Interview : Cellou Dalein Diallo face à la Pesse Ivoirienne

L’opposant Guinéen, Cellou Dalein Diallo était parmi les hôtes du Président Alassane Ouattara lors de son investiture à Yamoussoukro le samedi 21 mai dernier. Cette présence de Cellou Diallo à la cérémonie revêt plusieurs sens…

Il fait partie non seulement de l’Internationale libérale avec le Chef d’Etat ivoirien, mais aussi, les deux personnalités gardent des liens d’amitié qui remontent aux années passées dans les institutions financières.
Dans cette interview exclusive, Cellou Dalein Diallo juge le nouvel homme fort de la Côte d’Ivoire.

Que nous vaut Excellence, l’objet de votre visite pour l’investiture du Président Alassane Ouattara à Yamoussoukro ?

Le Président Alassane Ouattara m’a fait l’honneur de m’inviter personnellement à cette importante cérémonie. J’espère que cela va marquer un nouveau départ dans l’évolution de la Côte d’Ivoire. Je pense que ce pays frère et limitrophe est en train de s’engager désormais sur la voie de la réconciliation et du développement durable. J’ai été fier du discours tenu par le Président Ouattara qui répond non seulement aux préoccupations des Ivoiriens, mais aussi des Africains. Ce qu’il a dit, c’est de tenir son engagement à promouvoir la politique de réconciliation. Il est resté dans cet engagement à promouvoir la paix. Que la Côte d’Ivoire, terre de fraternité et de dialogue reprenne sa place dans le concert des Nations.

On dit très souvent que ce qui s’est produit en Côte d’Ivoire fera un cas d’école en Afrique par rapport à la démocratie. Et vous qui poursuivez cette idéologie de la démocratisation en Afrique, quel est votre regard sur ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ?

Je ne pense que ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire soit un cas d’école, parce qu’on a déploré aussi ces violences postélectorales auxquelles on a assisté. Je ne souhaite pas que cela se passe dans un autre pays. Ce que nous souhaitons, c’est d’avoir des idées, un programme de société et que ceux qui perdent acceptent la victoire des vainqueurs. Bien évidemment, il est souhaitable que les institutions chargées de promouvoir les résultats prennent leur temps pour vérifier et pour ne prononcer que les résultats qui correspondent aux résultats issus des urnes. La démocratie semble aujourd’hui parfois menacée par l’incohérence, le manque d’indépendance de neutralité par ceux qui sont placés à la tête des Institutions chargées de conduire le processus électoral.
Nous avons la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), la Cour Constitutionnelle ou la Cour Suprême qui sont les recours pour examiner les réclamations des candidats. Lorsque l’autonomie, l’indépendance, l’intégrité des hommes chargés de diriger ces Institutions ne sont pas garanties, et bien, il y a des risques que la vérité et le Droit ne triomphent pas. Cela peut conduire à des violences extrêmement graves.

Généralement vous qui prônez la démocratie en Afrique, vous êtes taxés d’être les candidats de l’Europe, de l’Occident. On parle même d’ingérence dans les affaires des pays africains.  En tant qu’homme politique qui pense beaucoup pour la démocratie en Afrique, que répondez-vous ?

Je pense que la démocratie est un besoin vital de nos peuples. Mais ; il faut que l’élite politique, intellectuelle s’assume en faisant en sorte que le suffrage du peuple soit respecté parce que partout, c’est généralement l’éthique du pays qui se dégrade. La démocratie semble parfois menacée par l’incohérence, le manque d’indépendance. Cette démocratie doit être marquée d’intégrité, de neutralité, d’une partialité irréprochable. Que les personnes choisies pour conduire le processus électoral, soient dignes de la confiance de ceux qui les ont choisies et qu’elles soient dignes de la confiance du peuple en disant les choses telles quelles sont. Et qu’on insiste sur la responsabilité, le devoir des candidats à accepter les résultats.
Les faiblesses de la démocratie ici, tiennent à la faiblesse des hommes au manque d’indépendance, d’impartialité et de neutralité des institutions, mais aussi leur mission parfois démesurée des candidats qui ne veulent pas reconnaître les résultats des urnes. Donc que tout le monde prenne conscience que les Africains ont besoin de démocratie.

Excellence, le Président Obama lors de sa visite au Ghana a parlé d’institutions au lieu des hommes forts. Que pensez-vous de cette affirmation ?

Oui, il ne peut avoir d’institutions fortes s’il n’y a pas d’hommes intègres compétents et déterminés à dire le Droit, la vérité. La force des institutions dépendent souvent de la qualité des textes qui régissent leur fonctionnement que la qualité des hommes chargés de diriger ces institutions. Il est important de faire beaucoup attention dans le choix des hommes et de les sensibiliser afin qu’ils soient dignes de confiance.

Vous avez été invité par le Président de la République à son investiture. Est-ce que parce qu’il y a une grande similitude entre l’Etat Guinéen et celui de la Côte d’Ivoire, ou est-ce que cela est dû a vos rapports personnels ?

