Cinquantenaire d’une indépendance inaboutie en Afrique francophone

Les accusations de l’avocat Robert Bourgi, relayées par la presse française dès le 11 septembre 2011, braquent de nouveau les projecteurs sur les liens troubles qui lient la classe politique, les partis politiques français avec les dirigeants africains…

« Rester dans l’ombre pour ne pas prendre des coups de soleil » était le leitmotiv, le refrain préféré de Jacques Foccart (1913-1997) conseiller politique, secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches de 1964 à 1974; le personnage central dans la création de la « Françafrique », une démarche néocoloniale de la France en Afrique qui s’appuie sur des réseaux officiels mais surtout officieux.

Je vous invite à la relecture de ma contribution lors d’une conférence-débat organisée le 24 mars 2010 à l’université Stendhal de Grenoble (France). J’y avais évoqué les cinquante ans de dérives, de turpitudes de la « Françafrique » aux côtés de mon ami et prof à l’université de Lyon, écrivain et politologue Philippe Lavodrama.

Cinquantenaire d’une indépendance inaboutie en Afrique francophone
Conférence-débat organisée par un collectif d’associations africaines et l’association des Guinéens de l’Isère (AGIS) dans le cadre de la semaine culturelle africaine à l’université Stendhal Grenoble III, amphi 7 / Mercredi 24 Mars 2010.
Thème : Réalité des indépendances africaines
Contribution de Nabbie Soumah : Cinquantenaire d’une indépendance inaboutie en Afrique francophone

INTRODUCTION
L’année 1960 marque l’indépendance officielle de 17 pays d’Afrique francophone subsaharienne ; au Maghreb, le Maroc et la Tunisie étaient déjà indépendants avant cette année/curseur, charnière pendant que l’Algérie s’enlisait dans un conflit armé.

Membres depuis 1946 de l’Union française, nouvelle appellation de l’empire créée par une 4ème République initialement résolue à conserver ses possessions d’outre-mer, les colonies d’Afrique acquièrent leur indépendance de manière pacifique et graduelle en général.

Le processus débute avec la Loi-cadre Defferre n° 56-619 du 23 juin 1956 qui les dote d’une autonomie interne, se poursuit avec le projet de Communauté franco-africaine proposé par Charles de Gaulle (1890-1970) en 1958 en même temps que l’avènement de la 5ème République ; ce processus s’achève deux ans plus tard dans un parfait synchronisme, une remarquable concomitance, voire une curieuse coïncidence.

Qui dit indépendance sous-entends au préalable le fait colonial qui est une logique totalitaire ; l’ordre colonial étant destructeur de valeurs sociales et culturelles.

Mais, fort heureusement, la 2ème guerre mondiale avait sonné le glas des puissances coloniales, réveillé les nationalismes indigènes avec l’émergence du Tiers-Monde, du mouvement des Non-alignés et la remise en question de la domination française dans son empire colonial ; ceci grâce notamment au soutien des nouveaux maîtres du monde qu’étaient devenus les USA et l’ex-URSS après le partage de Yalta en février 1945 avec Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) et Joseph Staline (1878-1953). Sir Winston Leonard Spencer-Churchill (1874-1965) du Royaume-Uni y  fit de la figuration.

Les causes de la décolonisation de l’Afrique sont multiples mais on y observera paradoxalement une émancipation des peuples sans une véritable indépendance.

A mon humble avis, seules l’Algérie et la Guinée ont été réellement indépendantes, ont connu une décolonisation achevée, aboutie :

– l’une par la voie des armes concrétisée par les accords d’Evian du 18 mars 1962 avec le Front de libération nationale (FLN) algérien ;

– et l’autre par la voie des urnes matérialisée par le « Non » de 95 % des suffrages exprimés lors du référendum du 28 septembre 1958 ; le droit de faire « sécession », de devenir indépendant était explicitement prévu dans le projet de Communauté : l’article 78 prévoyait le transfert de compétences communes de la Communauté à l’un de ses membres au moyen d’accords particuliers ; tandis que l’article 86 envisageait la transformation globale du statut d’un Etat.

Mais 3 mois après ce « Non » historique, les services administratifs, les troupes, les colons quittèrent le pays et s’appliquèrent à rendre inutilisables les infrastructures, les plantations, etc.
Pour les autres pays, il ne serait pas faux, ni injuste de parler de 50ème anniversaire du maintien du joug, du lien, du cordon ombilical de la dépendance de facto vis-à-vis de la France qui est parvenue à conserver des liens « étroits » avec ses anciennes colonies.

Il est aisé de constater, qu’à quelques variantes près, la politique africaine de la France demeure fondamentalement inchangée depuis 1960 et que l’acte de décès de la Françafrique n’est pas encore validé.

L’indépendance « officielle », octroyée à ces nouveaux Etats n’entraîne aucune remise en cause fondamentale de leurs rapports avec la France qui doit faire face actuellement à la rude concurrence de la Chine dans son « pré carré ».

L’initiative « 2010-Année de l’Afrique » sera confiée à Jacques Toubon, l’ancien garde des Sceaux, par Nicolas Sarkozy ; il a pour mission de mettre en œuvre un projet qui a pour objectif, selon le Président, « de souligner et de confirmer l’évolution des relations entre la France et l’Afrique subsaharienne qui doivent rester privilégiées tout en étant renouvelées, équilibrées et transparentes ».

L’apothéose de la commémoration du cinquantenaire aura lieu le 14 juillet prochain avec un défilé de contingents militaires africains sur les Champs-Élysées en présence de 14 chefs d’Etat du continent noir.

Par ailleurs, quant au nouvel ordre intérieur, au nouveau système de gouvernance issu de ce processus de décolonisation inachevé, il s’avère malheureusement instable et anti-démocratique sur le plan politique, socialement altéré et économiquement anémié dans un continent qui est à la dérive, le réceptacle de tous les malheurs de la terre, en proie à une pléthore de crises et de fléaux.

L’Afrique a été abandonnée depuis belle lurette par ses dirigeants, ses élites et l’Occident qui lorgne vers l’Europe de l’Est et l’Asie ; certaines tendances s’y dessinent malheureusement et persistent :

– l’absence d’une véritable alternative au modèle répressif et corrompu en dehors de « coups d’Etat démocratiques » ;
– la sénilité croissante des pouvoirs vieillissants, fossilisés, hystériques et carnassiers avec des successions dynastiques comme au Togo et au Gabon ;

– la misère, la désespérance sociale, l’enkystement de pans entiers de la société ;

– l’irrépressible désir de survivre, d’exode quitte à braver les mers hostiles, le désert et des passeurs sans scrupule ;

Selon moi, les commémorations devraient s’inscrire dans une perspective de repentance et de réparation, à l’instar de la Shoah (la solution finale) pour la communauté juive ; l’Etat français n’a-t-il pas reconnu le 16 juillet 1995, par le biais du Président Jacques Chirac, sa responsabilité dans le génocide juif (5 à 6 millions de morts) ?

