Entretien avec Alpha Condé : bilan de 6 mois de présidence en Guinée

Le président de la République de Guinée, Alpha Condé, a été élu le 21 décembre 2010, à l’issue du premier scrutin libre depuis l’indépendance. Aux affaires depuis six mois, jour pour jour, cet opposant de longue date, revient sur l’actualité de son pays et fait un premier bilan.

RFI : Monsieur le président, bonjour. C’est la première fois que vous gouvernez. Après six mois d’exercice, est-ce aussi difficile que vous le pensiez ?

Alpha Condé : Je savais déjà à peu près que la situation était très difficile, mais je ne me rendais pas compte de l’ampleur réellement de l’état parce que lorsque j’ai pris mon poste, la Banque centrale était en quasi-faillite et n’avait même pas quinze jours d’importation. Nous avons trouvé vraiment une situation financière beaucoup plus catastrophique que nous le pensions. Je ne savais pas que le mal était si profond.

RFI : Alors au-delà de cette réforme financière, quelles sont les premières réformes auxquelles vous êtes le plus attaché ?

A.C. : Il y a les réformes du code minier, ce qui nous a amenés à négocier avec Rio Tinto*. Nous avons donc obtenu 700 millions de dollars de pénalité. Donc nous allons renégocier avec toutes les autres sociétés.

Vous savez qu’il y avait aussi beaucoup d’insécurité, il y avait des chars partout. Grâce à la bonne volonté de l’armée, nous avons réussi à délocaliser. Aujourd’hui, vous n’avez plus de chars, ni d’artillerie, ni de 12,7 mm. Tout est délocalisé à l’intérieur. Et désormais, vous ne rencontrez plus de militaires dans les rues avec des armes.

RFI : Vous parlez de cette pénalité de 700 millions de dollars que Rio Tinto vous a payée. Mais certaines personnes s’étonnent de ne pas voir apparaître cette somme dans le budget voté il y a trois semaines par le Conseil national de transition ?

A.C. : Oui mais parce que d’abord, nous avons eu ça après le budget. Vous savez les 700 millions de dollars, nous les avons mis dans un compte de réserve, c’est-à-dire on n’a pas touché un centime de cet argent. C’est maintenant que nous allons faire un correctif budgétaire.

RFI : Pendant la campagne, vous avez promis l’eau et l’électricité. Mais six mois après, les gens de Conakry ne voient toujours pas grand chose…

A.C. : Mais ce n’est pas en six mois… Quand je suis arrivé, il y avait 7 centrales thermiques et, sur 7 centrales thermiques, 6 étaient en panne. Nous avons déjà réussi à réparer. Vous savez très bien que pour installer une centrale thermique de 100 mégawatts, il faut un an. J’ai d’abord dit dans ma campagne que j’allais commencer par me consacrer aux réformes structurelles. Il faut d’abord créer un Etat.

RFI : Par conséquent, on peut espérer l’eau et l’électricité d’ici la fin de votre mandat ?

A.C. : D’ici la fin de l’année, je ne dis pas que Conakry aura le courant 24 heures sur 24, mais au moins 18 heures sur 24. Pour avoir du courant 24 heures sur 24 à Conakry, il faut 300 mégawatts. D’ici la fin de l’année, nous aurons au moins 250 mégawatts. Et ensuite, d’ici quatre ans, nous allons passer à l’énergie hydraulique par les barrages.

RFI : Partout dans le monde, à Paris, en Afrique du Sud, dans les Emirats, vous appelez les investisseurs à venir chez vous, en Guinée-Conakry. Est-ce que l’affaire du port de Conakry, est-ce que la rupture avec Getma** au profit de Bolloré ne risque pas de les échauder ?

A.C. : Vous savez, il n’y a que vous, qui vous intéressiez à ça. Air France avait trois vols par semaine. Actuellement il y a un vol par jour et Air France est obligée de débarquer plus de 40 personnes. Tous les jours, les investisseurs viennent du Brésil, de partout. L’histoire du port, c’est très simple. Le contrat Getma a été mis en cause dès le régime de Lansana Conté et il était dit dans l’appel d’offres que si le premier est défaillant, c’est le deuxième automatiquement qui a le contrat.

RFI : Sur le plan politique, les législatives sont programmées fin novembre. Le recensement de la population a été fait il y a un an. Pourquoi voulez-vous le refaire à nouveau ?

A.C. : Beaucoup de gens ne se sont pas fait recenser à cause de l’impôt de capitation. Beaucoup de paysans ont refusé parce que lorsque vous recensez 8  personnes, vous payez 8 fois l’impôt. J’ai commencé par supprimer cet impôt. Deuxièmement, il y a eu beaucoup de double recensement, des enfants de 14 ans qui ont voté etc… Et ensuite, l’étape alphanumérique n’a pas pu être utilisée. Aujourd’hui, nous faisons exactement ce qui a été fait au Congo-Kinshasa, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire que nous allons donner la carte d’électeur en même temps que la carte d’identité. Mais je ne vois pas en quoi recenser la population peut-être gênant ? On ne va pas aller chercher des Guinéens sur la planète Mars, donc il s’agit de donner la chance aux paysans qui n’avaient pas pu être recensés.

