De la responsabilité pénale du Gouverneur de la ville de Conakry et du Directeur National des Unités d’intervention pour obstruction à l’exercice des libertés individuelles des citoyens guinéens.

En proie à des multiples crises sociales, politiques et économiques ces dernières années, l’État guinéen est de plus en plus confronté à des revendications liées à l’amélioration des conditions de vie des populations et à la construction d’un véritable État de droit et d’une démocratie pouvant permettre leur épanouissement. Au lieu de satisfaire ces revendications sociales par la mise en place des politiques et programmes sociaux efficaces et efficients pouvant réduire la pauvreté, le chômage chronique des jeunes, les pénuries d’eau et d’électricité, les risques de maladies épidémiques, le taux d’analphabétisme, le coût exorbitant du transport, la hausse sans cesse du prix des denrées alimentaires et autres, l’État préfère user de la répression pour faire fléchir cette pauvre population qui ne fait qu’exprimer des revendications légales et légitimes. D’ailleurs, les douloureux événements de 2006, du 22 Janvier 2007, du 28 Septembre 2009, la grève des enseignants de 2017 et 2018 illustrent parfaitement cet état de fait, avec pour conséquence d’énormes pertes en vie humaine et d’importants dégâts matériels causés par des agents des forces de l’ordre qui continuent de bénéficier d’une impunité totale et des promotions auprès des gouvernants.

Cependant, la Constitution du 07 Mai 2010 sous son Titre II dénommé : DES LIBERTÉS, DEVOIRS ET DROIT FONDAMENTAUX, allant de l’article 5 à l’article 26, garantit des droits et libertés aux citoyens, se sont entre autres : le droit à la vie ; le droit de ne pas exécuter un ordre manifestement illégal ; la liberté d’expression et d’opinion ; la liberté d’association ; la liberté syndicale ; la liberté de manifester ; le droit à la santé et au bien-être physique ; le droit au travail ; le droit à l’éducation ; le droit de résistance à l’oppression ; etc. En plus, la Guinée a ratifié la plupart des Conventions Internationales relatives aux Droits de l’Homme, la Démocratie et la bonne gouvernance qui l’obligent à protéger ses citoyens contre l’oppression.

Cependant, malgré l’existence de tous ces instruments juridiques nationaux et internationaux protégeant les citoyens guinéens, il est regrettable de constater qu’à la suite de l’augmentation unilatérale du prix du litre du carburant à la pompe à 10.000 GNF en date du 1er Juillet 2018, les populations guinéennes choquées par cette décision du gouvernement, ont décidé de se réunir au sein du ‘’ Mouvement les Forces Sociales ‘’ et le ‘’ Mouvement Syndical ‘’ pour exprimer leurs désaccords et de mener une série d’actions pacifiques allant de la ‘’ ville morte ‘’, aux ‘’ marches pacifiques ‘’ en passant par ‘’ les grèves ‘’ au sein de l’administration publique et des entreprises privées du pays, afin de contraindre le gouvernement à revenir à l’ancien prix à 8.000 GNF. Mais, le gouvernement à travers le Premier Ministre, le Ministre de l’administration du territoire, le Gouverneur de la ville de Conakry et le Directeur des Unités d’intervention de police, au lieu de laisser les populations exercer librement leur droit de manifestation pacifique, tout en ouvrant des brèches de négociations avec ses partenaires sociaux en l’occurrence, les syndicats et le patronat, a préféré interdire toute manifestation publique jusqu’à nouvel ordre sur l’ensemble du territoire national, en invoquant des raisons liées au respect de l’ordre public qui, selon lui serait menacé.

C’est pourquoi, il est opportun de se poser la question de savoir en pareil circonstance, est ce que les autorités ont le droit d’obstruer l’exercice des libertés individuelles pour des raisons d’ordre public ?