Sarkozy ne vient-il pas de faire un mea culpa de facto au Rwanda en reconnaissant le 25 février dernier de « graves erreurs d’appréciation et une forme d’aveuglement de la France et de la communauté internationale pendant le génocide de 1994 » qui aurait fait 800 000 morts selon l’ONU.

Le parlement serbe a voté le 31 mars 2010 une résolution condamnant le massacre de 8000 musulmans bosniaques de Srebrenica en juillet 1995 par les milices serbes, mettant ainsi fin à des années de déni.

Il faut qu’enfin l’ancienne puissance coloniale consente à reconnaître ses responsabilités historiques et à dessiner les contours d’un véritable nouveau partenariat équilibré avec ses anciennes colonies, d’une rupture refondatrice des rapports franco-africains.

Par ailleurs, il serait temps de s’accorder sur une mémoire commune de la colonisation.

I) LE FAIT COLONIAL OU LA LOGIQUE TOTALITAIRE

Quelle est la réalité du fait colonial ? Le concept de la colonisation repose en anthropologie sur une « logique totalitaire », sur le triptyque : unicité du droit, unicité de la pensée et unicité de la religion.

De grands savants et des penseurs européens s’étaient mis au service de la domination et de l’avilissement de la personne humaine.

1°) La Traite négrière transatlantique et le « Code noir »

Ils sont concomitants au fait colonial ; on ne peut occulter ce sinistre Code qui était un ensemble de textes réglant la vie des esclaves noirs dans les îles françaises de l’Amérique, en particulier l’ordonnance de soixante articles portant statut civil et pénal sous Louis XIV (1643-1715) en mars 1685 et concernant la discipline, le commerce de ces esclaves issus du continent africain qui a perdu 50 à 100 millions de ses fils les plus virils et de ses filles les plus jeunes et les plus fécondes.

2°) La théorie du « Fardeau de l’homme blanc »

Elle fut utilisée par les Européens comme une obligation de « civiliser » les « indigènes » ; « The White Man’s Burden » de Joseph Rudyard Kipling (1865-1936), un écrivain britannique et soutien à la colonisation, fut un célèbre poème, une injonction rhétorique attribuant à l’homme blanc le devoir de coloniser et d’administrer les populations étrangères : c’est la justification de la colonisation en tant que mission civilisatrice.

3°) La colonisation

C’est l’action politique, économique et militaire d’une grande puissance qui consiste à assurer le contrôle à son profit de territoires lointains, de leurs ressources naturelles et de leurs habitants. C’est la « mécanique des vases communicants », du « sablier » : le pillage et l’appauvrissement de l’Afrique ont enrichi la France.

La grande puissance devient alors une métropole, les territoires deviennent des colonies et leur ensemble devient un empire colonial.

Les puissances européennes divisèrent l’Afrique et ses ressources en zones politiques à la conférence de Berlin de 1884 ; en 1905, elle est complètement contrôlée à l’exception du Liberia la première nation d’Afrique indépendante depuis 1847 et de l’Ethiopie (l’Abyssinie) qui n’a jamais été colonisée.

L’Afrique a souffert, à long terme, des effets de la colonisation et de l’impérialisme, avec la perte d’importantes ressources naturelles et humaines, l’effondrement économique, le bouleversement culturel, une division géopolitique et un assujettissement politique.

A la fin du 19ème siècle s’était produite donc la 2ème grande vague de colonisation, la première avait concerné l’Amérique au 16ème siècle et était surtout l’œuvre des Portugais et des Espagnols avec une christianisation forcée, féroce des indigènes.

Pourtant, à peine assise, l’autorité des pays européens a été ébranlée par la 2ème guerre mondiale, encourageant les élites des peuples dominés à manifester une volonté d’autonomie, sinon d’indépendance.

II) UNE DECOLONISATION FORCEE OU L’EMANCIPATION SANS INDEPENDANCE

Les effets de la 2ème guerre mondiale ont engendré une émancipation sans une réelle décolonisation en Afrique francophone subsaharienne. C’est un processus inachevé, inabouti. La seule décolonisation sans conflit a été l’italienne car le régime s’était effondré.

1°) L’impact de la guerre de 1939-1945

Cette guerre a été un facteur d’accélération de la décolonisation avec l’adhésion de nombreux pays à l’ONU ; d’autre part, elle a sonné le glas des puissances coloniales et permis l’émergence de deux grands blocs sous la coupe réglée des USA et de l’ex-URSS lors de la Guerre froide dès 1947.

Cette bipolarité du monde n’épargna pas l’Afrique qui fut, par pays interposés, un lieu d’affrontement idéologique avec des caractères militaires, économiques ou politiques.

En 1944, la conférence de Brazzaville a amorcé une prise de conscience des problèmes coloniaux et ouvert des perspectives de réformes.

Dès 1946, la France s’était enlisée dans une longue guerre coloniale au Vietnam qui s’est achevée en 1954 par la défaite de Diên Biên Phu qui a mis fin à la présence française en Indochine consacrée par les accords de Genève du 21 juillet 1954.

2°) L’isolement des puissances coloniales dans un contexte favorable

a) La « Charte de l’Atlantique » de 1941

Cette Charte est une déclaration solennelle faite le 14 août 1941, suite à la rencontre, à bord d’un navire de guerre dans l’Atlantique au large de Terre-Neuve une province canadienne, entre Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill.

Auparavant, le 6 janvier 1941, Roosevelt avait prononcé devant le Congrès des Etats-Unis son fameux « Discours sur les Quatre Libertés » : la liberté d’expression, du culte, la liberté de vivre à l’abri du besoin et de la peur. La charte, qui reprend et complète ce fameux Discours « entreprend de jeter les fondements d’une nouvelle politique internationale ». Les principes, sur lesquels Roosevelt et Churchill s’appuieront, sont : « la condamnation de toute annexion territoriale, le principe de l’autodétermination de chaque peuple, la coopération internationale, la liberté commerciale et la liberté des mers, la condamnation du recours à l’usage de la force et la réduction des armements ».

La Charte de l’Atlantique servit de base, de substratum à la Déclaration des Nations unies signée le 1er janvier 1942 par les représentants de 26 pays en guerre contre l’Allemagne nazie, ainsi qu’à la Charte des Nations unies signée le 26 juin 1945 à San Francisco (USA).

Après la guerre, il y eut une pression sur les britanniques de se conformer à la Charte de 1941; Churchill l’introduira au parlement et la transposera dans leurs colonies après la guerre.

