60 ans de colonisation-60 ans d’indépendance : comment la Guinée a raté la révolution industrielle

[Ce texte s’adresse principalement à la jeunesse guinéenne qui s’interroge sur les raisons du non-développement de la Guinée après cent vingt années d’existence : soixante années de régime de dépendance (coloniale) et soixante années de régime d’indépendance. Le motif qui a poussé l’auteur à le rédiger réside dans l’affirmation du grand écrivain italien, Primo Lévi, selon laquelle « celui qui ignore son passé est condamné à le revivre »].

                  Sommaire

I. L’Eurafrique et la Révolution industrielle du Territoire de Guinée………………………………………………………………………………    2

 1. L’idée de l’Eurafrique………………………………………………………….      5

 2. La « théorie » de l’Eurafrique…………………………………………………….   7

 3. La « pratique » de l’Eurafrique………………………………………………….   10

 4. L’échec de l’Eurafrique………………………………………………………..   11

II. Les Accords Joxe-Saïfoulaye………………………………………… ……. 16

III. Un « plan Marshall » pour la Guinée : le Programme Intérimaire de Redressement National (PIRN) et le programme-Infrastructure……………………………………………………………………..   17

 1. Le PIRN…………………………………………………………………………  18                     

  A. L’origine du PIRN………………………………………………………… ….. 18

  B. Contenu et exécution du PIRN………………………………………………. 20

 2. Volet « Infrastructure » du « Plan Marshall »-Guinée………………………….23

IV. Faillite du » Plan Marshall »-Guinée………………………………………….26

  A. Echec du PIRN………………………………………………………………… 26

  B. Echec du programme-Infrastructure………………………………………….30

V. Les élites guinéennes en question…………………………………………..34  

Au point de départ, il y a la société agraire, société fondée sur l’agriculture et l’artisanat. Sa forme primitive existe toujours et se trouve, par exemple, en Afrique subsaharienne (où la majorité des paysans utilisent la houe, le coupe-coupe, la faucille, etc.). L’évolution de la forme agraire atteint, au XVIIè siècle, son point culminant en Europe occidentale « grâce à un bond en avant de la productivité des cultures, qui a permis au paysan anglais, imité bientôt par ses homologues du continent européen, de s’enrichir et d’accroitre sa consommation personnelle et surtout professionnelle de produits non alimentaires » (JA, n1782 du 2 au 3 mars1975).

            C’est dans le contexte de cette mutation de l’agriculture que, pour la première fois de l’histoire, débute la révolution industrielle en Europe occidentale vers le milieu du XVIIIè siècle. Elle atteint sa vitesse de croisière au XIXè siècle et sa pleine maturité au XXè siècle. La force créatrice de cette révolution est la résultante de trois composantes :

1— le Capital : des sommes d’argent considérables, accumulées au fil du temps par son détenteur

2— la technologie : elle est fondée sur la science moderne et les inventions liées à cette science. Elle se présente aujourd’hui sous la forme de la machine-outil, c’est-à-dire une machine qui remplace la main de l’homme dans le processus de transformation de la matière première en un produit destiné à satisfaire le besoin qui se trouve à l’origine du processus de production. La machine-outil constitue, à l’intérieur de l’usine, le maillon de la chaîne technologique de production

3— le marché : c’est l’espace où le produit devient marchandise, c’est-à-dire objet qui s’échange avec un autre objet à travers la monnaie. (Ici, il s’agit de marché à monnaie convertible ou qui s’appuie sur une monnaie convertible).

            L’économie édifiée à partir, d’une part, de ces trois forces composantes et, d’autre part, des principes juridiques de la propriété privée et de la libre entreprise est dite capitaliste. Dans le système de l’économie capitaliste, le but de l’entreprise est le profit, et l’ambiance dans laquelle elle baigne est celle d’une concurrence effrénée qui oblige à la qualité et au bas coût du produit. Le marché capitaliste est, en outre, régi par la loi de l’offre et de la demande.  

Les personnes recrutées, d’une part, pour faire fonctionner les machines-outils (isolées ou constitutives d’une chaîne technologique de fabrication) et, d’autre part, pour la gestion de l’ensemble du processus de production, reçoivent, en échange de leur travail, un salaire.

            La production fondée sur la chaîne technologique de production est une production en série et, conséquemment, une production à grande échelle, c’est-à-dire une production de masse (contrairement à la production des ateliers). A la production de masse répond la consommation de masse.

De ce qui précède, le développement économique, perçu du point de vue de l’Histoire, doit être défini comme processus historique de conversion de la forme agraire de l’économie en la forme industrielle.

Dans le monde non européen, c’est un pays asiatique — le Japon — qui est le premier à avoir accompli la révolution industrielle, à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle. Au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, quatre autres pays asiatiques — baptisés du nom de « Nouveaux Pays Industriels (NPI) » ou « Dragons » — suivent le Japon : Taïwan, Hongkong, Singapour et Corée du Sud

A côté des Dragons, on observe, en Asie et en Amérique latine, un certain nombre de pays ayant parcouru une longue distance sur la voie qui mène de la forme agraire à la forme industrielle et dénommés « Pays émergents » : pays de l’ASEAN, Inde, Chili, Brésil, Mexique, Turquie, etc.

En Afrique, dans sa partie maghrébine, il convient de mentionner la Tunisie et le Maroc comme pays suffisamment avancés sur le chemin de l’émergence. Dans la partie subsaharienne de ce continent, l’Afrique du Sud doit être citée comme pays émergent. Deux autres pays — le Kenya (sous Jomo Kenyatta) et la Côte d’Ivoire (sous Félix Houphouët- Boigny) — étaient bien engagés sur la voie de l’émergence. Dans ce dernier pays, cette émergence a été bloquée par les successeurs de Houphouët pour être sortis de la ligne de politique extérieure que ce dernier avait tracée dès le début de l’indépendance.  

Qu’en est-il de la « Terre Africaine de Guinée » qui fête ses soixante ans d’indépendance bien sonnés en cette année 2018 ? On peut, à son endroit, transposer la question que l’analyste camerounaise, Axel Kabou, posait au sujet de l’Afrique : « Et si la Guinée refusait le développement ?« 

Cette question mérite d’être posée lorsqu’on examine l’histoire de cet ancien territoire colonial français, peuplé d’environ trois millions d’habitants en 1958. Voyons voir !

I.  L’Eurafrique et la Révolution industrielle du Territoire de Guinée

                               1. L’idée de l’Eurafrique

Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne d’Hitler qui vient d’attaquer leur alliée : la Pologne.

Le 18 juin1940, le maréchal Pétain, héros de la Première Guerre mondiale, président du Conseil depuis la veille, lance aux Français, à partir de Bordeaux, un appel à cesser les combats. Ce même 18 juin 1940, le général de Gaulle lance, à Londres, à la BBC, un appel à la résistance. A la suite de quoi il est condamné à mort par le gouvernement du maréchal et ses biens confisqués.

Le 8 mai 1945, la France fait partie des quatre grandes puissances qui reçoivent la capitulation de l’Allemagne (les trois autres étant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS).

Quelques mois auparavant — plus précisément, du 30 janvier 1944 au 8 février 1945 — le général de Gaulle organise à Brazzaville (capitale de l’Afrique Equatoriale Française) une Conférence qu’il préside et où sont conviés de hauts fonctionnaires français. Pour prendre en compte la contribution des Africains à la libération de la France, la décision est prise de « faire participer les Africains à la gestion de leurs propres affaires ». L’application de cette décision, à travers des lois, décrets et arrêtés donne naissance, dans les Territoires africains de la France d’Outre-Mer, à une série d’innovations : élection de représentants africains (députés) à l’Assemblée nationale française, partis politiques, syndicats, un organe législatif (dénommé d’abord Conseil général puis Assemblée territoriale), et un organe exécutif : le Conseil de gouvernement. En application de la Loi-cadre Gaston Defferre du 13 mars 1956 (nom du ministre de la France d’Outre-Mer), ce Conseil est institué par le décret du 4 avril 1957. Il est présidé par le gouverneur du Territoire (en l’occurrence par Jean Ramadier) et vice présidé par le chef du parti majoritaire à l’Assemblée territoriale (en l’occurrence par Sékou Touré dont le parti, le PDG-RDA, avait remporté 54 sièges sur 60 aux élections territoriales du 31 mars 1957).

Le 9 mai 1957, Sékou est investi é son poste de vice-président par l’Assemblée territoriale. Le 14 mai, il est officiellement installé à ce poste. (Avec l’accord du gouverneur [Jean Ramadier], il assumera en fait la présidence du Conseil de gouvernement », note un observateur (un « Auteur collectif » : Mémoire collective, 2018, cité par l’Observateur N°932). Ce transfert de pouvoir effectué en Guinée par Jean Ramadier, « une ordonnance du 28 juillet 1958 [l’institut] pour les autres Territoires » (id.) ». On est, à ce moment-là, sous la présidence du Conseil du général de Gaulle qui, à cette occasion, « indique clairement que la primauté appartient désormais aux représentants africains et non plus aux représentants de Paris ». (Id.)

L’observation de cette série d’institutions créées en conformité avec le principe de « la participation des Africains à la gestion de leurs propres affaires » montre une tendance : celle orientée de l’autonomie interne des Territoire vers « l’indépendance dans l’interdépendance » entre ex-Territoires et ex-Métropole. Suite à la critique portée par les députés sur le projet de Constitution gaullien, un amendement y est inscrit prévoyant le « droit à l’indépendance » en cas de nécessité. Ce droit est contenu dans l’amendement sous la forme de « l’indépendance à terme« . De ce point de vue, l’indépendance se présente dans le projet de Constitution comme une porte déjà ouverte !  

