Dr. Sékou-Koureissy Condé, est Directeur académique du symposium sur la prévention des conflits en Afrique…
Dans cettte Interview que nous a accordée l’ancien Médiateur de la République, toutes les questions liées à l’actualité nationale de la réconciliation nationale à la situation quasi dramatique que vivent la majorité des Guinéens en passant par son combat pour la prévention et la consolidation de la paix, Dr Sékou Koureissy Condé évoque. Il appelle les Guinéens toute sensibilité confondue à s’unir et à se réconcilier pour une Guinée forte et meilleure.
Lejourguinée : Bonjour Dr. Koureissy
Dr Koureissy Condé : Bonjour !
En tant qu’ancien Médiateur de la République, quel est votre sentiment sur la situation actuelle en Guinée?
Je suis très préoccupé mais je ne désespère pas. Nous avons tous un énorme effort à faire sur nous-mêmes pour aller dans le sens de l’unité et du progrès de notre patrie. Une même souffrance peut générer deux haines. La Guinée n’a pas le droit de stratifier ses enfants.
Quelles sont vos activités en ce moment ?
Je suis comme toujours en activité dans le domaine de la prévention et de la résolution des conflits en Afrique. J’avoue que tout ce que j’ai fait comme activité professionnelle pendant ces 30 dernières années s’inscrit dans le cadre de la restauration de la paix ou de la consolidation de la paix. En tant qu’enseignant et chercheur, mes cours et conférences sont basés sur la prévention et la résolution des conflits. Et même actuellement, toutes les structures socioprofessionnelles que j’anime sont axées sur la paix. Mais comme le disait feu Alkaly Bangoura, Professeur de philosophie à Kankan et ancien ambassadeur de Guinée en Roumanie, Paix à son âme, je le cite « Il n’y a pas d’arbitre de touche en Guinée, ou tu es joueur à plein temps dans une équipe ou tu prends les cailloux ».
Pourtant vos passages au Conseil National de la Transition et ensuite au poste de médiateur, ont été beaucoup appréciés.
Oui c’est vrai et cela m’a touché. J’en remercie le Bon Dieu. J’ai certainement donné le meilleur de moi-même, mais surtout appris et beaucoup appris. Mais d’ici là, il faut reconnaitre qu’on ne m’a pas fait beaucoup de cadeaux quand même ( rire….). Moi, je suis un homme de paix, et j’ai réalisé par expérience que pour vivre paisiblement et agréablement, il faut avoir confiance en soi et la force de ne pas toujours, vouloir, avoir raison.
Que pensez-vous des liens intercommunautaires en Guinée aujourd’hui.
La courbe de la dégradation a atteint un niveau inquiétant. C’est vraiment une alerte que je lance. Notre société est encore trop fragile. Pourquoi la communauté du Foutah, dans sa grande majorité se sent visée aujourd’hui ? Je n’ai vraiment pas entendu d’argumentation convaincante sur cette question, surtout après les élections. Aujourd’hui le gouvernement a le choix entre recoudre ou en découdre. Je souhaite que la raison historique l’emporte. Nous sommes une Nation. Hier, c’était le PUP et le RPG ou l’opposition en général contre le P U P, et puis il y a eu les Forces Vives, si vous voulez. Mais encore que là, c’était dans une perspective de conquête de pouvoir et de maintien au pouvoir. L’équation ou les questions liées à la cohésion nationale, sont des équations de gouvernance. Malgré un taux élevé d’analphabétisme en Afrique de l’Ouest, le pourcentage de cadres reste proportionnellement élevé en Guinée. Il est donc inquiétant de voir ou d’écouter des cadres assumer et argumenter le rejet de l’autre.
Face à la situation actuelle, il faut la foi, comme on dit, et un courage exemplaire pour freiner les extrémistes de tous bords et se mettre autour d’une table. L’ethnocentrisme est un phénomène qui se renforce chaque année sous nos yeux. La nécessité d’engager des démarches concrètes et de prendre des décisions d’apaisement est d’une insoutenable urgence.
Selon vous quelles sont les causes de cette méfiance et de cette tension sociale en Guinée ?