Quant à la France, qui avait été défaite, occupée, humiliée par l’Allemagne nazie, elle continuera de considérer ses colonies africaines d’« infantiles » et d’« immatures » malgré leur contribution au prix du sang versé sur les champs de bataille. Telle la bataille victorieuse de Bir Hakeim du 11 juin 1942 en Libye des Forces françaises libres (FFL) du général Pierre Kœnig (1898-1970) contre l’Afrika Korps du général Erwin Rommel (1891-1944).

b) Un anticolonialisme de gauche en Europe

Il s’est affirmé, s’est fondé sur des principes moraux et politiques. L’exploitation des peuples et de leurs richesses, les crimes commis par les soldats et les colons sont les principaux griefs faits à la colonisation. Une partie de ces anticolonialistes s’engagent aux côtés des nationalistes, en Algérie notamment.

c) le rôle des élites noires

Durant les années 1930, une minorité d’élites leaders sont formées dans les universités occidentales et familiarisées avec des idées comme l’autodétermination, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de choisir librement la forme de leur régime politique.

Ce principe de droit international fut proclamé dans les « Quatorze points » du président américain Woodrow Wilson (1856-1924) le 8 janvier 1918 pour mettre fin à la première guerre mondiale, reconstruire et légitimer les nouvelles frontières de l’Europe ; il sera réaffirmé dans la Charte des Nations unies signée en 1945.

Parmi ces leaders nationalistes formés en Occident et qui mèneront la bataille pour l’indépendance, on trouvera Jomo Kenyatta (1893-1978) au Kenya, Kwamé Nkrumah (1909-1972) au Ghana, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) au Sénégal et Félix Houphouët-Boigny (1905-1993) en Côte d’Ivoire, entres autres.

C’est très difficile d’évaluer le rôle et le poids des élites noires dans la décolonisation. C’est très différent et très variable d’un pays à l’autre. Ces élites concernent environ 3 % de la population. Ce sont des intellectuels qui vivent en Europe et issus notamment de la petite bourgeoisie, des commerçants. Il faut souligner le rôle des élites ouvrières comme les dockers, dans les chemins de fer, les mines. Ce sont les premiers foyers de contestation.

3°) L’émergence du Tiers-monde, des Non-alignés et la marche vers une émancipation inéluctable

Se sentant renforcés par les discours des Alliés, avec notamment la « Charte de l’Atlantique », les nationalistes s’éveilleront et se radicaliseront à la fin de la 2ème Guerre Mondiale. Les nouveaux « maitres » du monde que sont les USA et l’URSS, avec l’appoint de l’ONU, encourageront la décolonisation. D’où l’indépendance des mandats français du Proche-Orient (Liban le 22 novembre 1943 et Syrie le 17 avril 1946 et) et la fondation de la Ligue Arabe le 22 mars 1945.

En avril 1955, la conférence de Bandung (Indonésie) est à l’origine du mouvement des pays non alignés refusant à la fois les deux blocs, soviétique et occidental ; elle réunit 29 pays du Tiers-monde avec l’Indonésien Sukarno né Koesno Sosrodihardjo (1901-1970), le Chinois Chou En-Lai (1898-1976), l’Indien Jawaharial Pandit Nehru (1889-1064) et l’Egyptien Gamal Abdel Nasser (1918-1970) ; en 1956, ils se réuniront à Brioni (Yougoslavie) à l’invitation du Maréchal Josip Broz Tito (1953-1980).

L’émergence diplomatique et internationale des Non-alignés engendra la marche vers une émancipation inéluctable et un encouragement à la décolonisation en Afrique.

4°) Une transition pacifique et graduelle

La conférence de Brazzaville inaugurée en janvier 1944 par le général de Gaulle, avait exclu la possibilité de toute autonomie ou indépendance des colonies, mais prévu de leur conférer le droit d’élire des représentants dans les assemblées nationales.

La Constitution de la 4ème République du 13 octobre 1946 intègre les colonies dans l’Union française qui perpétue une tradition impériale oscillant entre assimilation et intégration mais applique les dispositions de la conférence de Brazzaville.

Le 18 octobre 1946 à Bamako (Mali), se tient le congrès constitutif du rassemblement démocratique africain (RDA), parti fédéral d’Afrique noire proche du Parti communiste français et de l’URSS dans ses premières années, c’est la création du premier mouvement politique panafricain.

La loi-cadre du nom du ministre de la France d’outre-mer Gaston Defferre (1918-1986) adoptée en 1956 sous le gouvernement Guy Mollet (1905-1975), puis la Communauté française mise en place par de Gaulle revenu au pouvoir en 1958 ont ouvert la voie à l’indépendance.

En Afrique francophone, la transition à l’indépendance fut relativement pacifique et en plusieurs étapes ; la majorité des territoires s’est émancipée entre 1956 et 1962, période pendant laquelle on observe deux modes de décolonisation, deux processus d’indépendance au sein de chaque Afrique.

a) Au Maghreb

– La Tunisie et le Maroc : en 1954, le Président du conseil (Premier ministre) Pierre-Mendès France (1907-1982), mettant fin à une politique intransigeante et de répression (cf. l’Indochine), avait engagé le dialogue avec les nationalistes tunisiens et marocains. Ces deux protectorats obtiendront leur indépendance en 1956, sans trop de violences sous la férule d’Habib Bourguiba (1903-2000) et Mohammed V Ben Youssef (1909-1961).

– L’Algérie, qui était la seule colonie de peuplement française en Afrique, connut un conflit douloureux. Les séquelles de ce conflit sont encore vivaces dans les rapports entre ces deux Etats. Les Algériens de France continuent de faire les frais de cette « sale guerre », de l’insurrection déclenchée par le FLN à la Toussaint 1954 qui a marqué le début d’une nouvelle guerre coloniale dans laquelle la France s’est enlisée avec les irréductibles de l’Algérie française (cf. l’OAS) et qui ne s’est achevée qu’en 1962 avec les accords d’Evian.

Pour rappel, l’Algérie avait abrité le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) issu de la Résistance le 3 juin 1944 et dirigé par le général Charles de Gaulle. Brazzaville fut la première capitale de cette Résistance, de la France libre.

b) En Afrique subsaharienne

Seule la Guinée refuse la Communauté et accède immédiatement à l’indépendance en 1958.

Toutes les autres colonies françaises « obtiennent » pacifiquement leur indépendance en 1960 : c’est la fin de la Communauté française. En 1974 c’est au tour des îles Comores (excepté Mayotte dont la départementalisation sera actée en principe en 2011 avec 95,2 % de votes favorables lors du référendum du 29 mars 2009), ensuite Djibouti en 1977.

III) LA PERSISTANCE DE LA TUTELLE FRANCAISE

1°) Le spectre de la Françafrique ou la restauration du paternalisme

Le spectre de la Françafrique est omniprésent et la restauration du paternalisme est une réalité vivante dans l’Afrique francophone subsaharienne.