Du fait des deux évènements historiques que sont « l’Appel du 18 juin1940 » et la « Conférence de Brazzaville », le général est surnommé ’L’homme du 18 juin » et « L’homme de Brazzaville« .

Notons, au passage, quelques appréciations à l’endroit du général faites par des personnalités occidentales. Le sociologue Michel Crozier, qui a enseigné à la célèbre université américaine de Harvard,perçoit De Gaulle comme « un homme à la perspicacité à long terme » (M. Crozier : Le mal français). De fait, bien avant que la Seconde Guerre ne fasse de lui un personnage de la grande Histoire, le général — un militaire alors inconnu et spécialiste de l’histoire — a déjà lancé d’autres appels contenus dans ses ouvrages (comme par exemple « L’Armée de métier », 1934). Il y explique que la guerre moderne sera fondée sur la force mécanique : les blindés, les avions. A la suite de quoi il prône la création d’une armée de métier. Cette recommandation est mieux entendue en Allemagne qu’en France même. A propos de la force mécanique, le général dit dans son « Appel du 18 juin » : « Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. »  Voilà pour ce qui concerne la perspicacité du général.

François Mitterrand, président de la France (1981-1995), a été un opposant permanent à De Gaulle, depuis le retour de ce dernier, en juin 1958, au pouvoir (qu’il a déjà exercé de 1944 à 1946) jusqu’à son départ en 1969. Il l’a même mis en ballotage à l’élection présidentielle en 1965. A propos du général, François Mitterrand note : « C’est un personnage que la maîtrise de soi a conduit à la maîtrise de l’Histoire. (…) De Gaulle avait une étonnante sûreté de jugement et une autorité naturelle sans égale. Avec lui, on était dans l’Histoire, on la vivait. On la faisait. Cela, je le percevais et j’ai dit à quel point j’admirais que l’on pût gouverner ainsi. » (Le Nouvel Observateur N » 1593 ; Michèle Cotta : Le monde selon Mitterrand, 2015).

Cette admiration pour le général, un Américain l’éprouve également : Henry Kissinger, successivement professeur à Harvard, conseiller spécial du président pour les Affaires de Sécurité nationale et secrétaire d’Etat (le plus grand depuis la fondation des Etats-Unis, selon des analystes). Henry Kissinger note dans ses Mémoires qu’il admire deux hommes. Le général de Gaulle est l’un d’eux. Henry Kissinger admire notamment l’application que le général fait du principe de la raison d’Etat.

Tirant les leçons de la défaite de la France, il vient au général de Gaulle l’idée de créer, à partir de l’Union française, une nouvelle entité géopolitique, plus forte, réunissant l’Europe et l’Afrique, et dotée du même degré de puissance que les Etats-Unis et l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques). La construction d’une telle puissance doit être fondée sur l’extension de la dimension industrielle de l’Europe aux sociétés agraires africaines sous sa domination. L’idée du général est, après son départ, reprise et développée par d’autres personnalités sous le nom d’Eurafrique.

                            2.  La « théorie » de l’Eurafrique

En 1947, Roland Pré est nommé gouverneur du Territoire de Guinée. C’est un ingénieur des Ponts et Chaussées, diplômé de la célèbre Ecole Polytechnique de Paris (d’où sont sortis des célébrités internationales tels que Jacques Attali qui y deviendra professeur, puis conseiller spécial du président François Mitterrand ; Maurice Allais, prix Nobel d’économie). Roland Pré est un gaulliste de gauche. Il séjournera en Guinée jusqu’en 1951. En se fondant sur son expérience guinéenne, il rédige un ouvrage intitulé « L’Avenir de la Guinée française ». Ses analyses vont de l’industrie à l’habitat africain en passant par l’agriculture/élevage, l’urbanisme, la baisse du niveau des cours d’eau en saison sèche, etc.

Quelques exemples concrets pour donner une idée des sujets abordés par Roland Pré. A propos de l’enseignement de masse, il écrit : « L’enseignement de masse a pour but d’instruire et d’éduquer les adultes, hommes et femmes, afin de les préparer à participer effectivement à l’évolution économique, sociale et politique prévue par la Constitution. Cet enseignement sera donné par les enseignants, les membres des Amicales d’Anciens Elèves et un personnel spécialement recruté et formé à cet effet. Des Associations amicales d’anciens Elèves et Amis de l’Ecole ont été créés à Labé, Dinguiraye, Kouroussa, Kankan, Siguiri au cours de l’année 1948-1949 (…). Il est prévu une association auprès de chaque école : elles seront créées à partir de la rentrée prochaine et seront regroupées en Fédération. (…) Les Administrateurs commandants de cercles ont été priés d’apporter tout leur appui moral à ces associations et d’en expliquer les buts aux chefs et aux notables. » Roland Pré conclut ainsi sa vision de l’enseignement de masse : « Le directeur de l’école de Labé a été chargé d’une première application expérimentale de l’enseignement de la masse dans tous les villages du cercle. Il est assisté d’un excellent instituteur originaire de la région. (…) Les premiers résultats sont déjà très encourageants. (…) Nous sommes persuadés qu’il ne faut pas refaire l’indigène à notre image, mais de l’élever à partir de lui-même. L’enseignement de masse n’est pas une fin en soi. Son but essentiel est d’éduquer le cultivateur africain afin qu’i puisse participer à la mise en valeur du pays en utilisant un outillage mieux adapté lui permettant d’obtenir un meilleur revenu de son travail. Enfin que socialement, il soit apte à devenir un citoyen de l’Union française. Cette union ne sera qu’une vue de l’esprit tant que 95% de la population africaine répartie dans les villages n’aura pas reçu ce minimum d’instruction et d’éducation que nous avons l’ambition de lui apporter. »

 Comme on le voit, cet enseignement de masse est radicalement différent de l’enseignement de masse dans la Guinée indépendante, souveraine et « révolutionnaire ».

Deuxième exemple concret : celui de l’habitat africain. Roland Pré écrit : « Le problème de l’habitat africain ne peut plus être différé. L’incroyable spectacle que présente à Conakry les quartiers de Boulbinet et de Coronthie, les « bidons-villes »  que sont la plupart des quartiers indigènes de nos grands centres de l’intérieur suffisent à condamner définitivement l’état de chose que notre administration a laissé se créer parce qu’elle s’est laissée surprendre par le phénomène de la subite croissance de nos villes africaines et que nos textes règlementaires en la matière n’ont, jusqu’à maintenant, visé  qu’à organiser une occupation précaire du sol sans se préoccuper de créer un habitat indigène moderne et définitif. Pourtant, il est évident que de pareilles concentrations humaines ne sont viables que si ceux qui sont ainsi arrachés à la société coutumière du village trouvent à la ville un cadre de vie nouveau qui, par son hygiène et son confort, constitue un progrès vers la vie civilisée. » Face à ce problème de l’habitat africain, Roland Pré fait des propositions concrètes pour le résoudre aussi bien dans les villes que dans les campagnes.

Au-delà de ces changements à apporter à des secteurs particuliers de la vie du Territoire, Roland Pré définit une vision globale sur son destin et celui de l’Afrique. Cette vision est fondée sur des considérations à la fois externes et internes à l’Afrique et à la Guinée. Les considérations externes sont liées à l’affrontement Est-Ouest, c’est-à-dire, comme le note Roland Pré, « aux oppositions irréductibles aboutissant à la division du monde en deux blocs hostiles : spiritualisme contre matérialisme, sociétés libres contre régimes de contrainte, Occident contre Orient ». Ces oppositions rendent stratégiquement nécessaire la « transfusion des forces vives de l’Europe vers l’Afrique ». A la suite de cette transfusion, « le continent africain [deviendra¡ le bastion de la civilisation occidentale. [Ainsi], dans quelques années, il n’y aura plus qu’un seul bloc économique, militaire et politique : l’Eurafrique française dont les ressources seront comparables à celles de l’URSS et de l’USA ». 

Du point de vue des considérations internes, Roland Pré note que « l’Afrique est un continent massif avec d’immenses ressources à peine recensées. La technique moderne permet désormais de mettre en valeur ce continent resté fermé si longtemps. (…) Les facteurs qui interviennent pour la transformation de l’Afrique jouent de manière encore plus prépondérante pour [la] transformation [de la Guinée] : ses incroyables richesses naturelles lui permettent de mettre sur pied immédiatement ses exploitations minières et, ultérieurement, une grande industrie lourde , base de toute activité moderne ; ses immenses ressources agricoles et son climat lui permettent de faire vivre, à un haut standard de vie, les populations européennes et africaines qui animeront son industrie ; ses rizières, aménagées rationnellement, non seulement approvisionnerons largement les populations, mais pourront encore alimenter un important commerce d’exportation ; les plus brillantes perspectives sont ouvertes  à l’élevage par la création de pâturages stables et l’amélioration du cheptel. »

Comme on le voit, l’avenir du Territoire de Guinée, tel que perçu dans cet ouvrage, est un avenir prometteur pour ne pas dire radieux : une Guinée-pôle de développement de l’Union française, et donc de l’Eurafrique! Cependant, la réalisation de cette Eurafrique exige que soit remplies deux conditions, l’une, subjective et l’autre, objective :

  • Condition subjective : il faut, écrit le gouverneur Roland Pré « que la Guinée, comme l’Afrique française, soit certaine de jouir de confiance réciproque entre tous ceux qui sont appelés à participer à son développement. L’avenir qui s’offre est trop beau pour que l’on ne puisse pas espérer que tous se consacrent dans l’enthousiasme à cette œuvre ».
  • Condition objective : « Si aucun fait extérieur ne vient troubler l’évolution qui se dessine ainsi, prophétise Roland Pré, la Guinée peut être certaine que ses magnifiques perspectives deviendront, un jour prochain, une réalité tangible. »

                                          3.  La « pratique » de l’Eurafrique

            Le passage de la théorie à la pratique — en l’occurrence la réalisation du programme de révolution industrielle — exige la mise sur pied de projets concrets. De ce point de vue, la révolution industrielle sur le Territoire de Guinée se présente, dans sa première étape, sous la forme de trois grands projets :

            1— « Création d’une usine d’alumine à Fria, pour la transformation de la bauxite en alumine ;

            2— « Création par un autre groupe financier d’une seconde usine d’alumine près de Boké ;

            3— « Transformation de l’alumine en aluminium grâce à l’énergie fournie par un très grand barrage (3 milliards de Kwh annuels sur le Konkouré). » [Cahiers de l’Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer (ORSTOM), N°2]

La mise en œuvre de ces grands projets exige la mise en place d’un organisme chargé des problèmes de planification et de coordination : la Mission d’Aménagement Régional de Guinée (MARG).  En sa qualité de vice-président du Conseil de gouvernement, Sékou Touré est membre de la MARG, composée principalement d’experts.   