Les causes sont sociologiques peut-être, profondes de toutes les façons. Il faut l’étudier sérieusement. Mais pour l’ essentiel, n’oublions pas que nous cherchons à bâtir une nation. La Guinée d’aujourd’hui n’était ni royaume ni un empire de Guinée. Mais nos ainés, eux, ont conquis l’indépendance. Contrairement aux autres pays de la sous région, le tracé colonial nous a laissés, malgré tout, dans un pays avec des richesses immenses et la mer en plus. C’est donc notre capacité à bâtir une société luxueuse avec nos acquis communs et nos différences enrichissantes qui est questionnées aujourd’hui. La violence est l’une des caractéristiques de notre jeune société guinéenne. Il faut en prendre conscience et commander des études spéciales sur le sujet. Il faut surtout une volonté politique affirmée. La violence est manifeste sous toutes les formes dans notre société, notamment dans la communication contradictoire, les rumeurs, les mises en cause de personnalités publiques et les attaques physiques sanglantes.
Votre parti l’ARENA a vigoureusement réagi après l’annonce de l’attentat contre le Président Alpha Condé et que pensez-vous des conditions d’arrestation des présumés coupables ?
Notre réaction après la tentative d’atteinte à la vie du Chef de l’Etat est profondément sincère, c’est un problème humain et nous sommes républicains, nous connaissons les limites des choses, nous sommes contre la violence. La violence est malheureusement devenue l’une des caractéristiques de notre société. Les pendaisons publiques en 1970, la fosse commune de Kindia en 1985, les tueries du stade du 28 septembre 2009, l’attaque contre le Président Dadis et la réaction brutale, immédiate à cette attaque, et aujourd’hui la tentative d’atteinte à la vie du Président Alpha sont autant d’exemples malheureux. En ce qui concerne les arrestations, la question n’est pas de savoir si un présumé coupable est mort ou vivant après son interpellation, mais dans quel état on le présente au juge.
Quelle est la position de votre parti aujourd’hui dans ce débat ?
Notre parti, l’ARENA n’est ni membre de l’alliance arc-en- ciel ni membre de l’alliance CDP (Cellou Dalein Président). Nous sommes et demeurons un parti indépendant du centre. Nous sommes des facilitateurs. Acteurs du dialogue entres les citoyens de tous bords, nous considérons l’unité Nationale comme facteur d’épanouissement et moteur du développement de notre pays. Tout le reste viendra après.
Quels conseils donneriez-vous à vos frères et sœurs du gouvernement guinéen aujourd’hui ?
Je ne donne pas de leçon, mais dans cette affaire, c’est le gouvernement qui a le premier mot et qui doit faire un sur effort. La démocratie est une constante recherche de consensus par des moyens légaux. Nous ratons toujours les bonnes occasions. Le discours du 3 décembre 2010, de Cellou Dalein, pouvait être mis à profit pour aller immédiatement au rassemblement, quand il a dit, et je le cite de mémoire: «Comme les décisions de la Cour suprême sont sans appel et eu égard à nos engagements antérieurs, nous ne pouvons que nous conformer à l’arrêt rendu par la plus haute Institution Judiciaire de la République.» Pour moi, ceci n’était pas un simple message, c’était une étape décisive et historique, que nous aurions pu saisir.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation dramatique. Que Dieu nous inspire et nous permet de transformer nos douleurs en opportunité historique pour se retrouver dans les vraies compétitions de la mondialisation avec nos points communs face aux autres nations…
Que pensez-vous de l’élection de Lounceny Camara comme Président de la C E N I ?
Ne nous focalisons pas sur les personnes ou sur les noms, exigeons la mise en place de mécanismes de contrôle de moralité et de performances autour de nos institutions, comme partout dans le monde. En la matière, la Constitution de la 3 eme République a tout prévu, il suffit de la relire attentivement et sans passion. Pour le reste, notre C E N I risque de devenir un petit gouvernement autonome de Guinée. Ses membres se nomment entre eux, se disputent entre eux et se réconcilient entre eux et se renomment entre eux etc. On a fait un très mauvais procès au CNT sur cette question. Les dispositions du titre XIX sont pourtant adéquates sur la question en termes de processus d’accompagnement des Institutions jusqu’à la mise en place de la prochaine Assemblée.
Lejourguinée : Merci Dr Koureissy
Dr Koureissy Condé : Je vous remercie
Fanta Bah
Lejourguinee.com