Dans sa conception des rapports avec l’Afrique, le général de Gaulle s’était révélé l’héritier d’une tradition de pensée dont les origines remontent aux théoriciens de l’expansion coloniale de la 3ème République : beaucoup plus que des mobiles économiques, ce sont des considérations de nature politique et stratégique qui sous-tendent ses interventions africaines.

La « zone franc », qui permet à la France de disposer de liquidités accrues, contribue de manière non négligeable à la réalisation de l’objectif fondamental de la politique de Gaulle qu’est la restauration du statut de la France en tant que puissance moyenne.

Alors qu’elle avait été affaiblie par l’instabilité ministérielle et politique chronique de la 4ème République et discréditée par ses engagements coloniaux en Indochine et en Algérie, la France retrouve ainsi une influence dans les rapports internationaux. Aux chefs d’Etat fidèles à la France, des garanties importantes sont offertes : l’aide est économique et financière, avec notamment des subventions aux budgets de fonctionnement, des aides à l’investissement ou encore des envois massifs d’enseignants, de coopérants et de conseillers techniques. Mais le soutien français était également d’ordre militaire et consistait en une intervention de ses troupes à la demande des autorités en place.

Pour de Gaule « un indigène est plus un sujet qu’un citoyen » ; il a été partisan de « l’assimilation », du double collège, de l’Algérie française et estimait que « le salut de la France passe par l’Empire ».

« La Corrèze avant le Zambèze ! » clamait dans « Paris-Match » le journaliste français Raymond Cartier (1904-1975) car il valait mieux investir en Métropole que dans les colonies où « la mise à niveau allait coûter cher au budget national ».

De Gaulle à Nicolas Sarkozy en passant par Georges Pompidou (1911-1974), Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand (1916-1996) et Jacques Chirac on constate une continuité dans la restauration du paternalisme : le sphinx « Françafrix » renaît de ses cendres malgré les alternances politiques en France.

Il est aisé de constater, qu’à quelques variantes près, la politique africaine de la France demeure fondamentalement inchangée et que l’acte de décès de la Françafrique n’est pas encore validé, déclaré par le légiste français qui préfère garder sous assistance respiratoire, artificielle un continent dans un état comateux très avancé.

Les secrétaires d’Etat successifs à la coopération l’ont appris à leur dépends, tels Jean-Pierre Cot avec F. Mitterrand et récemment Jean-Marie Bockel, le transfuge du parti socialiste, renvoyé par Sarkozy à ses chères études au Secrétariat des anciens combattants, puis à la justice sous la tutelle de Mme Alliot-Marie.

La Françafrique repose sur 3 éléments :

– le soutien inconditionnel de la France aux dictateurs et affameurs de peuples africains ;

– le blocage de l’alternance, du changement des mœurs politiques ;

– le détournement des biens publics qui sont investis dans le Nord, leurs banques et le financement des partis politiques français.

Sarkozy avec son conseiller et affairiste Robert Bourgi étaient à Libreville le 24 février 2010 pour « réactiver » la Françafrique et annoncer le maintien de la base militaire française dans un pays qui regorge de richesses naturelles (pétrole, bois, etc.) contrairement au Sénégal. Jacques Foccart (1913-1997), l’homme des basses œuvres, est mort mais Blaise Compaoré assure la continuité de la fonction : il a joué le rôle de parrain de « chefs de guerre » en Côte d’Ivoire, au Libéria, en Sierra Léone, en Guinée avec le CNDD version Dadis Camara, etc.

Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), El Hadj Omar Bongo Ondimba (1935-2009) et Gnassingbé Eyadema (1935-2005), les dinosaures et exécutants zélés de la Françafrique, ont un excellent héritier, un homme lige avec le burkinabé Blaise Compaoré.

Le 50ème anniversaire n’est en fait que celui du maintien du joug, du lien, du cordon ombilical de l’interdépendance. Nombre d’anciennes colonies ont gardé des liens très forts avec la France : économiques, diplomatiques, culturels,… C’est ce que l’on appelle positivement la coopération et négativement le néocolonialisme.

Le nouvel Etat, qui n’est indépendant que de nom, devient l’allié objectif, le bras séculier de l’ancienne puissance coloniale en lui « octroyant » l’exclusivité des marchés publics stratégiques, des richesses naturelles (pétrole, bois, minerais, etc.).

Il n’y a pas de réelle liberté de choix de partenaires économiques et politiques, malgré la pénétration de pays émergeants sur le continent, à l’instar de la Chine. Certains régimes l’ont appris à leurs dépends :

– celui de Pascal Lissouba au Congo-Brazzaville avec la firme pétrolière française ELF et une longue guerre civile de 1993 à 2002 ;

– celui de Mamadou Tandja au Niger avec l’uranium et AREVA, victime le 18 février 2010 d’un coup d’Etat par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD).

En retour, comme récompense, les gouvernants fidèles se voient « accorder » une longévité au pouvoir et la possibilité de tordre le coup à la Constitution, d’assurer une dynastie en faisant élire leur progéniture à l’instar des Bongo, Eyadéma, Kabila, peut-être Wade demain.

« La France porte à bout de bras des régimes à bout de souffle en Afrique ! », s’indignait Ménélik (de son vrai nom Albert Tjamag), un rappeur franco-camerounais.

Quant à la francophonie, l’ancienne agence de coopération à Niamey qui vient de fêter ses 40 ans avec ses 70 membres, elle demeure un des liens qui unissent la France à ses anciennes possessions et ne sert en réalité qu’à son rayonnement politique et culturel dans le monde.

2°) France et Chine : deux « serial concurrents » en Afrique

La France et la Chine sont devenues deux « serial concurrents » dans leurs relations singulières avec l’Afrique, dans leur quête effrénée de parts de marchés sur le continent noir.

Dans son discours lors de la 63ème session de l’AG de l’ONU en 2008, Nicolas Sarkozy s’en était pris vertement à la Chine responsable, selon lui, de l’aggravation du surendettement des pays africains à qui elle octroierait de l’aide sous forme de prêts sans condition, sans discernement. Ceci contrairement à la doctrine « démocratique » mitterrandienne de la Baule de juin 1990 et aux institutions contraignantes (FMI et Banque mondiale) de Bretton Woods.

En réalité, la France est aujourd’hui sur la défensive dans son « pré carré » africain et demeure inquiète d’y perdre pied au profit de la Chine et d’autres pays émergents.

L’ancienne puissance coloniale a perdu sur la scène internationale son poids économique et son influence politique qui en découle. Elle est en proie, depuis des décennies, à un déficit budgétaire chronique (144,8 milliards d’euros de déficit public donc 7, 5 % du PIB pour l’année 2009) que fustigent les instances de l’Union européenne (cf. le seuil de 3 % des accords de Maastricht de 1992), à une balance commerciale et des comptes publics qui sont au rouge.

