L’histoire ne se répète pas, elle bégaie », a-t-on fait dire à Karl Marx.

Des exégètes ont vu dans ce bégaiement des répétitions, une fois en tragédie, une fois en farce…

Cela s’est répété dans l’histoire guinéenne des 53 dernières années, plus souvent en tragédies qu’en farces puisqu’à chaque tentatives d’assassinat du Président en exercice ou de coup d’Etat, ont suivi de nombreuses arrestations, disparitions et morts de présumés coupables sans jugement.

L’exception dont il est question, ici, ne tient pas seulement à la nature des faits de tentative d’assassinat ou de coup d’État. Ces faits ont été courants en Afrique depuis les années 1960. Mais c’est la permanence (1960-2011) qui leur donne un caractère exceptionnel en Guinée.

Les Guinéens, toutes générations confondues, sont coutumiers du genre de tensions sociales extrêmes que le pays connaît, aujourd’hui.

Ce qu’on appelle la tentative d’assassinat contre Alpha Condé, Président de la République dans la nuit du 18 au 19 juillet 2011, a été, dans un premier temps, unanimement condamné.

Ce n’est pas l’assassinat du Président de la République qui va régler les problèmes du pays. Mais plus le temps passe, plus les opinions sont divisées sur l’interprétation de cette tentative d’assassinat tant ce pays a connu des annonces de ce type ou de coups d’État abracadabrants, dans le passé.

Les deux seuls coups d’État de l’histoire du pays ayant réussi, ont été celui d’avril 1984 (une semaine après la mort de Sékou Touré) et celui de décembre 2008 (une semaine après la mort de Lansana Conté).

Et pourtant, combien n’a-t-on pas entendu d’ es de coups d’État et de tentatives d’assassinat de 1960 à 2008 avec à la suite des fournées d’arrestations et d’exécutions?

Le traumatisme le plus marquant pour les Guinéens, a été celui qui a suivi l’agression portugaise du 22 novembre 1970, venant de Guinée Bissau, alors colonie portugaise.

Elle avait fait de nombreuses victimes civiles et militaires guinéennes et des dégâts matériels importants. La matérialité de cette agression avait tellement frappé les esprits à l’époque que l’ONU l’avait vigoureusement condamnée.

L’opposant Alpha Condé a clamé, à cette date, haut et fort, que l’agression du 22 novembre n’était qu’un coup monté par Sékou Touré pour sauver son régime dictatorial moribond.

Cependant, malgré la condamnation des Nations Unies et de multiples manifestations de soutiens intérieurs et extérieurs au gouvernement guinéen, celui-ci mit en place un Tribunal Révolutionnaire qui condamna, le 23 janvier 1971, 159 personnes supposées complices de l’agression, à des peines variées: 91 personnes à la peine capitale (avec pendaisons publiques pour des personnalités) ; 68 personnes aux travaux forcés à perpétuité. 16 femmes, d’origine étrangères, pour la plupart mariées à des Guinéens, ont été expulsées du pays avec confiscation de tous leurs biens.

Voilà où ont mené en 1970-1971 les excès de la drogue du pouvoir, car des personnes ignorant tout de cette agression, en ont été victimes par exécutions sommaires, détentions dans l’infernal Camp Boiro.

Les tentatives de coups d’État intervenus sous Lansana Conté (1996) et sous Moussa Dadis Camara (2009) ont également entraîné leurs convois d’arrestations et d’exécutions sommaires.

Quant aux tentatives d’assassinat, le seul ayant atteint son but sans entraîner la mort, a été celui perpétré contre le même Capitaine Moussa Dadis Camara en décembre 2009 et dont il se remet toujours des suites au Burkina Faso.

Ce passé violent et de combines byzantines ne laisse pas un pays indemne.

Malgré tout, Alpha Condé a facilement dessiné pour les masses ignorantes une image si idyllique des bienfaits que son accession à la Présidence apporterait au pays qu’à peine sept mois seulement après son arrivée, le désenchantement a gagné en espace.

Des militaires, à l’écoute de ces grognes populaires mais surtout dérangés dans leurs combines habituelles, ont-ils voulu saisir l’occasion pour revenir sur la scène politique?

Toujours est-il que comme il n’ ya pas une armée mais des armées juxtaposées, chacun va de ses commentaires sur les évènements qui viennent de se passer.

J’ai, à plusieurs fois écrit que l’une des explications du retard cumulé du développement économique et social du continent africain réside dans l’irruption, au moins une fois, de l’armée dans l’animation et la direction de la vie politique de la presque totalité des 54 pays du continent depuis le début des années 1960.

