« Je m’unirais avec n’importe qui pour faire le bien et avec personne pour faire le mal » : Frederick Douglass (1818-1895) Esclave Noir, abolitionniste, candidat à la vice présidence, aux côtés de la première candidate au poste de président des Etats-Unis. Auteur de « La vie de Frederick Douglass, esclave américain »…
A peine dix jours après la désignation de deux représentants des cultes à la tête de sa commission de réconciliation « provisoire » nationale, Alpha Condé n’a pas trouvé mieux que d’aviser les profondes blessures non encore cicatrisées des victimes du 28 septembre 2009.
C’est ainsi que, par un décret du 15 août 2011, il a élevé le lieutenant colonel Claude Pivi (Coplan) au rang de chevalier de l’ordre national de mérite de la République. Cinq autres membres de sa garde rapprochée en ont bénéficié de cette gratification, le commandant Mory Kourouma, son aide de camp, le capitane Sory Keira, le capitaine Seck Alpha Diabaté et le sergent Michel Lama.
Ces « personnages » ont été ainsi gratifiés pour avoir « réussi à résister, pendant deux heures avec de simples Kalachnikovs à la horde d’assaillants armés de lance-roquettes et autres fusils d’assaut avant l’arrivée des premiers renforts ».
Cette explication ne fait qu’épaissir d’avantage le doute quant à la véracité de cet assaut, tant les zones d’ombre et les incohérences sont nombreuses et de nouvelles légendes ne cessent d’être rajoutées pour créer le mythe.
Avec ces nouvelles révélations, la lumière commence à se faire sur le sens du mot « les incontournables kalachnikovs ». L’armée guinéenne en a des tonnes qui ressurgissent à chaque nouveau pseudo complot. Tout comme les roquettes.
Pour rappel, dans la nuit du 22 au 23 avril 2009 Dadis Camara avait annulé in extremis son voyage en Libye, parce que des « soldats non identifiés » auraient débarqué à Boulbinet et interrompu les programmes de la RTG à bord de camions, surarmés de lances roquettes, roquettes, kalachnikov et grenades pour tenter de le renverser. Un des militaires sera finalement « identifié » car Dadis en profitera pour se débarrasser d’un autre membre du CNDD, Saa Alpha Touré, depuis libéré et promu.
La ressemblance entre tous ces « complots » qui utilisent toujours les mêmes méthodes (4X4, lance roquettes, roquette, kalachnikov et grenades » laisse vraiment perplexe. Seule une enquête internationale pourra ôter du doute que les prétendues armes utilisées par les « assaillants » ou celles saisies, ne proviennent pas des dépôts de munitions de l’armée.
Aucune des personnes arrêtées n’est à la tête d’un bataillon, n’est responsable logistique ou n’était à un poste stratégique lui permettant de se servir dans les armureries sans être démasqué. Tous les postes stratégiques ont été décernés à des proches d’Alpha Condé et aucune de ces personnes n’a été sanctionnée pour négligence, car, il est impensable que, « des assaillants », si lourdement armés, arrivent si facilement à attaquer une résidence présidentielle sous surveillance 24/heures sur 24 où nichent une centaine de gardes.
Des lauriers pour les bourreaux
Pivi Coplan vient ainsi d’être une nouvelle fois récompensée par celui qui parle de démocratie, tout en prononçant des discours et posant des actes sectaires anti démocratiques. Il avait été confirmé à son poste et à l’état major de l’armée (ainsi que le lieutenant colonel Moussa Tiegboro ) par Alpha Condé par un décret du 9 janvier 2011.
Pourtant, Pivi Coplan et Tiegboro Camara sont mis en cause par la commission internationale d’enquête des Nations Unies pour leur implication dans les crimes atroces du 28 septembre 2009.
Comme le souligne la Commission, une des responsabilités de l’Etat est de mener sans délai des enquêtes efficaces et de traduire en justice les responsables des graves violations perpétrées le 28 septembre. Depuis son investiture, Alpha Condé n’a pris aucune mesure allant dans le sens de rendre la justice. Au contraire, il récompense les bourreaux et veut les absoudre de leurs crimes avec sa commission de réconciliation.
Qu’il sache déjà que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, ce qui veut dire que, quelque soit le temps que cela peut prendre, les victimes peuvent toujours saisir la justice. La Cour pénale internationale, dans le cadre de l’enquête préliminaire, a conclu à sa compétence pour connaître l’affaire. Ainsi, en cas de défaillance de la justice guinéenne, elle pourra être saisie après l’écoulement d’un délai raisonnable. Dans le cas des violences post électorales au Kenya, le délai de deux ans a été considéré comme raisonnable. Le 28 septembre prochain, cela fera deux ans depuis la perpétration de ces crimes abominables d’une barbarie inouïe et aucune action n’a été menée par la justice guinéenne. Cependant, il appartient surtout aux Guinéens de se montrer déterminés à ce que justice soit rendue. Personne ne fera ce travail à leur place. La communauté internationale ne peut qu’appuyer, mais en aucun cas elle ne se substituera à eux.