Alors que la Chine, de son côté, s’est « éveillée » comme le pressentait l’homme politique et académicien Alain Peyrefitte (1925-1999) et s’est hissée au rang de puissance économique attrayante et performante, d’interlocutrice politique influente dans les relations internationales, notamment vis-à-vis des USA. Son économie est florissante avec une croissance à deux chiffres (12 % dans le 1er trimestre 2010) ; elle détient une grande part des réserves financières mondiales. Le centre de gravité de la production mondiale, notamment automobile (Volvo suédois a été rachetée ce mois), se déplace vers elle.

Elle a organisé avec brio les jeux olympiques de Beijing et a été consacrée superpuissance spatiale avec la capsule Shenzhou VII qui a été placée en orbite, le 25 septembre 2008, avec trois «taïkonautes» à son bord.

Ses articles à petits prix sont prisés et représentent une véritable aubaine pour des populations africaines en proie à la misère. La manne financière de la Chine est donc la bienvenue, une bouffée d’oxygène pour l’Afrique face à la rareté du crédit. A condition qu’elle soit utilisée à bon escient et non qu’elle se dirige comme d’habitude vers les paradis fiscaux au bénéfice de ses gouvernants. Un adage populaire ne dit-il pas « qu’il vaut mieux un puits peu profond avec de l’eau qu’un puits profond sans eau ! ».

La Chine est dans une posture expansionniste, offensive en Afrique avec des projets, des financements à tour de bras. Par exemple, le géant minier anglo-australien Rio Tinto vient d’annoncer la mise sur pied d’un projet de 2,9 milliard de dollars (2,1 milliards d’euros) avec le groupe de métaux chinois Chinalco portant sur le développement commun d’une activité minerai de fer à Simandou en Guinée.

Selon un adage populaire, « dans la fête des hyènes, les agneaux sont exclus ! », la compétition internationale est impitoyable. Ce géant asiatique est entrain de creuser l’écart vis-à-vis de ses concurrents, à l’image du premier Forum du 23 septembre 2008 sur l’économie Chine-Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) qui avait mis l’accent sur les investissements dans le développement des infrastructures, l’exploitation des ressources naturelles, l’agriculture, la banque et d’autres secteurs.

La Chine peut y contribuer, à coup sûr, bien qu’elle ne soit pas exempte de tout reproche, notamment dans le plagiat avec la reproduction industrielle du textile africain au détriment des teinturières locales (cf. dans la zone industrielle de Sanoyah en Guinée).

Mais ne dit-on pas que « les Etats n’ont pas d’amis ; mais ils n’ont que des intérêts ? ». Alors essayons habilement d’y trouver notre compte pour le salut d’une Afrique meurtrie.

« L’Afrique ne représente que 2% du flux économique de la France. La France économiquement n’a pas besoin de l’Afrique ! », clamait Sarkozy au Bénin le 21 mai 2006, à l’époque ministre de l’Intérieur ; mais en réalité la France sans l’Afrique apparaît comme une mobylette sans essence dans un contexte de rivalité économique ardue avec l’Asie.

IV) UN NOUVEL ORDRE INTERIEUR INSTABLE DANS UN CONTINENT EN DERIVE

A la suite de la décolonisation, l’Afrique a affiché une instabilité politique, un désastre économique et une dépendance à la dette avec un Etat désargenté et déliquescent incapable de financer, par exemple, ses propres élections, ses projets de développement. Le fichier électoral étant l’épine dorsale de toute élection. Par exemple :

– le recensement électoral au Tchad, qui devait débuter dimanche 21 mars dernier, a été repoussé sine die en raison d’un manque de moyens financiers, selon le président de la Commission électorale (CENI), Ngarmadjal Gami.

Le calendrier initial prévoyait le recensement du 21 mars au 9 mai 2010 en vue d’élections législatives en novembre, suivies de locales en décembre et d’une présidentielle en avril 2011. Le budget électoral était estimé à 25 milliards de FCFA (38 millions d’euros) mais les contributeurs internationaux attendaient le versement effectif par l’Etat de sa part de financement avant de se manifester.

– en Centrafrique, les partenaires étrangers et principaux bailleurs de fonds présents au comité de pilotage se sont prononcés vendredi 19 mars pour un report du double scrutin présidentiel et législatif prévu le 25 avril, en raison de leur impréparation, de l’énorme retard ; ils ont appuyé la position exprimée par la représentante des Nations unies en Centrafrique, l’Ethiopienne Salhe Work Zewde.

– Une conférence internationale des donateurs en faveur de « la paix et de la stabilité au Darfour », organisée par l’Organisation de la conférence islamique (OCI) qui compte 57 Etats membres, n’a récolté dimanche 21 mars au Caire (Egypte) que 850 millions de dollars en faveur de projets de développement destinés à assurer le retour de près de 3 millions de personnes déplacées lors du conflit dans cette région de l’ouest du Soudan.

Neuf milliards de dollars américains ! C’est l’engagement d’aide pris pour Haïti (elle n’en espérait que 3) par plus de 120 pays et organisations au terme de la rencontre des donateurs tenue mercredi 31 mars dernier à New York. « Les promesses dépassent nos attentes », s’est même écrié le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.

Ceci est la preuve du désintérêt de la communauté internationale pour l’Afrique malgré les efforts de Georges Clooney pour le Darfour ; il y a donc deux poids deux mesures.

Par ailleurs, la Commission européenne, avec sa ligne budgétaire intitulée « Aide à la démocratie » du programme EuropAid, alloue des fonds aux Etats africains dans le domaine de la coopération internationale, notamment en matière électorale. Elle vient d’allouer 3 millions d’euro à la Guinée pour l’élection présidentielle du 27 juin 2010.

Tout ce qui ce précède et précité est la résultante d’un nouvel ordre intérieur antidémocratique et instable dans un continent en dérive.

Par ailleurs, l’idéal panafricaniste et l’intégration régionale ne sont pas encore devenus une réalité vivante. Il faudra écrire un nouveau corpus pour la renaissance de l’Afrique.

