Depuis bientôt deux ans, Radio Fréquence Gandal et Pottal-Fii-Bhantal Foutah-Djallon tiennent des émissions bi-hebdomadaires d’information, en pular et en français, sur l’histoire contemporaine de la Guinée. Ces émissions poursuivent plusieurs objectifs.
· Réhabiliter les victimes innocentes du PDG en décryptant les mécanismes de la terreur.
· Éclairer les guinéens sur les pratiques politiques de la clique familiale de tortionnaires qui noyauta le PDG, usurpa la cause de la révolution africaine de l’après indépendance, opposa les ethnies de la nation dans une suite sanglante de complots fictifs et de règlements de comptes.
· Dissiper la propagande qui a conditionné les esprits de plusieurs jeunes par une fausse narration, notamment sur les circonstances de l’indépendance, les raisons de la répression et de la régression de la Guinée. Le concours de toutes les bonnes volontés est demandé pour enrichir ces données, corriger les erreurs et rectifier les distorsions afin d’en faire une base de documents en même de restaurer notre histoire tronquée et travestie par la propagande du PDG.
· L’un des projets envisagés à moyen terme, est la publication d’un livre basé sur les données recueillies.
· Avec des témoignages de survivants et de membres des familles de victimes ainsi que des écrits, les émissions s’étoffent progressivement comme une source de données sur la sombre époque du régime clanique de Sékou Touré.
Émile Cissé – symbole et révélation
Le 12 Juillet 2018, l’émission en Français portait sur l’un des tortionnaires les plus sinistres et des plus excentriques du PDG : Émile Cissé (voir Note 1 pour le lien de l’émission sur YouTube).
Émile Cissé fut actif sur tous les fronts de la provocation, de la répression et de la dégradation morale et sociale que mena le PDG. Il symbolise les motivations des menées macabres des membres et proches de la famille de Sékou Touré et de Andrée Touré : désirs irrépressibles de vengeance, une intelligence dédiée à la destruction des piliers de la société, une hargne que le succès ne pouvait tamiser, le tout baignant dans un total manque de scrupules. Entre Émile Cissé et Sékou Touré, la similarité d’origine et d’état d’esprit est frappante. Les deux individus ne pouvaient qu’être complices.
Avant de le sacrifier, Sékou Touré donna carte blanche à Émile Cissé. Ce dernier pu ainsi donner libre cours à ses désirs excentriques, ses perversions et sa cruauté. La connivence entre Sékou Touré et Émile Cissé met à nue les mécanismes répressifs dignes de la mafia du PDG. Elle révèle l’imposture que fut la prétendue révolution du PDG ainsi que la monumentale escroquerie morale sur lesquelles la clique au pouvoir charpenta ses crimes.
Enfance et famille : les racines de la haine
Issu d’un commerçant libanais qui vivait à Mamou et de sa domestique originaire de Moriya, Émile Cissé était un enfant naturel. Le libanais refusa de reconnaitre l’enfant et l’ignora. Émile fit tout pour se faire adopter par son père. Quand il grandit, aidé par les militants du PDG, il intenta un procès à son géniteur pour se faire reconnaitre. Il perdit le procès. Le reste de sa vie sera marqué par ce rejet. Il prendra le nom de sa maman. Il sera accepté à William Ponty d’où il sortit pour servir comme instituteur à Thiès (Sénégal).
Émile vecut son enfance sans famille établie comme une tare. Comme tous les tortionnaires de son acabit, son parcours est sombre. Émile contribuera à renforcer le flou sur sa vie et ses qualifications. Il accusa l’almamy du Foutah de lui avoir refusé une bourse d’études en France. Néanmoins, il prétendait y avoir étudié et fréquenté plusieurs facultés (lettres, mathématiques, droits etc.) sans acquérir un diplôme. Il n’y a pas de données sur les universités qu’il fréquenta ou les postes qu’il occupa à son retour en Guinée avant d’être nommé comme principal de collège à Kankan puis à Labé. Émile se déclarera professeur de mathématiques, homme de lettres et dramaturge. Il écrivit deux romans tous deux marqués par les ressorts de son enfance. Ensuite, il mit aussi en scène une pièce de théâtre.