Pivi Coplan n’était pas à sa première forfaiture. En mai-juin 2008, il s’était illustré dans la tuerie des policiers, qui avaient, comme eux, militaires, osé manifester pour réclamer une amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
La commission de réconciliation nationale, une pantalonnade
Le 15 août 2011, par un décret, Alpha Condé a nommé El hadj Mamadou Saliou Camara, Imam de la Mosquée Fayçal de Conakry et Monseigneur Vincent Koulibaly à la tête de sa commission de réconciliation provisoire.
En nommant ces deux personnalités religieuses, le communiste tente sans doute d’appliquer une théorie de Karl Marx qui dit que « la religion est l’opium du peuple ». En effet pour ce théoricien athée, la religion est un allié objectif du pouvoir. Elle permet de justifier les inégalités sociales en laissant l’illusion au peuple que sa condition n’est pas si terrible et l’encourage à supporter sa souffrance.
Ainsi El hadj Mamadou Saliou Camara, Imam de la Grande Mosquée de Conakry depuis le 1er octobre 2010 et Président du Conseil islamique de Guinée et Monseigneur Vincent Koulibaly, Président du Conseil épiscopal de Guinée sont chargés d’animer la « commission provisoire » de réconciliation nationale.
Ne serait-ce qu’en raison de ses propos ambigus après le massacre du 28 septembre, où il s’était offusqué du déferlement médiatique sur ces crimes, Mgr Vincent Koulibaly n’est pas la personne adéquate pour assurer ce rôle. Il n’est pas Monseigneur Robert Sara qui par ses prises de position courageuses et lucides n’hésitait pas à mettre le pouvoir en face de ses responsabilités. C’est son intégrité, son honnêteté qui ont forgé l’admiration des Guinéens, qui au-delà de leurs confession (plus de 80% de la population est musulmane) vouaient à ce dernier un profond respect.
Vincent Koulibaly n’a pas cette aura de Robert Sara ou de Desmond Tutu qui a présidé la commission vérité – réconciliation en Afrique du Sud.
Un autre aspect, est la situation étrange de cette commission. C’est le 25 juin dernier qu’Alpha Condé a créé une commission de réflexion sur la mise en œuvre et la réalisation de la réconciliation nationale. Cette commission est à la fois présentée comme indépendante et placée sous l’autorité directe d’Alpha Condé (ce qui lui ôte son indépendance). Le décret prévoit que sa composition, ses attributions et son fonctionnement seront fixés ultérieurement.
Aucune information n’a fait état de la désignation des membres de cette commission, encore moins de ses compétences et des modalités de son fonctionnement. Moins de deux mois après ce décret qui n’a finalement créée qu’un vide, Alpha Condé annonce la nomination des deux personnes citées à la tête d’une commission provisoire de réconciliation nationale. Qu’est devenue la commission de réflexion dont les membres et les critères n’ont jamais été désignés ? Abandonnée, en stand bye ? A-telle produit une quelconque réflexion ?
Ce qui est certain, avec cette façon de procéder, Alpha Condé n’a rien d’un Mandela. La commission de réconciliation est aux antipodes de celle d’Afrique du Sud. Dans ce pays qui a vécu les affres de l’apartheid, la Commission vérité réconciliation avait été créée après une vaste consultation entre les partis politiques, les organisations des droits de l’Homme, les centres de traumatologies et d’autres acteurs qui ont beaucoup échangé, débattu pour savoir quelle forme et quel mandat donner à la Commission. Un des principes appliqué, est que le bourreau avoue ses crimes et demande le pardon des victimes. Ce sont les victimes qui déterminent si elles pardonnent ou pas. Le Président Nelson Mandela avait présenté ses excuses aux victimes au nom du gouvernement sud africain.
En Guinée, la farce veut conduire les responsables politiques à demander aux victimes de pardonner, sans rien exiger des bourreaux.
La réconciliation n’est pas une farce qui s’exécute à coup de salamalec, de sacrifices et de visites de tombes.
Pour paraphraser Houphouet Boigny qui disait que la paix n’est pas un mot, mais un comportement, la réconciliation aussi est un comportement, un désir profond, une volonté de comprendre avant de savoir s’il faille accepter tous les drames vécus. Ce n’est pas un cirque et encore moins des faux semblants.
La farce de la réconciliation nationale
La réconciliation est devenue une sorte de refrain politique depuis quelques années et les autorités donnent des allures de folklores sacrificiels.
Lors de son passage aux Etats-Unis, s’exprimant devant le NDI sur la réconciliation nationale, Alpha Condé a résumé ses actes en ce sens par les visites aux tombes des deux anciens présidents défunts, qu’il a faites entre les deux tours de la présidentielle.