1°) Un nouvel ordre intérieur anti-démocratique, socialement altéré et économiquement anémié

Après 50 ans d’indépendance, selon Transparency International avec son indice de perception de la corruption et d’après l’Indice de développement humain (IDH), l’Afrique est le continent le plus pauvre de la planète ; ses populations sont frappées de plein fouet par une pléthore de fléaux et de crises : l’insécurité (60 meurtres par jour en Afrique du Sud) ; le terrorisme islamique par exemple en Mauritanie, au Mali qui empêche le Rallie Paris-Dakar qui a dorénavant lieu en Amérique latine ; les conflits ethniques ; le braconnage et le commerce international des espèces animales en voie de disparition ; le marasme économique ; des populations en proie à la misère frappées de plein fouet par la corruption, le déficit démocratique, l’insécurité, les guerres et les génocides avec des déplacements de populations (cf. Rwanda, Darfour) ; après plus de 200 coups d’Etat militaires, l’influent National Democratic Institute américain déplore la résurgence des coup de force (Mauritanie, Guinée, Madagascar, Niger, etc.) : selon le malien Amadou Toumani Touré « quand la démocratie passe par la fenêtre, le coup d’Etat entre par la porte » ; la pandémie du sida et du paludisme ; un environnement pollué et délabré (dépotoir de déchets toxiques, l’exploitation de l’uranium dans le Nord du Niger) ; les crises alimentaire (accentuée en 2008 par la hausse des prix des matières premières et des produits de première nécessité), énergétique (cf. les délestages) et financière (la plus grande depuis les années 30) ; l’exode rural et l’échec des politiques urbaines et d’aménagement du territoire avec plus de 200 millions de personnes qui vivent dans des bidonvilles, des taudis.

La privatisation des services publics, tels l’eau, l’énergie et les télécommunications, a engendré des effets néfastes : alors que les tarifs augmentent la qualité du service se dégrade. Se pose également la question de la maitrise de l’eau pour irriguer les terres arables ; terres arables qui sont soit vendues à des pays émergeants (Chine, Inde), soit réservées à la construction de logements, à la spéculation foncière.

L’Etat y est devenu le lieu privilégié d’accaparement patrimonial où s’accroissent les inégalités territoriales, les conflits fonciers (la terre étant un identifiant), les replis communautaires, confessionnels comme au Nigeria (cf. les massacres à Joss).

En somme, l’état des lieux est accablant, alarmant avec le maintien des rapports de domination à travers notamment le mécanisme de la dette, le pillage des richesses, l’absence de rupture initiale avec les structures économiques coloniales basées sur l’exportation vers le marché mondial de matières premières peu ou pas transformées sans valeur ajoutée, agricoles (cacao, café, coton, arachide, bois, etc.) ou minières.

Depuis les plans d’ajustement structurels des années 1980-1990, les Etats ont perdu de leur pouvoir : le monde de la coopération internationale (bailleurs, FMI, Banque mondiale, ONG) assume une partie de leurs prérogatives dans les domaines sociaux (éducation, santé), économiques (appui à l’agriculture, infrastructures, etc.) et de la définition même des politiques publiques ; les transferts financiers des émigrés et l’action des firmes transnationales contribuent à relativiser le pouvoir de l’Etat.

Des violences résultent du désaccord frontalier suite au découpage géographique fait durant la colonisation, d’un lien diffus, d’une relation complexe entre territoires, frontières, identités, Etats, nation, aménagement des territoires, intégration régionale et développement dans l’Afrique indépendante.

Malgré une acceptation très répandue de ce découpage, des conflits frontaliers comme ceux entre le Tchad et la Libye, l’Ethiopie et la Somalie, le Nigeria, le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, la côte d’Ivoire et la Ghana pour des gisements pétroliers off-shore, le vieux conflit du Sahara occidental avec les populations sahraouies réparties entre le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, entre autres, surgissent parfois encore aujourd’hui.

En 1964, le Maroc s’était opposé à l’adaptation par l’OUA du concept de droit international l’« utis possidetis juris » qui veut dire « comme vous avez possédé, vous continuerez à posséder » ou « comme chacun possède que chacun reste sur ses positions ». Ce statu quo est illustré par « le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation » ; il est acté dans du marbre à l’article 2, alinéa 1 c, de la Charte du 25 mai 1963 de l’OUA (devenue l’Union africaine depuis 2001) qui avait été créée dans le but de hâter la décolonisation et de préparer une union économique africaine à l’instar de l’Europe.

Par ailleurs, à la violence coloniale à l’encontre des populations « indigènes » s’est substituée la violence d’Etat des nouveaux pays indépendants sous diverses formes : notamment l’utilisation systématique des forces de sécurité à l’encontre des populations pacifiques dans l’exercice de leurs droits constitutionnels (cf. les massacres et viols du 28 septembre 2009 en Guinée) ; les gouvernants ont déployé, élaboré tout un arsenal juridique et répressif pour museler l’opposition, empêcher l’alternance avec le sacro-saint principe d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui est une notion extensive, fourre-tout ; la loi « anti-casseur » contre le droit de manifester qui introduit la « notion de responsabilité collective pour fait d’autrui » qui a été condamnée par la Cour européenne de justice contre la France ; la loi scélérate de novembre 1997 promulguée en janvier 1998 relative à la double nationalité pour rendre inéligible des candidats issus de la diaspora guinéenne ; des audits ciblés ; des médias au service exclusif du pouvoir (cf. RTI en Côte d’Ivoire) ; l’élection à un tour comme au Togo et au Gabon, etc.

Tout ceci pour neutraliser toute velléité de contestation, de changement afin de se pérenniser au pouvoir pendant des décennies avec des révisions constitutionnelles, comme en Guinée le 11 novembre 2001 et actuellement en République démocratique du Congo où l’article 220 de la constitution qualifie de « haute trahison » toute tentative de modification de la constitution.

D’autre part, l’Afrique, un continent déjà assailli par la violence et la pauvreté, est devenue la nouvelle route de la drogue. 50 tonnes de cocaïne transitent chaque année dans l’Ouest africain qui était devenu déjà un épicentre du trafic humain, des pierres précieuses (diamant, or, etc.), de la fausse monnaie et des armes (cf. l’Angolagate).

L’environnement était favorable, propice car les Etats y sont désargentés par la corruption, déliquescents, sous-équipés avec des moyens dérisoires et des frontières poreuses. Des dégâts collatéraux dans ces « narco-Etats » sont l’insécurité, la pandémie du sida et la prostitution.

En mars 2009, la Guinée Bissau a subi un tremblement de terre politique avec l’assassinat du Président João Bernardo Vieira et celui du chef d’état-major des armées Tagme Na Waie. Derrière ces règlements de comptes apparaîtrait, en filigrane, le spectre du trafic de cocaïne qui touche le pays depuis quelques années.

L’historien camerounais Achille Mbembe dresse également un bilan accablant et alarmant des 50 années de l’Afrique indépendante : « Dans la plupart des cas, les Africains ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants. Trop de pays sont toujours à la merci de satrapes (despotes) dont l’objectif unique est de rester au pouvoir à vie. Du coup, la plupart des élections sont truquées. On sacrifie aux aspects procéduraux les plus élémentaires de la concurrence, mais l’on garde le contrôle sur les principaux leviers de la bureaucratie, de l’économie, et surtout de l’armée, de la police et des milices. La possibilité de renverser le gouvernement par la voie des urnes n’existant pratiquement pas, seul l’assassinat, la rébellion ou le soulèvement armé peuvent contredire le principe de la continuation indéfinie au pouvoir. Globalement, les choses sont donc plutôt bloquées, surtout en Afrique francophone où, les manipulations électorales et les successions de père en fils aidant, l’on peut dire que l’on vit, de facto, sous des chefferies masquées (…) C’est un continent où le pouvoir de tuer reste plus ou moins illimité et où la pauvreté et la maladie rendent l’existence si précaire ».