Faralako– Le premier roman de Émile Cissé fut préfacé par Saifoulaye Diallo qui était maire de Mamou en 1957, sous la loi-cadre. Le roman est Campé dans les années 50. Il traite des rapports entre évolution et tradition. Il évoque aussi la question des métis, abandonnés sans ressources par leurs pères blancs à leurs mères africaines. Le second roman, Assiatou de Septembre, est une histoire bizarre d’amour entre une femme peule et un fonctionnaire soussou muté au Niger. La pièce de théâtre « Et la nuit s’illumine » fut mise en scène en 1967. C’était une satire contre le colonialisme qui sera primée au festival d’Alger. Elle fut écrite conjointement par Coumbassa Saliou et Baldé Bobo Companya. Comme metteur en scène, Émile mobilisa tous les moyens du collège de Labé dont il était le principal. Il enrôla des filles et des garçons dans un internat. La plupart de ces filles seront engrossées. C’était le prélude à son centre de Kalédou. Un professeur belge du nom de Westrepen participa à la pièce. Mais à Alger il fut interdit de jouer du fait qu’il était blanc ! Il sera accusé de complot en 1971. Arrêté et emprisonné au Camp Boiro, il mourra de suicide selon la version officielle.
L’alliance avec Sékou Touré
À son retour en Guinée, Émile fit de Sékou son « père » et protecteur. De son coté, Sékou nota le manque de scrupules d’Émile Cissé. Il en fera son principal agent dans deux villes qu’il voulait mettre sous coupe réglée : Labé et Kankan. Il faut noter que dans ces deux villes, Émile succédait à Diané Lansana qui s’y était illustré par sa cruauté : à Kankan par le massacre des aveugles en 1960 et à Labé par a répression des élèves en 1961.
Officiellement Émile n’était qu’un simple principal de collège. Mais, jouissant de la protection de Sékou, il avait des pouvoirs illimités et régnait en maître absolu. Il créa un réseau d’espions pour surveiller tout ce qui se passait. Il révéla du sadisme et un désir de domination et devint une phobie populaire. Il confisquait impunément les biens des commerçants. Il empruntait des voitures d’hommes d’affaire et les rendait quand bon lui semblait.
Fabricant de complots.
Émile Cissé joua un rôle central dans la fabrication du « complot » qui emporta les Kaman Diaby, Fodéba et Diawadou en 1969. Lors d’une discussion avec des paras du camp de Labé (Tierno Mouctar, Mbengue, Coumbassa etc..) dans le troquet de Dian Djiba, Émile prétendit entendre le commandant Mbengue dire qu’ils vont « cravacher » Sékou Touré à sa prochaine visite.
Émile savait que les populations de Labé étaient excédées par ses comportements sadiques et que Sékou était ulcéré de s’y être fait huer en public en 1967. La nuit de cette prétendue conversation, Émile conduisit personnellement sa 2CV de Labé à Conakry pour rendre compte à Sékou Touré. Une commission d’enquête dirigée par Magassouba Moriba fut dépêchée à Labé pour interroger les militaires. Elle conclura que rien ne pouvait justifier l’arrestation des officiers. Non satisfait des conclusions, une autre commission dirigée par Diané Lansana fut dépêchée par Sékou Touré. Elle conclut aussi que les allégations d’Émile Cissé n’avaient aucune substance.
Toutefois, Sékou était hanté par un coup d’état militaire. En 1966 et en 1968 l’armée avait pris le pouvoir au Ghana et au Mali. Pour parer à une telle éventualité en Guinée, Sékou Touré avait introduit la hiérarchie du parti dans les camps militaires et créé un état-major de milice populaire. Il redoutait particulièrement les officiers du camp de Labé qui étaient des cadres professionnels formés en Allemagne. Les accusations de Émile Cissé ne pouvaient tomber à meilleur point. Sékou et Ismaël donnèrent l’ordre de faire arrêter les officiers discrètement en prétendant qu’ils étaient convoqués pour une réunion à Conakry. Ils furent accompagnés lors du transfert par l’inspecteur de police, Mamadou Boiro. Le mystère reste entier sur les circonstances réelles de la mort de l’inspecteur dont le nom symbolise la féroce répression du PDG.