            Pour étudier les problèmes engendrés par le bouleversement complet de la vie économique dans les régions abritant ces grands projets, le Bureau de coordination de la MARG fait appel à des spécialistes de l’ORSTOM. Ce centre de recherche crée alors en Guinée une mission permanente appelée « Opération Konkouré-Boké » (OKB). Citons quelques-uns de ces problèmes :

  1. La construction du barrage de Souapiti sur le Konkouré, barrage noyant plus de 50.000 hectares et devant provoquer le déplacement puis le reclassement d’environ 15.000 personnes. On imagine de suite quels problèmes peut poser le reclassement d’une telle population perdant ses habitations et ses champs de culture et pour qui il faut trouver de nouvelles terres (…). La mise au point des plans de recasement, véritables projets de mise en valeur rationnelle, nécessite de longues études pédologiques, sociologiques et agronomiques qu’il faut finir avant la mise en eau du barrage, c’est-à-dire au maximum en quatre ans ;
  2. La nécessité urgente d’augmenter le niveau de vie des populations agricoles pour éviter le dépeuplement des campagnes au profit des zones industrielles, pour également permettre une reconversion éventuelle des ouvriers licenciés lors la cessation des travaux d’infrastructure ;
  3. Le ravitaillement des cités industrielles, villes champignons où le niveau de vie est relativement élevé et pour lesquelles il faut essayer de créer une ceinture d’agriculture intensive.

Notons enfin qu’en plus de ces grands projets, il est prévu d’installer à Conakry le siège de l’actuelle Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), étant donné le rôle que la Guinée est appelé à jouer en tant que pôle de développement.

Le passage de la théorie à la pratique, c’est-à-dire le lancement du programme de révolution industrielle, commence par le lancement en 1957 de la construction de l’usine d’alumine de Fria (la première en Afrique). Avec cette construction, la Guinée fait le premier grand pas pour passer d’une époque historique — l’époque agraire — à l’époque suivante — l’époque industrielle —, c’est-à-dire de l’époque médiévale voire tribale à l’époque — en cours — dite des Temps Modernes. La construction de l’édifice devant abriter la banque destinée à devenir la BCEAO est également lancée.  

Ainsi qu’on le voit, l’histoire du Territoire de Guinée semble se dérouler dans le bon sens. Cependant, la suite des évènements montre rapidement que Roland Pré n’avait pas tort d’énoncer les deux conditions — subjective et objective — indispensables à la réussite du programme d’industrialisation : la confiance réciproque et le fait extérieur perturbateur.

                              4. L’échec de l’Eurafrique

Un fait extérieur va bientôt se présenter et changer le cours des choses. C’est environ un an après l’amorce de la révolution industrielle, plus précisément en juin 1958, que le général de Gaulle revient au pouvoir. Il fait immédiatement rédiger un projet de Constitution, puis organise, au mois de septembre, un référendum pour son adoption ou son rejet. Toutes les composantes de l’Union française l’adoptent à l’exception de la Guinée. C’est un paradoxe au vu de la révolution industrielle qui est en train d’accomplir son premier pas avec la construction de l’usine de Fria. Du coup, le Territoire de Guinée se voit décerner un statut qui sera le sien jusqu’aujourd’hui : celui de « l’exception guinéenne« .

La métropole rompt avec le Territoire de Guinée. De fait, Le général a déjà averti que la France mettra fin à sa présence dans tout Territoire qui ne fera pas partie de la Communauté franco-africaine prévue par le projet de Constitution. La Guinée reçoit — il faut le noter— quatre avertissements supplémentaires [deux sont donnés par le général de Gaulle ; un, par Jean Mauberna, gouverneur du Territoire ; un, par Bernard Cornu-Gentille, ancien gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française (et « parrain » de Sékou Touré à cette époque, à présent ministre de la France d’Outre-Mer].     

La messe est donc dite : la révolution industrielle en Guinée, initiée par l’Occident via la France, n’aura pas lieu ! Les opérations en cours de réalisation sont stoppées : le siège de la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (à moitié construit), la plate-forme et les ouvrages d’art du chemin de fer lié à l’usine d’alumine de Boké. Le barrage sur le Konkouré, dont la construction doit commencer au mois de mars 1959 (soit six mois après le choix du « NON ») ne verra pas le jour. Seule « l’Opération Fria » est poursuivie parce que déjà fort avancée.

Que va, à présent, faire, pour son industrialisation, le nouvel « Etat indépendant et souverain de Guinée » qui a choisi, en toute liberté, — c’est-à-dire sans aucune contrainte — de voir partir la France, qui l’a prévenue de ce départ par la voix du général et de ses collaborateurs, en cas de refus d’être membre de la Communauté franco-africaine ? Les dirigeants du nouvel Etat opèrent un virage doctrinal et géopolitique de l’Ouest vers l’Est.  Virage qui éloigne la Guinée de la France et de ses alliés.

Les dirigeants guinéens, plus ou moins imprégnés de l’idéologie marxiste-léniniste, commencent par établir des relations diplomatiques avec l’URSS. C’est une première en Afrique subsaharienne car la Russie n’y a jamais, auparavant, mis les pieds. La Guinée devient ainsi une porte d’entrée potentielle pour le communisme en Afrique noire et, conséquemment, de l’affrontement Est-Ouest. Sur ce point, un observateur s’inquiète : « Tous ceux qui savent discerner les vrais problèmes, explique-t-il, s’inquiètent de voir Conakry devenir, par la vertu d’une ambassade soviétique dont les services seront en place dans deux mois, une contrée stratégique de la guerre froide. » [Le journal “La Réforme » cité par Alpha Diawara : Guinée, (CERDA, 1968)].

Cette inquiétude ne tarde pas à trouver justification. Après l’établissement des relations diplomatiques, la Guinée s’aligne sur le bloc soviétique, d’une part, en nouant d’étroites relations économiques et culturelles avec Moscou et, d’autre part, en s’engageant sur une voie de développement économique qu’elle baptise du nom de « voie non capitaliste de développement« .  C’est un modèle de développement directement inspiré du modèle de développement inventé par les communistes russes après le coup d’Etat d’octobre 1917 qui les a portés au pouvoir : le modèle soviétique. Celui-ci impose, sur le plan économique par exemple, le passage des principes de la propriété et l’entreprise privées aux principes de la propriété et l’entreprise collectives d’Etat et, conséquemment, le passage de l’économie de marché à l’économie planifiée. L’application de ces principes aboutit, par exemple dans le secteur commercial, à la disparition des sociétés privées coloniales — SCOA, CEFAO, Niger Français, Peyrissac, Chavanel — et à la création de deux sociétés d’Etat :

1— le Comptoir Guinéen du Commerce Extérieur (CGCE) qui se voit attribuer le monopole du commerce extérieur ;

2— le Comptoir Guinéen du Commerce Intérieur (CGCI) qui reçoit le monopole du commerce en gros et crée dans toutes les régions intérieures un réseau de « magasins d’Etat« .

Ces sociétés, comme leurs semblables des autres secteurs, deviennent rapidement des hauts lieux de la gabegie et de la corruption.   

Comme on le sait, le modèle soviétique se pose par opposition au modèle occidental de développement : le capitalisme (évoqué plus haut). Il affiche en effet la prétention d’en être le dépassement historique. En quoi faisant ? En supprimant ce qu’il affirme être ses tares, à savoir: la division de la société en classe dominante et classe dominée et, conséquemment, l’exploitation de l’homme par l’homme ; en supprimant le chômage et autres vices du capitalisme.

 Le modèle soviétique est défini par le physicien soviétique dissident, Youri Orlov, comme suit : « Monopolisation globale de l’initiative politique ; monopolisation globale de l’initiative économique ; monopolisation globale de l’initiative culturelle avec création corrélative d’appareils de répression dans les trois domaines. » (Cité par Jean François Revel : Mémoires, 1997). On ne peut trouver meilleure définition d’un système totalitaire, système de dictature totale et absolue. Partout où il a été mis en place — par exemple en Chine, pour l’Asie ; en Guinée, pour l’Afrique ; à Cuba, pour l’Amérique latine —, le système totalitaire soviétique et ses versions locales ont abouti aux mêmes dégâts :

  • Sur le plan politique : culte du chef et despotisme total, grâce à des instruments de répression d’une redoutable efficacité (Goulag en URSS Lao gai en Chine, Camp Boiro en Guinée,) ;
  • Sur le plan économique : un désastre qui se manifeste par la pénurie des biens de consommation courante (longues files d’attente devant les magasins de vente en URSS ; cartes de rationnement en Guinée ; …) ;
  •  Sur le plan culturel : quasi-disparition de l’esprit critique au profit des dogmes du régime, du fait d’un discours idéologique permanent et omniprésent dans un univers coupé du monde extérieur.