2°) L’échec de l’idéal panafricaniste et de l’intégration régionale

Que reste-t-il du panafricanisme ? Certains, à l’instar du doyen guinéen Vanfing Koné, souhaitent promouvoir le « Panégrisme » en réaction à certains événements avec ce questionnement : pourquoi la création de l’Union du Maghreb arabe le 17 février 1989 alors qu’existait l’OUA depuis 1963 ? Pourquoi Mouammar Kadhafi s’acharne-t-il contre les Noirs résidant en Libye ? Pourquoi vient-on imposer récemment en mars 2010 l’arabe comme langue administrative en Mauritanie alors qu’existent le Wolof et le Soninké ? L’Egyptien Gamal Abdel Nasser aurait déclaré que « grâce à l’Islam l’Afrique noire restera l’arrière-cour du monde arabe ! ».

La naissance en Janvier 1959, mais suivie d’une mort prématurée, de l’éphémère Fédération du Mali caractérisait un bel exemple de l’idéal panafricaniste. 4 Etats autonomes d’Afrique occidentale, le Dahomey, la Haute Volta, le Soudan et le Sénégal s’unissent et la créent.

Quelques mois plus tard, cette Fédération, devenue indépendante le 20 juin 1960, se limitaient aux seuls Soudan et Sénégal ; mais le 20 août 1960, c’est la rupture entre ces deux Etats.

Né à l’aube des premières indépendances, le concept des Etats-Unis d’Afrique, repris récemment par Kadhafi, avait suscité bien des espoirs sur un continent qui se « libérait » du joug colonial. Avant de s’enliser peu à peu dans des querelles de chefs, d’une part, et la crainte de la France de voir l’émergence d’un grand ensemble politique et économique qui lui ferait concurrence ou qui ne serait pas sous sa tutelle, d’autre part.

Plus d’un demi-siècle après les 6ème et 7ème conférences panafricaines (1953 et 1958) durant lesquelles Kwame Nkrumah, le chantre de l’idéal panafricaniste, prôna la création d’un gouvernement continental central, les Etats-Unis d’Afrique relèvent encore de la politique-fiction. C’est le serpent de mer, l’arlésienne.

Le projet traîne car il y a trop d’intérêts divergents. Les Etats-Unis d’Afrique avaient un sens au lendemain des indépendances car ils s’inscrivaient dans une perspective tiers-mondiste. Mais aujourd’hui la plupart des pays du continent se sont convertis à l’économie de marché, c’est donc tout le concept qu’il faut retravailler en amont.

Il y eut un clivage, une dichotomie entre panafricanistes « maximalistes » et panafricanistes « modérés » : la querelle ne date pas d’hier. En 1963, déjà, l’accouchement douloureux, aux forceps de l’OUA avait opposé des leaders radicaux (Kwame Nkrumah et Sékou Touré) aux tenants d’une avance progressive, graduelle (Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny). Actuellement, les Etats, notamment les nouveaux d’Afrique australe, demeurent attachés viscéralement à leur souveraineté.

Les crises alimentaire, énergétique, économique soulignent les besoins de régulation d’un monde interconnecté de plus en plus complexe et posent la question de la pertinence de l’échelle nationale et du rôle de l’Etat dans ces régulations.

On constate, à regret, qu’il n’y a pas d’intégration régionale réelle sur le plan économique et politique, ni l’émergence d’un grand ensemble de pays émergents à l’instar de l’Union européenne ; l’ALÉNA ou Accord de libre-échange nord-américain en janvier 1994 entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique ; le MERCOSUR ou Traité d’Asunción de 1991 ou marché commun du Cône Sud ; la CARICOM, la communauté et le marché des Caraïbes de 1973 ; l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEAN) de 1967 ; etc.

Dans l’imbroglio régional africain, cinq communautés dominent le paysage de l’intégration : la CEDEAO en 1975, la CEEAC, l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement résulte d’un accord du 16 mars 2010 entre le gouvernement somalien et le mouvement Ahlu Sunna Wal Jama sous les auspices de l’UA), la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) en 1979 puis 1992 et l’Union du Maghreb Arabe (UMA).

A l’instar de l’UA, ces instances communautaires sont inefficaces et à la remorque des événements : la non utilisation efficiente des organes, des mécanismes d’alerte pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Dans l’architecture africaine de paix et de sécurité : le Conseil de Paix et de la Sécurité a remplacé le « Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits » de l’OUA. Au niveau régional, ce sont les CERS.

L’OUA avait proscrit à Alger en juillet 1999 les coups d’Etat, c’est-à-dire l’accession au pouvoir par des voies anticonstitutionnelles. L’UA a repris, dans l’accord de Lomé du 11 juillet 2000, cette disposition restrictive ainsi que l’article 96 de l’accord de Cotonou du 23 juin 2000 entre l’Union européenne et les Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Mais les sanctions ciblées militaires et civils prises par des instances communautaires à la remorque des événements (cf. embargo sur les armes, gel d’avoirs, pas de visas, etc.) ont rarement abouti à déloger un régime dictatorial récalcitrant.

Par ailleurs, la création du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) en 2001 par 5 Etats africains (Afrique du Sud, Algérie, Egypte, Nigeria, Sénégal) est un échec retentissant : ce sont des projets élaborés par des pays du Sud mais qui requièrent un financement des pays de l’hémisphère Nord.

V) POUR UN VERITABLE PARTENARIAT EQUILIBRE ET UN DEVOIR DE MÉMOIRE

« Pour avoir droit au pardon, à la rémission, il faut au préalable faire acte de repentance, de remords ! ». Cet axiome indique un préalable, le prix minimal de la réconciliation, de la refondation des rapports entre la France et ses anciennes colonies. Pour parvenir à des rapports réellement équilibrés et privilégiés.

1°) S’accorder sur une mémoire commune de la colonisation

La France, contrairement à d’autres anciennes puissances coloniales, a du mal à solder, apurer son passé colonial et faire son aggiornamento. Par exemple :

– La loi n° 2005-158 du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » avait suscité une polémique dans son article 4 dont le 2ème alinéa stipule que : « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer ».

– Le discours scandaleux et ignominieux sur l’homme africain de Sarkozy à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) le 26 juillet 2007 a suscité une vive émotion sur le continent africain et dans le monde ; il dénote soit une méconnaissance de l’Afrique, soit du mépris de la part de son auteur. Selon lui, « le drame de l’Afrique, c’est que homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».