Les militaires africains, dans leur ensemble et compte tenu de leur niveau moyen de formation, n’ont ni les compétences éthiques, ni les compétences intellectuelles pour résoudre les multiples et difficiles problèmes du développement.

Ils n’ont, le plus souvent, été que des imposteurs corrompus installés au pouvoir pour en jouir pour eux-mêmes. C’est pourquoi, j’ai écrit des articles sans ménagement sur la gouvernance sans boussole de Lansana Conté et de l’éphémère et erratique Moussa Dadis Camara devant lesquels, certains intellectuels guinéens, opportunistes s’étaient mis à plat ventre.

Aussi, je ne peux pas me faire à l’idée de voir reparaître sur la scène politique guinéenne le retour de l’ordre des bérets verts ou rouges, encore qu’en fait ils y sont toujours.

Vous en voulez un exemple?…

Le Colonel Moussa Kéita dont je ne suis pas un proche, ayant porté des jugements sévères sur la gestion du Général Sékouba Konaté pendant son intérim de la Présidence, a été, illico mis en prison.

Si je ne peux que condamner la tentative de prise de pouvoir par l’assassinat à l’initiative de quelques éléments de l’armée, je ne dédouane pas pour autant tous les dirigeants civils africains ou guinéen ayant dirigé leur pays.

Bon nombre de mes compatriotes ont la mémoire courte pour ne pas dire sélective. Notre premier Président, Sékou Touré, était un civil.

Mais quelle calamité n’a-t-il pas été pour notre pays?

En père fondateur de la nation qu’a-t-il laissé de concret pour la postérité?

Une image de Caligula pour ceux qui savent voir l’évolution du monde.

Revenons à nos jours!

Le gouvernement d’Alpha Condé ne paraît pas être ce que ses thuriféraires (comme ceux de Conté et Dadis) veulent faire croire. Mais, je crois que le destin aurait dû faire qu’il arrivât au pouvoir plus tôt que cela ne s’est produit.

Un septuagénaire, c’est ma génération, n’a pas toujours les mêmes réflexes que des plus jeunes or le monde d’aujourd’hui se complexifie toujours plus pour un Président sur lequel tout repose dans un pays comme la Guinée…

En sept mois de pouvoir au sommet, il y a des dérives que les plus clairvoyants des partisans du Président devraient être les premiers à les lui signaler. Mais ils ne feront pas et vont rivaliser en courtisans primaires.

Le Président guinéen a souvent exhibé son titre de premier Président de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France), c’est passé et en réalité, il ya eu plusieurs responsables de la FEANF qui ont été Présidents ou Ministres dans des gouvernements africains.

Dans l’ensemble, ils ont été des mauvais Présidents et des mauvais Ministres incompétents et dont la gestion a été calamiteuse. Certains ont même été des pilleurs des caisses de l’État.

Je rappelle, à cet égard, quelques noms de nos compatriotes guinéens qu’on a tendance à oublier et qui ont été aussi des responsables aux grandes heures de la FEANF. Celle-ci a aidé, à l’époque, les leaders africains à se former pour les indépendances (1951-1960).

Les responsabilités de syndicalisme estudiantin se situaient à divers niveaux: comité exécutifs, sections par pays, sections académiques.

Les Guinéens pour cette époque étaient les suivants: N’Ki Traoré, Souleymane Sy Savané, Pierre Comnos, Charles Diané, Mady Camara, Mamadou Barry, Bassirou Barry, Hassimiou Baldé, Djibi Thierno Thiam, Michel Koundono, Momo Kéita, Hawa Sidibé, Henri Soumah, Mamadou Camara, Malick Soumah, Boubakar Aribot, Fodé Fofana, Théodore Soumah. Le Professeur Sékou Traoré (de l’actuel Parti guinéen du Travail et de la Démocratie: PGTD) a été dès 1951, responsable de la FEANF et Collaborateur de l’UIE (Union I internationale des Etudiants à Prague).

Cette référence à la FEANF était pour indiquer qu’on n’en sortait pas expert en gouvernance. Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, avait été Président de la section académique de la FEANF à Grenoble pour l’année 1959.

Pour fermer les yeux sur les différentes dérives institutionnelles du Professeur Alpha Condé, certains de ses partisans établissent des comparaisons faciles avec les hésitations de départ qu’ils ont, disent-ils, relevées chez des jeunes Présidents comme Barack Obama ou Nicolas Sarkozy.

Qu’est-ce que l’ignorance ne fait pas dire comme inexactitudes à certains ?

Avant d’être Président dans leur pays respectif, l’un avait occupé des ministères importants en France et l’autre, un poste de gouverneur aux États-Unis.

