Il est de coutume, pour les prières des fêtes d’Aïd el Fitr et Aïd el Kebir, que les musulmans effectuent la salat al aïd (prière de la fête) en début de matinée dans une mosquée ou un mossalla (grand espace à ciel ouvert). Il en a été ainsi presque partout dans le monde islamique, avec une particularité cette année en Guinée. Le Président et son gouvernement ont prié en autarcie, à l’écart du peuple…
Un président et un gouvernement qui prient à l’écart du peuple, à l’opposé des autres chefs d’Etat musulmans du monde
L’Aïd a eu lieu en Guinée, comme dans de nombreuses régions du monde, le mardi 30 août 2011. La date de la fête a été déterminée la veille par les autorités religieuses qui ont diffusé sur les média, un communiqué dans ce sens. Le communiqué précisait les imams et les lieux où les prières étaient organisées dans la capitale. Le palais sekoutoureya figurait-il sur la liste donnée ?
Pour la prière de l’Aïd, l’Iman de la Grande Mosquée de Conakry, El hadj Mamadouba Saliou Camara, récemment nommé par Alpha Condé co-président de la Commission provisoire de réconciliation, n’a pas officié à la Mosquée Faycal de Conakry, mais au palais sekoureya où Alpha Condé a transféré son domicile depuis les « évènements » du 19 juillet 2011. Selon les propos du grand Imam de la capitale « J’ai dirigé la prière du chef de l’État et de son gouvernement à Sékhoutouréya ».
Cette prière en reclus du chef de l’Etat suscite des interrogations ? Etait-il dans l’incapacité physique de se rendre à la Mosquée ? Ailleurs, comment les dirigeants participent aux prières des fêtes religieuses ? Pour l’Aïd el Fitr, présidents, rois et princes se sont rendus dans les grandes mosquées et ont prié aux côtés de leurs compatriotes. Sans les citer tous, voici quelques exemples sur le continent.
Chez les voisins, au Sénégal, Abdoulaye Wade a effectué sa prière à la mosquée Massalihoul Jina (nom mosquée Gouye mouride) à Dakar. Au Mali, Amadou Toumani Touré à la Grande mosquée de Bamako.
Même en Côte d’Ivoire qui vient de sortir d’une grande confrontation armée, Alassane Ouattara s’est rendu à la grande mosquée de la Rieviera Golf. Il a souhaité une bonne fête à tous les Ivoiriens.
Ailleurs sur le continent, Ali Bongo a prié à la Mosquée Hassan II de Libreville (Gabon). Le Roi Mohammed VI, accompagné des princes Moulay Rachid et Moulay Ismail, a accompli la prière de l’Aid Al Fitr à la mosquée Ahl Fès à Rabat (Maroc), Le Président Bouteflika accomplit la prière à la Grande Mosquée d’Alger (Algerie).
Ainsi les dirigeants Guinéens étaient une exception en organisant un conclave pour l’Aïd el Fitr, à l’abri du peuple dont ils sont sensés émaner.
Rares étaient les membres du gouvernement à se rendre sur les lieux de prière fréquentés par le peuple. A la Mosquée de Fayçal il y avait tout de même un membre du gouvernement, et pas n’importe lequel. Mustapha Koutoubou Sano, ministre de la Coopération internationale qui est ancien Secrétaire aux Affaires religieuses. Saura-t-il sensibiliser ses collègues du gouvernement et Alpha Condé sur l’importance de la communion avec la population ?
Même l’Imam qui a dirigé la prière Alpha Condé était conscient de l’importance du prier ensemble car dans son interview à guineenews il a déclaré « Cela représente l’unité des musulmans et la fraternité des musulmans… Cela permet de renforcer les liens de fraternité, de voisinage et d’amitié entre les fidèles qui vivent éloignés les uns des autres ». Où est la convivialité et le renforcement des liens quand les autorités s’enferment et se referment sur elles mêmes ?