– La non-revalorisation de la pension de retraite des anciens combattants africains : ces « oubliés de la République » subissent une profonde disparité par rapport à leurs ex-compagnons d’armes de la Métropole. Il a fallu que le film « Indigènes » de Rachid Bouchareb soit primé au festival de Cannes en 2006 pour que la question des « tirailleurs » redevienne d’actualité.

Le devoir de mémoire et la réécriture objective et dénuée de passion de l’histoire coloniale de la France s’imposent : c’est l’un des passages obligés pour apaiser les cœurs et exorciser de légitimes frustrations. Et surtout réconcilier l’Afrique et la France à condition que cette dernière conçoive de couper le cordon ombilical de la tutelle et travaille à un véritable partenariat équilibré et privilégié.

Les commémorations doivent s’inscrire dans une perspective de repentance et de réparation ; il faut qu’enfin les anciennes puissances coloniales consentent à reconnaître leurs responsabilités historiques.

A quoi servirait la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 dite Taubira « tendant à la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l’humanité », loi adoptée sous le gouvernement Jospin, si elle n’est pas suivie de réparation, de compensation ?

A quoi sert la Cité nationale de l’histoire et de l’immigration (CNHI) qui n’a jamais été inaugurée officiellement et qui est toujours boycottée par les pouvoirs publics ?

Pour rappel : 20 à 25 % des Français sont issus de parents immigrés. La France aurait-elle honte de revisiter son histoire ? Le 23 août 2009, à l’occasion de la journée internationale du souvenir de la traite des Noirs, plusieurs organisations françaises avaient lancé une campagne de sensibilisation.

En Belgique, le collectif Mémoires Coloniales travaille dans le même sens, en réclamant, entre autres, que soient apposées sur les monuments coloniaux des plaques explicatives.

2°) Dessiner ensemble les contours d’un véritable partenariat équilibré, d’une rupture refondatrice

Le modèle britannique d’émancipation nationale avec décolonisation est à saluer : les exemples du Ghana et de l’Inde indépendante le 15 août 1947 admis au sein du Commonwealth sans accepter le principe de « l’indivisibilité de la couronne britannique » et où « les relations sont restées privilégiées tout en étant renouvelées, équilibrées et transparentes ».

Les pays anglophones, sauf le Zimbabwe, ont déjà fait leur mue démocratique ; le Ghana est une singularité démocratique en Afrique, avec notamment une nouvelle alternance réussie lors de l’élection présidentielle de décembre 2008.

La décolonisation française a été ratée en Algérie, en Indochine et en Guinée, mais le paternalisme demeure prégnant dans l’Afrique francophone subsaharienne. Il est grand temps d’y dessiner les contours d’un véritable partenariat.

CONCLUSION : LA DOUBLE PEINE

« Là où la lucidité règne, l’échelle des valeurs devient inutile » disait l’écrivain, dramaturge, philosophe et essayiste français Albert Camus (1913-1960) dans son ouvrage « Le mythe de Sisyphe » publié en 1942. En Guinée, en particulier, et en Afrique, in extenso, les gouvernants n’ont eu ni la lucidité, ni l’observance des valeurs ; raison pour laquelle le continent noir est devenu le cimetière des valeurs après 50 ans d’indépendance.

Le président américain Barack Obama s’adressa au parlement ghanéen le 12 juillet 2009 en ces termes : « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ».

Effectivement, elle a aujourd’hui une impérieuse nécessité de fortes institutions pour faire face à deux enjeux majeurs : s’affranchir de la mauvaise gouvernance récurrente (des conflits, du sous-développement) et mettre fin au paternalisme français ; les deux étant ombilicalement, intimement liés.

En France et en Belgique, les gouvernements et les grands médias ne manqueront pas le rendez-vous de la commémoration du cinquantenaire de l’indépendance de leurs anciennes colonies. Seul problème : ces commémorations officielles se feront dans un déni d’histoire pour les peuples colonisés.

L’apothéose de ce jubilé, après le sommet des chefs d’Etat le 13 juillet prochain, aura lieu le lendemain avec un défilé de contingents militaires africains sur les Champs-Élysées en présence de chefs d’Etat du continent noir ; ce jubilé risque d’être ressenti comme une « double peine » : après la colonisation hier, ce sera la célébration de la Françafrique, un pied de nez aux populations en proie à la misère et la désespérance sociale.

Plusieurs voix se sont déjà élevées contre cette mascarade, comme celle d’Amadou Seydou Traoré, le doyen de l’US-RDA (Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain) qui a déclaré en octobre dernier, à l’occasion d’une conférence sur l’accession du Mali à l’indépendance que « le cinquantenaire du Mali est une injure à la mémoire des combattants, des résistants à la pénétration coloniale et à la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour que ce pays soit indépendant ».

Par ailleurs, il faut espérer une France plus ouverte, généreuse où l’on doit cesser de stigmatiser systématiquement, pour des raisons électoralistes notamment, les musulmans, les immigrés dont les parents ont versé leur sang pour que la France recouvre sa liberté, son intégrité territoriale, sa dignité.

Leurs enfants ont contribué à la renommée de la France dans divers domaines : l’écrivain Maryse N’Diaye primée au Goncourt 2009 (« Trois femmes puissantes », Edition Gallimard) ; Basile Boli et Abédi Pelé vainqueurs en 1993 de la Ligue des champions de football ; Zinedine Zidane et Marcel Dessailly vainqueurs en 1998 de la Coupe du monde,entre autres.

Barack Obama, le 4 juin 2009 au Caire (Egypte) s’était érigé en apôtre de la tolérance : « Le monde musulman ne peut se résumer au terrorisme et au fanatisme ». Il avait « invité les pays européens de tradition judéo-chrétienne à ne pas empêcher le libre exercice de la religion musulmane sur leur territoire, y compris dans ses aspects vestimentaires ».

« La France n’est elle-même que lorsqu’elle est la France de tous les Hommes ! » clamait hier André Malraux (1901-1976).

Selon moi « la France est plus belle en multicolore ! ».

Remerciement aux jeunes de l’AGIS et du Collectif qui m’ont invité à Grenoble, ville universitaire, ville du savoir, ville de l’excellence ; je souhaiterais leur souligner ceci :
– « l’Ecole, avec l’université comme étape suprême du cursus de l’acquisition du savoir et de l’épanouissement, est une institution cardinale de la République » ;
– « la jeunesse est le ferment, l’avenir, l’espoir de toute nation » ;
– comme vous, chers étudiants, compatriotes et amis de la Guinée ici présents, j’ai toujours une soif de savoir inextinguible et toujours en apprentissage de la vie.

Vive la Renaissance africaine et la rupture refondatrice des rapports franco-africains !

Que Dieu préserve la Guinée et l’Afrique !

Nabbie Ibrahim « Baby » SOUMAH
Juriste et anthropologue guinéen
nabbie_soumah@yahoo.fr

Paris, le 24 mars 2010