Il y a un principe qui dit que : « la fraude fait exception à toutes les règles ».
Depuis le déclenchement du débat autour d’un éventuel troisième mandant du président Alpha Condé pourtant interdit par la constitution en ses articles 27 et 154, des analyses diverses et variées continuent dans le milieu des observateurs de la vie politique guinéenne. Selon certains observateurs, y compris certains juristes, une solution légale s’offrirait au président Alpha Condé lui permettant de contourner la limitation du nombre de mandat présidentiel. Pour ces personnes, faute de pouvoir réviser l’article 27 de la constitution verrouillé par l’article 154, la solution passerait par la proposition d’une nouvelle constitution qui ne prévoit pas la limitation du nombre de mandat présidentiel comme cela a été le cas au Congo Brazzaville par les manœuvres peu glorieuses du dictateur Denis Sassous N’guesso.
De ce qui précède, il est légitime de poser la question de la légalité des manœuvres ostentatoires de contournement de la limitation du nombre de mandat présidentiel par l’adoption d’une nouvelle constitution ?
Il ne me semble pas excessif de soutenir que, ceux qui pensent trouver la solution du troisième mandant pour le président Alpha Condé dans le remplacement de la constitution actuelle par une autre, n’ont pas suffisamment exploré ou analysé la législation guinéenne, voir les normes internationales sous leurs angles du respect de la loi et les sanctions attachées aux manœuvres sournoises consistant à utiliser la loi pour violer la loi.
Une analyse rigoureuse des normes guinéennes démontrera que le contournement de la limitation du nombre de mandat présidentiel par l’adoption d’une nouvelle constitution est une violation flagrante de la constitution avec circonstance aggravante car, ne pouvant émaner que de deux institutions constitutionnelles à savoir, le président de la République et les députés, seuls compétents en la matière sur le fondement de l’article 152 alinéa 1er de la constitution qui dispose que : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés ».
La prohibition d’un troisième mandat est consacrée par l’article 27 de la constitution en ces termes : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct.
La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ».
L’article 27 ne fait aucune exception et ne laisse aucune possibilité de troisième mandat, même celle qui passerait par le remplacement de la constitution actuelle par un autre car, la constitution dit qu’en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats, elle n’a pas dit sauf changement de constitution. Toute manœuvre avouée ou inavouée ayant pour but de contourner la limitation du nombre de mandat présidentiel, qu’elle passe par l’initiative de révision constitutionnelle de l’article 27, ou par l’initiative d’adoption d’une nouvelle constitution est constitutive de fraude à la loi, de détournement de pouvoir et d’abus de pouvoir entre autres.
Pour éviter d’être trop long, je me limite à la notion de fraude à la loi et aux conséquences qui lui sont attachées.
Fraude à la loi
La notion de « fraude à la loi » désigne la manipulation d’une situation juridique dans le but de transgresser une loi dans son esprit ou dans sa lettre pour éviter certains de ses effets. Utiliser la constitution (Article 152) pour transgresser l’article 27 en remplaçant l’actuelle constitution par une autre qui ne limite pas le nombre de mandat présidentiel afin de permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat est un exemple parfait de fraude à la loi.
Les trois éléments qui caractérisent la fraude à la loi sont les suivants :
Élément subjectif : Il faut démonter l’intention frauduleuse de la personne mise en cause ;
(L’intention frauduleuse sera prouvée par la volonté de candidature du président Alpha Condé et la proposition d’une nouvelle constitution lui reconnaissant ce droit à la place de celle qui le lui refuse.)
Élément objectif ou fait matériel : Il faut démontrer la manipulation des éléments de faits ;
(Dès qu’une nouvelle constitution ne comportant pas de limitation du nombre de mandat présidentiel sera rédigée pour motif d’être proposée à l’approbation populaire par référendum ou par voie parlementaire, les conditions de l’élément objectif et matériel constitutif de fraude à la loi seront réunies.
Élément légal : Il faut démontrer la loi qui fait l’objet de fraude.
(Ici, il est question de montrer la loi qui est fraudée ou qui fait l’objet de tentative de fraude par les manœuvres inavouées. Cette loi est tout simplement celle qui limite le nombre de mandat présidentiel à deux à savoir, l’article 27 de la Constitution.)
Il est aisé de comprendre que les trois éléments constitutifs de l’incrimination de fraude à la loi mentionnés ci-dessus seront automatiquement réunis dès que le président Alpha Condé ou les députés qui lui sont favorables prendront l’initiative de proposer une nouvelle constitution qui ne comportera pas la limitation du nombre de mandat présidentiel à deux mandats.