Commençons tout d’abord, par la décision du Gouverneur de la ville de Conakry interdisant les marches pacifiques. Il faut rappeler que l’article 621 du Code Pénal Guinéen, oblige tout citoyen de faire ‘’ une déclaration préalable avant d’organiser une manifestation sur les lieux et voies publics ‘’, son article 622 précise que ‘’ la déclaration doit être écrite et adressée aux maires des communes urbaines ou rurales, 3 jours francs au moins et 15 jours franc au plus avant la date prévue par les organisateurs. Dans les 24 heures de la réception de la déclaration, l’autorité en informe le pouvoir de tutelle, après avoir auparavant délivré un récépissé au déclarant ‘’. Selon l’alinéa 3 de l’article 623 du Code Pénal, ‘’ le gouverneur qui est l’autorité de tutelle ne peut qu’infirmer ou confirmer une décision d’interdiction de manifestation publique prise par le Maire ‘’, en sa qualité du président du Conseil de Ville. Donc, toute autre décision prise par lui visant à interdire une manifestation pacifique, est nul et de nul effet. Mais, si l’application de sa décision cause un dommage aux citoyens, dans ce cas, la responsabilité pénale du Gouverneur peut être engagée en vertu des articles 150, 151, 850 et 851 du Code de Procédure Pénal Guinéen pour ‘’ abus d’autorité ‘’. S’agissant de la plainte introduite auprès du Tribunal de Première Instance de Kaloum par les avocats des Forces Sociales et des Syndicalistes victimes des atteintes à intégrités physiques et morales du fait de la brutalité et des jets des gaz lacrymogènes exercés sur eux par les forces de l’ordre, lors de la marche pacifique qu’ils ont organisé le lundi 16 Juin 2018 à la Tanerie à Matoto et au Marché Niger à Kaloum, reste fondée et devrait aboutir à sa condamnation.

Ensuite, il faut se poser la question de savoir, quel doit être le véritable rôle des forces de l’ordre dans la gestion des manifestions publiques ?

La liberté de manifestation publique étant consacré par l’article 10 de la Constitution, le rôle principal des forces de l’ordre est d’encadrer les marches pacifiques, lorsqu’elles sont dûment notifiées au Maire qui est l’autorité civile compétente, qui a le pouvoir de réquisition des forces de l’ordre (gendarmerie et police) pour l’encadrement d’une marche pacifique, afin d’éviter les débordements. Ainsi, lorsqu’une notification d’interdiction n’est pas faite à une lettre d’information de manifestation publique par le Maire, les forces de l’ordre ne doivent, ni par leurs propres initiatives, ni par l’injonction d’une autre autorité, prendre des mesures allant dans le sens d’empêcher cette manifestation. Par conséquent, elles doivent décliner tout ordre venant d’une autorité supérieure interdisant cette manifestation en vertu du ‘’ principe de la baïonnette intelligente ‘’ mentionné à l’alinéa 3 de l’article 6 de la Constitution qui dispose : «…nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal », au risque de voir leur responsabilité pénale engagée en vertu de l’alinéa 4 du même article qui dispose : « …Nul ne peut se prévaloir d’un ordre reçu ou d’une instruction pour justifier des actes de tortures, de sévices ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants commis dans l’exercice de ses fonctions ». Donc, dans ce cas d’espèce le Directeur National des Unités d’intervention est pénalement responsable du fait de sa position hiérarchique, ainsi que ses agents qui ont exercé des actes de violences dans l’exercice de leurs fonctions, sur des citoyens qui sont autorisés à manifester sur la voie publique.