S’agissant du dépassement historique que le modèle soviétique est censé représenter par rapport au modèle occidental, l’Histoire a donné son verdict : la Russie est revenue à la case-départ, celle du capitalisme. Elle a créé ses propres capitalistes appelés ici “oligarques« .  La classe des oligarques a remplacé l’ancienne classe dominante créée par le modèle soviétique : la Nomenklatura.  

Pour un parcours sans perturbations majeures de la voie non capitaliste de développement (rebaptisée en 1968 « voie socialiste« ), la Guinée fait appel à un économiste marxiste français connu : Charles Bettelheim. Celui-ci lui élabore le premier plan de développement : le Plan Triennal (1960-1962). Ce plan constitue, s’il en faut une, la preuve tangible que la Guinée — inventée, comme tant d’autres Territoires, par l’Europe occidentale à la fin du XIXè siècle — a fait défection à l’Est. Les investissements prévus pour la réalisation de ce Plan s’élèvent à quarante milliards de francs guinéens Les moyens dont dispose la Guinée ne lui permettent de prévoir que la mobilisation d’un montant de dix milliards de FG. Le bloc communiste fournit alors à la Guinée — son nouvel et premier allié en Afrique Noire — une importante assistance financière. Un observateur note : « L’Union soviétique a accordé à elle seule près de 14 milliards de FG. La Chine populaire environ 6 milliards, la Tchécoslovaquie deux milliards et demi, la Pologne et l’Allemagne de l’Est un milliard chacune, la Hongrie et la Yougoslavie des sommes sensiblement égales au milliard. » (Le Monde, décembre 1961). Le Plan triennal aboutit cependant à un échec.   

Suite à son alignement sur le bloc soviétique édifié par la Russie après la Seconde Guerre mondiale, la Guinée se met à confectionner des slogans idéologiques du genre de celui qui affirme que « l’impérialisme trouvera son tombeau en Guinée » ; slogan conforme à la théorie développée par Lénine dans son fameux ouvrage : « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Du coup, « l’Etat indépendant et souverain de Guinée » devient, sur le vaste champ de bataille de l’affrontement Est-Ouest, un soldat sur lequel l’Occident estime pouvoir tirer en toute légitimité, selon les modalités qui lui conviennent. Car, étant devenue un ennemi — parce qu’alliée de fait d’un ennemi —, à la Guinée s’applique désormais la célèbre formule : « A la guerre comme à la Guerre ».  L’Occident se contente simplement de mettre l’ex-Territoire de Guinée en quarantaine (d’investissements). Tout comme il met, en 1917, autour de la Russie communiste, « un cordon sanitaire » (selon l’expression de Winston Churchill, futur Prime Minister de Grande-Bretagne, qui le recommande). Ce cordon sanitaire a pour but d’isoler la Russie du monde occidental.

A propos de la mise en quarantaine de la Guinée, on peut avancer, comme objection, la construction de l’entreprise mixte CBG à Kamsar près de Boké. Rappelons que la création de cette entreprise est prévue dans le cadre de l’Eurafrique, pour produire de l’alumine. Sous le régime de la « Voie non capitaliste de développement « , son activité est réduite par ses concepteurs à une simple extraction de bauxite. Il convient de noter, en plus, que les cités de Fria et de Kamsar constituent des enclaves économiques « capitalistes » : elles semblent émerger comme des ilots d’éclatante prospérité dans la morose ambiance de l’économie « socialiste » environnante, avec laquelle elles n’entretiennent aucune relation économique.

Après avoir parcouru une courte distance (d’environ trois années) sur la voie non capitaliste de développement — parcours ponctué de deux complots : celui dit « pro-français » (1960) et celui dit « des enseignants et des communistes » (1961) —, force est, pour les dirigeants du PDG, de constater que : 

  1. La politique de développement menée après la rupture franco-guinéenne a conduit non pas à une amélioration de l’héritage légué par le régime colonial mais à sa détérioration, notamment sur le plan économique où cette détérioration se manifeste par la baisse du niveau de vie : la préférence de « la pauvreté dans la liberté » proclamée par les Guinéens le 25 août 1958 n’a pas attendu longtemps pour produire son effet ;
  2. Moscou et son bloc ne peuvent remplacer Paris et ses alliés en matière de développement.

De ces constats découle alors la nécessité de restaurer la relation franco-guinéenne, estiment-ils, lors de l’historique « Séminaire du PDG » tenu à Foulaya (Kindia) au mois de décembre 1962.  

                           II. Les Accords Joxe-SaÏfoulaye

Au mois de mai 1963, le président de l’Assemblée nationale se rend à Paris, à la tête d’une forte délégation que le général de Gaulle a accepté de recevoir, grâce à une médiation américaine. Les négociations aboutissent à la liquidation de ce qu’il est convenu d’appeler le « contentieux franco-guinéen« , contentieux né de la brusque rupture de 1958. Cette liquidation se présente sous la forme d’accords dits « Accords Joxe-SaÏfoulaye« , signés le 22mai 1963. (Louis Joxe qui dirige le groupe des négociateurs français occupe l’important poste de « secrétaire général du ministère des Affaires étrangères »). Cet Accord annonce les retrouvailles franco-guinéennes et le retour des grands projets d’industrialisation.

Le sort de cet Accord est connu. L’historien guinéen Ibrahima Baba Kaké raconte : au lieu de se réjouir de ces Accords destinés à arrêter le déclin vers lequel s’achemine Guinée, Sékou Touré réagit plutôt à  « des informations destinées à l’inquiéter selon lesquelles SaÏfoulaye Diallo aurait été reçu en privé par le général de Gaulle (…) Les deux hommes forts du moment à Conakry, l’inquiétant Ismaël Touré, son demi-frère, et le ministre de la Défense et de la Sécurité Keïta Fodéba, son âme damnée (…), lui font comprendre qu’appliquer les accords et normaliser définitivement les relations avec Paris équivaudrait à accréditer les bruits selon lesquels la France fait plus confiance à Saïfoulaye Diallo, poulain de De Gaulle, qu’à Sékou Touré ». (IB Kaké : Sékou Touré : le héros et le tyran).  Sékou accepte cette interprétation des Accords et refuse de les appliquer. De Gaulle et les gaullistes mettent alors définitivement une croix sur le régime de Sékou. « Quand la Guinée aura un Etat, je le reconnaîtrai », déclare, un peu plus tard, le général. (IB Kaké) il n’y aura donc pas de relance de la révolution industrielle en Guinée. Dès lors, ii ne reste plus à Sékou Touré qu’à « radicaliser la Révolution » fondée sur la version locale du modèle soviétique.

Au mois d’avril 1974, un candidat non gaulliste, Valéry Giscard d’Estaing, est élu président de la République. Le 14 juillet 1975 (date anniversaire de la Révolution française de 1789), les relations diplomatiques franco-guinéennes, rompues en 1965 (pour cause de complot « Petit Touré ») sont rétablies grâce au grand talent de négociateur d’André Roderich Lewin (Français d’origine allemande et ancien porte-parole de Kurt Waldheim, alors secrétaire général des Nations Unies). A la disparition de Sékou Touré, le 26 mars 1984, la relation Paris-Conakry est au beau fixe. Le 3avril 1984, les militaires renversent le régime du PDG et s’emparent du pouvoir au nom d’un Comité Militaire de Redressement National (CMRN).

     III. Un « Plan Marshall » pour la Guinée : le Programme Intérimaire de Redressement National (PIRN) et le programme- Infrastructures

Pour reconstruire l’Europe dévastée par la Seconde Guerre mondiale, les Etat6s-Unis mettent au point un programme d’assistance économique et financière : le Plan Marshall (du nom du ministre américain des Affaires étrangères). Le PIRN et le programme-Infrastructure peuvent, ensemble, être présentés comme un mini-plan Marshall élaboré par l’Occident pour reconstruire une Guinée détruite par 24 ans de parcours sur la voie non capitaliste de développement. Ce mini-Plan concerne aussi bien le secteur de la superstructure que celui des infrastructures.

Le PIRN est mis au point par le couple Fonds Monétaire International (FMI)/Banque Mondiale (BM) sous le parrainage de la France. Pourquoi la France ? Un analyste répond : « Admettre que la France peut et doit aider la Guinée vis-à-vis de laquelle elle garde certaines responsabilités historiques, ce n’est point insulter la mémoire collective d’un peuple qui a porté à un niveau rarement égalé le culte de la fierté ; c’est reconnaître et accepter un fait d’évidence.La France qui connaît bien ce pays et ses hommes dispose de ce fait d’atouts essentiels. L’ensemble des pays donateurs et les organisations financières internationales ne s’y sont pas trompés qui, avec l’accord du gouvernement guinéen, ont investi Paris de la responsabilité de piloter le redressement en Guinée. Il faut espérer que les Guinéens qui n’ont que trop souffert sauront faire l’économie d’une polémique stérile et d’un faux débat pour consacrer leurs dernières énergies aux gigantesques tâches de développement qui les interpellent. » (Africa International, N°181, mars 1986).

                                              1. Le PI R N

                                   A. Origine du PIRN

Il convient, à présent, de signaler que le PIRN est le point culminant d’un processus dont le point de départ se situe dans la Guinée du régime « révolutionnaire » de Sékou Touré. 