RFI : Mais comme l’opposition craint des tricheries, elle se demande pourquoi vous refaites recenser tout le monde ?

A.C. : Mais en quoi le recensement peut créer de la tricherie ? Il y a 110 partis qui sont d’accord, qui ont approuvé le recensement. Et en quoi un recensement peut amener la fraude ?

RFI : Pourquoi vous refaites recenser tout le monde au lieu de simplement rouvrir les bureaux d’inscription pour ceux qui ne sont pas inscrits ?

A.C. : Parce que d’abord nous n’avons pas la liste. Nous avons tout fait avant le deuxième tour pour avoir la liste électorale. On n’a jamais eu accès à la liste électorale.

RFI : Sur cette question du fichier électoral, sur celle de la date des élections, ou celle de la composition de la Commission électorale nationale indépendante, est-ce que vous êtes ouvert à une concertation avec tous les partis politiques comme vous le propose par exemple l’International crisis group ?

A.C. : Nous avons convoqué tous les partis politiques. Le ministre a convoqué tout le monde.

RFI : Le 3 avril quand votre adversaire du second tour, Cellou Dalein Diallo, est rentré à Conakry, ses partisans ont été brutalement réprimés. Quatre militaires chargés de sa sécurité ont été condamnés à deux ans de prison et 7 militants à un an de prison, est-ce que vous n’avez pas eu la main un peu lourde ?

A.C. : D’abord, les 3 militaires qu’on a arrêtés… c’était des militaires habillés en civil. Ils étaient dans la manifestation et on les a pris avec des kalachnikovs et des uzis. Ils ont été condamnés. Mais nous ne pouvons plus accepter que des gens se permettent de casser les véhicules. Est-ce que vous pensez qu’on va continuer à accepter que des gens occupent la rue, jettent des pierres sur les gens ? Non. Personne n’est au-dessus de la loi.

RFI : Pour l’instant, il n’y a aucun dialogue avec Cellou Dalein Diallo. Pourtant, il n’a pas contesté votre élection ? Est-ce que ce n’est pas ça l’essentiel ?

A.C. : Moi, je suis président de tous les Guinéens. Ce qui veut dire qu’il y a un dialogue avec moi. Je me suis bagarré avec personne.

RFI : Oui, mais enfin, vous savez bien comme nous tous que le résultat du deuxième tour a été très serré : 52-48. Est-ce que vous n’avez pas intérêt pour la paix, à venir à dialoguer avec votre adversaire de deuxième tour ?

A.C. : Moi, je dialogue avec tous les Guinéens. Je pense que vous avez bien entendu. Il [Cellou Dalein Diallo, NDLR] a dit à Dakar qu’il ne veut pas travailler avec moi. Il l’a dit publiquement, tout le monde l’a entendu. Je ne peux pas forcer quelqu’un à dialoguer avec moi. Moi je suis ouvert, la preuve il y a beaucoup de gens qui l’ont soutenu au deuxième tour qui sont aujourd’hui avec moi, et qui travaille avec moi et qui sont nommés à des postes.

RFI : Mais est-ce qu’un jour, vous vous reparlerez ?

A.C. : Mais moi, je n’ai pas de problème. Pourquoi voulez-vous que je ne parle pas ? Je parle à tous les Guinéens. Ma porte est ouverte. Mais je ne peux pas forcer quelqu’un à parler avec moi.

RFI : Alors vous restaurez l’Etat, mais du coup, les sociétés civiles dénoncent les dérives autoritaires de votre pouvoir ?

A.C. : Non, les sociétés civiles, je suis désolé, les sociétés civiles n’ont jamais utilisé le mot de dérive. C’est vous, c’est RFI qui fait ce commentaire.

RFI : Excusez-moi d’insister, Monsieur le président, mais il y a bien le mot « autoritaire » dans le communiqué de la coalition d’organisations de la société civile, paru la semaine passée ?

A.C. : Mais les Guinéens veulent l’autorité ! Maintenant il y a un Etat. Mais regardez à présent, le nombre de véhicules qui circulent sans immatriculation. Nous avons donné l’ordre : tout véhicule qui circule désormais sans plaque d’immatriculation est automatiquement mis à la fourrière. 80 % des gens n’étaient pas assurés. Est-ce que c’est normal ? Vous voulez qu’on laisse la pagaille continuer ? Vous pouvez accepter ça en France ?

RFI : Donc finalement,  président autoritaire, vous assumez ?

A.C. : J’ai dit qu’il faut une discipline. J’exige de mes ministres qu’ils travaillent et j’exige que les gens viennent à l’heure. Vous avez des hauts fonctionnaires qui viennent à 10 heures ou 11 heures au travail, on ne va pas accepter ça. Nous sommes en train de mettre des appareils où quand vous venez, vous pointez.

RFI : Des pointeuses ?

A.C. : Ils viennent à 10 heures, 11 heures. Ensuite, ils vont au bar. Mais il faut que l’Etat fonctionne. Cette pagaille là est finie. Si c’est cela que vous appelez être autoritaire, alors je suis autoritaire. Nous voulons un Etat moderne.

RFI : Monsieur le président, merci.