Note : La version officielle prétend que les parachutistes larguèrent Mamadou Boiro de l’avion et que les pilotes firent diversion avec une excuse de manque de carburant pour un atterrissage forcé dans le village de Maléah près de la frontière avec le Mali. Les populations auraient alors maitrisé les parachutistes. Cette version souffre de sérieuses lacunes. Le corps de Mamadou Boiro n’a jamais été retrouvé pour déterminer les causes exactes de sa mort. Les rapports faits par les deux pilotes indiquent que les paras « se sont battus comme des diables. ». Il est alors étonnant que des populations désarmées aient pu venir à bout des parachutistes commandos déterminés à sauver leur vie sans qu’on ait fait état de blessés ou de morts. Dès leur transfert à Conakry, les parachutistes furent exécutés – sans même les fausses dépositions coutumières. Enfin, il y a des rumeurs qui indiquent que les parachutistes furent arrêtés avec l’aide de l’armée malienne et la complicité du président Moussa Traoré.
Architecte de la « cinquième colonne », tortionnaire et assassin.
Dr. Kozel était un dentiste tchèque. Il fit la connaissance de Émile à Kankan. Après le débarquement du 22 Novembre 1970, il expliqua à Émile Cissé comment le régime pourrait justifier les purges dans les rangs de l’administration avec le concept de la CINQUIÈME COLONNE. Émile partagea l’idée avec Sékou qui donna son accord pour sa mise en œuvre. Dr. Kozel fut transféré à Conakry. Il fut hébergé dans la maison de l’industriel libanais William Gemayel qui était emprisonné au camp Boiro. Il vida la cave de vins de Gemayel. Il entreprit la rédaction des aveux à faire signer sous la torture par les accusés cinquième colonne. Mieux, pour garantir la vraisemblance de l’affaire, on incarcéra le dentiste au camp Boiro. Il put ainsi poursuivre plus efficacement sa tâche d’assistant de la Commission des interrogatoires. (Note 2 –Kaba 41).
En 1971 Émile est nommé gouverneur de Kindia. Pendant 8 mois, comme membre tout-puissant de la Commission des interrogatoires, il sévit au camp Kémé Boureïma. Il ordonna et supervisa personnellement les tortures infligées aux détenus du camp. En même temps, Sékou Touré tirait parti des talents de metteur en scène d’Émile pour donner de la vraisemblance aux « aveux » des accusés. Émile devint l’auteur attitré des lettres soi-disant écrites de l’étranger par des contre-révolutionnaires qui furent utilisées pour « dénoncer » de nombreux cadres guinéens.
La politique de l’assouvissement des instincts pervers
Le métier d’enseignant était pour Émile un moyen d’assouvir sa pédérastie et ses obsessions sexuelles. À Kankan et à Labé, il engendra un nombre considérable d’enfants naturels avec les collégiennes dont il avait la charge.
Il s’enticha d’une jeune adolescente de Popodra du nom de Djiwoun Kalé. Il la demanda en mariage. Bien entendu la famille ne pouvait s’y opposer. Quand Djiwoun Kalé eut le brevet, Émile refusa qu’elle aille au lycée de Labé comme c’était la coutume à l’époque. Il créa au collège une classe de 10 ème dont elle était la seule élève.
Les populations de Labé étaient excédées par les abus d’Émile Cissé, en particulier sa sexualité débridée dont des adolescentes à peines pubères était victimes. Beaucoup de jeunes filles avaient eu des grossesses indésirées. En 1967, Sékou Touré tint une conférence de « bouche ouverte » à Labé. Plusieurs parents portèrent des plaintes publiques. En réponse, Sékou déclara qu’il va faire le baptême de tout enfant que Émile va engendrer. Poussant le cynisme à son comble, il traita publiquement de menteur son ancien bienfaiteur Samba Cissoko, un des premiers militants du RDA à Labé chez qui Sékou Touré logeait. Émile Cissé avait licencié la fille de ce dernier de l’école parce qu’elle avait refusé ses avances. Le public outragé hua Sékou Touré. Samba Cissoko ne survivra pas au fait d’avoir été traité de menteur en public. Il mourra quelques jours après la conférence.
