Ridiculement, leurre

Les interrogations suscitées par les tirs contre la résidence d’Alpha Condé à Kipé mettent le gouvernement et certaines institutions dans un profond embarras…

Ils ne supportent plus la pertinence des interrogations sur les auteurs réels, leurs motivations au vu de  l’ampleur des tirs nourris à l’arme lourde pendant deux heures qui n’ont laissé que 47 impacts de balles et trois roquettes sur les murs et la saisine de ce prétexte pour effectuer une épuration au sein de l’armée et la chasse contre les opposants.

Ne voulant plus faire face aux incohérences de leurs propres explications et justifications, les autorités optent pour le musellement de tous les moyens de communication.

Musellement de la presse et mise en route du conseil de narcose et de la censure

Déjà au lendemain de ces tirs et la mise en évidence par les média guinéens, africains et d’ailleurs, des incohérences entre les communiqués de la présidence et les déclarations d’Alpha Condé, Martine Condé était montée au créneau en demandant aux journalistes guinéens de s’abstenir de tout commentaire qui pourrait mettre de l’huile sur le feu.  Elle a sans doute jugé cette mesure insuffisante, les journalistes n’ayant pas suivi les ordres de la pensée unique malgré le saccage orchestré contre le Journal Le Défi.

Moins d’une semaine après cette tentative de mise au pas de la presse, elle décide de suspendre « toute émission, ou tout article relatif à l’attentat contre la vie du Chef de l’Etat, ainsi que toute émission interactive à caractère politique en français et dans toutes les langues nationales sur toute l’étendue du territoire » Elle  ajoute que « sont concernés tous les organes d’information publics et privés (Radios télévisions publique et privées, presse écrite et presse en ligne) » et menace « tout manquement à cette décision sera sanctionné conformément à la loi ».

Conformément à la loi, mais quelle loi ?

Nonobstant l’article 7 de la Constitution qui consacre la liberté de la presse, ainsi que les conventions internationales, la question se pose de savoir quelle est l’autorité qui a pris cette décision, le Conseil national de la Communication qui n’existe plus ou la Haute Autorité de la Communication qui le remplace ?

La censure est présentée comme émanant du CNC. Or le 22 juin 2010, une loi organique promulguée a créé la Haute Autorité de la Communication (HAC). Cette loi prévoit que cinq des onze membres de cette institution sont désignés par les représentants de la presse et que son président est élu par ses pairs. Par un décret, Alpha Condé a procédé au remplacement du CNC par le HAC. Et en  violation de la loi, il a nommé Martine Condé, son ancienne directrice de communication pendant la campagne électorale présidentielle, à la tête de la HAC.  Il est regrettable que la Cour suprême n’ait pas été saisie de cette violation d’une loi organique par un décret.

On peut aussi penser que la mention du CNC dans la décision de censure est une erreur. Pas forcément dans la mesure où lors d’une rencontre avec la presse en février 2011, Martine Condé avait fait savoir que « c’est la loi de 1991 qui est applicable » malgré la promulgation de la nouvelle loi sur la presse adoptée le même jour que celle portant sur la HAC.  La censure émanant du CNC et non de la HAC n’en demeure pas moins nulle. Par ailleurs si Martine Condé s’entête dans sa volonté de ne pas reconnaître la loi de 2010, la loi de 1991 qui consacre la dépénalisation des délits de presse ne concerne que la presse écrite car ne prenait pas en compte la presse audiovisuelle et Internet. Il est plus que temps de saisir la Cour suprême sur cet imbroglio entre le CNC et la HAC et pour la récusation de sa présidente au regard des conditions de sa nomination et sa défiance vis-à-vis de la Constitution et des lois de la République.

Instrumentalisation de la justice

Une enquête politiquement orientée

S’agissant de la qualification de l’infraction constituée par ces attaques, le ton a été donné par Alpha Condé qui a décrété qu’il s’agissait d’une tentative d’assassinat. La chasse aux militaires et aux opposants a commencé avant que le Procureur ne décide de mener des enquêtes et d’engager des poursuites. C’est d’ailleurs « sur instruction du ministre de la justice et garde des sceaux que le parquet de Conakry a ouvert une information judiciaire pour tentative d’assassinat, association de malfaiteurs, attentat contre la sûreté de l’Etat, détention illégale d’arme de guerre et de munition, détention et consommation de drogue, destruction d’édifice et de biens mobiliers ». Une liste de chef d’accusation vague, que l’avocat général a qualifié de délits sans référence à des textes. L’accusation est dirigée contre certaines personnes comme le colonel Algassimiou Barry, le général Bachir Diallo chez qui les autorités auraient saisies des objets divers ayant servis à la commission des faits dont trois véhicules 4 X 4, une importante quantité de munitions, des fusils mitrailleurs, des lance roquettes, des lunettes infra rouges, des tenues militaires, gilets par balles, importante quantité de drogue, des talismans et des gris-gris.