Tous deux dans des cadres constitutionnels et administratifs qui n’ont pas besoin du Président pour le fonctionnement normal quotidien de l’Etat.

Mais puisqu’on a senti chez-eux des hésitations, on peut donc fermer les yeux sur celui qui n’avait pas leurs expériences professionnelles et qui se rue comme un éléphant dans magasin de porcelaine.

Pour parler de la tentative d’assassinat, il est, comme chacun le sait, intervenu dans un contexte politique et social particulièrement tendu, je n’irai pas jusqu’à écrire, comme Alpha Condé l’a fait pour Sékou Touré en 1970, que c’est un coup monté par lui-même pour avoir les mains libres sur le champ politique et notamment sur les élections législatives, en neutralisant l’opposition.

Comme les dégâts qu’on pouvait constater en novembre 1970 pour la ville de Conakry, tout le monde a constaté les dégâts causés à la résidence de Kipé et les victimes humaines, heureusement limitées compte tenu de la violence des coups des assaillants (deux morts et des blessés).

La condamnation d’un tel acte est sans ambiguïté, c’est pourquoi des messages de sympathies de l’extérieur comme de l’intérieur du pays, se sont manifestés à l’égard du Président Alpha Condé.

J’ai parlé des coups d’Etat militaires à répétition en Afrique et leurs effets négatifs mais il ne faut pas oublier, dans ce contexte, que l’incurie généralisée des dirigeants politiques civils sont souvent à la source de ces coups d’État.

Ceux qui se gargarisent de mots ronflants et sans signification concrète pour eux, « comme démocratie! Démocratie! Démocratie! », devraient y réfléchir un peu plus.

Avec le temps, bien des gens commencent à se poser des questions sur la tentative du 19 juillet.

Sur l’organisation de l’attaque: il y a si peu, le Président énumérait dans les réformes déjà avancées, la relocalisation de l’armée et de l’armement lourd à l’intérieur du pays. À ce titre, il a entrepris de remanier l’encadrement de cette armée.

Comment cela se fait-il que des hommes s’arment lourdement, traversent des quartiers populaires sans éveiller d’attention et parviennent à pilonner la résidence présidentielle à Kipé de 3h10 à 5h avant que des renforts n’arrivent du Camp Alpha Yaya situé à quelques coudées?

Comment cela se fait-il que l’attaque ait été renouvelée, plus tard, pendant que des visiteurs de marque, comme l’Ambassadeur de France, étaient présents dans la résidence éventrée mais, cette fois heureusement, sans faire de blessés?

Etait-ce pour que son Excellence, Monsieur l’Ambassadeur qui s’était plaqué à terre pour ne pas recevoir un fragment de boulet lors de cette deuxième attaque, n’ait plus aucun soupçon de manipulation?

Contre les quelques assaillants de ce deuxième baroud, où était passé le renfort venu prêter mains fortes lors de la première attaque?

Pourquoi avoir procédé à tant d’arrestations de civils et de militaires en si peu de temps alors qu’aucun combat ne se poursuivait dans les rues de Conakry?

Bah Oury, Vice-Président du Parti UFDG de Cellou Dalein Diallo a disparu.

Se cache-t-il ou a-t-il été enlevé?

J’ai vu la photo du Commandant AOB sur un petit lit de camp.

Etait-il vivant ou mort?

En tout cas cela m’a rappelé le Colonel Diarra Traoré, enchaîné par les sbires de Conté. Il y a là autant de questions que la décision de Martine Conseil national de la Communication (CNC) de faire black-out sur ce sujet ne pourra qu’en exciter plus d’un et même des non-Guinéens à plus de doute.

Par delà les simagrées et les congratulations de façade, ça serait consternant pour l’image déjà écornée de la Guinée. Je vais revenir sur la décision du CNC.

Le cadre social ainsi créé ne peut pas permettre une détente entre Guinéens et notamment entre ceux dont des leurs sont pourchassés et arrêtés et ceux qui applaudissent « les chasseurs de têtes ».

Quoi qu’il en soit cette tentative d’assassinat est arrivée à un moment et je me répète, on ne peut plus difficile politiquement pour Alpha Condé. La rue qui avait cru à la réalisation immédiate de certaines promesses de campagne électorale (eau et électricité à usage domestique), s’impatiente et gronde.

La réorganisation de l’armée, la plus indisciplinée et l’une des plus corrompues de la Sous-Région, est loin d’être ce que dit le Président à la presse comme pour rassurer qu’il a pris à bras-le- corps le changement annoncé.