Nous avons des valeurs partagées. Le Président Ouattara et moi, nous sommes tous de sensibilités différentes, nous avons eu à travailler ensemble. Nous nous estimons. Ce que je sais du Président Alassane Ouattara, qu’il n’est pas un démagogue. Ce qu’il dit, il le fait. Je pense que c’est en raison de tout ça qu’il m’a invité personnellement à cette cérémonie. Je voudrais saisir cette occasion pour le remercier très sincèrement et lui souhaiter bonne chance dans la conduite de la Côte d’Ivoire.

Le Président ADO a, dans son discours, parlé de réconciliation, de pardon. Il y a eu aussi de fractures en Guinée à la suite des élections. Aujourd’hui, auriez- vous le même discours ou auriez-vous quelques reproches à faire au Président actuel ?

Son discours était responsable. Il ne manquera de mettre en œuvre des politiques qui confirment les engagements qu’il a pris devant le peuple ivoirien et face à la communauté internationale. En Guinée, nous déplorons l’absence d’un tel discours et l’absence d’actes qui vont dans la même direction. En ce qui nous concerne, nous avons marqué notre attachement à la paix, à l’unité de notre pays en renonçant de contester les résultats proclamés par la cour suprême. Malgré la solidité des dossiers que nous avons présenté, nous avons fait un choix difficile. Celui de nous conformer aux décisions de la cour suprême pour sauvegarder la paix et nos vies.

Excellence, pensez-vous qu’après 50 ans d’indépendance, l’Afrique a besoin qu’on lui dicte encore les leçons de démocratie comme c’est le cas aujourd’hui où l’Occident s’ingère dans les affaires de démocratie en Afrique?

Vous savez qu’il y a un minimum de règles quasi universelles de la démocratie. Je pense que, que ce soit en Afrique, en Europe, en Asie, en Amérique ou en Océanie, il ya un certain nombre de règles qui sont acceptées par tous ceux qui se réclament de la démocratie. Parmi ces règles, il y a les élections symbole du gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Il faut que le peuple choisisse librement ses dirigeants. Ça c’est un principe qui existe partout dans le monde entier. Faire en sorte que le peuple participe aux décisions qui vont être prises et qui vont concerner son sort, sa vie, ses libertés. Maintenant, est-ce qu’il faut respecter les règles de la démocratie ? Vous savez, l’Europe a contractualisé le respect d’un certain nombre de valeur comme la démocratie, l’Etat de Droit, la bonne gouvernance.
Et dans le cadre de l’accord de Cotonou, c’est à l’Union Européenne d’interpeller les gouvernements africains lorsqu’elle considère que ces valeurs sont violées au niveau des Etats bénéficiaire de l’aide européenne. Pour que les pays ACP acceptent de signer l’accord de Cotonou, il fallu qu’ils soient d’accord avec ces règles qui sont, des élections libres transparentes. Un gouvernement qui rend compte de sa gestion et un certain nombre de règles de bonne gestion. Il y a un certain nombre de choses sur lesquelles, les démocrates sont d’accord. Maintenant, il y a les réalités africaines. On essaie de faire un mélange de règles quasi universelles et contraintes locales. Mais, il ne faut pas utiliser les spécificités de nos coutumes et nos traditions pour rejeter le principe de faire élire les dirigeants par les populations.

Président, vous avez participé aux élections présidentielles dans votre pays, aujourd’hui en Guinée on attend les élections législatives. Quelles sont les leçons que vous tirez de la présidentielle pour éviter les remous post-électoraux que nous avons connus ?

Je pense qu’il y a certain nombre de choses à faire. Le système peut être amélioré. Il faut que les partis aient le droit d’être présents dans les bureaux de vote et participer au dépouillement. Il faut obtenir l’impartialité et la neutralité de la commission. Nous sommes en Afrique, les préfets et les sous-préfets peuvent influencer. Que ce soient les juridictions aux premières instances qui soient sollicitées, dans certains pays c’est la Cour Constitutionnelle. Il faut que les cadres qui travaillent dans ces institutions soient neutres et impartiaux. Qu’ils maîtrisent leur matière et qu’ils jouent efficacement leur rôle. La structure étatique doit être neutre dans la gestion du processus électoral. Les structures de l’Etat ne doivent pas défendre un candidat.
Si l’on a institué la limitation de mandats à cinq ans, parce que, beaucoup de gens pensent que s’il n’y a pas de limitation de mandats par la voix légale et il n’y aurait pas d’alternance politique pacifique. Parce que, le gouvernement place, le Président sortant qui dispose de l’appareil d’Etat, qui nomme les juges, les préfets, les sous-préfets, le Président de la Cour Constitutionnelle.
Lorsqu’il est candidat, il sera très difficile de faire les élections, parce qu’il n’est pas facile de s’assurer dans ce cas, de la neutralité et l’impartialité de l’Etat. C’est propre à la Guinée et autres pays africains. Mais de plus en plus, le système s’améliore avec la CENI. Mais la CENI peut trouver des cadres pour s’affranchir de la tentation d’être au service d’un des candidats. Il faut que ce soient des personnes honnêtes qui disent qu’en servant mon pays, je dois observer la neutralité absolue entre les candidats.