

Guinéenews© : Mais le paradoxe est qu’en dépit de toutes ces difficultés quotidiennes, les guinéens tiennent bon. Personne n’a manifesté d’abord contre la vie chère comme en 2007 ?

Cellou Dalein Diallo : Les guinéens ont seulement voulu donner une année à M. Alpha Condé. Vous verrez à partir de janvier prochain, puisque les syndicats menacent déjà. Ce n’est pas exclu donc que des mouvements sociaux aient lieu parce que non seulement les citoyens souffrent, en raison du coût élevé de la vie, mais aussi ils souffrent de l’injustice, de l’insécurité, du manque de la démocratie, de la restriction des libertés. Ils souffrent des pratiques de M. Alpha Condé : l’exclusion, l’injustice, l’arbitraire. Les cadres sont exclus à cause de leur appartenance ethnique ou politique. Ils perdent leurs postes dans l’administration. Parce que vous n’êtes pas du parti au pouvoir, vous n’avez pas le droit d’être chef de division, ni de chef de section, moins directeur national. En pus de l’injustice, de l’exclusion et de l’arbitraire, les citoyens souffrent de la misère, le lot quotidien de la majorité des guinéens. Je pense que les guinéens retrouveront bientôt la cohésion nécessaire à l’organisation des manifestations pacifiques pour exprimer leur ras-le-bol contre la politique menée par Alpha Condé en termes de réconciliation nationale et de développement socio- économique.

Guinéenews© : Sur le plan social, le bilan est-il aussi sombre ?

Cellou Dalein Diallo : Tout est lié. Mr Alpha Condé veut tout contrôler. Au niveau de la société civile, il veut contrôler le syndicat, la Confédération nationale des travailleurs de Guinée. C’est visible et connu de tous. Il veut aussi contrôler toutes les associations, comme celle des diamantaires et orpailleurs de Guinée. On a créé une nouvelle association pour marginaliser la première qui a été créée pourtant par la corporation des diamantaires.

Guinéenews© : Mais il se dit que le président de cette association, Daouda Cissé, serait l’un des vos proches ?

Cellou Dalein Diallo : On dit que Mr Daouda Cissé est un ami de Cellou Dalein. Aujourd’hui, on l’écarte pour le remplacer par un jeune diamantaire proche du Rassemblement du Peuple de Guinée (le parti au pouvoir). Au niveau de la commission électorale, on a renvoyé les Pathé Dieng. On a nommé les Mr Konaté. Il y a une volonté réelle de créer le parti- Etat à tous les niveaux. Aussi bien dans la société civile, dans les collectivités décentralisées à travers le remplacement des conseillers communaux par les délégations spéciales. Partout, Mr Alpha Condé veut mettre ses hommes pour contrôler toutes les structures, et même au sein des partis politiques.

Guinéenews© : Franchement, vous dressez un tableau tout sombre…..

Cellou Dalein Diallo : Mais où est la performance ?

Guinéenews© : Lors de son discours-bilan, le Président Condé a brandi des performances économiques

Cellou Dalein Diallo : Il n’a pas fait un discours-bilan. Il ne peut pas le faire. Il n’y a rien à présenter. Si vous relisez ce discours, il a dit qu’il fera ceci, qu’il fera cela. Du point de vue bilan, je dis non. Il va dire que l’équilibre macro-économique est en train d’être réalisé et que le Fonds Monétaire International s’est réjoui des efforts fournis ça et là. Mais sur le terrain, si l’inflation est à 21 pour cent en glissement annuel, où sont les résultats concrets ?

Guinéenews© : Mais le président dit qu’il a pris la Guinée dans un trou…

Cellou Dalein Diallo : Oui, un trou d’accord. Mais depuis une dizaine d’années, le pays faisait des performances. De 1990 à 2000, on est allé avec un taux de croissance de moins de 5 pour cent. On absolvait l’aide extérieure. Les tirages au titre de l’aide extérieure par an atteignaient les 325 millions dollars. Aujourd’hui, qu’il vous dise s’il a fait plus de 50 à 60 millions dollars. Il ne peut pas dire que ça marche. C’est loin le cas. Pourtant, c’est la même administration. Mais l’essentiel est la confiance. Malheureusement, il a détruit cette confiance.

Guinéenews© : Mais de quelle confiance parlez-vous ?

Cellou Dalein Diallo : La confiance entre l’administration et les administrés. La confiance entre le pouvoir et les citoyens. C’est une source de blocage économique. Les investisseurs ont peur. Les créanciers ne sont pas rassurés. Il n’y a aucune visibilité. Le chômage s’accroit, les populations souffrent, les investisseurs sont dans l’attentisme.

Guinéenews© : Pourquoi le bilan est-il sombre à votre avis ?

Cellou Dalein Diallo : C’est d’abord, le manque de confiance parce que le comportement du président, l’exclusion, l’arbitraire, l’injustice, les citoyens ont peur. Il y a un manque de politique claire. Personne ne sait ce à quoi il s’attend. Quand vous lui demandez son programme, il vous dit que c’est le changement. Mais quel changement ? Si vous regardez sur le terrain, vous trouverez que rien n’a changé. Il y a moins d’électricité, moins d’eau, moins de sécurité, moins de liberté, moins de solidarité. La méfiance s’est instaurée. Les citoyens réagissent en tant que groupe ethnique. Il a transformé ces préjugés en haine.

Guinéenews© : Si vous devriez noter sans complaisance le gouvernement du Professeur sur dix, combien lui donneriez- vous ?

Cellou Dalein Diallo : Je ne peux pas le noter. Parce que je ne vois rien comment noter. Je ne vois qu’une feuille blanche (Il rit aux éclats).

Guinéenews© : Un mot à tous nos internautes

Cellou Dalein Diallo : Je lance un appel à tous nos compatriotes où qu’ils se trouvent de se mobiliser pour demander le respect de la loi, l’instauration de l’Etat de droit et le respect des libertés. Parce que M. Alpha Condé est incapable de faire respecter la loi. Il faut qu’on exige le respect de la loi. A défaut, le changement tant réclamé attendra encore.

Guinéenews© : Il vous arrive-t-il de lire Guinéenews ?

Cellou Dalein Diallo : Oui, je vous lis très souvent.

Guinéenews© : Merci, Mr le Président de l’UFDG

Cellou Dalein Diallo : C’est moi qui vous remercie.

Propos recueillis par Abdoulaye Bah