L’Association Arc-en-ciel qui l’a porté à la Présidence a perdu des couleurs. Sans parler du déboussolement de bien des militants qui ne comprennent pas que l’entourage de l’ancien opposant historique, pourfendeur des compagnons prédateurs des biens collectifs du temps de Lansana Conté soit composé de nombre de ceux-là mêmes.

Des ténors de l’Arc comme Koly Papa Kourouma et Jean Marc Telliano, tous deux de la Région-Forestière sont en délicatesse, en ce moment, avec le patron de cet Arc-en ciel.

Comme si tout cela ne suffisait pas à rendre la situation compliquée, le Président veut fourguer coûte que coûte cette histoire de recensement complet ou de révision (on ne sait plus exactement de quoi il s’agit) de la liste électorale utilisée pour l’élection présidentielle en novembre dernier.

L’opposition y fleure une nouvelle tentative du genre de l’interminable entre deux tours de l’élection présidentielle (27 juin -7 novembre 2010) qui a vu bien des mises en scène incroyables comme celle de « l’empoisonnement massif » des militants du camp finalement vainqueur.

Toute cette atmosphère et ses effets pervers sont rendus régulièrement compte par la presse avec une certaine véhémence, notamment au cours de la semaine du 11 au 17 juillet, c’est-à dire celle qui a précédé la date du 19 juillet, jour de la tentative d’assassinat.

D’aucuns (les fameuses rumeurs de Conakry) vont jusqu’à dire que le Président était prévenu de la possibilité d’attentat à la date indiquée par des services de certaines ambassades, d’où, concluent-ils, sa sortie indemne de ce mauvais coup.

D’autres aspects de cet attentat donnent encore à réfléchir. Tout d’abord le Président et des Ministres ont fourni d’amples explications sur les petits Machiavel aux pieds d’argile qui n’étaient que des amateurs.

Ensuite et brusquement, par décision de Martine Condé, le Conseil national de la Communication (CNC) a suspendu « toute émission ou tout article relatif à l’attentat contre la vie du Chef de l’État, ainsi que toute émission interactive à caractère politique…sur toute l’étendue du territoire ».

Il s’agit, certes, d’un énorme recul de la liberté d’expression et de la démocratie en Guinée mais cette décision privative de libertés fondamentales peut, peut-être, s’expliquer sur un double plan: l’un, « moins honorable » et le second « plus honorable », mais…

L’explication « moins honorable » est que le bégaiement de l’histoire qu’a été la tentative d’assassinat n’était qu’ une grotesque farce pour se débarrasser d’adversaires politiques de l’opposition et de journalistes qui avaient cru à la liberté proclamée de parler et d’écrire.

Mais la farce a tourné en tragédie, puisqu’il y a eu morts d’hommes. Il faut donc arrêter d’en parler selon les termes de la décision de Martine Condé.

L’explication qu’on peut dire « honorable » de cette décision peut être qu’à force de parler de cet attentat, les effets collatéraux sur la population peuvent encore distendre les relations sociales déjà tendues avant l’évènement.

Mais le mal est déjà fait et risque d’avoir encore des conséquences néfastes durables, difficilement maîtrisables par les apprentis sorciers qui ont lancé le pays sur cette voie.

L’organisation de la chasse à des « complices supposés » de l’attentat, l’éventuelle propagation des miasmes nauséabonds de cette atmosphère sur les provinces lointaines du pays ne tarderont pas à se faire sentir si on n’arrête pas de parler de « l’affaire ».

Ainsi L’hebdomadaire La Lance, n° 750 du 20 juillet, révèle que du 3 au 7 juillet des milliers de bovins ont été abattus par des chasseurs-féticheurs dans les préfectures et localités de Beyla et de Lola.

On y fait référence à des différends entre autochtones et éleveurs étrangers. Or ils sont tous Guinéens et même si ces faits se sont passés avant le 19 juillet, ils ne peuvent être que la conséquence que des politiques et leurs agents ont insufflée dans les Guinéens pour les dresser les uns contre les autres.

Parler dans ce contexte de la part des responsables politiques de réconciliation nationale n’est que pure imposture.

Une chose paraît se poursuivre dans la nation guinéenne : tous ceux qui ont participé ou participent encore à des campagnes d’abrutissement d’une population peu alphabétisée, ont payé un jour ou l’autre, leurs équipées de haine et d’imposture.

Qu’on songe un peu à la fin politique de Sékou Touré, de Lansana Conté et de Moussa Dadis Camara!

Ce à quoi avaient cru et consacré leur vie, le PDG et le PUP n’ont survécu que de quelques jours à la disparition de leur fondateur.

Ansoumane Doré (Dijon, France)