De fait, après les retrouvailles franco-guinéennes consécutives à l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir en avril 1974, André Lewin est nommé ambassadeur de France en Guinée. Quelque temps après, Ahmed Sékou Touré opère un double virage : doctrinal et géopolitique.

Devant la 17ème promotion de l’IPGAN parvenue en fin de cycle universitaire, il tient les propos suivants : « Ce qui doit préoccuper essentiellement les dirigeants révolutionnaires, ce ne sont pas les systèmes, les théories, mais les nécessités impérieuses d’une évolution harmonieuse et équilibrée (…). Ainsi, parler de Révolution populaire et d’entreprise privée en termes contradictoires, c’est opposer la fin au moyen, c’est poser des incompatibilités là où une parfaite conscience des buts de l’action révolutionnaire guide les hommes pour ne pas dévoyer la Révolution (…). L’entreprise privée n’apparaît plus ainsi comme une politique pouvant mettre en danger les choix opérés, mais comme un stimulant, un moyen de développement par excellence de l’initiative individuelle et collective. Elle n’est pas et ne saurait être envisagée comme la voie du triomphe de l’intérêt personnel sur l’intérêt collectif, mais comme le recours à un type d’activités tirant sa dynamique de l’intérêt qu’ont les individus à poursuivre des activités rentables et utiles pour eux-mêmes et pour la collectivité toute entière. » (Horoya, N° 2949, p.5).

 Comme on le voit, après avoir défendu pendant près de vingt ans la version locale du modèle soviétique dont le volet économique repose sur le principe de « l’entreprise d’Etat« , principe lui-même fondé sur celui, juridique, de la « propriété collective d’Etat”, le grand maître de l’idéologie du PDG prône, à présent les vertus de l’entreprise privée fondée sur la propriété privée. On se retrouve ainsi loin des recommandations « étatisantes » du professeur Charles Bettelheim et de la suppression du commerce de détail privé par « Sheytane 1975« , (petit commerce privé que l’étatisation de l’économie avait jusque-là préservé).

Sur le plan géopolitique, la France et ses alliés acquièrent un statut de partenaires privilégiés au détriment de la Russie et de son bloc. Ahmed Sékou Touré assiste alors au Sommet France-Afrique de Vittel d’octobre 1983 ; (il a, jusque-là, qualifié les Sommets France-Afrique de « Sommets du néocolonialisme »). Il envisage, en plus, le retour de la Guinée dans la zone Franc.  Un autre signe manifeste du rapprochement franco-guinéen : « Quand on lui [Sékou Touré] parlait de projets économiques, raconte André Lewin, il disait :  » Vous, les Français, vous connaissez tellement bien la Guinée que ce n’est pas à nous de vous proposer des projets. Dites-nous plutôt ce que vous avez envie de faire et nous le ferons ensemble« . » (J.A. Plus, Juin 1984).

 Dans la logique de ce double virage doctrinal et géopolitique, l’Occident lève la mise en quarantaine décrétée en 1958 contre « l’Etat indépendant et souverain » de Guinée pour cause de « voie non capitaliste de développement ». La Guinée ayant adhéré au FMI et à la Banque Mondiale le 20 septembre 1963, ces deux institutions financières sont mobilisées pour faire l’état des lieux. A la suite de quoi la Guinée se retrouve placée sous-programme du FMI. Celui-ci recommande alors le dégraissage des entreprises d’Etat. Les premières victimes en sont l’Office des Pêches Maritimes (OPEMA) et l’Entreprise Nationale d’Importation de Pièces de Rechange pour Automobiles (ENIPRA). La Banque mondiale, elle, ausculte la Fonction publique et déclare que celle-ci est pléthorique et incompétente, (dans son « Rapport du 15 janvier 1981 sur la Guinée »).

C’est, également, dans le contexte de ce double virage idéologique et géopolitique qu’Ahmed Sékou Touré disparait le 26 mars 1984.

  Immédiatement après le coup d’Etat du 3 avril 1984, le CMRN proclame publiquement l’abandon du « socialisme » au profit du « libéralisme » (l’autre nom du capitalisme). Il semble alors qu’il y a continuité entre le régime civil précédent et le régime militaire qui vient de naître. En 1984, il faut le signaler, le monde est toujours installé dans le contexte de l’affrontement Est-Ouest.  L’Occident pend bonne note de la nouvelle posture adoptée par les autoritaires militaires : celle d’un retour publiquement annoncé de la Guinée dans la sphère géopolitique qui l’a vue naître et croître.

Deux ans plus tard, une fois réglées des tensions nées au sein du CMRN, le PIRN, précédemment évoqué, et le programme de reconstruction des infrastructures apparaissent comme la preuve manifeste de l’intérêt que l’Occident porte à la Guinée (intérêt, rappelons-le, né sous le régime de Sékou Touré). Il convient de noter, sur ce point, les propos suivants d’un observateur : « Les Occidentaux qui ont décidé de soutenir l’expérience des militaires guinéens ont promis d’intervenir auprès du FMI pour qu’il n’impose pas de conditions « trop dures ». » (Crochets mis par l’observateur) ; [L’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, du 6 au 12/7/1984].   

Avec le « Plan Marshall » guinéen — PIRN et programme-Infrastructures —, une relance de la révolution industrielle se profile à l’horizon : il en constitue la phase préparatoire. Mais, tout d’abord, qu’est-ce que le PIRN ?

                                B.  Contenu et exécution du PIRN

Le PIRN est un programme triennal de réforme à deux volets : réforme économico-financière et réforme administrative. Il est la suite logique du « Discours-Programme » prononcé par le président Lansana Conté le 22 décembre 1985 annonçant les réformes que son gouvernement s’apprête à faire pour reconstruire une Guinée détruite par le régime précédent.

L’exécution du PIRN est placée sous la direction immédiate de ses concepteurs — FMI/BM—, assistés par des cadres nationaux. Cet état de fait entraîne tout naturellement l’affectation d’experts de ces deux institutions à des postes-clés de l’Administration et à la Présidence. Ces experts sont généralement des Français, maîtrise de la langue française oblige ! Le personnage le plus visible de ces experts est le Français Léon Chaise, issu du FMI et nommé vice-gouverneur de la BCRG.

Il semble plus pertinent de mentionner, à ce niveau et comme réussite du vaste programme de reconstruction des infrastructures, l’achèvement du siège de la BCRG dont la construction, comme on l’a signalé plus haut, a été interrompue en 1958, suite au départ de la France.

La réforme financière commence par le changement du signe monétaire lancé le 1er janvier1986.  Le syli a deux valeurs : la valeur officielle — celle de la BCRG — et celle du marché parallèle de devises. Entre ces deux valeurs, il y a un grand écart : la » valeur-BCRG » est trop faible par rapport à la « valeur-marché parallèle ». La réforme doit supprimer cet écart. Résultat de cette suppression : 1°) changement de nom : celui de franc guinéen remplace celui syli ; 2″) changement de valeur : 1 FRG = 1 FR CFA. Désormais, la circulation des marchandises entre la Guinée et ses voisins de la zone Franc ne représente plus, fondamentalement, un problème de conversion monétaire.

La réforme administrative, elle, a pour but de faire passer la Guinée d’une administration pléthorique et incompétente à une administration publique capable de conduire efficacement le développement. La Banque mondiale lui a donné le nom d’ »Administration de Développement« . Elle comprend cinq grandes étapes :

  1. Recensement des fonctionnaires directement effectué par des experts de la Banque mondiale assistés par des cadres guinéens ;
  2. Test-évaluation des fonctionnaires recensés ;
  3. Formation par des experts de la Banque mondiale des fonctionnaires admis aux tests ;
  4. Rationalisation du Statut de la Fonction publique et des Cadres organiques, notamment par la définition de critères d’accession aux postes de direction ;
  5. Création de conditions de vie et de travail permettant aux « nouveaux fonctionnaires » une exécution correcte de la fonction administrative (ce qui entraîne la disparition du « syndrome de la corruption »).
  6. Création d’un Bureau d’Assistance à la Reconversion des Anciens Fonctionnaires (BARAF). Il est demandé aux fonctionnaires non admis aux tests-évaluations d’élaborer des projets pertinents dans le secteur d’activité de leur choix et de les soumettre au BARAF pour financement.

Vers la fin de l’année 1986, le magazine français L’Express envoie des journalistes s’enquérir des chances de réussite du PIRN. Ceux-ci entrent en contact avec des experts chargés de son exécution (et résidant dans les villas de l’OUA à Kaloum) et des hommes d’affaires (logés à NOVOTEL et) prêts à investir, en cas de réussite. Question des journalistes : « Malgré les obstacles, le pari guinéen est.il jouable? » Réponse des experts : « Ici, on peut faire sur le plan économique ce qu’on a fait au Tchad sur le plan militaire. » Au Tchad, le « plan Epervier » mis au point par l’armée française avait assuré la sécurité militaire de ce pays en stoppant son invasion par l’armée libyenne de Mouamar Kadhafi. Réponse des détenteurs de capitaux : « Bien sûr que la coopération française peut réaliser des miracles. A une seule condition toutefois : qu’elle ait l’éternité pour perspective. » En clair, la prospérité de la Guinée promise par le PIRN a un prix : « l’éternité ». Au sens figuré bien sûr, car elle se réfère ici à l’histoire et ne signifie rien d’autre que la non-répétition de la rupture franco-guinéenne du 28 septembre 1958 ; rupture qui a entraîné l’arrêt du programme d’industrialisation de la Guinée décrit plus haut.