Sermon du haut du sanctuaire sekoutoureya
L’Imam de la Grande Mosquée de Conakry a-t-il délivré un message particulier à Alpha Condé et à son gouvernement ? Aucune information n’a filtré sur le sujet. Cependant, partout ailleurs, le discours moralisateur prêché cette année tournait autour de la réconciliation nationale. Certains ont exprimé des vœux en faveur de l’instauration de la justice sociale, la lutte contre la corruption, la fin du favoritisme. D’autres ont demandé de reconnaître la légitimité d’Alpha Condé mais que ce dernier aussi doit accepter l’existence d’un contre pouvoir et de l’opposition.
A-t-il entendu ces différents messages, va-t-il les écouter ? Celui qui s’est coupé de la population, a fait venir à lui, en plus de l’Imam de la Grande Mosquée Fayçal, le collège d’imams de la capitale.
Du haut de son piédestal, il leur a livré ce sermon « les Guinéens doivent accepter d’affronter et d’assumer leur passé dans ses aspects à la fois positifs et négatifs ». Il a déclaré qu’aucune démarche ne sera imposée de l’extérieur et que nulles organisations de défense de droit de l’homme ou d’organisations internationales ne donneront de leçon à la Guinée.
Mais alors quel est l’intérêt de parler de réconciliation, s’il ne faut pas y associer les principaux acteurs concernés, à savoir les défenseurs des droits de l’homme ? Quel est l’utilité de ce « nouveau chantier d’Alpha Condé » si ce n’est de faire croire à la communauté internationale que c’est un sujet qui le préoccupe alors que par ses discours et actes, il montre un mépris et dédain pour la cohésion du peuple.
Pour sa réconciliation nationale, sans attendre des propositions concrètes de la commission qu’il a créée et qui est sensée être indépendante, donc non soumise à lui, il a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il va mettre en place des commissions de réflexion au niveau de chaque préfecture.
Par ailleurs Alpha Condé, s’inspirant du Sénégal et sans avoir consulté au préalable les autorités religieuses, a décidé d’instituer des lieux de pèlerinage où il va prochainement envoyer en mission une délégation composée de « sages » et de ministres. Que faut-il faire pour que la célèbre maison hantée de Conakry, devenue sacristie pour l’Aïd ou crypte ne soit pas classée sur cette liste où seront imposées recueillements et prosternations? Plus que jamais, la doctrine consistant à utiliser la religion pour asservir le peuple est en marche.
Ce n’est pas innocent qu’un président qui ne se mélange pas aux autres fidèles, convoque les imams chez lui, leur ordonne d’organiser la réconciliation nationale en rejetant d’emblée les organisations des droits de l’homme dans le processus et déclarant d’office que toutes les victimes se valent sans que ces victimes n’aient été au préalable identifiées.
Certains acteurs religieux, désignés pour la circonstance, érigent déjà le simple mot de réconciliation en dogme. La logique sous jacente au choix de ces religieux est une simple volonté d’ignorer le passé, faire semblant qu’il n’a jamais existé et que d’un simple coup de baguette magique, les victimes vont oublier leur malheur et que leurs bourreaux n’ont aucune inquiétude à avoir. Mais le monde a changé, le temps où les tyrans brimaient, tuaient, torturaient à huis clos à l’abri du regard des citoyens et du monde est révolu. Certains crimes commis il n’y a pas si longtemps sont imprescriptibles.
Pour les responsables religieux, pour gagner le respect des citoyens, ils doivent vérité et honnêteté à tous leurs fidèles, quels que soient leurs rangs ou positions sociales, chômeur, femme au foyer (ménagère sur les documents officiels en Guinée) ou chef d’Etat etc. Comme l’a dit El hadj Mamadouba Saliou Camara « C’est nous ( les religieux) qui devons prendre les mesures pour ne pas perdre notre crédibilité, notre valeur religieuse devant nos fidèles ».
Hassatou Baldé