La prestation de serment du président Museveni jeudi 12 mai 2011 n’a pas mis fin à la lutte meurtrière qu’il mène contre l’opposition depuis son élection triomphale en février dernier avec 68% des suffrages. Elle s’est, au contraire, accompagnée de nouvelles violences. Depuis lundi, le chef de l’opposition, Kizza Besigye, n’ose plus sortir de chez lui, par crainte d’être arrêté…
Cette cérémonie devait être un jour de célébrations, le couronnement de 25 ans de pouvoir quasi absolu à la tête de l’Ouganda. Mais la prestation de serment du président Museveni, jeudi dernier à Kampala, a failli tourner en catastrophe quand le chef de l’opposition est rentré le même jour au pays depuis le Kenya voisin.
Le colonel Besigye y était allé pour se faire soigner de multiples blessures qui lui ont été infligées ses dernières semaines par les forces de l’ordre ougandaises lors des manifestations de l’opposition.
Alors que les chefs d’Etats rassemblés à la cérémonie sur la piste d’atterrissage de Kololo, parmi lesquels le président congolais, Joseph Kabila, apportaient leur soutien à celui que certains qualifient de « Bismarck africain », le colonel Besigye, bras gauche en bandoulière et le visage plus émacié que jamais, faisait un trajet triomphal sur 45 kilomètres, depuis l’aéroport international d’Entebbe jusqu’à Kampala. Dépassée, la police a dû céder la place à la garde présidentielle et à la police militaire qui a tenté de disperser la foule sans ménagement.
Les troubles se sont poursuivis jusqu’à à la fin de la cérémonie d’investiture. Le convoi présidentiel du président du Nigeria fraîchement réélu, Goodluck Jonathan, a été bombardé de pierres alors qu’il retournait à l’aéroport. Les véhicules de certains ambassadeurs qui l’accompagnaient n’ont pas été épargnés.
« Faire appel au tribunal du peuple »
Ce conflit sanglant et parfois meurtrier entre les forces de l’ordre et les partisans de l’opposition se poursuit depuis que plusieurs partis, défaits lors des dernières élections générales, ont décidé de ne pas reconnaître les résultats des scrutins de février dernier, qu’ils considèrent entachés de fraudes.« Nous pouvons prouver qu’ils ont volé ces élections. Nous ne sommes pas allés devant les tribunaux, car ils sont contrôlés par le gouvernement. Nous faisons donc appel au tribunal du peuple », souligne Wafula Oguttu le porte-parole du Forum pour le changement démocratique, le parti de Besigye.
Face à l’interdiction qu’il leur a été faire de manifester, les principaux partis de l’opposition ont décidé d’organiser, depuis le 11 avril dernier, un mouvement nommé « marcher jusqu’à son travail », au prétexte de dénoncer les nouvelles augmentations des carburants.
« Ces marches ont pour objectif de montrer notre solidarité avec tous ceux qui souffrent à cause de la mauvaise gestion des affaires publiques par le gouvernement NRM (Mouvement de Résistance Nationale), tous ceux qui ne peuvent même plus emprunter un transport public », explique le colonel Besigye. « Nous avons montré notre solidarité en marchant depuis notre domicile jusqu’à notre bureau deux fois par semaine ».
Des tirs à balles réelles
Comme Besigye, les chefs des principaux partis politiques du pays ont ainsi décidé de ne plus utiliser leurs somptueux 4×4 pour se rendre à leur bureau, mais leurs jambes. A chaque fois, ils ont été rejoints en chemin, dans plusieurs villes du pays, par une foule de sympathisants hurlant des slogans hostiles au pouvoir. La police, soutenue par l’armée, est intervenue brutalement.
L’organisation des droits de l’homme américaine Human Rights Watch a appelé le gouvernement à ouvrir une enquête sur les circonstances qui ont conduit à la mort d’au moins neuf personnes au cours des seules manifestations d’avril dernier pendant lesquelles les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles.
Un doigt cassé par l’impact d’une balle en caoutchouc, les yeux abimés par des tirs à bout portant de gaz lacrymogène et de bombe au poivre, le colonel Besigye ne se décourage pas. « Les protestations, quelle qu’en soit la forme, vont se poursuivre, jusqu’à ce que le changement que nous désirons ait lieu », souligne-t-il.
Depuis lundi 16 mai, les forces de l’ordre sont très présentes autour de son domicile. Elles ont brièvement arrêté sa femme, Winnie Byanyima, qui venait de sortir de chez elle. Le chef de l’opposition n’ose d’ailleurs plus sortir de son domicile par crainte d’être arrêté à son tour.
Un bilan politique pourtant non négligeable
Lors d’une conférence de presse, le général Kayihura, qui dirige désormais la police après avoir commandé l’armée ougandaise lorsqu’elle occupait le nord-est de la République démocratique du Congo, s’est déclaré dépassé par les exigences de l’opposition. « Veulent-ils rendre ce pays ingouvernable ! », s’est-il exclamé lors d’une conférence de presse, après avoir rappelé que toute manifestation était interdite.
Comme l’a rappelé le président Museveni au cours de sa cérémonie d’investiture, le bilan de ses 25 ans de pouvoir est loin d’être négligeable, notamment en termes d’accès à l’éducation et d’émancipation économique. L’Ouganda est enfin débarrassé de ses nombreux mouvements de rébellion armés.
Mais l’opposition s’appuie sans état d’âme sur le désespoir de la jeunesse. En l’absence de toute politique familiale, les moins de 25 ans sont devenus majoritaires en Ouganda. Ces vingt dernières années, la population ougandaise est passée de 18 millions à 35 millions. Chaque Ougandaise a mis au monde plus de sept enfants en moyenne. Mais il n’y pas de travail. L’environnement est détruit. Une situation que ni l’opposition, ni le pouvoir, n’a prise jusqu’à présent au sérieux.
Source : RFI