    Ces beaux pronostics vont-ils être en phase avec l’esprit des élites — de l’intérieur et de l’extérieur— façonné par l’action de longue durée du régime du PDG ou par la réaction contre lui ?

De fait, l’exécutiondu PIRN — programme de « Réforme économico-financière » et de « Réforme administrative » — ne s’effectue entièrement que sur deux points : le remplacement du syli par le franc guinéen et le recensement des fonctionnaires (effectué avec une extrême rigueur : environ cinquante mille fonctionnaires sont admis sur un total d’un peu plus de cent mille recensés).  La réalisation des tests-évaluations est partielle (à cause des nombreuses exemptions opérées çà et là). Le reste des étapes ne voit pas le jour. La Réforme administrative dont le but est de procéder à l’accouchement — sans douleur — d’une Fonction publique performante se trouve ainsi bloquée.

L’action du BARAF, elle, ne touche qu’un petit nombre de fonctionnaires non-admis aux tests-évaluations.

    2. Volet « Infrastructures du « Plan Marshall » guinéen »

Pour ce qui est des infrastructures, la mise en place de sociétés mixtes réunissant l’Etat et des partenaires étrangers dans les secteurs techniques, donne naissance à des entreprises qui fonctionnent à la satisfaction du grand public. Secteur :

  • Transport : SOGETRAG (Etat/Renault)
  • Electricité : SOGEL (Etat/Hydro-Québec International, EDF et SAUR)
  • Eau : SEEG (Etat/SAUR)
  • Télécommunications : SOTELGUI (Etat/France Télécom)
  • Agriculture : projet « Coton » en Haute-Guinée (Etat/CFDT)
  • Elevage : Centre de sélection et de multiplication de la race N’Dama à Boké (financé par l’Italie et la Banque Africaine de Développement).

Dans le secteur routier, il faut mentionner, par exemple, le bitumage de la route nationale Mamou-Labé par la société Jean Lefèvre. L’entreprise Bourdin-Chaussée, quant à elle, construit le tronçon d’autoroute “Matoto-Rondpoint Aéroport » sur financement de l’Agence Française de Développement (AFD), financement obtenu sous forme de don, suite à une requête du partenaire Renault dans la SOGETRAG. Ce tronçon est tellement dégradé que les véhicules ne mettent pas moins de trente minutes pour le parcourir (la durée pour parcourir une grande partie de la distance Conakry-Kindia dans des conditions normales !).

         Avant d’aller plus loin sur le registre des infrastructures, il n’est peut-être pas sans intérêt — du point de vue du niveau d’évolution des mentalités locales — de mentionner le fait anecdotique suivant. Entre Mamou et Dalaba, il existe, au niveau de la localité deGouba, unvirage bordé par un bas-fond. Un grand nombre de véhicules parvenus à ce virage sont tombés dans ce bas-fond. Selon les Guinéens, ce phénomène de chute répétée est dû à l’attraction exercée par des diables qui habitent dans ce bas-fond. Lors de la construction de la route Mamou-Labé, Jean Lefèvre prend soin de mettre, à l’entrée et à la sortie du virage « des Diables », deux ralentisseurs. Ceux-ci ont un effet immédiat : neutralisation du pouvoir maléfique des diables puisqu’il n’y a plus eu d’accident à ce virage depuis cette époque ! (Notons, au passage, que nous avons là un exemple concret du match historique entre, d’un côté, la superstition et, de l’autre, la science et la technologie).

Compte tenu du fait que l’énergie est à la base de tout processus, il convient d’ajouter quelques mots sur le secteur de l’électricité.

L’héritage énergétique légué par la 1ère République est marqué par un grand déficit de production d’électricité. La relance dans ce domaine exige donc et ce, prioritairement, une action forte. Dans le cadre de cette relance et grâce au financement du Canada, de la France et de la Banque mondiale, des études techniques et économiques sont menées — notamment par HQI et EDF/Coyne et Bélier — pour faire d’abord : 1°/ le constat de l’offre d’électricité existante (3 centrales sur le Samou avec 47 MW et deux petites centrales sur Kinkon et le Tinkisso) ;  2°/ l’inventaire des ressources hydro-électriques (25.ooo GWh par an) et les sites de production aménageables (165)  ; 3°/  la prévision de la demande de 1984 à 2005.

Ces différentes études aboutissent à l’élaboration d’un programme d’équipement intitulé « Plan directeur de Production et de Transport d’Electricité » pour l’horizon 2000. Ce Plan recommande un schéma d’équipement se référant au « Plan d’Aménagement hydraulique de la Guinée » mis au point en 1980 par le groupement constitué par Coyne et Bélier (France) et Sir Alexander Gibbs.

Pour la réalisation du schéma d’équipement envisagé, la Guinée organise en juin 1986 une réunion de bailleurs de fonds. Au terme d’un approfondissement des études réclamée par cette réunion (et financé par le Canada, la France et la BM), deux aménagements sont retenus sur le Konkouré : Garafiri (75 MW) et Kaléta (105MW). Ces aménagements sont destinés : 1°/ à résorber le déficit énergétique en Basse et Moyenne Guinée en renforçant les centrales de Samou et de Kinkon ; 2°/ à régulariser le Konkouré et à réduire le coût des centrales prévues dans le cadre de l’aménagement intégré de ce fleuve : Amaria (400MW) et Souapiti (750 MW).

La réalisation du complexe Garafiri-Kaléta doit engendrer d’autres activités (pêche, agriculture, navigation) et la fixation des populations à l’intérieur du pays et même le retour des citoyens vers ces nouveaux pôles de développement économique.

La centrale électrique de Garafiri — première phase de la reconstruction de l’infrastructure électrique guinéenne — est inaugurée le 22 juillet 1999 en présence de Jacques Chirac. Dans l‘allocution du président français, on note les propos suivants : « Comment ne pas avoir, pour la Guinée, la vision d’une économie forte, prospère, active au plan régional, ouverte sur le monde ? Elle en a les ressources. Celles, abondantes et variées, de son sous-sol. Celles de l’agriculture, avec des terres fertiles, un climat favorable. Mais le développement de ces immenses richesses naturelles nécessitait une immense production énergétique pour alimenter les machines et les usines. Une production enfin libérée des aléas climatiques comme ceux qui ont entraîné la crise sévère survenue dans la région. (…) Nous le voyons et Garafiri en offre l’exemple éclatant. La Guinée prend part au grand mouvement de rénovation et de modernisation qui se manifeste désormais sur votre continent. Ici l’on dessine le nouveau visage de l’Afrique, l’Afrique du changement, l’Afrique de l’espoir, loin des images de confusion, du désordre, de la violence qui sont une réalité mais qui ne sont pas toute la réalité africaine. L’Afrique responsable, avec une gestion saine, celle qui saura, demain, assurer la couverture financière des investissements sans sacrifier d’autres besoins. » Ces propos de Jacques Chirac ne sont-ils pas en résonnance avec ceux avancés par Roland Pré un demi-siècle plus tôt ?

Le système des entreprises mixtes mises en place ne tarde pas à donner des résultats positifs. Un exemple concret à titre d’illustration : le cas de la SOGETRAG. Point de départ initial des cars Renault : la base de la société située à Matoto. Point d’arrivée final : le Port Autonome de Conakry. Entre ces deux points, une voiture de la société circule en permanence. Lorsque le conducteur constate un trop grand nombre de passagers en attente à un arrêt-bus, il téléphone à la base pour l’envoi d’un car vide. Les passagers en attente sont alors mis en rang et les tickets leur sont vendus avant leur montée pour éviter des encombrements et des bousculades au niveau de la caissière du car. Par ailleurs, lorsque le conducteur de la voiture constate, dans son parcours, qu’un car est tombé en panne en cours de route, il informe par téléphone la base qui envoie un véhicule-atelier pour le dépannage. La fluidité continue du mouvement des cars est ainsi assurée.

Pour le cas de l’eau, celle-ci sort des robinets avec une forte pression, dans des quartiers aussi éloignés et périphériques (à l’époque) que Dar-Es-Salam.

Cependant, le « Plan Marshall-Guinée » connaît le même sort que le « Programme Eurafrique » évoqué plus haut et ce, à cause d’obstacles rapidement placés sur son chemin, aussi bien au niveau du PIRN qu’à celui des infrastructures.

                 IV.. Faillite du « Plan Marshall » guinéen

                                   A. Echec du PIRN

Premier obstacle : craignant d’être évincés par la rigueur des tests-évaluations, des cadres (nombreux et postés dans la haute Fonction publique) réussissent à s’en faire exempter par un décret du président de la République. Cette exemption signe, dès lors, l’arrêt de mort de la Réforme administrative dont le but est de fabriquer une Fonction publique de qualité. De fait, la haute Fonction publique représente la tête pensante et le guide de l’action gouvernementale. Il se trouve que les cadres ainsi exemptés sont tous issus de l’Administration de la Première République, une Administration jugée, alors, « pléthorique et incompétente » par la Banque mondiale.

 Il convient de rappeler l’autre conséquence déplorable de l’échec de la Réforme administrative : peu de fonctionnaires non admis aux tests-évaluations bénéficient de l’assistance financière du BARAF. Ce qui donne naissance au phénomène des « Déflatés » de la Fonction publique, que l’on voit revendiquer leur dû dans la rue, près du ministère des Finances.