L’enquête est menée sur le terrain par entre autres, des auteurs de crimes contre l’humanité Pivi Coplan et Tiegboro Camara. Elle détermine avant toute expertise que ce sont les éléments qui ont servi à la commission des faits : ont-ils vérifié que les douilles trouvées chez Alpha Condé correspondaient à celles trouvées sur les lieux ? Avaient ils relevé les marques, couleurs voire les plaques d’immatriculation des 4X4 pendant l’intensité des combats, l’expertise a-t-elle corroboré que ces véhicules ont pu transporter des armes ? Le fait d’avoir des gris-gris et des talisman est il un délit ? Les ont-ils pris en flagrant délit de consommation de drogue ou bien les examens médicaux ont-ils révélé qu’ils en avaient consommé ? On se rappelle que Tiegboro est spécialisé dans la traque contre les drogues. Il n’hésitera pas à miraculeusement trouver des fûts de drogues qui avaient brusquement poussé un peu partout dans la capitale y compris dans les concessions de Koto qu’il poursuivait depuis des mois. Les procès contre le narco trafic qu’il avait engagé et qui a duré une année s’était soldé par un fiasco, il ne maîtrise même pas le placement des objets saisis sous scellés car il n’hésite pas à les garder chez lui, au risque de falsifier les preuves. Pivi lui s’est fait connaître le jour où il a voulu dissoudre la police en juin 2008. Il n’avait pas hésité à mettre à sac l’office anti drogue (OCAD) et a emporté une importante quantité de drogue  ?

Le procureur ne dit pas combien de tenues militaires ont été saisies. Est-il anormal de trouver des tenues militaires chez un soldat ?

Confondant parquet et ministère de la justice, c’est désormais le directeur national de l’information judiciaire et chargé de communication du cabinet du ministre de la justice, Ibrahima Béavogui qui nous apprend que 38 personnes, dont 13 civils, ont été arrêtées dans le cadre des enquêtes sur les événements qui ont eu lieu le 19 juillet au domicile de Président de la République. On ne parle même plus de tentative d’assassinat ni d’assaut.

Quant à la qualité des personnes arrêtées, les propos des autorités sont assez édifiants sur l’absence de maîtrise de notions comme présomption d’innocence, accusé, inculpé, suspect etc.

Présomption de culpabilité suivant la loi

Les autorités ont presque déjà condamné les personnes arrêtées alors qu’elles n’ont pas encore été présentées à un juge, ce qui constitue une violation de la loi.

Si Alpha Condé est confus en parlant de présumé qui sont arrêtés, on n’est dubitatif face aux propos du porte-parole du gouvernement, Durius Dialé Doré qui dit que « Tous ceux qui sont impliqués dans cette barbare tentative d’assassinat, qu’ils soient civils, militaires, hommes d’affaires, hommes politiques, devront répondre devant la loi le moment venu ». On se demande s’ils seront présentés à un juge et non devant la loi qui reste abstraite. Alhassane Condé, lui n’hésite pas à parler de « personne reconnue par la loi coupable d’infraction ». C’est une négation même des fondements de l’habeas corpus et de la justice. La loi ne présume personne coupable. L’article 9 de la Constitution dispose que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité été légalement établie au cours d’une procédure conforme à la loi ». Cet article pose le principe d’un procès équitable et juste où les accusés disposent du droit de se défendre et du droit à un avocat.

On rappellera que lors du procès d’Alpha Condé, ce dernier avait même bénéficié de l’assistance d’avocats étrangers.

Les autorités, dans des communiqués nient avoir arrêté ou interpellé des opposants mais n’expliquent pas les motifs qui les ont conduit a interpeller pendant des heures des membres de la famille d’un leader politique. Elles gardent également sous silence les perquisitions suivies de pillage qu’elles ont menées aux domiciles des opposants sans parler du saccage des locaux et matériels d’un organe de presse avant d’interdire toute information sur l’affaire.

Si elles musèlent la presse, elles ne continuent pas moins de procéder à des arrestations et les personnes détenues n’ont jusque là pas bénéficié de l’assistance d’un avocat alors qu’elles y ont droit dès la garde à vue. Les familles de certaines ignorent si elles sont en vie, dans quelles conditions. Le choc provoqué par la diffusion de la photo d’AOB a poussé les autorités à faire un démenti sur sa mort sans toutefois apporter des preuves indiquant que ce dernier est toujours en vie. Les personnes blessées ont-elles reçu la visite d’un médecin ?

Trop d’interrogations entourent cette affaire que les autorités veulent instruire en silence à l’abris de toute transparence d’où cette décision de bâillonner la presse.

Le porte parole du gouvernement baratine en parlant de « profond attachement du chef de l’Etat, président de la République, le professeur Alpha Condé, au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales » et souligne que « la transparence totale dans la gestion de ce dossier sera observée ». On a des doutes. Peut on parler de libertés lorsqu’on viole la Constitution, les lois commandant l’habéas corpus. Où est la liberté quand on interdit à la presse d’informer ? Où est la transparence lorsque les personnes arrêtées n’ont pas pu voir d’avocat, n’ont pas accès au médecin et n’ont jusque là été présentées devant aucun juge et hors du regard de la presse et des associations des droits de l’Homme ?

La qualité d’opposant « historique » ne confère pas à son titulaire le droit de régner de manière hystérique et schizophrénique. La première caractéristique de la démocratie, c’est l’Etat de droit c’est-à-dire la soumission, au premier chef par l’Etat et les autorités, aux règles de droit. L’arbitraire, l’impulsion, l’émotion, la susceptibilité, la rancune ne constituent pas la loi et ne sont pas sources de droit.


Hassatou Baldé