Au journal Jeune Afrique, il expliquait que « Des comités de sages et de religieux sont progressivement mis en place dans les préfectures afin de sensibiliser le peuple à la nécessité de revisiter notre histoire et notre mémoire » Jeune Afrique 17/07/2011.
Le Conseil National de Transition qui s’est sciemment détourné de son rôle de gardien des libertés et de source du débat politique, a décidé de faire vœu de pénitence en organisant des prières et des sacrifices en guise d’actes de réconciliation nationale. Si et seulement s’il consacrait un peu de son temps à empêcher l’accumulation des violations des droits de l’Homme, il aurait certainement moins de bovins et d’ovins à égorger.
Accessoirement, il s’érige en médiateur entre le pouvoir et l’opposition. Le Médiateur de la République, pendant ce temps, pose des actes qui vont à l’encontre de l’esprit de réconciliation. Il en est récompensé.
Le 8 juin 2010, Sekouba Konaté a posé comme acte de réconciliation, la réhabilitation des mutins de 1996. Nombreux étaient ses camarades. Lui-même avait été brièvement arrêté (un mois de prison). Yaya Sow, le lieutenant Lamine Diarra, le colonel Kader Doumbouya et le commandant Bago Zoumanigui ont ainsi été réhabilités et réintégrés dans l’armée. Quelques mois auparavant, Sekouba Konaté avait réhabilité les membres du CNDD qui avaient été arrêtés par Dadis Camara.
Plusieurs mois après les massacres et viols du 28 septembre, Rougui Barry Kaba qui était ministre lors du drame, a organisé des sacrifices rituels en masse de bœufs en psalmodiant pour demander pardon (sans les victimes) et parler de réconciliation nationale.
Le 24 mars 2009, c’est Dadis Camara qui avait donné le coup d’envoi. En recevant une délégation de l’Association des Victimes du Camp Boiro, il avait demandé pardon au nom du peuple de Guinée. Il avait souligné au passage, qu’il était lui-même une victime du camp Boiro, car son « vieux père » avait été arrêté comme 5eme colonne puis libéré sous prétexte qu’il est analphabète et donc ne peut pas être un comploteur.
« Encore une fois je vous demande de pardonner, le Camp Boiro est un lieu où il faut se repentir. J’ai aujourd’hui la lourde charge de la reconstruction de cette Nation, c’est pourquoi je vous demande d’être croyants de tout ce qui peut arriver à un homme dans la vie. Personne ne peut rendre justice pour vous satisfaire. Seule la justice de Dieu est parfaite. »
L’AVCB avait indiqué que les victimes du Camp Boiro symbolisaientt tous les autres camps de la mort dissimulés à l’intérieur du pays.
Sept mois après les repentirs de Dadis Camara, ses soldats se livraient à la barbarie inqualifiable du 28 septembre.
La réconciliation nationale exige la vérité et la fin de l’impunité
Depuis 1958, les régimes qui se sont succédés en Guinée, ont instauré un climat de peur fondé sur la brutalité et les violations des droits de l’homme à répétition. Vivant dans la terreur, les victimes ruminent en silence. Les auteurs des crimes et exactions n’ont jamais été poursuivis par la justice. Nombreux d’entre eux n’hésitent pas à narguer les victimes.
L’instauration d’une justice impartiale et équitable est une démarche indispensable pour permettre aux victimes de se reconstruire et favoriser des relations apaisées entre les Guinéens, et entre l’armée et les citoyens.
Les crimes commis en masse le lundi 28 septembre 2009 constituent une escalade dans la violence infligée aux populations civiles. En juin 2006 et janvier – février 2007, des tueries et exactions avaient été commises par l’armée. Une commission d’enquête avait été difficilement mise en place puis est tombée en désuétude. Des auteurs de la répression brutale des policiers qui a occasionné des dizaines de morts en mai -juin 2008, puis ont récidivé au stade, sont membres du gouvernement. Ils n’ont jamais été inquiétés. Tout ceci perpétue la tradition d’impunité qui sévit en République de Guinée
Une commission qui veut réellement favoriser la réconciliation nationale, doit faire la lumière sur les morts, les disparus et les drames qui ont endeuillés des milliers de Guinéens.
Cette Commission et l’aboutissement des affaires judiciaires en cours, permettront aux Guinéens de se retrouver, de s’expliquer et seront la source d’un nouveau départ plus serein, dans le respect et la dignité. Un nouveau départ signifie la fin des actes qui conduisent à créer le chaos, les frustrations, à attiser les divisions en les enrobant des mots d’unité.
La Commission, pour sa crédibilité, doit comprendre des personnes intègres y compris étrangères qui ont une expertise en matière historique, pénale, psychologique, droits de l’homme etc.
Hassatou Baldé