Deuxième obstacle : surenchère nationaliste du MND — un mouvement regroupant des intellectuels de la diaspora guinéenne en France — contre le parrainage de la France. On lit, par exemple, dans les brochures et tracts du MND, distribués à la population après le coup d’Etat, les propos suivants : « Nous ne sommes pas des conspirateurs…Nous sommes des patriotes sincères qui ont correctement tiré les leçons des 26 années de dictature…Le MND n’est derrière personne. Il est derrière les principes et derrière les masses populaires…Le programme présenté par le président Conté le 22 décembre [1985] est une excellente chose pour notre pays…Face à ce programme, il y a un autre programme : celui du FMI, des monopôles occidentaux et de la grande bourgeoisie guinéenne…Les milieux d’affaire français présentent le retour au franc guinéen comme le prélude, le premier pas vers l’intégration dans la zone franc…La création du Syli en1972 (…) ne fut qu’un changement de signe monétaire pour permettre à la bourgeoisie dirigeante du PDG de mieux voler et piller le pays. C’est la création du FG en 1960 qui fut le symbole de la manifestation de notre souveraineté. Pour nous, le retour au FG ne fait que renouer avec cette période (…). Le peuple guinéen est fermement attaché à son indépendance et à sa souveraineté…Le peuple guinéen n’acceptera jamais de voir brader son indépendance. Nous disons clairement et nettement non aux monopoles français. Il n’y aura jamais de victoire posthume du général de Gaulle en Guinée ; il n’y aura jamais de reconquête de la Guinée. Pour recoloniser la Guinée, il faudra marcher sur des millions de cadavres, de travailleurs, de jeunes, de femmes de notre pays. » (MND : Où allons-nous ?)

CMRN est réceptif au discours des « patriotes sincères » du MND, et celui-ci ne peut réprimer sa satisfaction d’avoir été entendu au plus haut niveau de l’Etat : « [Notre] première brochure « Quel avenir pour la Guinée ? » a été saluée par le CMRN. Le ministre des Affaires étrangères, le capitaine Facinet Touré a même déclaré sur les ondes de la RTG que s’il avait à faire un rapport sur la Guinée, il n’aurait pas ôté une virgule de cette brochure. » (Malanyi, janvier 1990).

Troisième obstacle : Posture prosoviétique de certains membres du CMRN qui refusent le parrainage français : « Le président Conté lui-même a pris ses distances avec les experts français qui, jusque-là avaient accès à son bureau, écoutant en cela les conseils qui lui sont prodigués par certains militaires du CMRN qui, de leur côté ne sont pas insensibles aux influences soviétiques. Moscou, en effet, ne voit pas d’un bon œil l’ouverture pro-occidentale de la Guinée, où l’URSS dispose de puissants intérêts, à la fois économiques (importation de bauxite et de produits de pêche) et stratégiques (des facilités aéroportuaires qui permettent notamment à l’Union soviétique de disposer d’une escale pour acheminer troupes et matériels en Angola. » (Le Monde-31/10/1986)

Quatrième obstacle : l’URSS. Les Russes ne veulent pas se limiter à la seule influence que leurs partisans au sein du CMRN ont sur le général-président-paysan Lansana Conté (qui possède de grandes plantations dans sa région natale). Ils décident de frapper eux-mêmes un bon coup au plus haut sommet de l’Etat pour éliminer le parrainage français. Un observateur note : « Les Soviétiques qui craignent de voir leurs privilèges remis en cause par une trop grande influence de la France, feraient quelque zèle en captant et décryptant par exemple des messages compromettants de l’antenne locale de la DGSE [service de renseignement français] à l’intention de Conté. Ce qui n’est pas de nature à arranger les relations franco-guinéennes. » (J.A.-N°1384 du 15/7/1987). A la suite de quoi le président guinéen fait démonter par ses « Bérets rouges” les antennes de la DGSE installées près de la Villa Syli de Coléyah.   

Voilà les quatre grands acteurs qui ont mené à l’échec le volet « Réforme administrative » du PIRN, volet dont le but est de donner à la Guinée une tête bien faite pour conduire son économie à bon port, à savoir l’économie industrielle. A propos du comportement de ces acteurs, quelques remarques semblent s’imposer.

Le fait que les élites guinéennes se soient comporté en démolisseurs du PIRN prouve tout simplement que le régime du PDG n’a pas produit d’hommes ayant le sens de l’Etat, c’est-à-dire d’hommes capables de prendre la juste mesure de la catastrophe à laquelle a abouti la voie non capitaliste de développement, d’en définir les causes profondes et, conséquemment, de poser les problèmes liés à cette catastrophe non pas seulement en termes de quotidien, mais aussi et surtout en termes d’Histoire (avec grand H).

Quant à la Russie, sa posture anti-PIRN appelle quelques remarques.

  1. Le PIRN est un programme mis au point par l’Occident pour sortir la Guinée du désastre où l’a conduite la voie non capitaliste de développement. Il représente la phase préparatoire d’une révolution visant à convertir une économie agraire en une économie industrielle et, conséquemment, à transformer un peuple-enfant en un peuple adulte.
  2. La voie non capitaliste, rappelons-le, est la version guinéenne du modèle de développement inventé en 1917 par la Russie et dont elle n’a cessé, depuis cette date, de vanter les mérites.
  3. La mise en œuvre de son modèle de développement a conduit, environ soixante-dix ans plus tard, la Russie elle-même à une impasse. Pour en sortir, le président russe Mikhaïl Gorbatchev (arrivé au pouvoir le 11 mars 1985) lance un vaste programme de réformes à qui il donne le nom de Pérestroïka. Pour la réussite de la Pérestroïka, il faut, de toute nécessité, l’intervention de l’Occident. C’est dans ce cadre que M. Gorbatchev soumet, pour financement, au G7 réuni à Londres au mois de juillet 1991, un programme de réformes rédigé avec l’assistance d’experts américains. (Rappelons que le G7 est le Groupe des 7 pays les plus industrialisés du monde : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie et Japon). Comme on le voit, aussi bien la Guinée que la Russie, victimes toues deux du modèle soviétique, se tournent vers le même bailleur de fonds — l’Occident — pour se reconstruire.
  4. La Guinée et la Russie profitent de toute occasion opportune pour proclamer leur amitié indéfectible, née selon elles à l’aube de l’indépendance.

Au vu des remarques qui précèdent, la Guinée doit logiquement s’attendre à ce que l’amie Russie, à défaut de pouvoir donner au PIRN un coup de pouce « économique » (vu son état de délabrement) lui apporte tout au moins son soutien « politique » et « moral ».

Au lieu d’une posture de bienveillance à l’égard du PIRN, la Russie adopte une posture d’obstruction, indirectement (en mobilisant ses partisans au sein du CMRN) et directement (en intervenant auprès du président de la République). Force donc est de faire le constat d’une contradiction entre la bonne parole de la diplomatie russe et l’action porteuse de nuisance menée dans l’ombre par les services de renseignement russes. La Guinée doit-elle s’en offusquer ?

A regarder les choses de près, il semble difficile de reprocher à la Russie ce double jeu. C’est un fait bien connu qu’en politique extérieure, le comp0ortement d’une grande puissance n’est pas régie par les principes de la morale ordinaire mais plutôt par le fameux principe de la raison d’Etat. Il se trouve que la Russie est une grande puissance et même, dans un passé encore récent, une superpuissance mondiale. De ce point de vue, la reconstruction par le PIRN d’une « Guinée-amie de longue date », détruite par une réplique du modèle soviétique, pèse de peu de poids aux yeux de la Russie qui ne peut avoir un autre choix que de placer au-dessus de la prospérité programmée d’un misérable petit pays d’Afrique noire le principe de la raison d’Etat, matérialisée en l’occurrence par ses ambitions de gradeur géopolitique.

Il convient de noter, au-delà des cas guinéen et russe, que les dommages provoqués par le modèle soviétique dans les pays de l’ex-bloc soviétique (Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie…) ont été réparés grâce à l’Occident qui a mis au point des programmes de réforme dans le cadre de leur intégration à l’Union Européenne. Le cas de l’ex-Allemagne de l’Est est un cas spécifique du fait de sa réunification à l’Allemagne de l’Ouest après la chute du communisme. La remise à niveau de l’Allemagne de l’Est a coûté à l’Allemagne de l’Ouest un investissement de dix milliards d’euros par an pendant dix ans.     

   A présent, qu’en est-il du programme « Infrastructures » ? Il subit le même sort que le PIRN.

               B. Echec du programme-Infrastructures  

Alors même que les sociétés mixtes fonctionnent à la satisfaction des populations à la base — l’exemple de la SGETRAG donné plus haut en donne une preuve —, les cadres guinéens vont s’employer à mettre fin au partenariat « Etat/Société étrangère » pour faire main basse sur les recettes des entreprises. La méthode utilisée pour atteindre ce but varie avec la nature de l’entreprise considérée. Comme illustration concrète de ce travail de démolition du partenariat, il semble judicieux de prendre le cas de la société appartenant au secteur le plus stratégique de tous dans le domaine des infrastructures : la SOGEL.

Ayant appris qu’il y a un problème de leadership à la SOGEL, la rédaction du journal d’Etat, HOROYA, envoie des journalistes sur place pour essayer de voir clair dans ce qui s’y passe.

A la tête de la société SOGEL, il y a un directeur général (DG) — un Canadien — nommé par le Conseil d’Administration (CA) et un directeur général-adjoint (DGA) — un Guinéen — nommé par décret (c’est-à-dire par le président de la République). Ces nominations sont conformes aux dispositions du contrat de concession signé par l’Etat indépendant et souverain de Guinée et son partenaire étranger, le groupement franco-canadien EDF- SAUR/HQI.

Sur les lieux, les envoyés de HOROYA n’arrivent à s’entretenir qu’avec la DG, le DGA ayant refusé de les rencontrer. Au cours de l’entretien avec le DG, les journalistes posent les questions suivantes : « Il est parvenu à notre rédaction un document écrit du syndicat de votre entreprise faisant état d’un malaise au sein de votre entreprise. Quelle en est l’origine ? Qui sont les acteurs ? Envisager-vous des solutions immédiates ?