De tout-puissant, Émile devint intouchable. Il s’empara de la presque totalité de la dotation de matériel de construction de la région de Labé pour aménager une prétendue « cité socialiste » sur l’emplacement de l’ancienne école primaire secondaire de Popodra. La cité fut nommée Kalédou, inspiré du nom de son épouse, Djiwoun Kalé. C’était en réalité un lupanar. Émile Cissé y avait son harem de jeunes et belles adolescentes. On les appelait les Amazones. Elles constituaient sa « garde rapprochée ». Elles paradaient en ville en tenues militaires, avec des armes. Après l’arrestation de Émile, elles seront emprisonnées à Kindia. Une des adolescentes accoucha d’un enfant d’Émile Cissé quelques jours avant son arrestation. L’enfant ne survivra pas. Deux autres adolescentes du groupe étaient des sœurs. L’une n’était âgée que de 12 ans. Une de ces jeunes filles est décédée il y a quelques mois. Les autres vivent en Guinée et en France.
Le conflit avec la famille régnante et la fin de Émile Cissé
Comme Émile devenait puissant, la faction de tortionnaire de la famille de Sékou Touré prit ombrage. D’habitude divisée en clans pro-Sékou et pro-Andrée, la « famille régnante » fit une sainte alliance pour sacrifier Émile Cissé. On l’accusa de vouloir le pouvoir et de planifier de de faire arrêter tout le Bureau politique national. On répandit la rumeur qu’il voulait faire arrêter Sékou Touré lui-même !
Un matin de septembre 1971, le commandant en chef des camps de détention, Siaka Touré, vint en personne à la forteresse de Kindia annoncer aux détenus : Émile, je le cueille ce soir !
Les victimes de Émile qui furent torturés sur ses ordres n’en revenaient pas ! « Émile fut placé dans une cellule individuelle. Siaka autorisa ces anciennes victimes à venir tambouriner sur sa porte, à chanter et à danser pour exprimer leur joie. L’une d’elles composa même pour la circonstance une chanson en peul affirmant que le PDG dit toujours la vérité, il ne ment pas ! Puisque Émile est là. Ces prisonniers croyaient en effet que les mensonges d’Émile étaient à l’origine de leur arrestation et que Sékou Touré n’était au courant de rien. Ils espéraient naïvement que de la mise à l’écart de leur bourreau, allait jaillir la vérité qui les innocenterait. Les débordements étaient tels que, dès le lendemain, les autorités de Kindia prirent peur et transférèrent Cissé au camp Boiro, à Conakry.
Lors de l’interrogatoire d’Émile, on fit asseoir contre le mur, sur deux rangées face à face, ses anciens travailleurs du centre de Kalédou. À chacun on donna une lanière de cuir et à toute question à laquelle Émile ne voulait pas répondre ou donner une réponse satisfaisante, Ismaël ordonnait : Allez-y ! Frappez ! Ces hommes qui avaient subi la rigueur et l’arbitraire de leur directeur trouvèrent là l’occasion rêvée pour se venger. La victime devenait à son tour bourreau, avec plaisir.
Arrivé à Boiro, Émile Cissé demanda crayon et cahier pour lui permettre de s’expliquer sur la situation. Comme pour toutes les décisions importantes à prendre dans les camps guinéens, on sollicita l’avis du Responsable Suprême, qui ordonna de fournir au prisonnier ce qu’il demandait. Émile Cissé se mit à écrire. Il remettra son livre, intitulé Trilogie de la Révolution au Comité révolutionnaire. N’empêche, Cissé fut abondamment torturé pour l’amener à signer ses dépositions, qui couvrent 300 pages dactylographiées.
Il mourut dans la nuit du 13 mars 1974, à l’issue d’une diète noire particulièrement cruelle et spécialement aménagée pour le faire souffrir : 113 jours de demi-diète, de façon à prolonger ce redoutable supplice et à faire souffrir l’homme le plus longtemps possible. Il fut enterré auprès de nombre de ses victimes, au charnier de Nongo, l’ossuaire de la Révolution. » (Note 2 –Kaba 41).
Elle inclut un témoignage de Petit-Barry qui fut interrogé par Émile qu’il connaissait depuis leur enfance commune à Mamou. La plupart des autres émissions peuvent être trouvées sur YouTube avec les mots clés : Gandal, Pottal, camp Boiro, histoire de la Guinée, tortures, aveux etc.