Le fait par un président de la République de Guinée, d’utiliser l’article 152 de la constitution qui lui donne le pouvoir de proposer la révision constitutionnelle, pour motif de contourner ou de faire échec à l’article 27 de la constitution qui limite le nombre de son mandat à deux, est constitutif de fraude à la loi.
Venant d’un président de la République, ce fait sera constitutif de haute trahison pour entre autres, violation du serment présidentiel consacré par l’article 35 de la constitution à savoir, son obligation de : « respecter et de faire respecter scrupuleusement la loi… ».
La fraude à la loi telle que celle qui se dessine en Guinée est une pratique très ancienne face à laquelle les juges ne sont pas restés indifférents. Un des célèbres exemples est celui d’une princesse française (la princesse de Bauffremont) dont l’affaire a été jugée par la chambre civile de la Cour de cassation française le 18 mars 1878. Dans cette affaire, la princesse de Bauffremont voulait divorcer alors que le divorce était interdit par la loi française. Cependant, les juges français reconnaissaient les divorces des pays dont les lois l’autorisaient. Pour frauder la loi française, la princesse de Bauffremont avait légalement cherché et obtenu la nationalité du duché de Saxe – Altenbourg (Territoire allemand), elle a demandé et obtenu le divorce, puis, elle a tenté de faire reconnaitre son état de divorcé en France du fait que les juges français reconnaissaient les divorces prononcés à l’étranger. C’est à cette occasion que la Cour de cassation française a posé la première pierre de sa doctrine de fraude à la loi. Pour la Cour de cassation, « la princesse de Bauffremont avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle, non pas pour exercer les droits et accomplir les devoirs qui en découlent …, mais dans le seul but d’échapper aux prohibitions du divorce par la loi française… ». De ce fait, la Cour de cassation avait confirmé l’arrêt de la Cour d’appel qui avait refusé de reconnaitre les effets du divorce de la princesse de Bauffremont en considérant entre autres que, la nationalité étrangère qui avait permis à la princesse de divorcer, n’avait été sollicitée que pour contourner et frauder la loi française qui interdisait le divorce.
Dans le cas de la Guinée, il ne fait aucun doute que l’adoption d’une nouvelle constitution ne comportant pas de limitation de mandat présidentiel, ne sera motivée que par la volonté de frauder l’article 27 de la constitution qui limite le nombre de mandat présidentiel. De ce fait, le pouvoir du président Alpha Condé de prendre l’initiative de la révision constitutionnelle sur le fondement de l’article 152 de la constitution sera légalement paralysé.
Il est important d’attirer l’attention des partisans de l’adoption d’une nouvelle constitution que le système juridique prévoit des mécanismes correcteurs des règles de droit ayant pour fonction de corriger ses excès et ses insuffisances susceptibles de profiter aux personnes de mauvaise foi. Il en est ainsi entre autres, du principe selon lequel « la fraude fait exception à toutes les règles ». Pour illustrer ce principe, je me réfère à la règle constitutionnelle guinéenne qui permet au président de la République de prendre l’initiative de révision constitutionnelle. S’il s’avère que l’initiative est motivée par la fraude, l’exception sera faite à la règle dont l’application permet au président de la République de prendre l’initiative de révision constitutionnelle, et son initiative sera déclarée frauduleuse et rejetée, sans faire abstraction à d’autres infractions que cela peut engendrer.
Il faut dire aux partisans du troisième mandat qu’il n’existe aucune voie légale permettant un éventuel troisième mandat pour le président Alpha Condé. La seule possibilité qui leur reste, est de dire haut et fort au peuple de Guinée qu’ils ont décidé de violer la constitution (notre contrat social), de ce fait, ils seront tenus pour responsables de tout ce qui en découlera comme tragédie humaine qui est inhérente à de tels comportements.
NB : C’est de cette façon que nous mettions en garde le capitaine Dadis Camara qui, malheureusement ne nous a pas pris en considération. Dites au président Alpha Condé, qu’on n’est jamais aussi fragile qu’au moment où on croit être le plus fort car, on ne se méfie de rien. Ce qui est possible au Congo Brazzaville n’est pas forcément possible en Guinée. L’avenir proche voire très proche ne manquera pas de nous édifier sur cette question.
Makanera Ibrahima Sory (Juriste)
Fondateur du site « leguepard.net »