Les forces du président ivoirien Alassane Ouattara ont tué mercredi soir l’ex-putschiste Ibrahim Coulibaly, dit le général «IB», chef du «commando invisible» dans le nord d’Abidjan, qui était perçu comme une menace par le pouvoir même s’il avait contribué à la chute de Laurent Gbagbo… Plusieurs centaines de membres des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), équipés de pick-up surmontés de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes, ont lancé mercredi matin une attaque d’envergure contre le fief d’«IB» dans le quartier populaire d’Abobo (nord), a constaté l’AFP.
Après cette «opération de sécurisation et de pacification», ««IB» est allé se réfugier dans une cour (d’habitations) non loin d’une usine à PK-18 (secteur nord d’Abobo)», a déclaré à l’AFP le capitaine Léon Kouakou Alla, porte-parole du ministère de la Défense.
Dans cette cour, Ibrahim Coulibaly «a pris en otage toute une famille. Les FRCI ont effectué des tirs de sommation à deux reprises et il a réagi avec des tirs nourris. Les FRCI n’ont eu d’autre choix que de riposter, et la riposte lui a été fatale», a ajouté le porte-parole.
L’affrontement qui a eu lieu vers 20h heure locale (16h, à Montréal) a fait «deux soldats tués et plusieurs blessés» côté FRCI, et «sept morts» dans le camp adverse, dont «IB» lui-même, a-t-il précisé.
Les FRCI avaient durant la journée progressé dans son fief sans rencontrer de réelle résistance.
Le «commando invisible» avait contribué à la chute de l’ex-président Laurent Gbagbo le 11 avril dernier, en déstabilisant son régime par la prise de contrôle progressive du nord d’Abidjan au début de l’année.
Le président Ouattara avait appelé vendredi l’ex-putschiste de 1999 et 2002 à désarmer ses hommes, sous peine d’y être contraint par la force.
«On demandait une semaine, dix jours, le temps de bien expliquer aux combattants qu’ils doivent désarmer sans conditions. Il faut les convaincre qu’ils peuvent déposer les armes sans craindre pour leur vie», avait déclaré à l’AFP au début de l’offensive Félix Anoblé, numéro deux du «commando invisible».
«IB» avait demandé à être reçu par le chef de l’État pour se mettre à sa disposition. Son entourage avait accusé le premier ministre Guillaume Soro de faire obstacle à cette demande.
M. Soro a été l’adversaire historique d’Ibrahim Coulibaly au sein de la rébellion responsable du putsch raté de 2002 contre M. Gbagbo, force dont il prit finalement la tête et qui forme désormais le gros des FRCI.
Ibrahim Coulibaly, l’un des personnages les plus mystérieux de la scène ivoirienne depuis une décennie, avait revendiqué ces derniers jours sa part dans la chute de M. Gbagbo, tout en assurant se placer sous l’autorité d’Alassane Ouattara, dont il avait été le garde du corps.
Dans un entretien au quotidien français La Croix à paraître jeudi, M. Ouattara a évalué à près de 3000 morts le bilan des violences postélectorales en Côte d’Ivoire, tandis que l’ONU fait état de près de 1000 morts.
L’éternel putchiste
Ibrahim Coulibaly aura été la bête noire de tous les régimes en place en Côte d’Ivoire durant une décennie de troubles, avant de périr mercredi sous le feu des forces du président Alassane Ouattara et de Guillaume Soro, son éternel rival de la rébellion de 2002.
Sergent-chef qui se rêvait président, le «général IB» a été derrière les soubresauts majeurs qu’a connus le pays depuis 1999, mais sans jamais jouer longtemps les premiers rôles. Né le 24 février 1964 à Bouaké (centre), deuxième ville de Côte d’Ivoire, Ibrahim Coulibaly entre dans l’armée en 1985.
Avec sa carrure de basketteur américain, il découvre le monde politique en devenant garde du corps de plusieurs personnalités, dont l’ancien premier ministre Alassane Ouattara.
Sa carrière de putschiste démarre le 24 décembre 1999, avec le renversement du président Henri Konan Bédié. Il fait partie des meneurs du premier coup d’État de l’histoire du pays.
Mais le général Robert Guéi lui-même, chef de la junte, se méfie de lui et le nomme attaché militaire auprès de l’ambassade de Côte d’Ivoire au Canada.
Son exil commence après la tentative d’assassinat, en septembre 2000, du général Guéi qui perd le mois suivant la présidentielle face à Laurent Gbagbo. «IB» reconnaît avoir également participé, en janvier 2001, à une tentative de coup d’État contre le président Gbagbo.
Après cet échec, l’ex-putschiste et ses compagnons prennent le chemin du Burkina Faso, où ils créent ce qui deviendra la rébellion des Forces nouvelles (FN).
Depuis Ouagadougou, la capitale burkinabé, il est de ceux qui planifient et dirigent la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002: si la rébellion ne parvient pas à ses fins, elle prend le contrôle du nord de la Côte d’Ivoire.
En 2003 éclate une guerre de leadership avec Guillaume Soro, porte-parole des FN à qui il avait laissé le devant de la scène. Les combats meurtriers l’année suivante tournent à l’avantage du clan Soro, qui deviendra premier ministre en 2007 à la faveur d’un accord de paix.
«IB» fuit en France où il est arrêté en septembre 2003 à Paris, accusé de fomenter un nouveau coup de force contre Laurent Gbagbo. Mais il recouvre la liberté après 21 jours de détention et disparaît. Son exil le mène cette fois au Bénin.
Même installé là-bas, il est vu derrière l’attentat visant M. Soro en juin 2007. Il est aussi impliqué dans une mystérieuse tentative de coup d’État fin décembre. Un piteux «Noël à Abidjan» qui se solde par l’arrestation de plusieurs personnes.
Pourtant, l’ex-militaire affirme en avoir fini avec les putschs et vouloir entrer en politique, envisageant même de participer à la présidentielle alors prévue en 2008.
Mais cette nouvelle carrière semble brisée par le mandat d’arrêt international délivré en janvier 2008 dans son pays. Déclaré persona non grata au Bénin, il rejoint, selon ses dires, le Ghana.
Il aura fallu la crise née de l’élection de novembre 2010 pour qu’il réapparaisse. Début 2011, il revendique la paternité du «commando invisible» d’Abobo, qui dans ce quartier nord d’Abidjan met en déroute les forces pro-Gbagbo, infligeant le premier coup sévère au régime.
Après l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril, il ne tarde pas à réclamer son dû: «donne à César ce qui est à César», disait-il le 19 avril à l’adresse des nouvelles autorités, lors d’un entretien à l’AFP.
Sommé de désarmer son commando par le président Alassane Ouattara qu’il tenait pourtant pour un «père», il a cessé mercredi soir, dans la cour d’habitations où ses anciens compagnons l’ont encerclé puis tué, d’être l’éternel croquemitaine de la politique ivoirienne.
AFP