Réponse du DG, Rodrigue Haché : d’abord, le document auquel vous faites allusion a été signé au nom du syndicat du secteur énergétique. Or, dans les structures syndicales du pays, ce syndicat n’existe pas. Il y a la Fédération syndicale du secteur Energie/Eau affiliée à l’USTG et à la CNTG qui ont formé un collège syndical à la SOGEL. Le document en question n’est donc pas issu d’une organisation syndicale légale. L’origine [du malaise], au-delà de toute confidentialité, n’est point au sein des employés, mais au sein de la direction de la SOGEL. Une divergence d’opinion sur la façon de gérer l’entreprise. Moi, j’ai des objectifs fixés par le CA. Je réponds à ce CA. J’ai un adjoint qui m’est attribué selon les Statuts et qui est nommé par décret présidentiel. Le décret nomme le DGA et le CA nomme le DG qui répond au Conseil, et le DGA est là pour l’assister. Le CA peut aussi donner des mandats particuliers au DGA et, selon encore les Statuts, avec l’accord et la responsabilité du DG. J’ai le mandat de gérer de façon très serrée, rigoureuse l’entreprise Nous ne sommes pas dans une situation où il faut se permettre de dépenser sous toutes les formes. Je représente cet ordre de gestion rigoureuse.  J’ai des gens, que ce soit mon adjoint ou d’autres, qui refusent ce mandat. Il y a des dossiers que j’ai gérés de façon drastique pour contrôler les dépenses et faire respecter certaines directives. Ce qui n’a pas plu à mon DGA. Depuis avril dernier [année 2000], il s’attaque à la Direction Générale et aux décisions du CA, lequel n’a donc pas renouvelé son mandat. IL s’attaque au DG et à certains cadres du Département de l’Energie. Ce sont ces agissements qui ont secoué l’Entreprise. Mais moi, j’ai des objectifs que j’entends atteindre vaille que vaille. Mon patron, c’est le CA.

HOROYA : Pourquoi vous a-t-on convoqué à la Direction de Sécurité du Territoire ?

DG : Là, on m’a informé que le DGA a porté plainte contre moi pour, dit-il, « avoir porté atteinte à la souveraineté de l’Etat« , « bafoué l’autorité du ministre« . Je me suis fait accompagner par quelqu’un de la Présidence de la République. J’ai donné des explications dans un P.V. La Police a compris que la plainte était non justifiée.

HOROYA : Les premières réactions sont venues de toute part. Les employés, la Fédération syndicale, des cadres à tous les niveaux pour désapprouver et dénoncer les ag9issements du DGA. Une réunion spéciale du Comité de direction a accordé une motion de confiance au DG. Et puis le Comité l’a signifié au ministre. Aussi, l’USTG a condamné, ainsi que d’autres associations corporatives, cette situation de crise. Et les partenaires ?    

DG : J’ai informé régulièrement les partenaires de la situation.

HOROYA : Et, finalement, le DGA, dans un document distribué, semble revenir sur ses pas. Qu’en dites-vous ?

DG : J’ai lu ce courrier adressé à tout le personnel, au ministère, aux directeurs. J’ai encore des doutes sur la sincérité du contenu, des doutes sur le règlement final. Je laisse à la sagesse du gouvernement, à la Présidence, de régler ce problème et à décider s’il faut prendre une décision dans un sens ou un autre. Le Président est déjà informé de la situation. » (HOROYA N°5314 du samedi 5 au lundi 7 février 2000).

La suite des évènements montre rapidement que le DG a raison d’avoir des « doutes sur le règlement final de l’affaire. » Le Président et son gouvernement ne font nullement preuve de sagesse. Les manœuvres du DGA et de ses complices finissent par avoir raison du partenaire étranger de la SOGEL : le contrat de concession est rompu en 2001, au bénéfice d’un petit groupe d’individus et au détriment de l’industrialisation de l’économie guinéenne.

Peu après son « accession au pouvoir » à la SOGEL, à présent vidée de son partenaire étranger, l’ex-DGA, devenu DG, se lance dans toutes sortes de dépenses lui permettant, entre autres, de se constituer un patrimoine, d’organiser des manifestations folkloriques à la gloire de la famille présidentielle.

Très rapidement, la SOGEL, amputée de la composante étrangère de son moteur administratif, tombe en faillite, entraînant dans son sillage plusieurs PME Les Guinéens qui étaient sortis de l’obscurité retournent dans le noir auquel, fort heureusement pour eux, le régime du PDG les avait déjà habitués.

Ce qui est arrivé au partenaire étranger de la SOGEL arrive — avant ou après— à tous les autres partenaires étrangers : éviction de la SAUR de la SEEG ; de Renault de la SGETRAG ; de la CFDT du projet « coton » en Haute Guinée ; etc.

 Il convient de noter, au passage, qu’il en est de même dans le secteur des infrastructures « intellectuelles ».

Au CEDUST (un centre de documentation chargé de fournir de la littérature scientifique et technique aux étudiants des universités et des instituts) et au CENDID (un centre chargé, notamment, de collecter les documents administratifs relatifs aux colloques, symposiums et autres rencontres du même genre), le partenaire étranger plie bagages du fait du comportement de cadres nationaux invoquant, avec beaucoup d’assurance, la prééminence de l’Etat « indépendant et souverain » de Guinée dans la conduite des Affaires nationales ou, tout bonnement, du fait de leur comportement de prédateurs.  Une haute personnalité diplomatique occidentale dira, à ce propos, que pour coopérer avec la Guinée, « il faut avoir foi en l’homme ».      

En fin de compte, l’échec du « Plan Marshall » guinéen — PIRN/ Programme-Infrastructures —  met un terme à la nouvelle tentative de relance de l’industrialisation de la Guinée.

                V. Les Elites guinéennes en question

Comme on le voit, la Guinée a raté trois occasions lui permettant de passer — sans douleur— de la forme agraire de l’économie à sa forme industrielle. Le premier ratage a lieu au cours des soixante ans de régime colonial ; les deux autres, pendant les soixante ans d’existence de « l’Etat indépendant et souverain » de Guinée.  

Le premier ratage a pour cause la rupture franco-guinéenne du 28 septembre 1958. Le second est imputable à la volonté de Sékou Touré de se perpétuer au pouvoir, volonté qui le pousse à rejeter les Accords Joxe-Saïfoulaye, craignant que leur application n’entraîne en fin de compte sa chute. Le troisième ratage est le fait de quatre grands acteurs : un groupe nombreux de cadres de la haute Fonction publique, le MND, des membres influents du CMRN et la Russie.

Il convient enfin de noter que le premier et le second ratage sont le fait de personnes formées par le régime colonial : Sékou Touré et son équipe ont même suivi un « stage » en matière de gouvernance pendant les « un an et demi » qui ont précédé la rupture franco-guinéenne et durant lesquels ils ont gouverné (en application de la Loi-cadre Gaston Defferre) la Guinée avec l’assistance de fonctionnaires métropolitains. Le troisième ratage est, lui, imputable à des personnages façonnés par la 1ère République et portant, profondément imprimés en eux, les marques fondamentales de celle-ci, à savoir, rappelons-le :

1°/ une répression exercée par un régime policier implacable et qui finit par détériorer les valeurs fondamentales de la vie sociale (la confiance, la vérité, le courage, la solidarité…) ;

2°/ une économie de pénurie qui exténue les corps ;

3°/ un matraquage idéologique omniprésent et sans répit qui détériore l’esprit critique.

Face à ces ratages imputables à des équipes dirigeantes de formation qualitativement différentes, force est de constater que les élites de ce pays représentent jusqu’à présent le seul et unique obstacle au développement de la Guinée.  Dès lors, il semble justifié de répondre à la question « transposée » de Axel Kabou que « la Guinée refuse le développement » !

Dès lors, la seule et unique question qui importe est celle-ci : que faire pour que la société guinéenne — majoritairement composée de ruraux et abandonnée à elle-même, en 1958, par le moteur métropolitain — puisse opérer le passage d’une époque — la médiévale — à la suivante : celle dite des « Temps Modernes », et qui est en cours ?

Au-delà du cas extrême que représente  » l’exception guinéenne », cette question se pose à toute l’Afrique subsaharienne, région du monde restée agraire après plus d’un demi-siècle « d’indépendance et de souveraineté ». Après avoir expérimenté — sans succès — des formules « panafricaines » (ou intégrées) de développement telle que le Plan de Lagos (années 1970-1980), le NEPAD (années 1990-début années 2000), les élites négro-africaines semblent avoir, à présent, découvert une nouvelle formule : le Sommet « Afrique-Pays Emergeants ». Parmi ceux-ci, le plus en vue : la Chine. On attend de voir vers quel résultat va conduire cette formule fondée, dans le cas chinois, sur la forme primitive de l’échange de marchandises : le troc. En l’occurrence : troc « matières premières » contre « produits manufacturés » (où le produit manufacturé se présente sous la forme d’infrastructures : barrage, stade de sports, etc.). Pour l’heure, ces Sommets ont produit des infrastructures de toutes sortes, mais aussi des dettes colossales et, chemin faisant, transformé l’Afrique en une gigantesque boutique destinée aux produits bas-de-gamme des usines « émergeantes ». 

[« Lorsqu’un mortel s’emploie à sa propre perte, les dieux se font un plaisir de lui donner un coup de main », nous enseigne Eschyle, poète de la Grèce antique.]          

T. Kolon