Quant aux propos du Premier Ministre, je cite : « entre le respect de la loi et l’autorité de l’État ou l’ordre public, je préfère l’ordre public car je ne vais pas laisser une société civile et des syndicats prendre le pays en otage », des propos qui ont conduit le Ministre de l’administration et du Territoire, les gouverneurs et préfets à l’intérieur du pays notamment à Labé et à Mamou, à prendre des mesures d’interdictions générales de rassemblement et de marche pacifique dans leurs localités. Cela a ouvert la voie à un excès de pouvoir en violation du dernier aliéna de l’art 6 de la constitution qui dispose : « …Aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ». Donc, aucune loi ne permet au Premier Ministre ou le Ministre de l’administration et du Territoire de prendre ou d’ordonner de prendre des mesures générales d’interdiction de manifestions publiques sur l’ensemble du territoire national surtout quand elles sont pacifiques, tout propos ou décision allant dans ce sens sont nul et de nul effet, et constitue un excès de zèle de la part d’un Premier Ministre qui, selon l’article 58 de la constitution est ‘’ responsable de la promotion du dialogue social et veille à l’application des accords avec les partenaires sociaux et les partis politiques ‘’, non de menacer et d’intimider les citoyens. D’ailleurs, le Ministre de l’Unité Nationale et de la Citoyenneté l’a rappelé à juste titre, lors d’une émission le 26 Juillet sur les antennes de la Radio Nostalgie que, je cite : « Notre constitution garantit aux citoyens la liberté d’opinion et d’expression. Toute décision d’interdiction générale de manifestation est un recul de la démocratie. Et cela n’est pas défendable… ».

Enfin, il y a lieu de se demander, si les citoyens sont obligés d’avoir un agrément pour créer un mouvement revendicatif ? Il faut préciser que la constitution consacre les droits et libertés au citoyen guinéen individuellement pris, cependant il peut avec d’autres citoyens exercer ces droits de façon collective sans que cela ne donne un caractère illégal à leurs actions. Donc, les allégations de certains membres du gouvernement ou de leurs alliés qualifiant les ‘’ Forces Sociales ‘’ de mouvement illégal car n’ayant pas un agrément, sont totalement infondées, par ce qu’en République de Guinée la loi n’oblige pas à un mouvement social d’avoir un agrément pour organiser des manifestations publiques, le simple fait d’être un citoyen suffit, d’ailleurs l’article 622 du Code Pénal précise que ‘’ la lettre d’information de manifestation pacifique doit être signée par 5 personnes qui constituent la Commission d’organisation et qui sont responsables des infractions commisses lors de la marche ‘’, en plus il faut rappeler que la plupart des organisations qui constituent les Forces Sociales ont des agréments, même si cela n’est pas nécessaire pour l’existence du mouvement.

Ainsi, face à l’interdiction systématique de toute manifestation publique sur l’ensemble du territoire national, est ce que les citoyens à travers les syndicats et Forces Sociales ont le droit de recourir à la désobéissance civile ? La désobéissance civile : « étant le refus assumé et public de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique ou autoritaire par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique », loin d’être un droit ou une liberté, c’est plutôt un ensemble d’action pacifique qui n’a pas besoin d’être inscrite dans un texte de loi pour que les citoyens en fassent recours. D’ailleurs, comme l’a dit un penseur, je cite : « renoncer à la désobéissance, c’est mettre la conscience en prison », comme pour dire que dans un pays démocratique, lorsque le gouvernement établit ne respecte plus le contrat social et devient oppresseur, il est légitime que les citoyens résistent par des actes de désobéissance civile. Exemple, le fait pour une population de refuser de payer l’impôt lorsque l’argent du trésor public est systématiquement détourné par certains gouvernants et que rien ne soit fait pour arrêter et punir ceux qui se livrent à des tels actes, comme c’est le cas en Guinée actuellement.

Le peuple de Guinée étant en droit de s’opposer aux décisions impopulaires d’un gouvernement caractérisé par la corruption et les détournements des deniers publics, qui préfère user de la répression face aux revendications légitimes de sa population, en toute méprise de la loi. C’est pourquoi, la justice doit se bouger pour interpeller et condamner le gouverneur et le Directeur National des Unités d’intervention, ainsi que les agents qui ont abusé des populations, à défaut, elle aurait commis un Déni de justice. Ainsi, les avocats des Forces Sociales et des syndicats peuvent saisir soit le ‘’ Conseil Supérieur de la Magistrature ’’ ou la ‘’ Cour de Justice de la CEDEAO’’, car cette dernière constitue une justice alternative très crédible dans ce genre de situation pour avoir statué sur des tels cas concernant d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, exemple l’affaire Khalifa Sall le Maire de Dakar.

Saikou Yaya Diallo Juriste/Politologue, Enseignant-Chercheur et activiste des Droits Humains